Nous avons profité de la venue de Louise Joor et Augustin Lebon au festival Quai des bulles pour les rencontrer afin d’évoquer leur première collaboration sur Le Grand Migrateur pour les éditions Rue de Sèvres. Et tant que nous y étions, nous avons également évoqué le nouveau titre d’Augustin, Western Love, paru aux éditions Soleil.
Bonjour Louise et Augustin, merci d’avoir accepté de répondre à nos questions ! Commençons par le début, d’où vient l’histoire du Grand Migrateur ? C’est une histoire que vous avez imaginé il y a quelques années, c’est bien ça?
Louise Joor : Oui. Nous sommes en couple dans la vie, et on habite ensemble depuis seize ans maintenant. Lors d’un voyage à Bruges, on a fait comme d’habitude. Dès qu’on est à deux, qu’on marche, comme là tout à l’heure par exemple, on marchait sur la plage, on a fait pareil, on a parlé scénario et voilà. Est née l’histoire d’Odette, qui s’appelait encore Cordette, et d’un grand géant à qui elle devait faire des chaussures parce qu’elle était cordonnière.
Il n’y a pas grand chose à voir avec l’histoire finale en fait ?
Augustin Lebon : La seule chose qui est restée est le lien d’amitié entre un géant et une vieille femme.
LJ : Elle était encore jeune à ce moment là…
AL : Oui, c’est vrai… Entre une petite nana et un très grand géant qui avait déjà un caractère un petit peu, dans notre idée, maladroit, pas très dégourdi, c’était un peu l’idée de départ, mais c’est resté en sommeil pendant au moins dix ans.
LJ : Parce qu’on travaille chacun sur nos projets. C’était vraiment dans un tiroir, on ne pensait pas spécifiquement à ça.
AL : Et en fait c’est le magazine Spirou qui nous a contactés. Je sais plus lequel de nous, peut-être toi ?
LJ : Peut-être moi oui, pour une petite histoire courte et on s’est dit que ça serait bien de le faire, parce qu’on travaille chacun sur nos projets depuis des années.
Vous n’avez jamais travaillé ensemble?
LJ : Non mais on lit toujours chaque étape du travail de l’autre parce que, naturellement, on travaille ensemble. C’est juste qu’il n’y a qu’un seul nom sur la couverture en général. Et qu’il n’y en a qu’un qui décide. Mais on s’est dit qu’on allait officiellement essayer de faire quelque chose à deux. Mais la petite histoire ne semblait pas assez ambitieuse aux yeux de Spirou, il fallait plus.
AL : Ils voulaient un album. On avait envoyé quatre pages, c’était hyper dense, avec un géant, et ils ont voulu faire une histoire longue.
LJ : Voilà. Donc on leur a proposé ça…
AL : Et après cette proposition d’histoire longue, finalement ils nous ont dit que ce serait mieux de la découper en histoire courte. On a donc monté un dossier et c’est là qu’on a vraiment commencé à réfléchir au Grand Migrateur, à faire toute l’histoire…
LJ : Oui, et à avoir quelques retours, pour aiguiller notre histoire. Finalement, c’est chez Rue de Sèvres avec Charlotte Moundlic qu’il y a eu un vrai intérêt, qui s’est conclu par une proposition de contrat. Il y avait vraiment une vision commune de ce qu’on avait envie de faire avec Le Grand Migrateur.
C’est étonnant de pas avoir eu envie de travailler ensemble avant. C’était parce que chacun avait suffisamment de projets ?
AL : On n’en n’avait pas spécialement envie. Enfin, moi je n’avais pas envie de créer des scénarios pour Louise.
LJ : Oui, et moi j’aime bien écrire ma propre histoire. Mais à un moment je me suis un peu essoufflée, quand j’ai fait Neska et que ça a été coupé. J’ai tenté une aventure en solo en financement participatif et j’étais un peu fatiguée de devoir gérer toutes les étapes. J’adore créer des univers, mais recréer un univers alors que je sortais de celui de Neska que je n’avais pas pu déployer comme je voulais… Devoir recréer un univers, j’adore faire ça, mais c’était fatigant de devoir ensuite faire le dessin et la couleur. Alors à ce moment-là, on s’est dit oui, moi ça me faisait du bien à la tête. Entre-temps, il y a eu la demande pour Les Légendaires où c’était aussi un peu récréatif dans le sens où il y avait déjà un univers existant qui me plaisait, je pouvais jouer avec, donc ça c’était vraiment très récréatif. A ce moment-là aussi, on a une vie de famille qui a été un peu chamboulée vu qu’on a eu un enfant, donc c’était bien pour moi de laisser une partie du travail. Voilà, c’était pile le bon moment.
