Il semblerait que cela devienne un rendez-vous. Un an après l’avoir interviewé pour parler de ses reportages En diagonale et Azur, publiés chez Kiblind, puis de sa première BD de fiction, Les Trompettes de la Mort, parue chez L’Agrume, nous avons eu le plaisir de retrouver sur cette édition de Quai des Bulles Simon Bournel-Bosson qui signe deux très belles nouveautés en cette rentrée, toujours chez L’Agrume.
Bonjour et merci d’accepté de répondre de nouveau à mes questions, un an après t’avoir interviewé ici-même. On se retrouve avec plaisir pour parler de tes deux nouveautés, toujours aussi colorées, parues chez L’Agrume récemment.
Oui, il y a Week-end à Rome, qui est une bande dessinée adulte, une comédie romantique, et Florimonde et l’affaire Coquillette, que j’ai co-réalisé avec Maxime Gueugneau au scénario.
Là, tu retrouves ton acolyte de longue date, avec qui tu avais publié les reportages En diagonale et Azur chez Kiblind. Qui était à l’origine de ce nouveau projet ?
Avec Maxime, on a fait du reportage pendant des années et on avait à cœur de faire une fiction, un jour. L’Agrume m’avait proposé de faire un livre jeunesse quand je faisais mes Trompettes de la Mort sauf que, tout seul, je ne me sentais pas forcément de le faire. Je n’avais pas l’impression d’avoir les codes jeunesse, même de pouvoir parler à des jeunes. Par contre, je savais que Maxime avait la compétence parce qu’il est journaliste pour la presse, BD et livres jeunesse. Pour lui, c’était un sujet plus familier et, surtout, on s’était toujours dit qu’on ferait une fiction ensemble, après les reportages. On avait déjà le lieu, plus ou moins, puisqu’on a une fascination pour Le Havre tous les deux. Finalement, on est un peu partis de la ville du Havre pour ensuite créer une histoire autour de ça. Le Havre, ça a du sens pour nous car c’est là qu’on a décidé de commencer à faire des livres ensemble. On y est allés plusieurs fois.
Parce que vous ne venez pas du tout du Havre !
Non. Le Havre, c’est vraiment le point de départ. C’est un peu un personnage en soi.
Complètement.
Et ensuite, on a tissé la toile de notre histoire autour.
Même le personnage est venu après ? L’idée du polar ?
Oui. Le polar, c’était un genre dont on avait déjà parlé au départ avec Maxime. On avait évoqué l’idée de faire un polar adulte tous les deux mais c’était un peu ambitieux. On avait envie de commencer par quelque chose d’un peu plus accessible. Donc on est partis sur l’idée du polar jeunesse, on s’est dit que c’était un peu différent, que ça pouvait générer des idées assez cool. Surtout en miroir avec le côté un peu sombre, noir, qu’il y a dans les polars : nous, on est partis sur un polar très coloré, forcément. Ça a commencé comme ça. Maxime a écrit l’histoire, il a pris un petit peu de temps. Moi, ensuite, j’ai dessiné l’histoire en six mois à peu près.
Vous avez fonctionné comment ? Vous habitez tous les deux à Lyon…
Non, lui habite à Lyon et moi j’habite à Paris.
D’accord, donc vous avez fait des navettes, des échanges de mails, des sessions ensemble ?
On s’est vus une ou deux fois sinon, le reste du temps, on s’envoyait des trucs.
Et il y a eu des retouches sur l’histoire par rapport à l’avancée du dessin ou ça n’a pas bougé ?
Non non. On partait vraiment de l’histoire et du texte. Maxime écrivait et moi je rebondissais. Je faisais des commentaires ou des recommandations. De toute façon, quand on fait un livre avec Maxime, on le fait toujours vraiment à deux. En effet, moi, je dessine et lui, il écrit mais en fait, ça dépasse la simple catégorisation de dessinateur ou auteur. On participe un peu à tous les processus tous les deux. Il va avoir autant d’impact dans la conception d’une image, dire « là, ce serait bien qu’on voie ci ou ça » là où moi, par exemple, dans son texte, je vais dire « là, tu pars trop en vrille » ou « tu es trop lyrique » ou « c’est trop descriptif ». On s’auto-corrige tous les deux. On pense vraiment le livre à deux, comme un tout.
