Albums marquants de leur époque, lancements de séries devenues cultes ou simples curiosités oubliées, Rétrobulle est la rubrique remettant à l’honneur des bandes dessinées à l’occasion de leurs anniversaires.
Habituellement, seules les décennies sont célébrées. Mais toute règle se doit d’avoir ses exceptions. Aujourd’hui, dossier spécial pour célébrer le quart de siècle de la première publication de Hellboy, oeuvre majeure de Mike Mignola.
Publié aux Etats-Unis par Dark Horse et en Europe par les éditions Delcourt, c’est le 22 mars 1994 qu’était publié le tout premier numéro de Hellboy. Première partie de la mini-série Les Germes de la destruction, personne n’aurait imaginé à cette époque que cet univers allait à ce point devenir grand, ni qu’il serait encore actif à son vingt-cinquième anniversaire. Et pourtant, Hellboy est toujours là, et il n’a pas fini de faire parler de lui. Retour sur les origines du personnage et de son univers…
Les débuts de Mike Mignola
Mike Mignola débute dans l’univers des comics en 1983. D’abord pour des couvertures chez Marvel puis chez DC avant de commencer à illustrer quelques titres, essentiellement chez Marvel au début (Rocket Raccoon, Incredible Hulk, Alpha Flight…), puis chez First, un indépendant (Chronicles of Corum) où son style commence à s’affirmer, bien qu’encore très marqué par celui de P. Craig Russell (une de ses références) à cette époque. Les éditions Delcourt ont publié début 2019 cette histoire pour la première fois en France (mieux vaut tard que jamais).
Mignola ira ensuite chez DC pour quelques œuvres marquantes : la mini-série World of Krypton grâce à laquelle il commencera à travailler avec John Byrne (alors scénariste de cette nouvelle mini-série, John Byrne aura une importance dans les débuts de Hellboy par la suite) et une autre mini-série, Phantom Stranger, où P. Craig Russell justement sera son encreur.
Vient ensuite le premier chef-d’œuvre de Mignola : Cosmic Odyssey en 1988, toujours chez DC. Pour la première fois, son style anguleux tel qu’on le connait aujourd’hui est clairement visible. Graphiquement c’est une petite révolution dans le monde des comics de l’époque et cela permet à Mike Mignola de commencer à se faire un nom.
Marvel sent le potentiel et le fait revenir dans son giron. Cela donnera deux très bons « graphic novels » (romans graphiques) : Dr Strange & Dr Doom – Triumph and Torment en 1989, puis Wolverine – The Jungle Adventure en 1990.
Tout le monde s’attend alors qu’il signe sur une grande série régulière chez Marvel (un des titres avec des mutants qui sont alors à leur apogée de popularité par exemple), mais cela ne se fait pas. Chez DC alors, pour Batman ? Non plus. Au contraire, il refait une mini-série, Fafrhrd and the gray mouser, chez Marvel qui passe assez inaperçue, avant de revenir essentiellement à un travail de couvertures, pour Marvel (notamment les rééditions Classic X-Men) et pour DC (Starman). Il réalise bien de temps à autres un comic book (quelques Batman en particulier) mais pas de série régulière. Bref, des travaux essentiellement alimentaires.
En effet, il prépare déjà dans son coin ce qui deviendra « son » œuvre, Hellboy, qui sera publiée chez Dark Horse. Pourquoi Dark Horse, alors petit éditeur indépendant, et non pas un gros du secteur tel Marvel ou DC avec qui il travaille pourtant depuis maintenant plusieurs années ?
Les raisons du choix de Dark Horse comme éditeur
Pour comprendre cette démarche, il faut revenir au contexte des auteurs de comics à cette époque. En effet, au début des années 90, la pagination des comics change, passant de 18 à 22 planches par mois. Cela ne laisse guère de temps aux auteurs pour arriver à tenir les délais.
De plus, aucun auteur n’est propriétaire de ses créations. Personnages, univers, tout appartient aux éditeurs. Cette situation semblait alors normale aux auteurs américains qui ne connaissaient rien de ce qui se faisait en Europe où, sauf cas particuliers comme Spirou et Fantasio, les auteurs restent propriétaires des droits de leurs personnages.
