Janry était présent à Saint-Malo pour lancer en avant-première le 20e album du Petit Spirou, toujours édité chez Dupuis, et dédicacer l’édition de luxe de Spirou à Moscou chez Black and White. Grands admirateurs de son œuvre, nous avons sauté sur l’occasion pour évoquer tout cela avec lui, ainsi que le projet en cours, tant attendu, d’un nouveau Spirou et Fantasio dessiné par ses soins. On compte sur Dupuis pour éloigner Gaston des bureaux et valider le contrat !
Bonjour et merci de répondre à nos questions.
Il n’y a pas de quoi, je suis là pour ça.
En avant-première, lors de cette édition 2024 de Quai des Bulles, est présenté le nouvel album du Petit Spirou (Y a pas de « Mais » ! », qui sort officiellement en librairie ce 8 novembre). C’est le deuxième que vous réalisez tout seul…
Vraiment tout seul, oui.
Est-ce qu’une habitude est née ? Au début, vous disiez que c’était compliqué de s’y mettre…
Oui, il y a cinq ans, mon scénariste, Philippe Tome, a eu la très mauvaise idée de nous quitter comme ça, sans préavis. Depuis le début, j’ai travaillé avec lui sur tous les gros projets. Comme mon intention était de perpétuer les aventures du Petit Spirou, surtout que les premières pages étaient plus ou moins engagées, j’ai attendu un moment avant de m’y mettre parce que c’était un exercice totalement inédit pour moi. Dans un premier temps, je me suis attelé à ce que je savais faire, c’est-à-dire – je vois que vous avez avec vous un album de Passe-moi le ciel où j’étais scénariste – à me refaire la main sur cette série pour vraiment bien pratiquer l’exercice du gag en une page. Le thème du Petit Spirou n’étant pas le mien, étant totalement perdu sans Philippe, j’ai dans un premier temps demandé à Dupuis de me présenter Maryse Dubuc, qui était la scénariste des Nombrils, parce que je la voyais comme quelqu’un qui avait un humour contrasté par rapport au mien. Moi, je suis plutôt dans l’humour grec, celui de Dupa, etc. C’est mon école. Et je souhaitais mettre un petit peu plus de nuances là-dedans… Malheureusement, Maryse Dubuc a disparu des radars. Je ne sais pas si vous suivez encore un petit peu Les Nombrils, mais c’est terminé. Delaf maintenant fait Gaston. L’autre scénariste [qu’il a demandé à Dupuis de lui présenter, ndlr], c’était Jacques Louis, qui faisait la série Le Chômeur et sa Belle. J’aimais bien aussi cette série parce qu’il y pratiquait d’autres émotions que simplement l’humour. Philippe et moi, on a toujours souhaité que Le Petit Spirou soit une série pas uniquement centrée sur le gag. Il y a aussi une certaine irrévérence. On taquine d’autres émotions. Et Jacques m’a beaucoup aidé en me donnant un coup de main sur les petites histoires courtes. C’est un format avec lequel je ne suis pas vraiment à l’aise, parce qu’il y a des respirations. Un gag en une page, c’est comme une blague : plus elle est courte, mieux ça vaut. Elle doit être assez concise. Ça, je peux faire, mais pour les histoires courtes, il m’a donné un petit coup de main. En fin de compte, il m’a fallu quand même quelques mois avant que je me décide à attaquer l’album 19. Une fois que c’est fait, finalement, l’eau n’est pas trop froide, on nage, on continue. Ça va maintenant.
Donc le 20e qui sort cette année, vous l’avez fait encore plus en indépendance ?
Il y a deux-trois gags qui ont été initiés par la fille de Marc Cuadrado, qui était le dessinateur de Parker et Badger. Benoît Fripiat, mon directeur de collection, m’a invité à la rencontrer puisque je cherchais une influence autre que purement masculine, testostérone, tout ça… Elle m’a donné de chouettes petits coups de main, elle m’a donné quelques idées de gags. Et Jacques Louis, encore une fois, m’a aidé à cadrer. Pour les histoires courtes, c’est toujours moi qui donne le thème. Dans le numéro 19, il y avait une histoire sur un adultère, par exemple. Je lui donnais les ingrédients, à lui de mettre ça en rythme. Je danse comme une brique donc ce n’est pas plus mal d’être aidé par un bon partenaire. Et pour ça, il était l’idéal. Il y a deux petites histoires, l’une impliquant Tintin quand il était petit, et l’autre sur la hantise d’être vieux pour les grands-papys. Je lui ai donné tous les ingrédients, il a cadré, j’ai recadré. Je pourrais dire que l’inspiration vient à 95 % de moi mais j’ai encore besoin de main courante et de béquilles. Ce n’était pas le cas sur Passe-moi le ciel…, une série qui est d’ailleurs terminée.
