
Dan était à Angoulême pour dédicacer chez Dupuis (en toute logique, oserait-on dire, pour un natif de Marcinelle). Si les connaisseurs du Petit Spirou, série à laquelle il a longtemps collaboré de très près, étaient aux anges, il était surtout là pour présenter le nouvel album de Soda, Révélations, achevant l’histoire en deux parties entamée en 2014 avec Philippe Tome. Nous avons sauté sur l’occasion pour discuter de cette série avec lui et de ses projets à venir, d’abord un nouvel album chez Kennes avec Joël Hemberg, prévu pour octobre, puis le tant attendu Spirou et Fantasio avec Janry et Gihef.
Bonjour et merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. On s’était déjà croisés à Quai des Bulles il y a quelques années.
Je me souviens.
On avait parlé de Rages notamment. Là, tu es revenu chez Dupuis pour Soda, est-ce que ça a été difficile de convaincre Dupuis de boucler cette dernière aventure qui avait été scénarisée aux trois-quarts par Philippe Tome ?
Non non. On était tous d’accord qu’il fallait conclure l’album… Que Philippe le voulait tellement, cet album. Il fallait trouver comment et avec qui… Pas si simple quand tant d’émotions et de sentiments sont engagés. Également, trouver un scénariste ayant la volonté, la capacité et l’humilité aussi de débarquer dans une fin de diptyque, c’est un peu comme faire entrer un joueur pour aller botter un penalty dans une finale importante. Quand il a fallu que je cherche un scénariste, j’ai tout de suite pensé à Zidrou dont j’appréciais le travail, la personne et le respect qu’il avait pour Tome. Mais au moment où on lui a proposé, d’une part il n’était pas dispo, et d’autre part il n’était pas convaincu que, niveau scénario, il allait pouvoir trouver quelque chose. Et puis, comme ça a pris du temps finalement, on est revenu vers lui quelques mois plus tard, et là il était dispo, et en plus il a trouvé un point d’attaque avec Falzar, son comparse.
Il y avait réfléchi quand même, sans savoir que vous alliez revenir vers lui ?
Je ne sais pas s’il y avait réfléchi, peut-être inconsciemment…
Forcément, dans une tête de scénariste…
Du coup, on lui a reproposé, et il a dit: « Falzar et moi allons relire tout le bazar, si on trouve un angle d’attaque pour mettre tout ça en musique, on te revient presto, sinon on laisse tomber ». Quelques jours plus tard, ils me répondaient qu’ils avaient trouvé un truc à partir de la dualité qui était le thème récurrent dans Soda mais surtout dans ce diptyque… Les tours jumelles, les doubles personnalités, etc.
Vous ne vous sentiez vraiment pas d’essayer ?
Si, bien sûr, j’aurais bien essayé, d’autant que Philippe m’avait raconté l’histoire et tout le bazar, donc j’étais le plus proche, c’est moi qui en savais le plus sur ce que Philippe voulait. Mais voilà, on ne fait pas toujours absolument ce qu’on veut. Je n’étais pas le seul à décider. Au final, je kiffe le résultat. Puis, travailler avec Zidrou et Falzar fut un double plaisir redoublé d’un double honneur, on reste dans le thème ! Sérieusement, ils sont très forts, comme je l’ai déjà dit. Deux tueurs, deux de plus dans Soda.
Le titre était trouvé, déjà, Révélations ?
Oui, c’était trouvé. La couv’ était déjà faite du temps de Philippe aussi. Il y avait 30 pages, 31, qui étaient complètement finies aussi… mais je vais te laisser poser les questions (rires).
Quand, justement, tu as repris, déjà au tome 13, avec la première partie, Résurrection, il a fallu se fondre un petit peu dans le moule des deux dessinateurs précédents. Comment as-tu fait ? Tu as relu toute la série ?
Je connaissais bien la série parce que j’ai bossé avec Bruno Gazzotti en atelier. On était tous en atelier avec Tome, Janry, Gazzo… Gazzo était juste derrière moi, on se tournait le dos en fait, donc je connaissais quand même pas mal la série. Mais bon, j’ai dû en relire un ou deux quand même pour me replonger dedans.
Est-ce que tu penses que ton style a évolué entre la partie 1 et la partie 2 ?
Oui, j’espère bien qu’il a évolué. En 10 ans…
Est-ce que les lecteurs te le font remarquer ou pas ?
Pas des masses, non, pas des masses. Ils n’osent pas, peut-être (rires). Oui, je pense que si j’en avais encore fait 4 -5, je serais devenu bon, tu vois.
Oh, quand même ! Tu es déjà bon !
Oui, non, je pense que ça prend du temps d’avoir un univers en main. En un album, c’est un peu chaud.
Au final, c’est du Dan, mais c’est bien du Soda aussi. C’est les deux, c’est bien mélangé.
Oui, c’est forcément du Dan.
On a aimé les deux styles, la première partie et la deuxième. Il n’y a pas d’énormes différences qui sautent aux yeux. Le début était déjà très cool.
Non, c’est juste que j’ai mieux le personnage, je visualise mieux le personnage en 3D, simplement.