Seulement voilà : de 1989 à 1991, Marvel, via son label Epic, publie sous forme de graphic novels une partie des histoires de Blueberry. A cette occasion, Jean « Moebius » Giraud travaille un peu aux Etats-Unis, en particulier sur une mini-série du Surfer d’argent avec Stan Lee. Moebius rencontre alors de nombreux auteurs américains et leur explique la situation en Europe, et cela ne sera pas sans conséquence pour Marvel et DC…
Parmi les premiers frondeurs, on retrouve des grands noms du comic book : Frank Miller et John Byrne. Désireux de faire valoir leurs créations et d’en garder les droits, ils s’associent avec Dark Horse, alors petit éditeur, qui accepte leurs conditions. Ce n’est que plus tard que les deux auteurs créeront ensuite un label pour identifier les œuvres qui appartiennent à leurs auteurs : Legend.
Ainsi, Frank Miller (Sin City), John Byrne (Next Men, Babe ou encore Danger Unlimited) accompagnés de Dave Gibbons (Martha Washington, The Big Guy and Rusty the Boy Robot), Paul Chadwick (Concrete), Art Adams (Monkeyman & O’Brien), Mike Allred (Madman) et bien entendu ensuite Mike Mignola avec Hellboy vont travailler avec Dark Horse. Ils initient en 1993 ce label qui se veut être à la fois un label de qualité et l’indication pour les lecteurs que les œuvres qu’ils lisent appartiennent à leurs auteurs. Ce label perdurera jusqu’en 1997. Les publications suivantes auront les mêmes prérogatives concernant les droits d’auteurs, mais les fondateurs du label ont estimé qu’un label spécifique n’était alors plus utile, les mentalités ayant changé au bénéfice des auteurs.
Cette fronde de grands noms du comic book ne fut pas la seule. En effet, dans le même temps, la génération montante des dessinateurs des années 90 ira même plus loin en créant directement leur propre maison d’édition. Ce sera Image Comics. Le départ de Todd McFarlane, Jim Lee et consorts chez Image sera le début des soucis pour Marvel qui, à terme, mènera au rachat par Disney, mais cela est une autre histoire.
Voilà donc pourquoi Mike Mignola, aidé et encouragé par John Byrne pour le scénario et les dialogues au début, ira créer Hellboy chez Dark Horse.
Mais au fait, pourquoi Hellboy ? Comment l’idée d’un tel personnage est venue à Mike Mignola ?
La genèse de Hellboy
Comme souvent en bandes dessinées, tout commença par un dessin. C’était en 1991 pour le programme d’une convention pour laquelle Mike Mignola dessina un monstre. Au dernier moment, il y ajouta le nom Hell Boy, car il trouvait cela sympa et amusant. Le nom restera.
Par la suite, il envisagea tout d’abord une équipe (prémices de ce qui deviendra plus tard le B.P.R.D.) mais ne trouvant à l’époque pas de nom probant pour celle-ci, il décida de se concentrer sur le personnage de Hellboy seul de prime abord.
Inspiré par les comics de sa jeunesse, tel Captain America, Mignola eut rapidement l’idée de placer Hellboy face à des nazis. Mais pas de simples nazis. Puisant également son inspiration dans les comics dit « pulp » comme Weird Science ou Tales from the Crypt ainsi que dans les contes et légendes de divers folklores et dans l’univers de Lovecraft, les monstres ne seront pas loin. Hellboy est donc pour Mignola à la fois une création originale et un hommage aux héros de sa jeunesse, tant littéraire qu’au niveau des comics.
Toutefois, Mike Mignola ne se sentait pas comme un créateur d’univers. Il pensa au concept, un peu aux dialogues mais pensait initialement se reposer sur son ami John Byrne pour le scénario proprement dit, se contentant de le mettre en images. Il se sous-estimait. En effet, John Byrne avoua lui-même que, pour Les Germes de la destruction, le scénario était déjà quasiment prêt et qu’il n’eut qu’à peaufiner le tout. Modifier quelques dialogues, changer un peu le découpage pour apporter différents rythmes selon les pages et l’action s’y déroulant. Bref, guider plus que créer. Et cela suffit à Mignola pour commencer à prendre confiance. Epaulé ensuite par son éditrice de l’époque chez Dark Horse, Barbara Kesel, Mike Mignola se trouva seul aux commandes dès la seconde histoire de Hellboy et le succès ne se démentit pas.