On n’aura donc jamais le Habemus Popom annoncé en quatrième de couverture ?
Non. J’ai terminé l’album mais Dupuis ne veut pas le publier parce qu’ils ne sont pas rentrés dans leurs frais avec le dernier. Je peux comprendre car c’est encore un ancien contrat. Aujourd’hui, si vous rencontrez des auteurs, ils sont payés en avance sur droits. De toute façon, l’éditeur ne perd pas de sous parce qu’aussi longtemps qu’il n’est pas rentré dans ses frais, l’auteur n’est pas payé. Mais moi, comme j’avais un contrat des années 1990, j’avais déjà un prix à la planche et, dès que le premier album est vendu, je touche des droits d’auteur. Bref, ça leur coûte des sous, un auteur comme moi. Vous n’êtes pas sans savoir qu’aujourd’hui, dès qu’une série est confidentielle, elle a beaucoup de mal à émerger. Il y a beaucoup de nouveautés, de moins en moins de place chez les libraires… Mais il n’est pas impossible qu’Habemus Popum soit publié par un autre éditeur.
J’allais poser la question. Surtout s’il est prêt.
Oui oui. En plus, Dupuis m’a dit : « non, on ne le fait pas. D’ailleurs, on ne veut pas d’ennuis, tu peux reprendre tout et aller le vendre ailleurs ». Alors, que demande le peuple ? Mon vœu, c’est de trouver quelqu’un qui est assez motivé parce que les éditeurs aujourd’hui, surtout les gros, ont du mal à se secouer. On ne veut pas prendre de risques. Aujourd’hui, c’est risqué de prendre quelque chose de nouveau. Du coup, ils font des « repassements », c’est-à-dire prendre des choses qui ont eu du succès ailleurs, comme les mangas, aux dépens du pari toujours audacieux d’une nouvelle série. Sur cent séries, il y a UN Arabe du futur, UN Les Vieux Fourneaux... Il faut presque une conjonction planétaire pour sortir une bonne idée, au bon endroit, au bon moment. Même des auteurs qui ont une certaine expérience sont exposés à des échecs. Autres temps…
Kamiti, l’éditeur de Grott & Brott, par exemple ?
Grott & Brott, c’était un pari. C’était une série, pour poser un petit peu les bases, faite avec un pote qui fait partie de ma bulle. C’est Gihef, qui est un scénariste de BD. Il est régulièrement ici, d’ailleurs. S’il était là, on n’entendrait que lui (rires). C’est mon pote, il habite juste en face de chez moi, dans mon gîte. On a imaginé une série comme ça. Grott & Brott, c’est Men in Black à l’envers, vu par les Martiens. Ce sont des fugitifs qui ont fait une connerie sur leur planète et ont choisi comme planque la Terre. On trouve encore aujourd’hui que c’était une idée très intéressante parce qu’elle était susceptible de mousser. Les premiers gags sont un petit peu laborieux pour essayer d’avoir nos repères mais ce concept… Petite parenthèse, je crois qu’il y a une série Netflix maintenant, avec un Martien qui essaie de passer inaperçu et qui est soumis aux règles des Terriens pour ça. C’est une chronique de tout ce qui est un peu bizarre dans notre monde. Voilà. On avait choisi un tout petit éditeur, ça faisait partie de mes vœux parce que les gros éditeurs ne font plus beaucoup d’efforts. Et puis, c’est un mode hiérarchique… On attend trois mois pour une réponse… Et si ce n’est pas un projet du genre Blake et Mortimer ou quelque chose qui ne leur fait pas peur, ils ont tendance à y aller avec le bout des fesses. Un petit éditeur n’a peut-être pas beaucoup de moyens mais il va se bouger, se sortir les doigts du cul, brainstormer avec nous… Mais il était tellement petit qu’il n’avait pas assez de moyens. D’ailleurs le deuxième album est terminé et je n’ai toujours pas touché les sous (rires). Ce n’est pas grave. Dans mon