AL : A l’inverse, moi j’ai toujours dix histoires en tête et j’ai du mal à me focaliser sur un album. Donc, pendant que je faisais en entier tout seul Western Love, j’ai fait une pause de deux ou trois mois pour écrire Le Grand Migrateur. C’était super pour avoir une petite récréation et pouvoir un peu voir autre chose. Moi j’aime bien varier.
LJ : Et avant ça tu sortais de quatre tomes de Résilience, que tu faisais aussi tout seul.
AL : Oui. Du coup, Le Grand Migrateur est un one shot, on s’est dit que c’était parfait, un petit test pour voir si on aimait bien travailler ensemble ou pas. En fait, on a eu l’impression que c’était comme d’habitude. C’est à dire que moi, quand j’écrivais le scénario, j’avais l’impression de travailler sur mon album et de demander conseil à Louise. Et quand elle dessinait et me montrait ses planches et son storyboard, elle avait l’impression inverse que c’était son album.
LJ : On se demandait conseil en fait. Et on avait la même vision. C’était facile.
AL : On a fait Le Grand Migrateur sans aucune pression, contrairement aux autres projets habituels.
LJ : Pour moi, les moments de doute c’est souvent au niveau du scénario justement, quand il y a des nœuds dramatiques, des choses qui arrivent, c’est souvent là où j’ai un peu de mal, où ça me demande plus d’efforts. Et là, je n’en avais rien à faire et c’était parfait, je donnais les idées. Donc c’est bien de se donner des idées pour l’univers, c’est facile. Je laissais le scénariste s’en occuper. Par contre, j’ai une facilité à faire du découpage. Et puis ça ne me dérange pas de faire un travail de longue haleine, de faire les planches après la couleur…
AL : Là où moi c’est l’inverse, j’adore les débuts de projet, le marathon après de tenir l’album, c’est un métier formidable. C’est quand même un sacré marathon de faire une bande dessinée, où on reste un an, un an et demi sur le même bouquin. Comme je disais tout à l’heure, j’aime bien varier justement pour éviter ce que j’appelle le ventre mou d’un album, autour de la page 30, quand on a fait quelques-unes et qu’on commence un peu à fatiguer.
Donc c’était concluant. Alors ça vous donne envie d’en faire d’autres ?
LJ : C’est de ça qu’on discutait sur la plage… (rires)
Ah ? Déjà une autre idée ? Un nouveau one-shot ?
AL : Non, c’est en trois tomes qu’on l’envisage.
LJ : Mais comme on a chacun nos projets… Là, moi je travaille sur un diptyque chez Drakoo. Ensuite, j’ai un projet de one shot jeunesse seule. Augustin doit faire la suite de Western Love…
Donc ce sera dans dix ans…
LJ : Non un peu moins, on espère ! (rires)
AL : Dans 3 ou 4 ans…
LJ : On a notre planning et maintenant on attend des éditeurs ou des éditrices qui suivent notre planning et qui sont d’accord pour qu’on le mette comme on veut, dans l’ordre qu’on veut !
Ca a été conçu comme un one shot, mais la fin est ouverte. On pourrait avoir une suite, ou ce n’est pas du tout quelque chose que vous envisagez ?
AL : Ce n’est pas un truc qu’on envisage.
C’est un univers qui est hyper dense, on peut imaginer plein d’autres histoires derrière…
LJ : On voulait que l’univers soit dense et qu’il déborde en fait du cadre de l’histoire, qu’on se dise qu’on ne voit pas certaines parties, mais qu’on sache qu’elles sont là. Et donc ça, c’était voulu. La fin est ouverte parce que c’était dur de clore, tout simplement. On n’envisage pas une suite parce qu’il faudrait avoir une nouvelle petite aventure dans cet univers à raconter et il faudrait qu’on trouve quelque chose qui tient bien tout seul, avec peut-être des nouveaux mystères, des choses comme ça qu’on n’a pas forcément envisagées.