Les premières publications de Hellboy
Mike Mignola met du temps à travailler, c’est aussi une des raisons pour lesquelles il ne signa jamais pour une série régulière chez DC ou Marvel. Frank Miller ayant débuté auparavant Sin City sous forme de mini-série avec un arc narratif par série, il conseilla à Mignola de faire de même afin de se laisser le temps de travailler entre deux publications. Une bonne idée qu’il décida d’appliquer. Hellboy n’aura donc aucune série continue, juste des mini-séries et des one-shots. Seules les séries dérivées B.P.R.D. et Abe Sapien auront droit à une série continue. Néanmoins, Mike Mignola n’en sera dès le début que co-scénariste, s’assurant essentiellement de la logique dans la continuité de la série vis-à-vis de l’évolution de l’univers de Hellboy. A noter que la série Abe Sapien est désormais terminée aux Etats-Unis mais pas encore chez Delcourt.
Lorsqu’on créé une nouvelle série, qui plus est pour Mignola pour qui c’était une première, il faut avant tout la faire connaître. La couverture de Dime Press #4 (en mars 1993) et une histoire courte de quatre pages dans le San Diego Comic-Con Comics #2 (en août 1993) sont ainsi réalisés dans cette optique. Fin 1993, John Byrne offre même dix pages à une apparition de Hellboy dans le numéro 21 de sa série Next Men. Sacré coup de pouce. Ces dix pages ne font pas partie de l’univers Hellboy proprement dit et sont actuellement la seule publication de cette époque à n’avoir jamais été reprise dans l’un des recueils de Hellboy. Pourtant, dans les recueils Histoires bizarres par exemple, il y a beaucoup d’histoires ne faisant pas partie de l’univers officiel de Hellboy et il aurait été possible d’y intégrer ces dix pages…
Toutes ces publications font l’effet désiré et, dès la première mini-série Hellboy au printemps 1994, le succès est au rendez-vous. C’est justement le vingt-cinquième anniversaire de cette mini-série que nous célébrons aujourd’hui !
Racontant l’arrivée sur Terre de Hellboy en 1944 et son activité en 1994 dans cette première histoire, Mignola se laisse déjà cinquante ans de marge et d’histoires à raconter. Idée pertinente qu’il exploite toujours aujourd’hui.
Néanmoins, malgré ses débuts réussis, très vite il faut montrer aux lecteurs habitués aux séries continues que cette mini-série en appellera d’autres. C’est pour cela qu’une nouvelle histoire courte de quatre pages sera publiée dans la foulée dans le Comics Buyer’s Guide #1070 (mai 1994). Dark Horse pré-publiera ensuite dans Dark Horse Presents le second arc scénaristique de Hellboy, Les Loups de Saint-Auguste avant son édition en mini-série Hellboy (et en couleurs) fin 1994.
Les fans savent désormais que Hellboy n’était pas qu’une simple mini-série unique mais bel et bien une nouvelle franchise qui se développera au fil des publications. L’univers est lancé et ne demande désormais plus qu’à s’étendre…
Le développement de l’univers de Hellboy
Se focalisant en premier sur Hellboy pendant les premières années, Mike Mignola y pose néanmoins les jalons de l’univers étendu de son personnage, notamment du Bureau of Paranormal Research and Defense (plus connu sous l’acronyme B.P.R.D.) et commence à définir une chronologie sur laquelle tout son univers va s’appuyer.
C’est ainsi que de nombreuses séries limitées seront créées au fil des ans, co-scénarisées par Mignola ou au minimum supervisées par lui afin de garder la cohérence de son univers. Après quelques mini-séries, la série B.P.R.D. deviendra une série régulière qui continue encore aujourd’hui. Abe Sapien, l’amphibien, aura droit lui aussi à une série quasi-continue de 2013 à 2016.
La cohérence de l’univers reste assurée par plusieurs séries de transition comme les origines sur le B.P.R.D. avant l’arrivée de Hellboy en son sein (B.P.R.D. Origines) puis Hellboy & B.P.R.D. qui raconte les débuts de Hellboy dans cette équipe (série toujours en cours). A cela il faut ajouter les aventures du B.P.R.D. qui continuent (que ce soit avec ou sans Hellboy) et plusieurs mini-séries se déroulant avant l’arrivée de Hellboy sur Terre (Witchfinder, Lobster Johnson…).
