
David Evrard et Jean-David Morvan © La Ribambulle 2025
David Evrard et Jean-David Morvan étaient à Angoulême pour présenter le tome 2 de leur sympathique série, Les Amis de Spirou. Le premier, n’étant pas friand des interviews, a gentiment accepté de prendre la pose à côté de son scénariste, avant de le laisser se débrouiller (fort bien, au demeurant) avec le micro.
Bonjour Jean-David !
Bonjour !
On va commencer par parler de l’actualité avec le tome 2 des Amis de Spirou. D’abord, comment sont nés ce projet et cette association avec David Evrard ? Je sais que vous avez déjà fait d’autres séries ensemble avant…
Exactement. Avec David, on était même ensemble à l’Institut Saint-Luc à Bruxelles, il y a 30 ans. J’ai travaillé avec pas mal de mes potes qui étaient là-bas, mais avec David on a mis très longtemps à travailler ensemble et c’est arrivé avec Irena. Lui a eu une trajectoire plus vers le magazine, le journal de Spirou, etc. Moi, j’étais plus au départ vers la science-fiction. Et puis, un jour, je me suis dit… J’avais ce projet d’Irena. David m’avait envoyé un projet en me disant « quand est-ce qu’on travaille ensemble ? ». Il avait un dossier sur les favelas qui était vachement bien et tout ça… Alors, je me suis dit que c’était une très bonne idée d’enfin travailler ensemble. Je lui ai proposé Irena, il a eu peur parce que c’était un projet très dur. C’est l’histoire d’une dame qui a sauvé 2500 enfants du ghetto de Varsovie, donc c’est assez chaud, mais il s’est lancé. Et puis ça s’est bien passé. Quand on a fini Irena, on s’est dit « qu’est-ce qu’on fait ? ». Et on a fait une BD, chez Glénat, toujours, qui s’appelle Simone. Et puis on s’est dit que ce serait bien de travailler sur un personnage qui s’appelle Jean Doisy, après en avoir discuté avec Christelle Pissavy-Yvernault qui nous l’avait présenté. On a commencé le premier des albums sur une sorte de biographie et puis ça a tourné assez vite vers quelque chose de plus jeunesse, qui est une sorte de mélange entre sa vie à lui et la vie d’enfants qui sont des amis de Spirou. Et qui faisaient partie du club que lui-même a créé.
Est-ce que le choix d’annoncer de suite que l’issue serait dramatique pour deux d’entre eux s’est imposé, ou vous avez un peu hésité avec cette idée-là ?
Je n’ai pas du tout hésité. C’était mon idée de départ. C’est-à-dire que, pour les lecteurs, ça pose tout de suite quelque chose de très puissant, le fait de ne pas savoir qui va vivre et qui va mourir. C’était très important narrativement pour donner envie aux gens de continuer à lire l’histoire.
Ça amène plus de tension ?
C’est ça. C’est un procédé narratif assez rare. On avait la chance de pouvoir le voir parce que ce texte est vrai. Le fait qu’il dise qu’il y a eu deux morts est vrai. Il a été publié dans le journal Le Moustique. On a repris ce qu’il a dit dans Le Moustique pour en faire un discours. Après, tout le reste n’est pas vrai, mais ça, c’est la réalité du sujet.
Vous avez inséré le document authentique dans les bonus du tome 1, en masquant les deux noms en question.
Oui, tout à fait.
Il ne faut pas tenter d’aller voir pour se gâcher la lecture.
En fait, je ne voulais pas reprendre les mêmes gamins. Parce qu’on aurait été vite bloqué par quelque chose d’historique qui aurait été un peu compliqué. En plus du respect pour les familles, etc. Donc j’ai changé les gamins, leurs histoires et tout ça. Mais le concept reste le même.
Donc le caviardage, c’était pour faire une petite blague, non ?
Oui c’est ça, exactement.
Il y a beaucoup de clins d’œil à la réalité et à des personnages du journal Spirou, de Dupuis.
Oui, il y en a partout (rires).
Dans les fausses pubs, notamment. Est-ce que toutes les indications sont de vous ? David Evrard m’a dit qu’il avait eu pas mal le champ libre quand même pour les pubs.
Oui oui, David rajoute plein de choses.
Il met parfois des vraies marques aussi. Il y a le chocolat Côte d’Or, par exemple.