AL : Moi je n’aurais pas envie de refaire la même chose.
LJ : Oui, c’est ça. A mon avis, les gens qui ont beaucoup aimé celui-là se diraient peut-être qu’ils auraient envie de relire la même chose, mais ce n’est pas ça qu’on ferait. Est-ce qu’ils seraient déçus ou pas ? C’est ça le souci…
AL : La fin est devenue ouverte… alors ça va être difficile à expliquer sans spoiler la fin. On s’est sérieusement posé la question. Il y a des films d’animation très beaux avec ce genre de thématiques qui finissent avec un renouveau du monde. Je pense à Princesse Mononoke ou même Vaïana avec une fin où l’île reverdit, où la végétation reprend le pouvoir. C’est très beau en animation, parce qu’on voit les arbres qui poussent, on voit le monde qui revient… En bande dessinée, ça demanderait beaucoup de pages et ça ne serait pas hyper graphique. Et moi, au niveau du scénario, je n’avais pas envie qu’on ait l’impression que le problème était résolu et que la nature fasse “ah comme vous avez réparé vos erreurs, on repousse”. J’avais envie de transmettre l’idée que ça allait être long, que ça allait revivre mais que les erreurs qu’on fait ne se réparent pas en cinq minutes, même si on arrive à corriger le tir. Et donc ça a donné cette fin ouverte mais qui pour moi était fermée. C’est à dire que c’est une fin où il faut de la patience, mais c’est en bonne voie. C’est ça pour moi, le message. Les personnages avaient un arc narratif qui était clôturé et ils avaient vécu leurs aventures.
LJ : Il y a aussi l’aspect, outre le fait que niveau planning on est chacun sur d’autres choses différentes, qu’on doit d’abord finir parce qu’on est engagés. Il n’y a pas d’urgence à faire une suite. Si, dans dix ans, on se dit « ah mais ça, ce serait intéressant d’en parler dans l’univers du Grand Migrateur »… Vu qu’il y a une histoire de patience pour que les choses changent, si on fait quelque chose qui se passe dans dix ans, ça sera peut-être moins décevant que de devoir faire quelque chose qui sera la même chose mais en moins bien.
AL : En fait, ce qui est très compliqué avec les suites, c’est que quand on construit une histoire, il faut, comme tu disais tout à l’heure, des nœuds dramatiques, des vrais conflits à résoudre qui durent toute une histoire. Une fois qu’on a fait une histoire, un tome où on a résolu ce gros conflit, on ne peut pas faire un deuxième tome en tirant juste la pelote du premier conflit, sinon il se passe rien dans le deuxième. Donc il faut tout de suite réinstaller un nouveau conflit. Et ce n’est pas la suite directe, c’est une nouvelle histoire. Là, comme les personnages ont résolu leur quête, il ne faudrait pas faire une suite qui dure cinq pages, il faudrait réinventer quelque chose.
LJ : Ca fonctionne dans les trucs comme Dragon Ball où il y a toujours un ennemi plus puissant quelque part à affronter. Ici il faudrait autre chose à développer, en tout cas pour que ce soit intéressant pour nous et du coup pour les lecteurs et les lectrices. Donc parfois ce n’est pas forcément une bonne idée.
AL : Je préfère qu’on nous dise qu’on a envie que ça continue plutôt que « je suis arrivé à la fin, ça suffit, j’en pouvais plus »… mais c’est un vrai choix. L’éditrice, quand elle a parlé du titre de l’album, de la maquette finie du livre, nous a demandé “Est-ce qu’on met un sous-titre ? Est-ce que vous aurez envie de faire un deuxième ?” On a dit non. C’est vraiment assumé, on voulait faire un one shot.
Alors Augustin, pour Western Love, tu es parti sur combien de tomes?
AL : Trois tomes pour démarrer. Mais c’est une série à l’ancienne, on va dire. Chaque tome est une histoire complète. On pourrait presque lire le deuxième ou le troisième avant le premier, même si on voit toujours les mêmes personnages. L’idée est de lancer une série en essayant de faire plus si on peut faire plus. En tout cas, j’ai trois tomes bouclés pour commencer.
