Cinq ans après avoir répondu à nos questions sur ses revisites de Mickey et Donald, Nicolas Keramidas nous fait l’honneur d’une nouvelle rencontre. Le dessinateur était présent à Saint-Malo en ce mois d’octobre 2022 pour présenter Superino, nouveau projet avec Lewis Trondheim et Brigitte Findakly. On ne change pas une équipe qui gagne !
Merci, Nicolas, d’avoir accepté l’interview d’un autre Nicolas.
D’accord ! Avec plaisir. Joli prénom !
On retrouve avec Superino un procédé similaire à celui que vous aviez, avec la même équipe, mis en œuvre dans l’excellent Mickey’s Craziest Adventures.
Ouais, ouais. On va dire que c’est un petit peu ce qu’on voulait faire… En fait, sur Mickey, on avait quand même des contraintes, on avait des limites, parce que quand tu bosses sur Mickey, quand tu bosses pour Disney, tu sais qu’il y a des choses que tu ne peux pas faire, en fait. Donc on a joué avec Mickey et on a joué dans les limites. Là, l’avantage, c’est que c’est le même genre d’esprit mais on peut aller plus loin. On peut se lâcher sur un humour qui aurait parfois pu être inapproprié avec Disney. Donc je ne sais pas si c’est né d’une frustration de ne pas avoir pu le faire avec Mickey mais j’ai un peu analysé ça comme ça : « on est en train de refaire un peu la même chose mais différemment ».
Alors cette idée de faire comme si vous aviez fouiné dans les archives, retrouvé des trésors, c’est dû au scénariste, j’imagine ?
Déjà, le premier truc qui est quand même fou, c’est que, et ça m’a toujours fait rire, les gens arrivent à y croire sur Mickey… parce que, moi, je vois Trondheim sur la couverture, je sais que c’est une connerie. Je ne vais même pas réfléchir plus que ça, c’est une connerie ! Donc les gens, ils y ont cru une première fois, OK, mais alors qu’ils arrivent à y croire une deuxième fois ! Là, je me dis « c’est pas possible », c’est même gênant ! On s’est retrouvés notamment à Bruxelles, on avait un déjeuner presse et, en fait, d’entrée de jeu, les quatre journalistes y avaient vraiment cru et ont dit « on parlera dans une seconde partie de l’interview de tout le côté historique de Superino mais pour l’instant on va se concentrer sur la BD ». On s’est regardé avec Lewis et on s’est dit « on ne va pas faire semblant pendant toute l’interview… et puis ce serait pas sympa ! » (rires). Donc on leur a dit tout de suite et, du coup, ils se sentaient un peu bêtes (parce que c’est vrai qu’en plus en tant que journaliste, logiquement, tu devrais le savoir, ce genre de trucs…). Donc je suis vraiment épaté que les gens le croient. Alors, comment c’est né… Déjà, l’album est né un peu pendant le covid où on faisait pas mal de poker en ligne. On avait mis ça en place, comme on était tous chez nous… Donc on s’est fait des pokers en ligne, qu’on continue d’ailleurs à faire maintenant, et on se faisait des visios, parfois une dizaine en visio, et ça a créé une espèce de petite synergie où on était tous ensemble. C’était assez sympa et j’avais sorti avec Lewis, à un moment donné, un truc dans un Spirou spécial Disney. Ils avaient fait croire que Disney avait racheté Dupuis…
Oui il y avait une histoire avec Spip…
Voilà ! Disney avait racheté Dupuis et du coup j’ai fait 4 pages avec Lewis qui s’appelaient Mic-Mac. C’était une histoire un peu de Mickey mais avec des grandes oreilles, c’était un peu un Mickey mais il tuait, et il était aussi un peu super-héros. Et en fait, quand on a fait les pokers, à un moment donné, je ne sais plus comment c’est arrivé, on s’est fait une visio et c’est Olivier Jalabert, l’éditeur de Superino, qui nous a dit « est-ce qu’on ne reprendrait pas Mic-Mac ? ». Lewis a dit « Mic-Mac, ça va pas être possible, il ressemble trop à Mickey… mais est-ce qu’on ferait pas un super-héros ? » Et après, ça part très vite. Moi, je sais que j’ai voulu raccorder le truc avec Strange donc on a dit : OK pour des fausses couv, le courrier des lecteurs… Et en fait quand on fait ça, ce qu’on aime bien, c’est que de suite on voit le rendu qui va être un peu à l’ancienne…
Un prétexte pour adopter le côté rétro…
Exactement ! C’est ce qu’on avait fait pour le Mickey. C’est pas qu’on voulait faire croire qu’on avait retrouvé ça, c’est juste qu’à un moment donné on est arrivé sur une problématique où on n’aurait pas toutes les pages du bouquin parce qu’il faudrait que ça rentre dans 45 pages et tout. Lewis savait que j’allais en vide-grenier donc il a trouvé ça ! Et là, c’est pareil. En fait, c’est juste qu’on décide de bêtises et on les justifie. On leur donne une certaine crédibilité.