Il a un esprit fantaisiste, David. Plus que moi. Donc moi j’amène sans doute le côté plus « historique », et lui le côté plus fantaisiste. Mais qu’on essaye de faire coller au Spirou des années 1950. Juste après-guerre en fait, avec Poildur puisque c’est un des personnages de l’histoire. On essaye d’être de ce côté-là de Spirou. Ce qui fait que c’est à la fois assez juste au niveau de la Résistance, et que ça contient dans le même temps plein de blagues et de choses qui ne peuvent pas exister vraiment. C’est une BD dans l’univers de Spirou, et donc l’ambiance des années 1950, qu’on aime beaucoup, et qu’on a essayé de représenter. En particulier, je prendrai l’exemple d’une scène de « torture » qu’il y a dans cet album, qui est détournée. En même temps, elle pose vraiment des questions sur la torture. Sur les gamins qui se demandent « est-ce qu’il faut le faire ou pas ? ». Donc, ça, c’est très sérieux. Et puis, finalement, ça se finit sur une pirouette. Ou plutôt sur une Spirouette (rires).
Ça, c’est un très bon nom de personnage !
C’est Christelle qui l’a inventé.
Justement, j’allais parler de Miche, le vrai prénom de « Spirouette ». Parce que, graphiquement, on voit son œil sous sa coupe de cheveux.
Oui oui.
Ça m’a intrigué. C’est un peu surprenant au début. C’est une idée du dessinateur ?
Moi, je l’ai laissé faire.
C’est assez rigolo.
C’est assez manga. Beaucoup de mangas sont comme ça. Mais je ne pense pas que ce soit son influence majeure (rires).
Justement, est-ce que vous discutez des esquisses d’un perso une fois qu’il l’a créé ? Vous vous dites « ouais, il faudrait revoir un peu » ? Ou est-ce que vous le laissez ?
Ça peut m’arriver parfois, mais là, tout était bon. Ça descendait tout seul !
Est-ce que vous avez facilement identifié les faits réels qui allaient apparaître dans la série ?
Ouais, il y en a plein. Bah là, j’ai lu plein de bouquins, et je m’en sers encore, sur la résistance en Belgique. Donc il y a plein de choses. On parle par exemple dans le tome 2 de l’attentat dans la mine du Bois du Cazier. Il y a plein de choses qui ont existé vraiment.
Est-ce que vous avez une idée déjà du nombre d’albums que vous souhaitez consacrer à cette série ?
L’idée de départ était de se dire « on va en faire neuf parce qu’il y a neuf articles du code d’honneur ». Après, on verra : si ça marche assez, on ira au bout ; si ça ne marche pas assez, on trouvera une solution.
Est-ce que vous déjà avez eu pas mal de retours, de jeunes lecteurs notamment ?
Oui, bah ça marche bien. Je pense que les gens sont assez contents. Mais pas que les jeunes, du coup, parce que comme il y a plein de références à l’histoire de Dupuis, ça intéresse pas mal de gens. Et c’est toujours un peu le plus difficile d’intéresser plusieurs générations en même temps sur une même bande dessinée. Donc c’est un exercice intéressant. C’est vrai que le premier est plus fragmenté au niveau de la temporalité. Il y a plus de flashbacks, etc. Le deuxième, on a quand même essayé de le faire un peu plus simple pour les jeunes lecteurs. Mais j’aimais bien l’idée du premier qui est très morcelé, je trouve ça intéressant.
Pour que toutes les générations soient touchées, je trouve qu’il y a un bel accompagnement dans le journal Spirou, ce qui est une bonne idée.
Tout à fait.
Les abonnés ont même reçu la carte du club ! Après, ne pas mettre ça dans le journal Spirou, ça aurait été un comble !
Jonathan (NDR: Dellicour, le nouveau rédac’ chef) a tout de suite sauté sur l’occasion de refaire une couverture comme à l’époque, avec le même logo et tout. C’est super d’avoir ce support-là. C’est génial.
J’ai une autre question qui me turlupine… Est-ce que David Evrard a un lien de parenté avec Jean Doisy ?
Non, aucun.
Parce qu’il a le même nom de famille, Doisy étant un pseudonyme.
Oui, tout à fait.
Ça aurait été une coïncidence un peu folle.
Exactement.
C’est donc un heureux hasard.
Je pense que c’est une grande famille.
Et c’est une histoire qui commence à dater… C’est un peu étonnant que personne n’ait eu l’idée de la raconter avant vous, non ?
C’est étrange mais je crois que l’histoire de Jean Doisy n’était pas très connue ; celle des ADS, en revanche, oui. Le choc entre les deux est intéressant. Quand on sait que Jean Doisy était dans la Résistance, ce qu’il a dit à ce moment-là, c’est ça qui permet d’écrire l’histoire. Mais c’est vrai qu’il n’y a personne qui a parlé des ADS pendant 80 ans quasi. Donc, c’est assez étonnant, en fait.
On revient un peu dans des temps obscurs, actuellement. Est-ce qu’il ne faudrait pas relancer le club ? Le vrai club des Amis de Spirou (rires).