Ça allait plus vite aussi, au moment de dessiner la deuxième partie, peut-être ?
Oui, c’était plus facile aussi.
Malgré le contexte, le fait d’avoir dû terminer ça sans Tome, avec l’aide des scénaristes, est-ce que tu as quand même pris un grand plaisir à suer sur ces planches ?
Oui, terrible ! Oui, j’ai adoré. Mais tout, tout l’album. C’est une expérience que j’ai adoré réaliser.
On a l’impression d’ailleurs que tu t’es représenté dedans. Il y a un personnage qui te ressemble un peu.
Oui, on me l’a dit, mais ce n’est pas fait exprès, ce n’est pas vraiment voulu.
Mais tu es d’accord ? Que le personnage te ressemble ?
Oui, c’est vrai. Mais c’est peut-être dû au fait que, quand tu prends des poses pour les personnages, tu te dessines un peu, tu regardes dans le miroir pour faire des expressions, et du coup… Du coup, oui, ça a pu jouer…
C’est pas un gentil, lui, pour le coup…
Non, mais je ne suis pas gentil non plus. Ma mère va peut-être me contredire, mais… À part ma mère, tout le monde sait que je suis méchant (rires).
On aura peut-être un commentaire de la maman de Dan, alors (rires). Et côté édition, vu de l’extérieur, ça a eu l’air d’être un peu compliqué. La sortie a été retardée…
Oui, il y a eu le décès de Philippe qui a tout chamboulé. Il a fallu que toutes les parties s’entendent sur tout un tas de choses, le côté juridique, tout ça. J’en suis resté le plus éloigné possible pour rester concentré sur mon boulot. Mettre en dessin des histoires. Mais oui, tout ça a pris du temps.
En plus, il se retrouve en hors série, maintenant, on ne sait pas trop pourquoi.
Oui, ça, la numérotation, tout ça, ce n’est pas mon business, c’est de l’éditorial. Moi, je n’ai pas tellement mon mot à dire.
Tu fais avec et c’est tout.
Je fais avec, oui. Moi, je voulais terminer le bouquin. Agir là où je suis le plus capable. Quand les feux ont été verts pour Révélations, j’étais sur le dessin d’un autre projet chez un éditeur qui avait déjà eu la patience d’attendre quand je me remettais épisodiquement à travailler sur Soda. Philippe avait parfois de longs moments de non-production. On le savait, c’était comme ça. Là, Phil ayant arrêté pour de bon en cassant sa pipe, je retournais alors sur l’autre projet. J’ai décidé d’avancer sur celui-ci jusqu’à un certain point. Il s’est trouvé qu’à un moment, l’ami Joël Hemberg, avec qui je collabore sur cette histoire, avait besoin de deux mois pour la mettre en boîte. Je me suis remis sur Soda. À ce moment-là, ça a été rapide.
On va en reparler dans une minute, mais juste pour finir sur Soda, il y en a même eu un entre-temps, finalement, Le Pasteur sanglant. Est-ce que tu sais s’il y aura d’autres albums de cette série et si tu y seras associé ou pas ?
Oui, il y en aura d’autres. Par Gazzotti, et ça sera une autre collection, encore. D’après ce que j’ai compris, normalement, ce sera Soda dans les années 1980.
C’est ça, dans les débuts chronologiques de la série. Et toi, tu ne seras pas du tout là-dessus ?
Non, pour moi, Soda c’est fini.
En dédicace, qui as-tu rencontré ? Ce sont généralement des anciens lecteurs de Soda, il y a parfois des gens qui découvrent ?
J’ai eu pas mal de découvertes, oui. Mais il faut être motivé, pour faire des files, c’est costaud (rires). Pas seulement pour moi, hein, il y a du monde partout ! Il faut vraiment avoir envie d’une dédicace.
Surtout quand on découvre.
Oui, surtout quand on découvre. J’ai eu pas mal de nouvelles têtes. Au fil des festivals, c’est toujours un peu les mêmes têtes que je vois, mais là j’ai quand même eu… C’est vrai qu’ici, il y a ça qui est bien, c’est qu’il y a beaucoup de nouveaux lecteurs. C’est cool.
Et puis tu as tourné pas mal en France, en Belgique, pour cet album.
Surtout en Belgique pour l’instant. C’est ma première fois en France. Mais ça arrive. France, me voilà !
Je ne sais pas ce que tu en penses mais, d’une manière générale, je sais qu’il a toujours aimé mélanger les deux, les derniers scénarios de Philippe étaient quand même, de mon point de vue, un peu plus noirs que drôles.
Oui, il y a moins d’humour. Quoique ça a toujours été assez sombre, Soda, quand même, y compris les premiers.
Je sais qu’il était très amoureux de New York. C’est après le 11 septembre qu’il a un peu…
Oui, il trouvait que c’était impossible de faire un Soda sans évoquer cette situation, parce que ça a complètement changé la physionomie de la ville. Ça a tout changé, les attentats.
Ça explique aussi peut-être un peu plus la noirceur.
La noirceur… C’est vrai que le sujet n’est pas hyper léger.
Sinon, je ne sais pas si tu as suivi, mais j’ai interviewé Janry à Quai des Bulles il n’y a pas longtemps.
