
Plus d’un an après la sortie de son exceptionnel hommage à Mickey, Nicolas Keramidas est de retour à Saint-Malo pour poursuivre sa longue tournée de promotion de l’album. Mais, si Mickey’s Craziest Adventures a pu régaler les amateurs, le dessinateur grenoblois n’a pas perdu son temps puisqu’il est sur le point de finir un second album, consacré cette fois à Donald. Nous avons pu le rencontrer pour partager sa passion de l’univers Disney et son enthousiasme communicatif autour d’une collection à laquelle il a grandement contribué.
Bonjour Nicolas ! Avec plus d’un an de recul sur ton album et un second en préparation, que peux-tu nous dire sur ta participation à la collection ?
Hé bien, le prochain sera dans le même esprit, mais avec Donald. Dès le début, Jacques Glénat a eu l’autorisation de Disney pour que des auteurs franco-belges fassent leur version de Mickey. C’était juste Mickey. Après, les premières questions qui sont arrivées assez rapidement étaient pour savoir si on avait le droit de dessiner d’autres personnages que Mickey. Il se trouve que la réponse a été oui aussi. Mais on va voir sur le suivant si on peut quand même le labelliser Donald. Mais pour le premier, c’est moi qui ai voulu Mickey, c’est un peu comme ça qu’est né le bouquin. Lewis Trondheim aime bien bosser avec de la contrainte, il n’aime pas qu’on lui dise de faire ce qu’il veut. Alors je lui ai donné deux contraintes : quitte à ne faire qu’un seul album – parce que c’était le principe – je voulais pouvoir dessiner tout le monde, Donald, Dingo, Géo Trouvetou, Picsou, et je voulais aussi tous les décors. Pour moi, Mickey évoque tellement d’histoires différentes, que je le vois bien dans une base sous-marine, je le vois bien à la montagne… Et c’est de là qu’est né l’album. Lewis s’est dit que, puisqu’en 45 pages il devait mettre tous les personnages et tous les décors, il allait en faire 100 et en enlever. Le concept est né comme ça puisque l’autre truc que je lui avais demandé était d’avoir un côté vintage. L’idée du journal est aussi simple que ça. Et ce qu’il y a de vraiment marrant, c’est que l’album est sorti il y a un an et demi, mais j’ai encore des gens qui, pas plus tard que la semaine dernière, croyaient que l’histoire du vide-greniers était vraie. Et je le comprends tout de suite parce que les questions sont très bizarres. J’hallucine de plus en plus que les gens puissent encore y croire, mais quand ils me demandent comment était la brocante, comment on a contacté Disney… Je trouve ça merveilleux que les gens puissent y croire mais en même temps, honnêtement, quand je vois Lewis Trondheim au générique, je sais que c’est une connerie.
Ça prouve aussi que l’album touche un public très large.
Oui, c’est ça. Le concept est farfelu mais moi j’ai adoré, autant que de faire les fausses couvertures au début de l’album. C’était compliqué à mettre en place, Lewis habitant à Montpellier, moi à Grenoble et les studios Glénat à Paris, mais en fait au début on voulait faire une photo de nous à la brocante devant cette malle. On voulait vraiment pousser le truc jusqu’au bout. Et on ne l’a pas fait parce que c’était un peu chiant à mettre en place. C’est le seul regret que j’ai, ça aurait été marrant.
Comment t’es-tu débrouillé pour obtenir ce rendu vintage ?
C’est très simple à faire. Moi je fais mon dessin et Brigitte Findakly, la femme de Lewis, fait les couleurs. Il se trouve qu’en plus elle a travaillé pendant 10/15 ans pour Mickey Parade en tant que coloriste, donc elle connaît tous les codes couleurs. A la base, elle est partie sur les codes couleurs classiques et ensuite c’est Lewis qui est revenu sur chaque planche avec l’ordinateur pour ajouter les trames et les salissures. Pour passer d’une planche normale à une planche comme ça, ça lui prend 10 minutes. C’est vraiment rien. Tout coïncidait pour que ça se passe bien finalement, parce qu’en fait ce que je trouve vraiment marrant, c’est que les trames ne sont jamais les mêmes, les salissures ne sont jamais les mêmes. Et en fait c’est lié au fait que de toute façon on est censé avoir retrouvé des trucs qui se passent un épisode par jour. J’adore ! Quand Lewis m’envoyait les pages, whaou, moi-même j’étais fan du truc. J’étais fan de ce rendu-là, de ce truc complètement atypique.