cas, l’intention était juste ludique. Travailler avec Gihef qui est devenu pratiquement mon meilleur ami, un ami en plus qui fait de la BD, c’est super. D’ailleurs, ça a posé les bases d’un autre projet, puisque ça fait des années que Dupuis me demande de refaire un Spirou et Fantasio. Ils me demandaient déjà ça il y a cinq ans. Je disais : « faire un Spirou sans Philippe, non ». J’avais également plein de raisons personnelles, loin des yeux loin du cœur, la façon dont ça allait être perçu par certains, du genre « le dinosaure vient nous montrer comment on fait un Spirou et Fantasio »… Et puis, au fur et à mesure qu’on discutait, j’avais bien une petite idée, et l’appétit venant en mangeant… Il n’y a plus Philippe mais il y a Gihef, et il y a toujours Dan. Je retrouverai une cellule qui ressemblera assez fort à celle à laquelle j’étais habituée à l’époque de l’atelier Tome & Janry. Cette inspiration ne serait peut-être pas venue si on n’avait pas eu un premier essai avec Grott & Brott. Qui a été un four, disons-le clairement. Mauvais endroit, mauvais moment, manque de visibilité, moyens anémiques. Il faut presque cocher toutes les cases pour espérer un résultat positif. Mes deux filles veulent faire de la BD, j’essaie de les décourager mais… je suis très mal placé puisque moi j’ai bénéficié d’un âge d’or.
Elles ont en effet un bon exemple à la maison.
Oui, mais je crois que mon expérience ne suffira pas. Ce n’est pas une garantie. Tout ce que je viens de vous raconter est la preuve que, quelles que soient votre expérience et votre reconnaissance, un succès n’est jamais signé d’avance.
Après, les lecteurs ont leurs repères, et vous associent beaucoup à Spirou et au Petit Spirou.
Oui, tout à fait. D’ailleurs, c’était un des atouts sur lesquels Kamiti comptait. Avoir un minimum de visibilité grâce à ça.
Moi, je l’ai lu grâce à vous, parce que vous étiez dans le projet.
Ça ne suffit pas. Le public n’a qu’une partie relativement réduite de gens qui s’intéressent aux auteurs. Astérix, on connaît, mais Uderzo, dix fois moins… c’est le principe de la bande dessinée, les auteurs sont clairement en retrait. La nouvelle tendance, qui n’existe que depuis quelques années, notamment au travers des romans graphiques, là c’est l’auteur… J’ai échappé à ce truc-là, c’est bien.
Vous venez d’expliquer comment, peu à peu, vous avez décidé de revenir à Spirou et Fantasio. Est-ce que ce n’est pas un peu le bazar de se replonger dedans aussi longtemps après ?
Je dirais que c’est comme le vélo. Je continue encore à dédicacer des albums, je sais encore trouver le dessin. Le défi, le but, ce n’est pas de faire UN Spirou, c’est de faire DU Spirou. Faire un album qui est intégré dans la collection. Pourquoi ? Je veux ça parce qu’à mes yeux, je reste quand même un père adoptif de Spirou, j’en ai fait 14, et le sort de cette série me touche un petit peu. Comme si c’était mon gamin. Et sur la série, pour le moment, il n’y a plus de pilote dans l’avion. Il y a Schwartz qui a repris… Le public ne suit pas vraiment, je sens qu’il ne lui accorde pas une légitimité pourtant tout à fait pertinente. Bref. En tout cas, je voudrais relancer la série mais comme il y a eu tellement de choses qui ont été faites, des one-shots partout… Tous les thèmes contemporains, ceux qui devraient être consacrés à la suite de la série, ont été pris.
A contrario, depuis peu, il y a aussi la nouvelle collection « classique ». La Baie des Cochons, dessiné par Elric, et le Tarrin qui est rentré dedans aussi, Spirou chez les Soviets, ainsi que d’autres albums à venir…
Tout à fait.
