Dans le cadre de La Biennale – Une 5e saison d’Aix-en-Provence, les Rencontres du 9e Art 2022 offrent au public l’opportunité de découvrir le travail du mangaka Eldo Yoshimizu à travers une exposition d’originaux tirés de ses œuvres. Ainsi de Ryuko à Hen Kai Pan en passant par Gamma Draconis, la scénographie immerge les visiteurs au cœur du processus créatif de l’auteur de façon remarquable. Pour couronner cet événement extraordinaire (doublé d’une autre exposition à la galerie Arts Factory de Paris), Eldo Yoshimizu y a fait une halte le 24 mai lors de sa tournée européenne consacrée à son nouveau gekiga, Hen Kai Pan. Une occasion rêvée d’échanger avec lui et de vous partager ce moment incroyable.
Bonjour Yoshimizu San. Pourquoi avez-vous décidé de devenir mangaka alors que vous êtes un célèbre sculpteur/artiste au Japon mais aussi dans le monde.
Bonjour. Je ne suis pas un artiste si célèbre. Je n’ai eu que quelques succès dans mes travaux d’art public (NDR : comme l’œuvre First Light réalisée en 2003 pour la succursale Louis Vuitton de Tokyo). Je voulais écrire des histoires. Idéalement, cela aurait dû être un film mais j’ai abandonné cette idée car la production requiert d’énormes budgets et beaucoup d’équipes. Cependant, avec la bande dessinée, je peux tout faire moi-même. Donc, j’ai commencé à dessiner des mangas.
Pour le premier, Ryuko, vous avez choisi le style gekiga et vous l’avez auto-publié, ce qui ne correspond pas au circuit traditionnel de publication au Japon. Quelles étaient les motivations de ces deux choix ? Peut-être la volonté d’être libre pendant le process créatif ?
Pour la première question, quand j’étais petit, j’adorais les mangas de Leiji Matsumoto et Gô Nagai. Je faisais même des mangas en les imitant. Pourtant, à l’âge de 17 ans, je me suis éloigné des mangas et suis devenu obsédé par la musique rock. Donc, je ne sais pas trop ce qui s’est fait dans le domaine des années 80 à aujourd’hui. Quand j’ai recommencé à dessiner à l’âge de 45 ans, j’étais complètement autodidacte mais j’étais très fortement influencé par les mangas que j’avais lus petit. Ce qui a abouti à ce que je considère comme étant à mes yeux dans le style gekiga. En ce qui concerne la seconde partie de la question, j’ai senti que la prépublication dans les magazines hebdomadaires ou mensuels n’était pas pour moi. J’ai donc choisi de publier ma création de manière indépendante.
Quelques mots sur Ryuko. Quelles sont les origines de cette série assez personnelle ?
En un mot : l’impulsion. C’est le point de départ qui a frappé le magma qui bouillonnait et montait de mon moi intérieur.
Votre second gekiga, Gamma Draconis, est une collaboration avec un scénariste français, Benoist Simmat. Comment cela est-il arrivé ?
Stéphane Duval, de l’éditeur français Le Lézard Noir, est venu avec l’idée et m’a demandé d’en réaliser les dessins.
Après cette expérience, quelle est votre préférence ? Travailler seul ou avec un scénariste ?
La plus haute priorité est donnée aux œuvres scénarisées et dessinées par moi-même.
Maintenant, parlons de votre dernier album, Hen Kai Pan. À travers celui-ci, il est clair que vous êtes très concerné par le futur de la Terre et l’écologie. Et votre approche en est très philosophique.
Oui, tout à fait. Ryuko et Hen Kai Pan peuvent paraître comme des histoires complètement différentes mais elles sont toutes les deux des éléments de mon for intérieur. Toutes les deux ont bien plus en commun que vous ne le pensez. Toutes les deux se déroulent dans le contexte des problèmes sociaux dans le monde. Ryuko et Asura font des erreurs et souffrent jusqu’à ce qu’elles choisissent la voie de prendre leurs propres décisions. Le concept de Ryuko est que le bien et le mal sont les deux faces d’une même pièce. Je pense que cela peut être décrit comme philosophique. Et mon interprétation de la signification de Hen Kai Pan est que tous les êtres vivants sur terre, les plantes, les animaux, les poissons, les oiseaux, les insectes, la vase et même les bactéries et les virus, ainsi que l’océan, la terre et l’atmosphère, forment une seule forme de vie.