C’était un sacré démarrage pour cette collection.
Je ne sais pas ce qu’il ressortira de la collection plus tard, mais j’ai vraiment adoré les quatre premiers et comment tout ça s’est passé. On a eu une espèce de connivence avec Cosey, Régis Loisel et Tébo, on s’est montré nos couvertures, on a eu plein d’échanges, etc. Il y a eu vraiment un truc qui ne se reproduira pas, c’est obligé. Maintenant on va avoir d’autres gens, d’autres trucs, ça va être autre chose. Et j’espère que ça va continuer. Pour l’instant j’en suis fier à 100% de cette collection, parce les albums sont très différents les uns les autres et ils apportent tous quelque chose. On va voir ce qui va se passer ensuite. C’est vrai que c’est con, mais je me méfie. On en discutait avec Tébo car la collection continue de me tenir à cœur et il me disait que je pensais ça parce comme j’en faisais un deuxième. Je vais continuer à être là en même temps que des nouveaux alors que lui a fait le sien, maintenant il est passé à autre chose. Il garde un super souvenir de ce qui s’est passé mais, en passant à autre chose, il a moins d’affect. Moi j’en ai toujours trop là-dessus. Effectivement je me renseigne, je vois tel nom ou tel nom, il y en a qui me font super plaisir, d’autres un peu moins. Je ne devrais pas, ce n’est pas mon rôle, je n’ai pas à me mêler de ça toi mais il y a un attachement.
Pourquoi tous ces échanges entre vous, les projets étant très différents ?
Comme on ne savait pas où on allait, on ne savait pas ce que ça allait donner. On en avait discuté une fois avec Nob et Lewis au sujet de ce qu’ils voyaient en terme de ventes. Honnêtement on avait du 2.000 exemplaires, du 20.000 exemplaires, du 200.000 exemplaires… on ne savait pas du tout. Des libraires disaient que ça n’intéresserait que dix personnes nostalgiques de Mickey, d’autres pensaient qu’avec Mickey ce serait un million. On avait de tout et c’était marrant. C’est pour ça qu’on avait beaucoup échangé sur les attentes de chacun, des trucs comme ça. Et c’était génial. Moi ça m’a donné l’occasion d’envoyer un mail à Régis en lui disant que sa couverture n’allait pas du tout et qu’il fallait qu’il la refasse, parce qu’il nous avait demandé notre avis. On lui a tous défoncé sa couv, ce n’est pas celle qui est sortie, mais au moment où j’écrivais ce mail… Loisel c’est un des mecs qui a fait que je fais de la BD, c’est clair… Si on m’avait dit un jour que je lui écrirais et qu’en plus il m’écouterait ! (rires) Pareil pour Cosey. Je connaissais son boulot mais je ne le connaissais pas en tant que personne et, comme on a sorti nos bouquins au même moment, on a tourné ensemble pendant deux-trois mois, partout ensemble, et c’était super. Il y a vraiment quelque chose qui s’est créé. Je trouve que Glénat a réussi un tour de force énorme. On s’en est bien sorti sur la première salve, maintenant il va y avoir une deuxième salve, une troisième salve, et je pense que le plus dur est de maintenir l’intérêt et la qualité. On a eu le côté le plus dur parce que ça n’avait pas été fait. Mais il y avait des grands noms et on l’a tous fait parce que ça nous faisait délirer. Je pense que ça se sent que ces quatre premiers ont été faits d’une manière honnête et pas pour de mauvaises raisons. Et c’est vrai que j’en vois certains qui veulent le faire parce que ça a bien buzzé. La preuve c’est que l’album est sorti depuis un an et demi et on est là à faire une interview. Il continue de se passer des choses. Dans deux semaines, je vais en Norvège et au Danemark parce qu’il est sorti là-bas.
