Vertigéo (Chéry, Delporte & Bündgen)

Titre(s) : Vertigéo
Scénariste(s) : Lloyd Chéry
Dessinateur(s) : Amaury Bündgen
Coloriste(s) : Elvire De Cock
Editeur(s) : Casterman
Parution : Mai 2024
Prix : 22,00 €
EAN : 9782203257313

À la suite d’un cataclysme, le soleil disparaît, voilé par un immense nuage noir. Tout est monochrome et la couleur est devenue un concept. La vie s’éteint sur Terre et l’humanité ne passe pas loin de l’extinction. Dès lors, les derniers hommes se spécialisent et s’organisent pour poser les bases de la première tour sur un sol calciné. Pendant des siècles, ingénieurs, mécaniciens, charpentiers, chefs de chantier, chasseurs, ménestrels, conteuses, punisseurs et autres font en sorte que les tours montent toujours plus haut vers le ciel car seule compte la poussée. Les consommations de matériaux et de main d’œuvre sont importantes et suivent un rythme effréné qui répond aux volontés du chambellan. Il est la voix de l’Empereur et fait appliquer les préceptes du Vertex qui régit les vies de tous. L’individualité n’existe plus et s’efface en faveur du groupe dans le seul but d’atteindre l’objectif commun fixé. Cependant, tout bascule lorsque le chef de chantier Ugo croise le chemin d’une ingénieure qui lui remet furtivement un objet avant de se jeter dans le vide. Ce qu’il apprend grâce à ce dernier ébranle ses certitudes et le pousse à enfreindre les lois afin de découvrir la vérité.

Adaptation de la nouvelle éponyme d’Emmanuel Delporte parue dans le recueil Au bal des actifs – Demain, le travail (2017, La Volte), Vertigéo fait froid dans le dos autant qu’elle fascine. Lloyd Chéry relève le défi avec un certain brio dans cette bande dessinée qui est sa première. Il faut avouer que le matériau de base est juste incroyable. Le scénariste est arrivé à faire ressortir la vision d’Emmanuel Delporte en ce qui concerne le travail au cœur d’une ère post-cataclysmique, conséquence de la démocratie et du comportement excessif et abusif des humains dans tous les domaines. Le lecteur ressent parfaitement cette tension ambiante due à l’obligation de résultat (la halte cinquante) et la motivation des hommes à l’atteindre pour bénéficier de la récompense (les génitrices sont offertes pour la saillie). Car le travail sert à soumettre le peuple et les punisseurs accélèrent le rendement par la peur ! Mais le plus glaçant est sans aucun doute la séquence finale où le voile est levé sur le pourquoi de l’existence de Vertigéo. L’interprétation graphique qui est faite de cette histoire par Amaury Bündgen est probablement le facteur immersif le plus important. Son “noir, blanc et gris” est exactement ce qu’il fallait à Vertigéo pour exister. Après Ion Mud et Le Rite, l’illustrateur nous bluffe une nouvelle fois via son style très réaliste, un travail de grande qualité dont la séquence finale évoquée précédemment est en partie mise en couleurs par Elvire De Cock, dont la palette chromatique exacerbe le trait autant qu’elle contrebalance la dureté de la vérité mise à jour.

Un écrit dystopique d’Emmanuel Delporte excessivement bien mis en valeur par Lloyd Chéry et Amaury Bündgen !

Stéphane Girardot