On en a parlé mais cet album est une sacrée déclaration d’amour à la ville du Havre…
C’est une déclaration d’amour au Havre. C’est une déclaration d’amour à une ville qui est, à mon sens, posée un peu comme ça, comme un vaisseau, au milieu de la France. C’est fou parce que, quand on voit l’architecture du Havre, la chose à laquelle on pense automatiquement, c’est qu’en-dessous de ces trucs en béton, il y a eu une autre ville. Il ne faut pas forcément s’arrêter juste au côté « c’est beau », « j’aime » ou « j’aime pas » mais se dire qu’avant tout ça, il y avait une autre ville. Il y a une ville fantôme. Je trouve que c’est assez hallucinant comme décor mais aussi comme histoire. Je pense qu’il n’ y a pas beaucoup d’autres exemples comme ça, où on a donné la liberté à un architecte un peu fou de pouvoir rénover et refaire à sa manière, avec sa vision, complètement une ville, du moins le centre-ville.
Dans une de tes stories, j’ai vu que tu parles de « Gotham City à la française ».
(rires) Oui, c’est un Gotham City à la française parce qu’il y a un côté béton, un côté gris… Un côté brut qui est hyper marquant mais en même temps, quand on parle du Havre maintenant, on ne parle que de ça mais Le Havre c’est aussi la ville haute, c’est aussi des quartiers de la gare et du rond-point… Il y a des bâtiments, je ne dirais pas haussmanniens, mais des maisons un peu nobles, des bâtiments en brique rouge, avec des motifs… Il y a une variété architecturale assez folle. Il y a de la nature aussi dans Le Havre, il y a une colline verdoyante accolée au centre-ville. Pour répéter ce que j’ai dit au Havre la semaine dernière, pour moi, Le Havre est une ville de contrastes. C’est une ville avec des types d’architectures, des types de couleurs, des types de fonctionnements de quartiers qui sont en contraste en permanence. Chaque élément n’est jamais seul, il est toujours en réponse, en miroir, face à autre chose. Un bâtiment vieux face à un bâtiment nouveau, ou inversement. C’est une ville qui est hyper intéressante pour ça. C’est comme dans un musée d’art contemporain où on met une pièce d’art contemporain face à un tableau classique. Pour moi, c’est le même fonctionnement. Ce truc d’écho, de réponse.
Puisqu’on parle de ville-personnage en quelque sorte, passons à Week-end à Rome, ton autre sortie de cette rentrée. Cette fois, tu as scénarisé et illustré seul. Comment est né ce projet, qu’on soupçonne un peu autobiographique ?
Alors non, ce n’est pas autobiographique (rires) !
La dédicace plante le doute…
Ah, la dédicace à la fin ! Alors, non, la dédicace à la fin, ce n’est pas parce que c’est la même histoire mais cette dédicace, c’est un autre geste romantique, qui n’a rien à voir avec l’histoire (rires). J’ai fait la dédicace à ma copine. Avec ma copine, on s’est séparés pendant un temps, pendant un an, un an et demi, à peu près. On s’est remis ensemble et je voulais lui dédier ce livre-là parce que je pense que si je n’avais pas été célibataire, je n’aurais pas fait ce livre-là. Parce que c’est un livre sur le célibat et sur le fait de se questionner en tant que couple. Ça, c’est un truc qui m’intéressait. Par contre, tout l’enrobage, à savoir le fait de se faire larguer la veille, tous les ressorts comiques, ce ne sont pas des choses qui me sont arrivées. Ce n’est pas du tout autobiographique. Le voyage à Rome… Oui, je suis déjà allé à Rome mais c’est plus une addition d’éléments qui ont contribué à la création ensuite d’une histoire. Mais la situation initiale ou tout ce qui arrive au personnage…
Le personnage, ce n’est pas toi !
Non, ce n’est pas moi. Même le fait qu’il ne s’exprime qu’à travers la musique, les paroles des autres… Je ne suis pas chanteur à mes heures perdues (rires). Comment on pourrait qualifier ça ? On va dire que c’est comme quand j’ai fait Les Trompettes de la Mort, il y a toujours une part de réalité, forcément, on part toujours d’un fait réel, soit dans les questionnements, soit dans un événement qui s’est réellement passé. Là, c’est plus les questionnements, des trucs qui me sont vraiment personnels mais que j’utilise après et que je propulse dans le registre de la fonction. C’est de la fiction nourrie par la réalité. Forcément, on ne part jamais de rien. C’est à la fois un livre sur la rupture et aussi une déclaration d’amour à ma copine (rires).