Disney a toujours un énorme succès en Scandinavie.
Ils sont à fond, ces mecs-là ! (rires) Je ne pensais pas que c’était à ce point. C’est rigolo parce qu’il a été traduit dans plus de dix pays et moi je pensais qu’on allait cartonner aux États-Unis. Pas du tout. Par contre, ils sont tous à fond en Norvège, au Danemark, en Suède… Finalement ce sont les Etats-Unis qui s’y sont le moins intéressés. C’est pour ça que j’ai adoré le faire et j’adore ce que ça continue à amener. Du coup, c’est pour ça qu’il y a eu l’envie d’en faire un deuxième.
Travailler avec Lewis était prévu dès le départ ?
J’ai bossé avec lui sur un Donjon il y a pas mal de temps. Et depuis ce temps-là c’est un super pote, on s’entend très très bien et j’avais envie de retravailler avec lui. Je crois que lui avec moi aussi, mais on a eu des ratés. Et quand on a parlé avec Glénat de l’éventualité que je fasse un Mickey, il m’a demandé si je voulais l’écrire ou bosser avec quelqu’un. Et là j’ai envoyé un message directement à Lewis pour lui demander s’il était prêt à faire un Mickey. Pour moi c’était l’occasion de revenir avec lui. Et avec lui c’est une telle autoroute, ça se passe tellement bien, qu’à peine terminé celui-là, je voulais en faire un deuxième. Là-dessus Jacques Glénat a émis des réserves au début, en demandant d’attendre de voir comment ça se passait. Et après c’est lui qui nous a relancés. Quand j’en ai parlé à Lewis, c’était hors de question pour lui d’en faire un deuxième. Sauf si on trouvait « le » concept. Et moi je suis parti d’un truc, c’est que je me suis rendu compte en dédicace qu’il y avait les aficionados de Mickey et ceux de Donald, c’est vraiment du 50/50. J’ai donc dit à Lewis qu’on allait faire un Donald. On a réfléchi, on a réfléchi… Avec Mickey, c’était de l’action à 100%, il n’y avait pas vraiment de scénario. Alors avec Donald on a fait l’inverse, c’est à dire qu’il y a beaucoup de scénario et peu d’action. Mais le scénario est vraiment top.
Est-ce que cet album est bien avancé ?
C’est presque fini. Lewis a terminé, moi il me reste dix pages à encrer. Le postulat de départ est assez simple. C’est en gros Picsou qui va envoyer Donald chercher son trésor que les Rapetou ont une nouvelle fois volé. Donald va partir mais il revient vers Picsou pour lui dire qu’ils font ça à chaque fois. « Finalement tu le retrouves, finalement tu es content, puis finalement tu te le fais re-voler, tu es triste puis finalement tout recommence… Ce n’est pas ça qui va t’amener le bonheur, ce genre de choses, etc. » Picsou lui donne raison et, plutôt que de l’envoyer chercher son trésor, il l’envoie trouver le secret du bonheur. Pour une fois, Donald va devoir chercher un concept un peu abstrait et il va rencontrer plein de gens au fur et à mesure de sa quête qui vont lui faire comprendre que le bonheur dépend des gens. Ce scénario est génial.
On retrouve le Donald colérique comme on aime ?
Il y a de tout, on retrouve un peu Mickey des fois, un petit peu les autres personnages mais on élargit plus à la famille de Donald cette fois-ci, avec Grand-mère Donald et d’autres. J’ai besoin de m’éclater graphiquement donc j’adore prendre de nouveaux personnages en main.
Justement, comment t’es-tu approprié ces héros ?
Déjà, j’ai travaillé dix ans pour Disney. Je les avais dessinés mais pas plus que ça. Et après j’ai fait zéro recherche, j’ai commencé directement. Tout en étant éloignée, ma patte est assez proche de tout ça. J’ai regardé des gens comme Giorgio Cavazzano ou Corrado Mastantuono, qui sont vraiment des références pour moi et c’est eux que j’ai essayé de copier. En tout cas, j’avais leurs bouquins ouverts pendant que je dessinais. Bon, même quand je fais un hommage, je ne vais pas passer dix ans à faire des recherches, je regarde un peu comment c’est fait et je l’adapte à ma sauce.