C’est vrai que quand l’annonce est parue dans Spirou, la toute première on pouvait un peu y croire quand même. Et après, une fois qu’on voit le début, l’interview, les premières pages, on se dit que c’est une connerie. Mais au tout début…
Écoute, je sais qu’il y en a qui y croient encore ! Là, je sors de dédicace et je peux te dire qu’il y en a quand même…
« Donc, vous avez lu les versions originales ? » (rires)
Y a 20 %… Non, moi ce que j’aimerais, ce que j’attends, et je suis sûr que ça va arriver à un moment donné et alors là, je serai très très gêné… je pense que je vais avoir quelqu’un qui va me dire qu’il s’en rappelle ! (rires) C’est obligé, le lecteur qui a envie de faire plaisir un peu « moi, je m’en rappelle, chez ma grand-mère, je lisais ça… » Là, je vais être super gêné ! Mais en fait, c’est super chiant quand on fait croire ça, c’est un peu too much. Une fois, j’ai fait une interview sur le Mickey et c’était vraiment infernal… Je me suis rendu compte que le mec y croyait dur comme fer, donc j’ai décidé de faire toute l’interview comme ça. Tu fais que raconter n’importe quoi. Déjà c’est pas très sympa mais en plus c’est insupportable. Faut sans arrêt se mettre à la place… Tu fais que faire croire tout le long. C’est pour ça que maintenant, on coupe court.
Vous clarifiez les choses.
Ouais !
Et ça a été publié, cette interview où vous faisiez croire ?
Je ne sais plus pour qui c’était, honnêtement. Mais oui oui ! C’est vrai que c’était horrible, je m’en rappelle…
Ça va quand même assez loin dans la parodie, les blagues un peu pipi-caca…
Oui, largement !
Vous ne vous êtes pas fixé de limites ?
Je trouve que quand même… Lewis trouve ça hypra hypra soft. Moi, je trouve que c’est quand même soft.
Ça pourrait être pire !
Il y a un gag, quand Lewis me l’a envoyé, il m’a dit « c’est le meilleur gag que j’aie jamais fait ! ». On discutera ou je vous laisserai deviner [NDR : voir plus loin, on a trouvé !], peu importe ! En tout cas, la dernière fois que je l’ai dit à quelqu’un, il a deviné tout de suite ! Mais après je trouve qu’on est limite, c’est pipi-caca mais ça reste gentillet. Je trouve qu’on ne va pas trop loin. J’ai un gamin de 13 ans et il a adoré. Et en plus, à 13 ans, pipi-caca tu es content. On n’est pas dans le trash.
Moi, je n’ai pas 13 ans mais j’ai beaucoup aimé quand il dit que le patron va faire caca et que les deux sbires sont morts de rire derrière. C’est tellement inattendu que ça fait marrer !