Parce qu’elle est toujours là, dans l’album.
Oui. Après, par contre, à la fin du livre, il passe à autre chose.
Oui !
Ce sont deux aspects différents. Mais oui, la dédicace est une déclaration d’amour à ma copine.
Parce que ta période de célibat t’a fait réfléchir pour mieux revenir dans le couple.
Surtout, qu’en plus, c’est intéressant, le livre, je l’ai fait, je l’ai écrit quand je n’étais plus célibataire ! J’ai eu l’idée quand j’étais célibataire mais je l’ai écrit quand j’étais en couple.
L’idée claire du gars qui se fait larguer la veille, qui part en voyage tout seul ?
Oui. D’ailleurs, l’histoire était un peu misérable et ce n’était pas du tout sur le ton de l’humour. J’ai commencé à écrire sur le célibat et je trouvais ça intéressant de parler d’une relation où on n’est plus qu’une seule personne à aimer. On n’est plus deux en fait. Ça, c’était le point de départ. C’était un peu badant au début, c’était un peu tristoune. Je l’ai mis complètement de côté et j’y suis revenu en étant de nouveau en couple, en fait. Et je me suis dit que c’était un peu d’intérêt public de faire un livre sur quand on est célibataire, ou quand on vient de l’être, sans rentrer dans le côté ultra autobiographique et, surtout, ultra autocentré. J’ai plutôt l’impression qu’Étienne en fait est un personnage assez universel. Qu’on soit un homme ou une femme, d’ailleurs, on peut s’y retrouver. On s’est tous retrouvé(e)s dans la situation où on n’est plus qu’un(e) seul(e) à aimer…
Avec la larme qui reste pendue…
Voilà, on est un peu ridicule. Et surtout, on s’est tous retrouvé(e)s dans une situation où on n’arrive pas à trouver les mots pour régler les problèmes qu’on a dans une relation. C’est comme ça que ça se manifeste chez Étienne, il utilise les paroles des autres. Tout ça, c’est forcément une métaphore, une façon détournée de parler de la communication dans un couple et du fait que, parfois, les relations s’arrêtent parce qu’on n’arrive plus à communiquer, à se comprendre. C’était une façon imagée de le faire et je pense que souvent, quand il y a des séparations, c’est parce qu’on ne se comprend plus, on part dans des chemins différents, après il y a d’autres circonstances aussi mais cette circonstance-là est assez universelle. C’était tout sauf centré sur moi mais centré sur un fait.
A partir du moment où tu as repris ce projet, il s’est fait rapidement ? Parce que si je ne me trompe pas, tu ne m’en avais pas parlé l’an dernier. Ce n’était pas encore prévu ?
Non, pas du tout.
Ça s’est inséré dans ton emploi du temps.
En fait, je n’arrivais pas à avancer sur mon projet sur la boxe, dont je t’avais parlé, on a pataugé un peu avec mon co-scénariste.
Tu m’as dit que vous aviez réécrit parce que ça n’allait pas.
Oui et en attendant, moi j’étais… J’ai un peu du mal à ne pas réfléchir. Juste dessiner, ça ne me suffit plus, j’ai toujours besoin d’être dans un projet, dans l’écriture, dans la conception. Aujourd’hui, je pense que je m’épanouis plus à travers ça, à travers le fait de raconter une histoire. Juste dessiner, ça m’intéresse moins. Tout ça pour dire qu’au milieu de tout ça, j’écrivais un peu sur ce truc amoureux mais sans avoir aucune ambition d’en faire un livre. Pour moi, c’était plus un truc perso. Je m’amusais, ça me faisait rire. Et c’était à Saint-Malo l’an dernier, juste après t’avoir vue, Guillaume, mon éditeur, était avec nous. J’ai parlé un peu avec lui. Il m’a demandé « qu’est-ce que tu fais en ce moment ? », donc je lui ai dit que j’écrivais un peu des trucs puisque je n’arrivais pas à avancer sur la BD. Il l’a dit « envoie-moi, montre-moi ». Je lui ai envoyé et deux semaines après, il m’a dit « je veux l’éditer, c’est trop bien ». En plus, à ce moment-là, ce n’était pas trop bien, il y avait beaucoup de travail mais, du coup, j’ai vachement rationalisé le truc et j’ai essayé de faire en sorte d’en faire un livre et de le penser vraiment comme un livre. De plus réfléchir la forme, le fond. De le rendre sérieux, lisible et universel dans la portée. Ça s’est inséré comme ça et ça s’est fait hyper rapidement : je l’ai fait en 7-8 mois.