Il serait trop long de tout développer, d’autant plus que de nouvelles publications sortent régulièrement. Si l’histoire de Hellboy lui-même a trouvé sa fin avec Hellboy en Enfer, il reste encore de nombreuses années à explorer pour compléter cet univers, en particulier entre 1956 (période en cours dans la série Hellboy & B.P.R.D.) et les débuts de Hellboy publiés en 1994. Reverrons-nous Hellboy sur Terre après les événements de B.P.R.D. L’Enfer sur Terre et de Hellboy en Enfer ? Réponse dans le nouvel arc scénaristique du B.P.R.D. en cours de publication aux Etats-Unis et espérons très prochainement chez nous.
De quoi satisfaire les nombreux fans de cet univers pendant encore de nombreuses années!
Les publications à venir en français chez Delcourt et en anglais chez Dark Horse
Pour conclure ce dossier, et puisque cet univers continue toujours de s’enrichir de nouvelles histoires, voici une petite liste des publications en cours ou à venir aux Etats-Unis chez Dark Horse et en France chez Delcourt.
Tout d’abord, Dark Horse a réédité le tout premier comic book de Hellboy dans une édition spéciale 25ème anniversaire lors du « Hellboy Day » le 23 mars avec une nouvelle couverture.
Comme évoqué précédemment, B.P.R.D. continue en comics avec actuellement l’arc scénaristique The Devil You Know qui suit les huit tomes de L’Enfer sur Terre publiés chez Delcourt. Le premier recueil ne devrait pas trop tarder à sortir chez Delcourt étant donné que Dark Horse a déjà publié une quinzaine de comics et deux recueils.
Hellboy & B.P.R.D. continue également. L’année 1956 est en cours au format comics et les recueils des années 1952 à 1955 sont déjà publiés, tant chez Dark Horse que chez Delcourt.
Publications récentes et à venir chez Delcourt
Les quatrièmes tomes de Lobster Johnson et de Witchfinder sont tous deux prévus chez Delcourt pour avril 2019. Il y a en tout six recueils de Lobster Johnson et cinq recueils de Witchfinder parus chez Dark Horse. Les tomes 6 d’Abe Sapien et Hellboy & B.P.R.D. sont parus en ce début d’année.
Plusieurs séries dérivées existant chez Dark Horse ne sont pas encore annoncées en Français, ce qui est normal compte tenu du le décalage entre les publications en comics et les éditions françaises. Cela concerne The Visitor: How & why he stayed, Rasputin: The Voice of the Dragon et Koshchei the Deathless.
Une série dérivée de Lobster Johnson (oui, c’est bien une série dérivée d’une série dérivée) nommée Crimson Lotus est en cours de publication chez Dark Horse et le recueil est annoncé pour la fin d’année 2019.
One-shot inédit à paraître en mai chez Dark Horse, Hellboy vs Lobster Johnson est également annoncé.
Pour conclure, afin d’apprécier Hellboy dans les meilleures conditions de lecture, sachez que le quatrième volume de l’édition Deluxe devrait sortir comme chaque année fin octobre. Il s’agit de la version française des Library Editions de Dark Horse qui comporte actuellement sept volumes. Le prix est élevé, mais les ouvrages sont de qualité et mettent parfaitement en valeur les superbes dessins. Le format est à la taille des planches d’origine, bien plus grand que le format comics. Si vous êtes fans, n’hésitez pas, n’hésitez plus, c’est l’édition qu’il vous faut !
Christophe Van Houtte
Sources pour la rédaction de ce dossier :
– site web de Dark Horse Comics,
– site web des éditions Delcourt et en particulier la partie spécialement consacrée à Hellboy,
– informations contenues dans les différentes publications Dark Horse et Delcourt, et en particulier les éditions Deluxe de Hellboy publiées chez Delcourt,
– publications dans le courrier des lecteurs dans les pages des comics Next Men et sur son site internet par John Byrne, en particulier pour l’origine de la création du label Legend,
– site web mikesamazingworld.com pour les archives de toutes les publications de comics,
– ma propre collection de comics chez Dark Horse et des éditions Deluxe chez Delcourt.
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