Je ne connais pas ce monsieur (rires).
Si si, parce qu’en plus, il en a trop dit et on a dû couper quelques morceaux (rires). Gihef et Janry ont annoncé une grande nouvelle en fin d’année dernière, à savoir qu’ils se remettaient sur un Spirou. Avec toi dans l’aventure, nous a-t-il dit.
Oui, je confirme.
Est-ce que vous êtes dessus en ce moment ?
Je dois d’abord terminer mon projet. Que j’avais donc arrêté pour faire Soda. Je suis en train de le terminer. Il y a une centaine de pages qui sont faites. Ça va me prendre, je ne sais pas, encore 15 jours. Et puis j’attaque avec Janry. Mais je crois que Janry a déjà commencé.
Parlons d’abord de ce projet à terminer. Tu nous en avais dit un mot à Quai des Bulles. Ça a changé de titre depuis.
Ça a changé de titre, oui.
C’était Les Voyages de Silo.
Ce n’est plus Silo, c’est déjà pris. Après, ça a été Le Maître des singes. Et comme on a dû changer pour tout faire en un seul album, on a encore changé de titre. J’ai peur d’en donner un maintenant (rires).
Ça risque encore de changer. Le titre mystère.
Normalement, ce sera Dehors, c’est l’enfer.
Avec un point d’exclamation ?
Je ne sais pas (rires).
On le note et on verra si ça change.
Si vous trouvez mieux, proposez-moi.
C’est avec Joël Hemberg ?
Oui.
C’est déjà avec lui que tu planchais sur le tome 2 de Rages. Est-ce que c’est encore d’actualité ?
Non. Il n’y a pas eu assez de retours, ça ne se fera pas. En tout cas, dans un premier temps. J’ai d’autres projets pour l’instant.
Est-ce que c’est plaisant, excitant, et émouvant de se remettre sur un Spirou derrière ? C’est un gros projet, non ?
Oui, c’est cool. C’est cool, c’est un rêve de gosse. J’ai déjà travaillé un peu sur Spirou et Fantasio. Mais là, ici, ça va être autre chose. Il faut quand même plus donner.
Ce sera plus encore plus d’implication que dans Le Petit Spirou ?
Le Petit Spirou, j’ai quand même fait pas mal. Mais sur Spirou, sur Luna fatale et Machine qui rêve, je n’ai pas fait grand-chose. J’ai encré quelques décors, j’ai fait quelques mises en page, mais pas sur tout l’album. Là, c’est tout l’album. C’est moitié-moitié. Ça va être chouette ! En plus, Janry m’a envoyé des photos de l’atelier. Il m’a construit mon bureau. Il aime bien faire tout lui-même. Il m’a envoyé des photos de ma table.
Vous allez rebosser ensemble, ça y est ?
À deux.
C’est chouette. Physiquement ensemble.
Oui, dans son atelier. Peut-être pas tous les jours.
On a hâte de lire ça. Prenez votre temps, surtout pour le faire. On ne va pas vous mettre la pression.
À deux, on devrait aller vite.
Pour la sortie de Dehors, c’est l’enfer (ndlr : vraiment un joli titre !), il y a une date, à peu près ?
Octobre. Normalement.
Pour le prochain Quai des Bulles, ce serait bien !
Ah ouais. Mais je ne sais pas si Kennes y va…
Oui, il n’est pas revenu tous les ans.
Non, il a eu un peu du mal à un moment donné. Mais maintenant, la boîte se redresse, avec Philippe Boxho, qui fait un carton.
Est-ce que vous pouvez nous dire un petit mot sur ce dont va parler cet album ?
C’est de la SF. C’est une bande de gamins et gamines qui se retrouvent dans un univers assez sombre. C’est assez dark, pas aussi dark que Soda… quoique. Un univers post-apocalyptique. Ambiance, quoi.
On a hâte aussi de lire ça.
Mais en tout cas, je me suis défoncé. J’ai pris mon pied aussi là-dessus !
On a vu passer une très belle case sur Instagram. Où tu disais que ce n’était pas un style épuré, il y avait 12 millions de détails.
Ah oui, oui (rires). Ce n’est encore pas avec ça que je vais gagner le prix d’Angoulême, je crois. Il y a trop de détails (rires).
Tu as eu le temps d’aller voir l’expo sur la SF ?
Non, malheureusement.
ll y a des créneaux en nocturne.
Mais le soir, je bois du rhum (rires).
C’est une bonne idée, mais juste avant le rhum, alors. Parce que jusqu’à 23h, c’est une nouveauté de cette année, on peut aller faire les expos.
Ça me tente. Peut-être que j’irai demain faire un tour.
Tu parlais encore d’un autre album en gestation, un peu plus tôt ?
Pour l’instant, non, j’ai ces deux-là. Enfin si, j’en ai un autre mais là, c’est trop tôt pour en parler.
Eh bien merci alors, on te souhaite bien du plaisir, et à bientôt !
Merci à vous.
Propos recueillis par Nicolas Raduget et Chloé Lucidarme
Interview réalisée le samedi 1er février 2025.
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