En cette fin d’année 2024, les éditions Kana, dans leur collection Classics, ont sorti un nouvel album qui ravive les souvenirs de toute une génération. Après Goldorak, Albator et Saint Seiya, c’est donc au tour de Capitaine Flam de renaître grâce à la plume de Sylvain Runberg et Alexis Tallone. Nous avons profité de la venue du dessinateur au festival Quai des Bulles pour lui poser quelques questions sur cet album.
Bonjour Alexis ! Alors du coup, on va parler de Capitaine Flam. Étonnant, non ?
C’est cool, ça. Ça tombe bien, j’ai fait un livre !
Il paraît, oui ! Alors, pourquoi ? Comment ? Enfin, comment ça s’est passé pour arriver sur ce projet ?
Je travaillais avec Christel Hoolans, chez Kana, sur l’adaptation de Sherlock Holmes de Miyazaki. Après sur Lupin, mais ce sont deux projets qui ne se sont pas faits. Comme tous les gros projets, des fois, quand il y a un couac, le contrat de droits, par exemple… donc ça ne s’est pas fait. Et Capitaine Flam, ça faisait partie de ma liste de séries que je rêvais d’avoir. Mais bon, c’est une grosse licence, il faut négocier avec les Japonais, les descendants de Hamilton, c’est très compliqué. En 2019, Christel m’a dit « on a les droits, est-ce que ça te branche toujours ? Je vais te faire rencontrer un autre fan de la série qui est Sylvain Runberg et si ça te branche, on y va. » J’étais à fond !
Du coup, ça a mis longtemps. Qu’est-ce qui a fait que ça a mis autant de temps ?
Si on enlève la partie Covid…
Oui, c’est vrai qu’il y a eu la partie Covid…
Ca n’aide pas des masses, ça fait des ralentis sur plein de trucs. Il y a eu en fait un an et demi de design, de recherches, pour tomber juste sur ce qu’on voulait. Parce qu’au départ je partais sur le design pur du dessin animé. Et en fait, au fur et à mesure des écrits de Sylvain, et des discussions aussi en groupe, on voulait moderniser aussi. Il fallait réadapter à 2020 le souvenir qu’on avait de la série pour en faire quelque chose de moderne, en espérant faire vivre la licence à nouveau. Et je m’en rendais compte, au fur et à mesure, qu’il fallait que je change le design. Tout bêtement, la coupe de cheveux de Curtis par exemple, je ne pouvais pas la laisser comme elle était dans le dessin animé, parce que, quand je faisais les essais en board, ça ne fonctionnait pas. Donc il fallait que je les mèche. La condition aussi pour laquelle on acceptait de se lancer sur le projet aussi, c’était de remettre Johann en avant, plus du tout de la laisser en personnage secondaire comme on l’avait vue dans les années 80. C’est bien quand on a cinq ans mais là, aujourd’hui, la place de la femme est différente, la femme s’est suffisamment battue pour avoir sa place.
Oui, ça a changé quand même depuis les années 80.
C’est une femme soldat en plus. Les femmes d’aujourd’hui, à l’armée, elles sont en groupe. C’est plus une pour cinquante mecs… C’était vraiment hyper important, ça. On est tombé d’accord à chaque fois, parce que rien de ce qu’on voulait n’était une décision prise au hasard en solo. A chaque fois, c’était soumis à la direction artistique, aux ayants droit.
Donc à chaque fois ça faisait des allers-retours avec le Japon ?
Japon et Allemagne. Parce qu’il y a les descendants de Hamilton. Donc c’est un sacré yo-yo. Mais on tombait toujours d’accord sur la vision du truc, ce qu’on voulait.
Ça devait être plus simple comme ça. A n’importe quel moment, il y en a un qui pouvait dire non ?
Oui, et il faut l’unanimité en plus. Donc s’il n’y a pas l’unanimité, c’est cuit. A chaque étape, design, planche, ce que tu veux.
Ça devait rajouter un peu plus de pression aussi par rapport à un début classique ?
Au début oui, mais en fait après on a tous trouvé notre rythme, on est entré dans le truc et franchement ça s’est passé super super bien. On a fait comme on a voulu.
Ils t’ont fait un retour sur le produit final ? Est-ce que ça correspondait vraiment à ce qu’ils voulaient?
Oui, en fait, le retour s’est fait au fur et à mesure.
Pour toi, travailler sur une série comme ça, c’est important?
Oui ! C’était énorme. En plus, c’était ma série préférée, gamin. C’est la première. Il y a toutes les autres qui sont arrivées après. Ça a été claque sur claque. Quand j’étais petit, j’ai pris Capitaine Flam et Star Wars dans la tête. En simultané, c’est deux univers très proches. Hamilton en plus a influencé Star Wars. Sa femme a travaillé dessus. Ce sont mes religions !
