
Pour la première fois, l’équipe de La Ribambulle a le privilège de rencontrer Caroline Delabie et Ralph Meyer à l’occasion du Festival Quai des Bulles 2022 de Saint-Malo dont il a réalisé l’affiche. Nous avons abordé avec eux la saga Undertaker sous toutes ses formes et les prochaines parutions en cette fin d’année 2022.
Bonjour à vous deux et merci de nous recevoir pour cet échange. Pourriez-vous nous faire la genèse de l’idée de Undertaker ? Pourquoi avoir choisi un croque-mort ?
Ralph Meyer : À la base, c’est l’envie de faire du western. De toute façon, ça, c’est vraiment l’envie primale. Et puis, l’idée m’est venue du croque-mort parce que c’était un personnage vraiment très iconique, graphiquement très intéressant et qui est un personnage récurrent dans les westerns, mais qui n’a jamais été un premier rôle. Donc c’était pertinent de revisiter le genre western avec un héros un peu décalé. Alors évidemment, ça, c’était une idée sympa, au débotté. Mais derrière, il y a eu beaucoup de travail de la part de Xavier Dorison pour transformer une idée sympa en un concept solide de personnages et de série.
Quelles ont été vos inspirations pour créer les personnages ?
RM : Dans mon travail, j’ai plutôt tendance à aller vers des personnages assez beaux, ce qui n’est pas du tout le cas de la volonté de Xavier qui préfère des trognes un peu plus cassées, un peu plus burinées. Il a fallu qu’on trouve aussi un entre-deux là dessus. Concernant tout ce qui est personnages secondaires, disons que les caractères qu’ils ont génèrent aussi souvent leur morphologie.
Et vous, Caroline, pouvez-vous nous expliquer le travail sur la colorisation? Cette palette de couleurs rend les décors exceptionnels.
Caroline Delabie : On fait les couleurs à deux, Ralph et moi. Elles sont dictées clairement par le récit. En général, Xavier sait très bien où il veut aller et il fait pas mal de recherches, de documentation en amont et nous les fait parvenir, et puis moi tout ce processus me nourrit. Ralph est un dessinateur qui projette des couleurs sur son travail. Il y a des dessinateurs qui ne le font pas du tout, qui sont incapables d’imaginer leurs planches en couleur. Ce n’est pas du tout son cas. Ralph me donne aussi de la documentation. Moi j’en trouve aussi de mon côté, d’après ce que m’inspire le scénario de Xavier. Et puis les couleurs, c’est le résultat d’un peu tout ça. Je mets les gammes en place, et Ralph peaufine avec les réseaux de lumière, le travail d’ombres… Le travail est fait sur une palette numérique, par facilité pour les retours des fichiers et pour les retouches futures.
Travaillez-vous sur la colorisation après la réalisation de toutes les planches du tome ou bien à une autre fréquence ?
RM : Ce qui se passe, c’est que moi je commence en effet les pages en noir et blanc. Et puis à un moment, Caroline commence à travailler les mises en couleurs et là c’est plutôt par des séquences de scènes.
Un mot sur les couvertures des albums, les vôtres sont toujours saisissantes. Quelles sont les étapes pour la réalisation d’une « belle » couverture ?
RM : La conception d’une couverture, pour moi, c’est le même principe que la conception d’une affiche, c’est-à-dire essayer de donner le maximum d’informations sur ce que va être l’album et avec le minimum d’éléments. C’est ce qu’on peut voir dans la toute première couverture de la série. Il faut que ce soit vraiment très impactant visuellement, de près comme de loin, qu’on puisse voir l’album au milieu de pas mal de sorties dans un rayon. La visibilité est primordiale pour déclencher l’achat. En tout cas, dans un premier temps, quand c’est le début d’une série, il faut tout mettre en avant pour que ça fonctionne. Après, quand on arrive à un tome 6, une série qui a du succès comme ça, les enjeux sont un peu différents. L’enjeu sur la couverture du tome 6, par exemple, c’est vraiment la promesse d’une grande aventure. Là, on peut aller dans quelque chose qui est plus illustratif, avec plus d’éléments, de décors, de détails et compagnie.