Le Donald sera-t-il fait dans le même style ?
Oui, ce sera toujours avec des bandeaux-titres et tout ça. Par contre, cette fois-ci on a retrouvé toutes les pages. Lewis veut que je fasse des fausses couvertures mais on n’a pas encore discuté d’un texte d’intro ou pas, on ne refera pas le coup du vide-greniers. On sait juste que toutes les pages se suivent et que le rendu est pareil, un peu à l’ancienne. Quai des Bulles va être l’occasion d’en discuter plus sérieusement, mais il sera fini d’ici la fin de l’année, Brigitte doit ensuite faire les couleurs et il devrait sortir en mars ou avril. Dans l’idéal, on voudrait qu’il sorte en mars pour le Salon du livre de Paris, ça ferait pile deux ans après le premier.
Y a-t-il eu des contraintes de la part de Disney ? Il y a notamment toujours un tabou autour des parents de Donald.
Lewis a trouvé cette formule que je trouve pas mal, c’est que Disney nous a prêté ses jouets pour jouer avec et que l’idée n’a jamais été de les casser. On savait très bien tout ce qui serait interdit, les choses qui ne passeraient pas. Nous, on a eu plusieurs censures, des censures de textes. Très souvent des censures des textes. On ne peut pas faire référence à la mort par exemple. A un moment, Donald mange du poulet mais il n’a pas le droit, tu vois, c’est des conneries auxquelles on n’avait même pas pensé. A part ça, ils nous ont laissé une liberté totale. La seule vraie censure qu’on ait eue, c’est sur la page déchirée (NDR : l’épisode 14, visible ci-contre). Quand Lewis a écrit le scénario de cette page, il m’a dit que ça ne passerait pas. Si ça passait, tant mieux, sinon on déchirait la page pour faire comme un vieux magazine abîmé. En gros, le commissaire Finot se faire réduire à la taille d’une puce, Mickey essaie de le protéger pour que les gens ne l’écrasent pas mais un chien lève la patte et lui pisse dessus. A la dernière case, il prenait sa douche et Mickey jurait qu’il ne l’avait pas fait exprès. Et effectivement Disney a dit non. Du coup on leur a dit qu’on allait déchirer et ils ont été très fair-play parce qu’ils ont trouvé que c’était une idée absolument brillante pour contourner la censure. On me demande souvent si ce n’est pas trop contraignant, si ce n’est pas trop chiant d’avoir Disney derrière… Honnêtement je préfère un Disney un peu chiant mais qui se soucie et qui valide chaque case de l’album plutôt qu’un Disney qui s’en fout complètement. Ça aurait pu être ça aussi, ils auraient pu s’en foutre de nos petites BD. Mais c’est hallucinant ce qu’ils disent, à chaque fois ils sont super attentifs. J’ai un autre exemple. Sur le tome 2, à la première planche, Donald rentre chez lui, son voisin lui envoie une vanne. On leur a fait valider et ils nous ont envoyé un message en disant « Excusez-moi mais il y a un problème, le mec que vous avez dessiné n’est pas le voisin de Donald. Son voisin c’est Lagrogne, voilà le modèle. » Ils ont des relecteurs incroyables ! C’est peut-être ce qui fait qu’ils en sont là, rien n’est laissé au hasard. Moi je trouve ça bien d’avoir ce suivi et pas des mecs qui s’en foutent. D’ailleurs tous les ans a lieu une espèce de grande messe Disney où on présente tous les projets et ils ont remis à Glénat le prix de l’innovation pour les premiers tomes de la collection. C’est pour ça que j’aime bien tout ce qui s’est passé autour de cet album.
Merci beaucoup !
Propos recueillis par Arnaud Gueury.
Interview réalisée le 13 octobre 2018.
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