Donc forcément, un projet comme ça, c’était limite le Graal.
Ça tombe tout pile. Dans ma tête de gamin, j’ai associé Capitaine Flam à Noël. Enfin, au goûter et à Noël. Parce que j’avais eu des cadeaux de ça. Et là, ça sort dans la période de Noël. Ça me fait chaud au cœur.
C’était prévu du départ de faire un album one-shot ?
Au départ, c’était un album de 80 pages.
Ça a un peu évolué…
J’ai un peu mordu parce qu’en fait, moi je suis storyboardeur de métier, de formation aussi. Et j’adore, quand je fais un découpage, visualiser un film, un animé, enfin un truc d’action. Et j’aime bien faire tirer les scènes d’action, les moments de calme et tout ça. Et bouger ma caméra tout le temps, tout le temps, tout le temps, partout. Donc il me faut de l’espace, moins de cases. Pour une action qui prend une page, je t’en fais dix…
Donc ça a été facile du coup d’augmenter le nombre de pages, ça a été accepté sans trop de problèmes ?
On faisait le point à chaque fois. Et puis la direction artistique a dit « Bon ». C’est vrai qu’on a fait le comparatif avec les planches où je devais mettre plein de cases et les planches où j’étais libéré et ils ont senti de suite la différence. Ils ont dit « non, il faut laisser plus de place. » Sinon je ne suis pas bien. En fait, je ne suis pas coutumier de la BD franco-belge. Quand j’étais gamin, mes influences étaient vraiment le comics américain des années 70, 80, et l’animation japonaise, les mangas. En plus, je voyageais et j’avais accès à ça. La seule BD que je connais et que j’adore, c’est Les Schtroumpfs. C’est un autre rythme… Et je suis très storyboard parce que la façon de traiter leurs albums, c’est aussi ça. Si on regarde un comics japonais ou américain, c’est du board.
Donc ça correspondait bien pour toi finalement, vu que en plus c’est l’adaptation d’un animé.
Bah ouais, t’as des courses poursuites de vaisseaux….
Ce n’était pas qu’une question de ce que tu aimais depuis petit, ça correspondait à ce que tu faisais tout le temps.
Voilà, c’est ça en fait. En plus, il y a tout ce que j’aime dedans parce que je suis un mordu de robotique, je suis un mordu de mécanique et je suis un mordu d’archéo.
Donc, forcément, ça coche toutes les cases.
Tu as tout dans ces univers là. Ils changent de planètes, Ils sont sur une planète préhistorique, une autre planète, antique, médiévale, ce qu’on veut. Et puis ils reviennent à des trucs modernes. C’est tout ce que j’aime, ces univers variés comme ça.
C’est exactement l’histoire du dessin animé, c’est bien ça ? Ce n’est pas une autre histoire ?
Non, c’est l’adaptation du roman et du dessin animé. C’est la première enquête. Du coup, c’est L’Empereur de l’espace, le premier bouquin et la première enquête en anime, revu et corrigé par Sylvain. Réadapté.
Dès le départ, c’était l’idée, de ne pas reprendre les mêmes personnages et les mettre dans une nouvelle aventure.
On s’est très très vite aperçu qu’on ne pouvait pas, hormis pour une niche d’aficionados qui connaissent tout par cœur. Pour le grand public, ce n’était pas possible. Parce que la seule chose qui reste en mémoire pour les gens, c’est la chanson.
Ça c’est sûr.
Un grand rouquin avec une tenue spatiale particulière. Une équipe donc, Johann, des robots. Enfin, j’appelle ça vulgairement des robots, mais tu m’as compris. Et le vaisseau. Et là, on commence à partir loin… Il fallait refaire une base story pour tout le monde, parce que sinon les gens ne se seraient pas souvenus de qui était qui, les origines de chacun… Là, au moins, on a tout reposé. On connaît le conflit central, le pilier du conflit de la vie de Curtis et là on est clair. Si on a la chance de pouvoir faire la suite comme on l’espère, Sylvain pourra interpréter, partir sur de nouvelles enquêtes, même en piochant des trucs dans les enquêtes connues. Mais vraiment, il pourra s’éloigner de plus en plus sur le récit parce qu’on aura la base.
Contrairement à, par exemple, Saint Seiya où il y a tellement de choses qui continuent à être faites…
Ça continue, donc c’est frais dans l’esprit des gens. Capitaine Flam, depuis les années 80, il n’y a plus rien, hormis qu’on se repasse le disque, on chante tous au resto… C’est vraiment la madeleine de Proust pour tout le monde. J’ai plein de parents qui viennent pour leur fils, pour leur fille. C’est trop bien. J’ai les parents qui regardaient quand ils étaient gosses et qui achètent pour leurs gamins. Et j’ai les gamins qui veulent faire une surprise à leurs parents, qui regardaient. Là où j’étais super heureux, c’est qu’à plusieurs reprises j’ai eu des jeunes filles qui venaient acheter l’album pour leur père ou pour leur mère et se sont faits dédicacer un album pour elles parce qu’elles avaient flashé sur Johann. Là c’est pari réussi !