Le projet d’une couverture est en début de processus de l’album ou le dernier chaînon réalisé ?
RM : C’est un travail en amont, parce que chez l’éditeur ils ont besoin de la couverture très tôt pour commencer à discuter en interne et aussi à communiquer avec les libraires. Mais, par contre, je fais l’entièreté du storyboard avant de commencer les pages et souvent c’est à cette étape là que je trouve l’idée pour la couverture. Il y a des mises en scène qui se mettent en place et d’un coup, je dis ah oui, ça, ça pourrait vraiment faire une couverture intéressante.
Au début de chaque album, il est écrit « sur une idée originale de Ralph Meyer et Xavier Dorison ». Vous êtes donc également force de proposition sur les étapes du scénario ?
RM : Je suis venu avec l’idée du croque-mort et Xavier a rebondi dessus. Concernant le traitement du scénario, nous avons continuellement des discussions avec Caroline également. Quand un diptyque est terminé, nous organisons un débriefing ensemble et nous évoquons des envies qu’on a chacun pour le diptyque suivant. Après toutes ces discussions, en règle générale, Xavier en ressort une thématique qui sera celle qui sera développée durant le diptyque suivant. Ensuite c’est beaucoup d’allers-retours sur le scénario. C’est très agréable de travailler avec Xavier là-dessus parce que justement il est tout à fait ouvert à la discussion, aux idées des autres. Je pense que c’est ce qui se sent aussi dans une idée, quand il y a une véritable cohésion et le fait qu’on prenne du plaisir à le faire tous les trois est un facteur important de la réussite des albums.
Concernant le dessin, envisagez-vous de réaliser les futurs albums au numérique ? De plus en plus de dessinateurs sont tentés par ce processus de création qui peut s’avérer sécurisant et un facteur de gain de temps.
RM : C’est sûr que ça a un côté confortable, mais qui est dangereux aussi. Je pense que c’est intéressant d’avoir des accidents dans le travail quand il est fait manuellement parce que ça rend le dessinateur créatif. Il faut se forcer à trouver une solution. En réalité, ça amène beaucoup plus de choses et je trouve que dans la réalisation au crayon, au pinceau, il y a quelque chose de très sensuel dans ce travail, avec le toucher du papier. Tout ce processus de création, je ne peux m’en passer.
Disposer de planches encrées, c’est aussi un autre moyen de visibilité lors d’expositions et aussi de rémunération avec les ventes des originaux.
RM : C’est indéniable. Aujourd’hui les galeries ont un rôle important pour nous les dessinateurs à tout point de vue.
CD : Et puis les expositions, ce n’est quand même pas la même chose d’aller voir des planches originales que des prints.
Le premier tome du prochain diptyque sortira en novembre 2023, pourriez-vous nous en faire le pitch ?
RM : Ce sera un scénario qui parlera des femmes, de leur corps et l’appropriation des hommes sur le corps des femmes, et c’est un scénario de Xavier qui est vraiment très bon. Je pense que c’est un des meilleurs scénarios qu’il ait fait. Je suis très impatient que l’album soit fait et sorte en librairie.
CD : Sur un sujet très rarement traité dans le western. Au cinéma, il y a de très vieux western auxquels je pense et un seul qui a traité un peu de cette thématique là, mais c’est vraiment très rare. C’est aussi un sujet d’actualité dans le monde contemporain d’aujourd’hui.
C’est un beau teasing ! Vivement la sortie l’an prochain ! Undertaker au cinéma, c’est un rêve pour vous ?
RM : Il y a eu des touches mais pour l’instant rien de concret. Pour ma part, je n’ai pas un fantasme particulier de l’adaptation, si ça se fait tant mieux mais sinon je ne serai pas déçu pour autant. L’important pour nous deux, c’est le médium de la bande dessinée.
Avez-vous prévu de revenir prochainement sur le format du one-shot avec une aventure à grande pagination ?