Vous, ce serait plutôt dans la série-mère ?
Oui, vraiment. C’est peut-être un avis personnel que je suis le seul à partager mais je suis inoculé aux éditions Dupuis. Quand j’étais petit, c’était Spirou, c’était tous les grands, ceux qu’on disait faire partie de l’époque dorée, les Tillieux, les Morris, les Goscinny… Dupuis, c’était une espèce de franchise avec un symbole qui existe depuis 1938, Spirou et Fantasio, le journal, le magazine… J’ai besoin d’alimenter ce lien, cette espèce de porte-étendard, de lui redonner une pertinence pour que ça redevienne une espèce de famille, si je puis dire. Je n’ai que des termes abstraits pour me faire comprendre. Pour ça, il faut faire un album de la série et, si ça marche bien, qu’on rend une certaine visibilité à cette série, retrouver les bases d’antan : oui, il y a les one-shots sur le côté, les hommages, mais avec en même temps la série qui continue à vivre. Parce que tout ce qui se fait aujourd’hui, c’est ce qu’on appelle des hommages, or généralement, des hommages, c’est devant une pierre tombale. C’est quelque chose qui m’exaspère un peu.
Est-ce que vous avez déjà le scénario en tête ? [Attention spoilers, rendez-vous directement à « Gihef avait annoncé un peu la nouvelle » si vous voulez entretenir le suspense !]
On a imaginé l’album 0, ça commence avec le Petit Spirou qui est devenu semi-adulte, qui a encore ses tartines, et sa maman le prépare pour aller pour la première fois à l’hôtel où il va commencer son métier de groom, puisque c’est une famille de grooms. Évidemment, il y a un cheveu dans la soupe, il y a une couille dans le potage, il y a un grain dans l’engrenage : démarrent une aventure et une chasse à l’homme au terme desquelles, quand il reviendra à la maison, il dira « ce n’est pas groom que je veux faire, c’est reporter ». C’est une histoire où Vertignasse, du Petit Spirou, va disparaître et devenir Fantasio, Suzette va disparaître et sera remplacée sans doute par Seccotine, et Spip arrive…
Ça répond aux questions qu’on se posait éventuellement sur le lien entre les deux séries.
Voilà.
Pourquoi certains personnages de l’enfance ont disparu.
Il y aura des réponses comme ça. C’est une espèce de scénario à tiroirs que Philippe affectionnait. Pourquoi est-ce que Soda n’a que trois doigts ? Ça suscite un fond d’envie d’en connaître plus et donc de suivre l’aventure.
Donc ce sera un retour dans le temps.
Oui, de toute façon, on sera évidemment tenu à cette espèce de paradoxe temporel. Pour un lecteur de 60 ans, la jeunesse de Spirou n’est pas la même que pour un lecteur de 20 ans. Spirou jeune, pour un lecteur de 20 ans, c’était dans les années 1970 mais pour un vieux lecteur, c’était dans les années 1940 ou 1930. Donc il fallait à chaque fois jongler, faire du funambulisme… Par exemple, il y a comme voitures des 2 CV. On en voit encore mais ça existait déjà dans les années 1940-1950… Brouiller les pistes, toujours. C’est un exercice assez délicat qu’on a fini d’ailleurs par transgresser. Philippe a dit « on va passer pour des vieux, il faut commencer à sortir des ordinateurs, des machins comme ça » pour subtilement garder le contact avec le lecteur d’aujourd’hui. Sinon, ça devient une BD en costume, comme on dit, comme Louis XIV ou les Romains. On en tient compte, bien sûr.
Vous aviez d’ailleurs commencé à aborder la jeunesse de Spirou dans Spirou et Fantasio.
Exactement.
J’allais vous demander deux-trois mots du scénario mais vous m’avez devancé…
Plus ou moins. Je tiens à dire que les nouvelles vont vite. Tant qu’on n’a pas signé de contrat, c’est comme si ça n’existait pas.
Gihef avait annoncé un peu la nouvelle et l’éditeur, Stéphane Beaujean, a confirmé.