Je ne sais pas s’ils pourraient le gérer de la même manière chez Dupuis… Mais j’espère qu’on n’est quand même pas dans des temps aussi obscurs. J’espère qu’ils n’arriveront pas.
Cette série permet aussi de lier une partie de l’histoire de la BD à la Seconde Guerre mondiale, dont vous êtes devenu au fil du temps un spécialiste.
Oui.
J’étais avec Tamia Baudouin juste avant, vous avez d’ailleurs co-dirigé Les Mémoires de la Shoah.
Oui. Parce que ça fait partie de la collaboration entre Aire Libre et le prix Albert-Londres. C’est avec Stéphane Marchetti qu’on a initié cette collection, lui du côté journalistique et moi du côté BD. Elles me semblaient intéressantes à raconter, toutes ces histoires.
Quel est votre rôle dans la conception de l’album ?
Choisir les titres, accompagner les auteurs tant que faire se peut, faire des remarques de temps en temps s’il y a besoin, donner des coups de main.
Elle m’a dit que la difficulté, c’était surtout que les témoignages ne collaient parfois pas à la réalité historique.
Ce n’est pas exactement ça. J’ai un exemple très précis. Quelqu’un a dit dans une interview filmée – d’ailleurs je l’ai vue il n’y a pas longtemps – « j’ai envoyé mon petit frère avec mes parents qui sont montés dans les camions. Et en faisant ça, je les ai envoyés directement au crématoire ». La logique voudrait alors qu’on dessine quelqu’un au crématoire, vu que c’est ce qu’il dit. Mais en fait, ce qu’il dit, lui, n’a pas pu se passer directement comme ça. Et c’est là que je suis intervenu puisque, avec Ginette Kolinka, je suis allé à Birkenau, j’ai travaillé sur les camps et je commence à connaître. En réalité, les gens n’allaient pas directement au crématoire. Ils passaient déjà par la chambre à gaz où ils étaient tués et après ils étaient montés au crématoire. Et donc, il y avait ce dessin où on les voyait debout dans le crématoire. Mais ça n’existe pas ! À part les gens qui travaillaient au crématoire, personne n’arrivait debout et habillé au crématoire. Les gens, quand ils en parlent, évidemment, font des résumés pour expliquer. De notre côté, il faut être assez irréprochable par rapport à l’histoire des camps. C’est très compliqué. Il faut voir derrière le témoignage.
On s’était vus à Saint-Malo avec Dominique Bertail pour parler de Madeleine. Entre temps, malheureusement, elle nous a quittés. J’ai vu que vous vous étiez remis à l’ouvrage, en postant un dessin…
Ce n’était pas tout à fait vrai mais il fallait qu’on commence à avancer, je dirais. Maintenant, on a commencé l’album. On doit avoir 14 pages du tome 4. Et on doit le finir pour qu’il sorte vers novembre. On s’y remet, là.
Est-ce que vous, dans tout ça, vous avez le temps aussi de réfléchir à d’autres choses ?
Moi, je devais faire plein de choses. Mais je suis en retard sur plein d’autres. Donc voilà. Mais au fur et à mesure, ça va revenir… il fallait que ça passe. J’ai eu trois mois un peu rudes.
On comprend parfaitement. Il y a aussi une rumeur selon laquelle vous pourriez refaire un Spirou. C’est vrai, ça ?
Si l’occasion se présente. Mais surtout avec José Luis, si on pouvait… On avait une idée, mais on n’a pas réussi à la mener à terme. Donc voilà. Moi, je le ferais avec plaisir. Si j’ai une bonne idée pour faire un bon Spirou et qu’on me laisse le faire.
La porte reste ouverte.
Oui. Alors qu’elle a été fermée pendant très longtemps (rires) donc c’est assez sympa.
C’est déjà une bonne nouvelle, que ça puisse « éventuellement » se faire.
Voilà, on verra bien.
À propos, dernière petite question : comment se fait-il que le Marsupilami débarque dans le tome 2 des Amis de Spirou ?
C’était une idée de David, et je me suis dit « mais oui, pourquoi pas profiter du faut qu’on soit dans le monde de Spirou ». Puisque Poildur revient, pourquoi pas le Marsu, après tout ? C’est un Marsu pré-Franquin, mais, forcément, la race existait avant que Franquin ne l’invente, donc c’est comme ça qu’on a travaillé et nous sommes tombés sur cette histoire de groupe de nazis qui s’occupait des animaux pour les faire parler… Ils cherchaient des animaux intelligents, et on s’est dit qu’il y avait un petit truc sur lequel on pouvait jouer. Donc on a ramené le Marsu.
Il y a des chances qu’on le revoie dans le tome 3 ?
Dans le tome 3, c’est sûr !
Merci beaucoup !
Merci à toi.
Propos recueillis par Nicolas Raduget
Interview réalisée le samedi 1er février 2025.
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