Après avoir lu l’album car ce personnage est top ?
Oui, c’est ça. Donc c’est chouette. Vraiment. Je suis super heureux. J’ai eu aussi deux hôtels en Allemagne qui m’ont envoyé une lettre en me demandant si je pouvais leur faire un petit portrait de Johann pour mettre à l’entrée.
Le fait d’avoir voulu la remettre en avant marche vraiment bien.
Même au niveau du jeu entre eux. La personnalité de Curtis est très complexe et on se rend compte qu’il a tellement été élevé dans la perfection que finalement ça le rend lui-même assez synthétique sur certains points et dans le contrôle tout le temps. Alors que Johann est un soldat de très haut niveau, elle va plus vite que lui rentrer dedans pour le bouger de là. Du coup, l’alchimie qu’il y a entre eux, même si on sait ce qui peut se passer, va être abordée d’une façon très différente et d’égal à égal, en équipiers.
Ça change vraiment la donne dans leur relation.
Si on a la chance de pouvoir faire la suite, on va encore plus aller de l’avant sur leur relation et tout ça. Et ça sera chouette.
Pour le moment, la suite n’est pas actée. Ça va dépendre de quoi, des ventes ?
Alors, pour les ventes on est super contents parce qu’on a multiplié par dix les attentes qui étaient prévues la première semaine.
Vraiment ?
Au premier jour, on était en rupture éditeur du collector.
Oui, on a vu passer sur les réseaux qu’il y avait plein de gens qui se plaignaient parce que les libraires devaient en avoir. Mais finalement, ils n’en avaient pas assez.
Oui, rupture dès le premier jour ! Il y avait 8 000 exemplaires, pourtant. J’espère que ça continuera sur la durée. Au niveau de l’éditeur, c’est nickel. On aurait pu même commencer maintenant la suite. Parce qu’on a tous la même envie, travailler sur la saga sur le long terme, relancer quelque chose. Mais le truc, ce sont les discussions avec les ayants droit, il y en a beaucoup à convaincre. Comme c’est signé pour un one shot, il faut tout refaire. « Désolé, ça cartonne, on voudrait continuer. » Il y a beaucoup de monde, beaucoup de groupes… Je touche du bois, là, c’est dans les discussions et j’attends de voir. La grande nouvelle, je l’annoncerai sur Facebook si on a le bon truc. Mais dans l’idéal, on continue. Ce serait trop bien.
Oui, c’était le projet rêvé !
C’est trop trop bien. Il y a tout ce que j’aime dedans. Il y a le rapport avec les familles recomposées, ce gamin qui est élevé par des êtres synthétiques qui ne sont pas considérés comme vivants. Enfin, le fameux truc de « ils n’ont pas d’âme, ils ne peuvent pas ». Mais en fait, si ! Il y a plein plein de petites nuances où eux-mêmes, en fait ses frères, vont être beaucoup plus dans le spontané que ne l’est Curtis. Parce que, de la façon dont ils sont conçus, ils ont leur conscience évolutive, ils vont être dans l’émotion, alors que lui est dans le contrôle. Lui, c’est le contrôle, il sait tout et il est tellement intelligent parce qu’ils l’ont boosté. Pour la petite anecdote, Curtis, à quinze ans, dans la description de Hamilton, avait déjà fait le tour du système solaire pour récupérer des minéraux sur chaque planète et les ramener sur leur base pour faire ses expériences et ses machins.
Tu fais tout en numérique ?
Alors, toutes les recherches sont en tradi. Le storyboard est en tradi. Beaucoup de trucs sont en tradi. Et je finis sur la tablette, je scanne mon storyboard. Beaucoup me demandent pourquoi je ne fais pas le storyboard direct ? Parce que j’aime bien dessiner dans le salon avec tout le monde. En plus, je suis habitué à travailler en studio, que ce soit quand je travaille avec Patrice Garcia ou quand je travaille dans le dessin animé. J’aime bien qu’on soit tous ensemble à discuter en même temps. Enfin voilà, j’aime bien ce côté là. Après, je m’isole pour finir.
C’est plus une question de pouvoir être plus mobile finalement ?