Stéphane Beaujean était demandeur. Gihef et moi avons accroché à cette demande. Donc j’ai dit qu’il n’était pas impossible qu’on fasse un Spirou. « Ah ok, très bien ». On lui a soumis un petit peu la trame, pour savoir si les éditions Dupuis étaient d’accord. « Ok ». Mais on n’a toujours pas signé de contrat. Je ne sais pas si avez l’habitude de fonctionner autrement mais, si un jour vous achetez une maison, tant que le compromis de vente n’est pas signé, on n’est pas dans la maison, et jusqu’à la dernière minute il peut y avoir…
Vous avez quand même commencé les planches ?
Non. On a terminé les bases du scénario, on sait ce qu’on va dessiner, on a déjà vachement avancé. Si on ne le fait pas, on aura déjà quand même pas mal bossé.
Est-ce que, graphiquement, ce sera le style Luna Fatale ou Machine qui rêve ? Parce qu’il y a quand même eu un grand changement entre les deux.
Ce sera plutôt Luna Fatale. Clairement. Il y aura la même maquette que celle de l’époque.
Et avec Dan aussi, vous disiez.
Oui, avec Dan. Dan et moi au dessin, Gihef au scénario, moi au scénario aussi. Ce sera un travail d’équipe. L’idée est d’éviter toute mise en abyme temporelle, parce qu’il y a beaucoup des derniers Spirou qui ont été faits, celui de Dany par exemple, avec les grandes questions contemporaines comme le réchauffement climatique. C’est un sujet que nous aurions abordé, Philippe et moi, si on le faisait encore. Donc…
Il vous a plu, cet album ?
Celui de Dany ?
Oui.
Oui ! Ils me plaisent tous.
Mais vous auriez préféré qu’il soit dans la série-mère.
D’abord, il n’avait pas le format puisque c’était un album de 84 pages, c’est un album assez gourmand. C’est vraiment le format pop-corn, ça, gros cinéma, cet album-là. Je ne l’aurais pas fait de cette façon mais c’était très bien. La plupart des projets Spirou et Fantasio avaient grâce à mes yeux. Mais le problème, c’était de partir dans toutes les directions. Il n’y a plus de pilote dans l’avion, comme j’ai dit. Et d’ailleurs Stéphane Beaujean me disait : « il n’y a peut-être plus d’avion tout court ».
J’ai croisé Olivier Schwartz ce matin.
D’ailleurs, je ne l’ai jamais vu…
Il m’a dit qu’il ne vous connaissait pas bien, qu’il ne vous avait croisé qu’une fois. Il m’a dit « c’est vrai qu’on ne lui a même pas demandé pour utiliser Cyanure dans le nouvel album ». Il aimerait savoir ce que vous en avez pensé.
C’est une catastrophe parce que je ne l’ai pas lu. Dites-moi à quoi il ressemble parce que je vais vite aller dans les toilettes pour le lire (rires). Je suis un peu submergé par tout ça. En même temps, j’ai autre chose à foutre. Je commence à avoir d’autres passions. Je ne l’ai pas lu mais évidemment qu’ils pouvaient le faire. C’est ce qu’il faut faire pour, je dirais, maintenir une unité.
Faire revenir les personnages…
À l’époque où l’on a repris Spirou, il nous était interdit d’animer le Marsupilami. Je crois que même Fournier ne le dessinait plus. Parce que Franquin avait conservé les droits du personnage, qui a connu ses propres aventures ensuite. Nous, on considérait ça comme un défi, faire vivre Spirou sans pour autant avoir le Marsupilami. Éventuellement, une fois de temps en temps, on s’autorisait un petit clin d’œil, comme s’il était là…
Comme dans La Vallée des Bannis.
Voilà. Donc on a constaté qu’une série comme ça pouvait survivre sans références aux autres versions. À l’époque, à chaque fois qu’on s’apprêtait à concevoir un album de Spirou et Fantasio, on faisait le point : « on a besoin de tel mauvais, tel ceci, tel cela ». S’il nous fallait un mauvais dont la carte d’identité correspondait à un personnage qui existait déjà, on le prenait, pour assurer une certaine continuité. Et si ce n’était pas le cas, on l’inventait : Vito la Déveine et Cyanure sont arrivés comme ça. Le réflexe que la nouvelle équipe a eu est le bon.