Le choix des couleurs s’est fait assez rapidement ?
Le choix des couleurs s’est fait assez rapidement, je voulais partir sur du rose mais je voulais montrer le rose un peu différemment. Dans le registre un peu romantique, forcément, le rose est la couleur qu’il faut bannir parce que tu te dis que c’est un stéréotype total. Mais j’ai l’impression qu’avec le rose que j’ai utilisé et surtout la manière dont je le fais contraster avec d’autres couleurs, ça lui donne une apparence, dans ce registre-là, différente. Ça le rend tantôt violent, tantôt doux, tantôt un peu tempéré.
Surtout, on voit la couverture, au début, on y voit un côté un peu kitsch assumé…
Oui oui.
… et qui ensuite dévie parce qu’on voit que ce n’est pas une histoire classique.
C’est ça. Je pense que le côté kitsch, c’est le truc qui saute aux yeux et, en fait, plus on évolue dans le livre, plus on se rend compte que ce rose n’est pas le rose mièvre qu’on a l’habitude de voir. C’est un personnage masculin : le rose est très souvent assimilé à quelque chose de féminin, très stéréotypé par le genre. Donc l’ancrer dans une histoire masculine, entre guillemets, ça déroge aux règles préétablies des couleurs et des genres. Alors, je ne l’ai pas fait pour ça mais je trouve que ça a du sens.
Oui, ça marche bien ! La BD avec ton ami boxeur est toujours d’actualité ? C’est toujours un peu compliqué ou là, ça y est, c’est sur des rails ?
Ça y est, c’est lancé ! C’est cool, ça avance bien. Le scénario est écrit. Je pense que la BD sortira dans un an et demi, deux ans max.
Toujours chez L’Agrume, tu m’avais dit…
Toujours chez L’Agrume mais petite nouveauté, je fais une BD adulte avec Maxime qui sortira chez Casterman en 2027 ! Ça a été signé il y a 3-4 mois. Et ce sera le prochain projet.
C’est son prochain projet à lui aussi ou il va naviguer sur plein de trucs ?
Ah, je ne sais pas s’il ne va pas me faire des infidélités (rires). Là, il a sorti un livre avec Agnès Hostache.
Oui, 3/Désordres.
Oui. Après, entre-temps, peut-être qu’on fera un autre Florimonde aussi, c’est possible.
Ah, j’allais demander s’il allait y avoir d’autres enquêtes de Florimonde !
On aimerait beaucoup mais là, vu les timings un peu serrés entre le livre de la boxe puis celui qu’on va faire avec Casterman, il faut aussi être réaliste. Pour être totalement honnête, on va voir si ça marche dans les librairies, si ça a du succès et si ça emporte l’adhésion. S’il y a une vraie demande, je pense qu’on en fera un deuxième. On ne sait pas où encore. Ce ne sera pas au Havre !
Florimonde n’est pas affectée uniquement au Havre.
Non, le principe avec Florimonde, c’est qu’à chaque fois elle est en vacances ou elle est en train de faire un truc tranquillou et à chaque fois, bien évidemment…
On a besoin d’elle !
C’est exactement ça.
Merci beaucoup.
Merci à toi ! C’est chouette de suivre notre travail comme ça, à chaque fois.
Propos recueillis par Chloé Lucidarme
Interview réalisée le samedi 26 octobre 2024.
Toutes les images sont la propriété de leurs auteurs et ne peuvent être utilisées sans leur accord.
Réagissez !
Pas de réponses à “Dans la bulle de… Simon Bournel-Bosson (2)”