Titre : Anaïs Nin – Sur la mer des mensonges
Scénariste – Dessinatrice – Coloriste : Léonie Bischoff
Éditeur : Casterman
Parution : Août 2020
Prix : 23,50€
Au début des années 30, Anaïs Nin vit à Louveciennes, en banlieue parisienne, avec son mari Hugo Guiler, banquier. Une vie angoissante et ennuyeuse, dans une société qui relègue la Femme au second plan et contre laquelle elle lutte. Elle veut être écrivain et travaille sur sa première œuvre à propos de David Herbert Lawrence. Elle souhaite ardemment s’imposer en écrivant sans que ses écrits soient transformés par un homme ou transposés à leur manière. De plus, elle alimente avec frénésie l’exutoire qu’elle s’est inventé depuis son enfance : son journal intime qu’elle tient au quotidien. Un véritable miroir de sa personnalité où se dévoilent la complexité de ses sentiments et sa sensualité intrinsèque. C’est à cette époque qu’elle fait la connaissance d’Henry Miller et un peu plus tard de sa femme June. Une rencontre qui marque la mise à l’eau de son navire sur la mer des mensonges où elle navigue le reste de sa vie au fil de ses nombreuses relations amoureuses.
Léonie Bischoff nous avait déjà fortement impressionnés – et avouons-le conquis – avec ses interprétations graphiques des trois romans de Camilla Läckberg sur de très bons scénarii d’Olivier Bocquet (La Princesse des glaces, Le Prédicateur et Le Tailleur de pierre). Avec Anaïs Nin, elle fait encore plus fort et va bien au-delà car elle réalise – seule – ce qui est probablement un des meilleurs romans graphiques de 2020. Non seulement le dessin y est magistralement différent mais le récit qu’elle nous livre est envoûtant au possible. Les deux sont en totale symbiose et leur association est des plus immersives. Loin d’être une biographie de la diariste et écrivaine du XXème siècle à la réputation sulfureuse, c’est une tranche de vie, inspirée des écrits de cette dernière consignés dans son journal où elle dépeint ses relations intimes et les mensonges inhérents à chacune d’entre elles – « ils étaient sa liberté » – ainsi que son rapport à l’écriture, qui est proposée aux lecteurs. Léonie Bischoff ne porte aucun jugement et retranscrit l’ensemble avec beaucoup de respect, de profondeur et sans aucune vulgarité pour les moments érotiques, mais surtout avec une classe et une sensualité folle ! L’utilisation des crayons à couleurs multiples joue un rôle prépondérant. Cela ajoute de la légèreté et amplifie l’onirisme présent dans certaines séquences de manière tout à fait judicieuse. De plus, la mer, qui a une forte connotation sexuelle dans les rêves chez Freud, est représentée à plusieurs reprises dans le récit. Un clin d’œil au fait qu’Anaïs Nin s’intéressait énormément à la psychanalyse et que, de surcroît, elle a fréquenté Otto Rank, un disciple du philosophe. Et que dire de cette couverture où l’ambivalence est maîtresse. Ainsi, Anaïs Nin et la représentation personnelle de son journal intime gardien de ses identités, posées comme une carte à jouer par Léonie Bischoff, en disent long sur le contenu. Magistral !
Une remarquable ode à la liberté, à l’amour, à la sensualité et au féminisme qui invite à (re)découvrir l’œuvre d’Anaïs Nin.
Stéphane Girardot
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