C’est ça. Déjà, ce super-héros, il est un peu atypique, il habite chez sa maman… Et je trouve que ça se marie bien avec cet humour juste en décalage…
Et les clins d’œil aux super-héros classiques ? On se fixe des limites pour ne pas trop en mettre ? Il y a un côté Bruce Wayne…
Il y a un peu de tout. Il y a Bruce Wayne, il y a une espèce de bat-cave mais c’est quand même une bat-cave du pauvre (rires). Il a des gadgets, mais tout est un peu cheapos. Et j’aime bien le rapport avec justement la supergazza qui vient chez lui. On sent pour le coup que c’est vraiment celui qui habite encore chez sa maman. Il est complètement déstabilisé : elle, elle est hyper forte, comme nana… C’est ce que j’aime bien avec Lewis, c’est qu’il arrive justement sur des trucs complètement déconnants, un peu concons, ça pourrait rester comme ça et ce serait un peu bizarre… Mais en fait il arrive toujours à faire une trame, une histoire et puis ça veut dire quelque chose, ça a du sens… Et finalement, il arrive à faire passer des messages. C’est pour ça que j’aime bien collaborer avec lui parce que je trouve qu’il amène un côté décalé et qu’il retombe bien sur ses pattes. À un moment donné, je me demandais comment ça allait évoluer. Je dis ça, c’est rigolo parce que ce n’est pas que je ne lis pas mes albums mais je crois qu’on est beaucoup d’auteurs à ne pas lire spécialement… En fait, quand on reçoit notre album, on le regarde, on regarde la fabrication, le papier, on le sent, souvent, parce qu’il y a toujours une odeur que j’adore, mais on ne le lit pas spécialement ! Mais celui-là, en fait, je l’ai récupéré en allant à Marcinelle, ils venaient juste de le recevoir donc ils m’en ont filé un et je repartais à Bruxelles et j’avais une heure, une heure et demie de train… Je me suis dit « bah tiens, je vais le lire », en plus le lendemain j’avais de la presse. Et en fait je ne m’étais même pas douté de la fluidité du truc, ça m’a permis de découvrir vraiment les couleurs dans la continuité. Parce qu’en fait, les couleurs, on les reçoit par paquets de 5 ou par paquets de 10, un peu dans l’ordre mais pas tout le temps donc tu n’as pas cet aspect chromatique. Et là, j’ai trouvé ça génial d’avoir cette lecture. Mais même dans la lecture, j’étais étonné de voir des choses que je n’avais pas vues quand j’ai fait l’album.
Et c’est la même coloriste que pour Mickey donc c’est une équipe déjà bien rodée.
Pour le coup, Brigitte ne jouait pas avec nous au poker mais ça s’est fait naturellement. Brigitte fait des couleurs que je ne ferais pas, que je ne choisirais pas, et qu’au final j’adore ! Ça avait commencé sur le Mickey où elle avait envoyé une première page et moi j’ai commencé, comme d’habitude : « case 1, blablabla ; case 2, change le ciel ; case 3… » En fait, Brigitte a travaillé dix ans pour le Journal de Mickey donc les codes couleur de Mickey, elle les connaît par cœur ! Lewis m’a dit « soit on change les codes, mais c’est pas le but, soit les codes, elle les a », donc j’ai laissé faire ! Et elle ne me pondait que des planches pour lesquelles je n’aurais vraiment pas choisi ça mais j’adore ! Sur un truc comme ça [il nous montre un ciel], jamais de la vie je ne fais un violet ! Jamais ! Sur plein de trucs, ce n’est pas du tout ce que j’aurais fait mais au final je trouve ça trop cool.
Et les trames, c’était vu entre vous avant ?
Oui, en fait, les trames c’est un peu comme ce qu’on avait fait sur le Mickey, en fait.
Le côté rétro, ça donne du cachet. Et l’album en lui-même est super beau !
Ah, j’adore ! Alors, ça, c’est génial !
L’embossage.
L’embossage, exactement ! Le petit vernis sélectif ! C’est chic, c’est bien !
C’est pas ça, le gag en question ? [page 100, pour les curieux]
Si, c’est ça. Lewis, il n’en pouvait plus quand il m’a appelé ! Ça montre le niveau !
Pour revenir sur avant ça, vous avez publié un album très personnel.
À cœur ouvert, oui.
Comment on passe de l’un à l’autre ? Parce que c’est quand même l’opposé.