Il y a le fait d’être mobile, il y a le côté tradi, le plaisir du crayon, de flâner, d’avoir les enfants avec moi, ma femme et tout. Après, pour le numérique, c’est hyper important parce que le problème est qu’il y a tellement de retouches possibles avec les ayants droit, la direction artistique et tout, que si je faisais tout à la plume et qu’on me demandait de changer une case et puis une vue et puis un autre truc… Pareil pour les bulles. J’ai tous mes fichiers, suivant les langues, les bulles, ils vont devoir bouger et la langue aussi. Là tu vires le fichier, tu changes la bulle, tu la déformes, ça prend deux secondes.
Donc ça fait gagner du temps…
Oui, c’est hyper important. Puis ça fait des fichiers numériques HD qu’on peut imprimer. Enfin, il y a tout un tas d’avantages techniques. Comme j’utilise Clip Studio, j’ai une grande tablette avec un grain dessus, je retrouve la sensation du papier. C’est magique. Clip Studio, c’est un logiciel qui est utilisé par les gars de chez Marvel et DC et dans le manga aussi. Tous les dessinateurs l’utilisent parce qu’en fait on a accès à tout le matos qui existe, c’est-à-dire les plumes maru japonaises, les plumes saji… Je réutilise du matos qui coûte cher, tu as l’huile, tu as les Copic, tu as tout. Donc je peux faire tous les effets que je veux. Aquarelle, gouache, c’est génial. Tu fais des textures, tu fais des trucs de dingue ! Donc c’est super pratique pour cleaner mes vaisseaux par exemple. Le Cyberlab que je dessine sous tous les angles, c’est hyper pratique parce que je vais le faire sur mon storyboard, je vais le placer avec la caméra et après je me fais une réglette numérique, avec les sphères et je n’ai plus qu’à les orienter pour me mettre bien sur mon storyboard. J’incline mon truc et mes sphères sont nickels. Et comme ça il est propre.
Tu travailles aussi à côté de la BD. Tu as fait les deux en parallèle ou tu as arrêté un temps pour vraiment te consacrer à Capitaine Flam ?
Non, je switche. Si j’ai fini ma planche de la journée, j’avance sur un autre truc. Je travaille sur d’autres licences chez Prime Prod. Je travaille sur Goldorak par exemple, pour le Goldorak Experience qui a eu lieu à Paris, l’expo. J’ai fait l’affiche, j’ai fait les décors qui sont dedans. En fait, je suis chargée du design. On fait pareil, on fait valider aux ayants droit. Bon, là c’est différent parce que, quand c’est les licences comme ça, que ce soit Les Cités d’Or ou Goldorak, c’est très très très raccord à la série, je n’ai pas d’interprétation. Bien souvent, même les boulots que je fais comme ça sur les licences, je ne les signe pas forcément parce que c’est tellement raccord que ça devient technique, ça ne sert à rien de se mettre en avant, je travaille pour la marque.
Il n’y a pas ta patte dessus…
Je le fais dans le jeu vidéo, je fais des covers pour le jeu vidéo, je fais tout. Je suis issu de la pub, donc je fais mes études là dedans et tout ça. Et donc je travaille beaucoup sur des recherches comme ça, de design, d’affiches, de logos. Donc je varie, il faut que je varie, je suis hyperactif donc il faut que je fasse toujours un truc différent.
Si ce n’est que la même chose, ça ne va pas…
Mon rythme à la maison, c’est je me lève, je fais mon sport, je m’occupe de mes arbres, avec les enfants et ma femme, on fait ça. Après, je me fais la journée de travail, puis après c’est à la mer. Je suis du sud, je suis méditerranéen donc c’est comme ici à Saint-Malo. Je suis à côté de Toulon donc je suis dans l’eau tout le temps avec les bateaux.
Plus facilement qu’ici !
Curieusement, je retrouve la même aura, parce que ce sont des villes marines. En fait, les Bretons et nous on est liés parce qu’on échange nos marins tout le temps. Les marins de Toulon montent à Brest. Et ceux de Brest viennent dans le sud. Et les bateaux qui sont là, souvent ils viennent mouiller chez nous pour l’été, être au soleil, entre les murs et tout ça. Donc voilà, on se connaît. Ce sont des ambiances qu’on aime. Donc ça c’est très très agréable. Saint-Malo, j’adore! C’est une super ville, c’est merveilleux.
Et là, si jamais, évidemment on ne le souhaite pas, mais si jamais il n’y avait pas de suite ?
Je passe sur une autre licence. Si par malheur ça ne se fait pas, eh bien je passerai sur une autre licence. On verra laquelle. Mais bon, on a déjà toute une liste. On a le temps de réfléchir sur les trucs qu’on aimerait faire.
Merci beaucoup Alexis pour avoir répondu à nos questions !
Propos recueillis par Laëtitia Lassalle
Interview réalisée le 26 octobre 2024
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