RM : J’y reviendrai un jour, c’est évident, mais il faut le bon projet, plus de temps aussi. Pour le moment, Undertaker prend beaucoup de place, la série fonctionne bien auprès du lectorat, ça reste notre priorité.
Parlons de vos prochaines actualités et la sortie début novembre d’un livre sur la jeunesse de Claude Moine, alias Eddy Mitchell, dont vous êtes en charge des illustrations. Comment est née cette rencontre ?
RM : Eddy est un fan d’Undertaker tout simplement et c’est parti de là. Il y a quelques années, il m’avait demandé de réaliser des pochettes de disques pour deux albums et la collaboration s’est très bien passée. Il souhaitait retravailler avec moi sur un autre projet et un jour il m’a proposé ce texte. ll voulait en faire une adaptation en bande dessinée à la base, ça raconte un épisode de sa jeunesse dans les 19e et 20e arrondissements de Paris. Pour un format album, je n’avais clairement pas le temps et c’est notre fille qui a eu l’idée que je réalise des illustrations, une sorte de bon compromis. Au final, c’est une très bonne idée qui permettait de garder la gouaille d’Eddy sur les dessins et pour moi réaliser un travail moins chronophage que des planches qui doivent prendre en compte le scénario. Un vrai moment récréatif étant moi-même un enfant du 20e. J’aimerais bien renouveler l’expérience d’un livre illustré prochainement.
Ce livre sort chez Dargaud mais n’est pas un album standard avec des planches, l’éditeur a-t-il donné son accord tout de suite ?
RM : Oui, c’est un roman illustré. Dargaud, avec qui je travaille depuis longtemps, est généralement en confiance avec mes projets. Il n’y a pas eu de difficulté particulière quant à son édition. Le livre sera en rayon BD et également en rayon littérature généraliste. Il doit normalement bénéficier d’une belle couverture médiatique avec la présence d’Eddy dans les médias.
Un mot également sur votre collaboration l’an dernier sur l’album collectif Go West Young Man, paru chez Grand Angle. Que retenez-vous de cette expérience ?
RM : Ce bouquin, c’est un cri d’amour pour le western ! Le réaliser avec tous ces collègues, c’était très agréable à faire. Quand Tiburce Oger m’a demandé sur quelle thématique western je voulais travailler, j’ai sauté sur l’occasion pour lui soumettre une idée concernant le Pony Express, un vieux rêve fascinant. Il m’a fait une histoire très chouette là-dessus. Une très bonne expérience.
Vous n’êtes pas présent sur le prochain numéro intitulé Indians, qui paraîtra fin novembre. Ce thème n’était pas à votre goût ?
RM : Non, du tout ! Le thème est aussi accrocheur que le précédent mais niveau timing ce n’était clairement pas possible cette année. Le planning est déjà bien rempli.
Un artbook sur Undertaker sort début décembre, que peuvent en attendre les inconditionnels de la série ?
RM : C’est un bel objet de 300 pages qui va reprendre toutes les illustrations que j’ai pu faire sur l’univers d’Undertaker, des recherches aussi, des extraits de cases en grand format car elles sont pertinentes visuellement. La conception est très intéressante pour tout fan et j’ai collaboré avec Philippe Rayon qui est le directeur artistique et graphiste chez Dargaud. Je suis vraiment ravi de cet ouvrage qui a un côté bilan de la première partie de l’aventure de Jonas Crow.
Pour terminer cette entrevue, avez-vous une idée du nombre de tomes pour votre série fétiche ? La série va t-elle durer dans le temps ?
RM : C’est surement parti pour durer et nous croisons les doigts ! Nous gardons le concept de développer le récit par diptyque et, tant que nous nous amusons et avons des idées à développer, il n’y a aucune raison de stopper notre collaboration. Cependant, les ventes par album sont un indicateur économique incontournable et le lectorat doit être au rendez-vous, ce qui est le cas aujourd’hui.
Merci pour votre temps et à bientôt pour une prochaine interview !
Propos recueillis par Tristan Logghe.
Interview réalisée le 9 octobre 2022.
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