En fait, moi, je crois que c’est comme mes lectures ou la musique, les films… j’aime bien varier. Et la BD, tu passes à peu près un an à faire un album. Le truc, c’est de ne pas se lasser. Je suis admiratif de quelqu’un comme Lambil qui sort 67 tomes, j’en sais rien, des Tuniques bleues. Je suis admiratif mais en même temps je me demande comment il a pu – je parle au passé, c’est pas bien – comment il peut avoir cette motivation ! Parce qu’en plus, presque tous les Tuniques bleues se ressemblent, quoi ! Tu vois ce que je veux dire… C’est pas comme si tu variais. Il ne peut pas se dire « je vais en faire un aquatique » ou quoi. Moi, c’est pas du tout… Bon, j’ai fait 5 Luuna et puis j’ai fini par en faire 9… Mais j’ai besoin de varier. J’étais sur Luuna, je suis parti sur Donjon, qui est pour moi un autre style, puis après je suis allé sur Tykko des sables, un peu plus dans l’esprit de Luuna… C’est vrai que dernièrement, Tykko et Luuna, c’est plus trop ce que je veux faire. Je ne renie pas du tout, je suis très content de les avoir faits, mais après je suis parti sur les Alice au pays des singes avec Tébo, puis les Mickey, Donald, etc., et c’est vraiment ça que j’ai envie de dessiner ! C’est vraiment ce genre de choses. À cœur ouvert, c’est un truc complètement différent, autobiographique, et il fallait que je trouve mon style. Donc je l’ai fait et j’ai adoré le faire. C’est le premier bouquin que j’ai fait tout seul, y compris les couleurs, à tous les niveaux. Je crois que c’est aussi les années Disney qui font que tu peux passer d’un style à l’autre. Je peux être le matin sur À cœur ouvert et l’après-midi sur Superino, le lendemain sur Luuna… Ça ne me pose vraiment aucun problème !
Est-ce que vous avez déjà une suite dans les tuyaux ?
Alors non, parce que c’est censé être un one-shot. Pour Lewis, on a signé pour un one-shot. Moi j’avoue qu’après avoir terminé tout ça, terminé la lecture, ça me saoulerait de m’arrêter là parce que je trouve que c’est hyper frustrant quand tu commences à mettre en place un univers, que je trouve cool. J’ai envie de le voir partir dans d’autres missions ! Alors je pense que ce qui fera que ça se fait ou pas, c’est si ça marche ou pas. De toute façon maintenant, c’est beaucoup comme ça. Je comprends un petit peu. C’est vrai qu’il y a un côté un peu frustrant. En fait, il y a Donjon où je n’ai fait qu’un seul tome mais c’était le deal parce que c’était un Donjon Monster et Donjon Monster c’est un seul tome. Sinon j’ai toujours fait 2 ou 3 albums, voire plus. Mais parce qu’effectivement je trouve que quand tu mets tout un truc en place, c’est bizarre de se dire qu’on n’en fait qu’un. Là, j’avoue, je m’amuse tellement là-dessus…
On croise les doigts pour que le public réponde présent !
Et pas les doigts dans l’anus ! (rires)
Ah, et une question. À un moment, il y a une espèce d’enveloppe pré-affranchie pour demander un poster… Si on le fait, ça donne quoi ?
Faites-le ! Moi, je ne demande qu’une chose, c’est que les gens le fassent !
En plus, il y a l’adresse de Dupuis ?
Non ! Alors, ça, faut pas, parce que ça c’est l’hôtel où était Olivier Jalabert en Italie quand il a inventé toutes ces conneries ! (rires) Par contre, moi je trouve que là où ils ont été un peu limite… Voilà : « Offre réservée aux abonnés depuis 6 mois dans la limite des stocks disponibles. Pour recevoir ton poster Superino, adresse un simple courrier à la rédaction… »
Si on envoie à Spirou ?
La rédaction, pour moi, c’est Spirou ! Et Oliv’, quand je lui ai dit ça, il m’a dit « ah non, c’est la rédaction italienne ». Mais en fait, personne n’en sait rien. Franchement, faites-le ! Et ils vont imprimer le poster ! Faites-le, moi je suis à fond.
Il est beau en plus.
Ah mais ce serait mortel. Moi, je ne demande que ça !
Le message est passé. Page 70 !
Je vous invite à le faire : envoyez tous vos courriers aux éditions Dupuis pour avoir le poster gratuit de Superino !
Ce sera le mot de la fin ! Merci beaucoup, Nicolas !
Propos recueillis par Nicolas Raduget.
Interview réalisée le 7 octobre 2022.
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