J’espère que vous le lirez.
Je vais passer sur le stand. Cela me fait penser à Marcy, la femme de Dany :
« Tu as lu l’album de Dany ?
– Non.
– Il te cherche partout, il voudrait ton avis. »
J’ai pris l’album, j’ai profité de la soirée dans ma chambre pour le lire et quand je l’ai croisé, je lui ai dit : « évidemment que je l’ai lu ! » (rires).
Vous ferez pareil avec Olivier Schwartz. Je lui ai dit de lire l’interview, qu’on allait se voir.
(rires) Merci de me l’avoir vendu comme ça.
Il faut bien lire le diptyque à la suite : La Mort de Spirou et La Mémoire du futur.
Le dessin de Schwartz convenait. À l’époque où on faisait Spirou, il y avait Yves Chaland qui faisait aussi du Spirou et il se démarquait vraiment de la série-mère. C’était déjà un petit peu l’annonce d’une nouvelle « forme d’exploitation » à côté de la série-mère, avec un décalage. Lui, c’était carrément le mode Blake et Mortimer, old-fashioned, ligne claire et compagnie, alors que nous, on était dans le mode contemporain. Le dessin de Schwartz me donne l’impression d’être, plus qu’un dessin Spirou et Fantasio, une référence. Le Groom vert-de-gris, c’est un style qui n’est pas dans le prolongement de ce qui a été fait avec Yoann ou avec Munuera. Ce n’est pas un avis, c’est une appréhension. Je vais le lire ! (rires) Ceci dit, qu’il ne prenne pas mon avis comme étant… Ce n’est pas marqué Jésus ici. J’ai toujours de la sympathie pour tous ceux qui ont fait un Spirou et Fantasio parce qu’on a le même sang et la même transpiration et la même souffrance. Parfois, la même récompense, aussi.
J’avais une toute dernière question. Je ne sais pas si vous connaissez ce phénomène. Depuis quelques années, beaucoup de jeunes, notamment, ont créé pour se défouler des groupes sur Facebook. C’est ce qu’on appelle les « neurchis ».
On dirait une pâtisserie.
Ça vient de « chineur », à l’envers. Ça détourne des œuvres, sous forme d’hommage ou parfois, de façon plus trash, de parodie voire de déconstruction du mythe. Il y a le Neurchibald de Tintin qui marche bien parce que le style d’Hergé est très facilement détournable. Mais il existe aussi depuis quelques années le Neurchi de Spirou et Fantasio. Parfois, certaines de vos cases sont détournées pour commenter l’actualité, faire une blague à la con… Ça vous inspire quoi ? J’ai quelques exemples.
C’est toujours sympa. J’en ai vu beaucoup sur Tintin.
Oui, ce sont les plus connus. Parfois, c’est fait avec bienveillance, parfois c’est plus pour se moquer.
Ceux que j’ai vus, sur Tintin, il y avait parfois un second degré qui semblait brocarder le côté propre et gentil de Tintin. Propre sur lui. Quelle saveur de mettre dans sa bouche des gros mots !
Spirou a déjà un côté plus humoristique, déjà. C’est moins évident.
Hmm. Ça dépend des intentions de l’auteur. Soit c’est se servir du dessin comme étant le porte-avion d’une idée, ou bien c’est de la moquerie cour de récré. Je crois que c’est typiquement un exercice pour réseaux sociaux, ça, les détournements. Comme les GIFs. C’est une image dont on se sert pour transmettre un point de vue. Je m’en rends compte maintenant, il fallait qu’on m’en parle. De temps en temps, je vois des Tintin sur Facebook. C’est assez inégal. C’est un exercice qui existe depuis… il doit y avoir des graffitis comme ça sur les murs du Colisée.
Mais ça vous fait rentrer dans la culture populaire. Est-ce que ce n’est pas sympa pour vous ?
Évidemment. Il n’y a pas de mal. En plus, Spirou ne m’appartient pas (rires). Je serais gonflé de dire « vous faites quoi avec mon personnage ? »
Merci beaucoup, Janry !
Merci à vous !
Propos recueillis par Nicolas Raduget.
Interview réalisée le 25 octobre 2024.
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