Il y a une réelle évolution entre ces trois mangas. Votre trait devient de plus en plus fin. Il n’y a plus ou plutôt beaucoup moins de masses en mouvement comme dans Ryuko par exemple.
Aux débuts de Ryuko, les lecteurs trouvaient difficile de lire les scènes d’actions rugueuses. Depuis Gamma Draconis, je dessine de manière à ce que les lecteurs comprennent ce qui se passe. Cependant, dans le troisième volet de Ryuko, j’aimerais mixer ce trait avec de la dureté à nouveau.
Vos principaux personnages sont féminins. Pourquoi ?
J’aime les femmes fortes. J’aime les femmes non seulement physiquement fortes mais aussi volontaires mentalement.
Comme vous l’avez évoqué brièvement, vous travaillez sur le troisième opus de Ryuko. C’est une surprise car les deux premiers se suffisent à eux-mêmes. Est-ce un besoin particulier de continuer la série ou un besoin de raconter quelque chose de plus “léger” après Hen Kai Pan ?
Oui, la série Ryuko était prévue en seulement deux tomes. Cependant, je ne rentrerai pas dans tous les détails mais, quand j’ai vu les informations sur le mouvement étudiant pour la démocratie dans une certaine ville, j’ai voulu crée un récit avec les personnages de Ryuko sur ce thème. Ryuko pourrait continuer irrégulièrement comme le travail de ma vie.
Comment travaillez-vous ? Votre processus créatif a évolué ou vous utilisez le même pour tous vos livres ?
Premièrement, je décide d’un concept. Ensuite, j’élabore un storyboard approximatif connu sous l’appellation Name au Japon. C’est aussi à ce stade que l’on fait la disposition approximative des cases dans les planches. Le Name est très important. Alors, je fais les dessins préliminaires au crayon et puis j’encre. Pour finir, j’applique les niveaux de gris à l’aquarelle.
Quel est votre ressenti concernant ces deux expositions en quasi simultanée en France à la galerie Arts Factory de Paris et lors des Rencontres du 9e Art d’Aix-en-Provence 2022 ?
Laurent et Effi de la galerie Arts Factory m’avaient déjà offert cette chance il y a quelques années. Je leur en suis profondément reconnaissant. L’exposition d’Aix-en-Provence est aussi dirigée par eux. Je dessine à la main. Donc, donner l’opportunité aux lecteurs de voir ces pages brutes par leurs propres yeux est une idée très excitante. Contrairement aux peintures à la main imprimées sur papier, ils peuvent ressentir ma lutte dans les coups de pinceaux et voir les traces de mes corrections.
Pour finir, quelles sont vos influences ou les auteurs qui vous inspirent ?
Je peux citer Devilman de Go Nagai, Phoenix et les travaux adultes d’Osamu Tezuka, le film d’animation Ghost in the shell, Nausicaa de la vallée du vent d’Hayao Miyazaki, Wild 7 de Mikiya Mochizuki, les séries The Cockpit de Leiji Matsumoto.
Merci Yoshimizu San pour votre travail extraordinaire et d’avoir pris le temps de répondre à mes questions.
Merci à vous.
Pour clore cette rencontre, nous avons eu le privilège de dîner avec Eldo Yoshimizu suite à l’aimable invitation du Directeur artistique de BD Aix, Serge Darpeix, une parenthèse bienvenue pour l’auteur après une séance de dédicace d’un peu plus de trois heures sur un rythme effréné. Chaleureusement accueillis dans le cadre reposant du restaurant Jacquou le Croquant, c’est un peu en français mais surtout dans la langue de Shakespeare que nous avons continuer à échanger, une manière des plus agréables de découvrir quelqu’un dont l’ouverture d’esprit et la gentillesse n’ont d’égal que son talent. Merci à Serge Darpeix pour ce moment hors du temps.
Propos recueilli par Stéphane Girardot
Interview réalisée le 24 mai 2022
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