Oui donc ça t’occupe un peu quand même…
AL : Oui, déjà le premier, j’ai mis trois ans à le faire donc… Normalement le deuxième va aller plus vite.
LJ : Tu as déjà bien avancé…
AL : Oui, sur le deuxième j’ai déjà bien avancé. Pour le premier, il y a eu le Covid, on a eu un enfant… je n’étais pas à 100 % dessus.
Et les autres idées de scénarios se cumulent ?
AL : C’est très compliqué pour moi. En fait, je ne dessine pas assez vite…
Tu te sens plus scénariste que dessinateur?
AL : Non, je me sens dessinateur trop lent. Mais j’ai vraiment envie de raconter des histoires. Ce qui est nouveau, c’est que je commence à imaginer des histoires sans mon dessin dessus. C’est grâce à Louise, depuis qu’on a écrit Le Grand Migrateur.
C’était la première fois que quelqu’un d’autre dessinait un de tes scénarios ?
LJ : L’histoire courte avec Mobidic, c’était après ?
AL : Oui, tu étais en train de dessiner Le Grand Migrateur. Mais je l’avais fait sans que ce soit publié, étant très jeune ado. J’avais commencé à écrire des histoires pour d’autres, mais ce n’était pas du tout pro. En tant que pro, oui ça a été Le Grand Migrateur. Et ça m’a plu. Je ne savais pas si écrire une histoire et lâcher prise après me plairait. C’est une question de confiance. Mais comme ça s’est fait avec Louise, c’était hyper agréable pour moi.
LJ : Je suis le galop d’essai. Mais voilà, il y a aussi une histoire de relationnel. Parfois, quand on travaille avec quelqu’un, ce n’est pas comme travailler avec quelqu’un d’autre. Il y a ça à prendre en compte aussi. Et tu aimerais bien développer ça, toi?
AL : Oui, ça m’a plu sur Le Grand Migrateur, donc c’est un truc que j’aimerais bien faire et puis, comme je ne dessine pas assez vite sur mes propres histoires, déléguer à d’autres c’est bien. Et ça me permet d’explorer d’autres univers. La fantasy, ce n’est pas du tout un univers que je connais. Je commence à avoir un bon bagage mais à la base, moi je viens vraiment du western, du polar, des trucs assez réalistes et donc c’était hyper rigolo d’arriver avec mes codes à moi dans des univers plus familiers de Louise et d’essayer d’être un peu à la hauteur de ses bouquins précédents. Parce que, quand on écrit pour quelqu’un qui fait des livres tout seul, c’est différent d’écrire pour une dessinatrice qui a toujours travaillé avec des scénaristes. Elle a déjà un lectorat. Ce n’est pas Zep, mais elle a déjà un lectorat.
LJ : Il y a aussi le fait que, comme on se connaît très bien, tu ne t’infiltrais pas vraiment dans mon écriture, mais tu savais déjà la thématique et l’univers, et ce que j’aimerais dessiner ou non.
Tu n’es pas revenue sur le scénario du tout ? Tu as réussi à t’en détacher ?
LJ : En fait, je suis revenu autant qu’à chaque scénario qu’Augustin fait, c’est à dire que j’ai donné mon avis de manière objective. Si on me présente ce scénario, que je dois le dessiner, je peux dire que ce serait mieux ou que ce serait plus fort si on essayait ça ou çà. Il faut trouver quelque chose, on trouve quelque chose. En gros, c’était plutôt un travail de voir là où ça ne collait pas. Mais je ne suis pas revenue tant que ça, c’était des petites choses… Des petits huilages de boulons.
Comme n’importe quel dessinateur qui parle à n’importe quel scénariste…
LJ : Oui, c’est ça. Si on me demande mon avis dessus.
AL : Là on discutait d’un autre projet, c’est pareil, c’est une conversation. On ne peut pas dire à la fin d’où vient l’idée. J’écris le scénario, ça devient mon scénario et c’est moi qui écris les dialogues, mais avant ça, sur la recherche d’idées et le comment on construit les personnages, on ne peut pas dire qui a eu quelle idée.
LJ : Non, c’est toujours de la discussion.
On sent bien qu’il y a aussi tes idées dans l’histoire, Louise…
LJ : Comme on partage depuis qu’on est ensemble, moi j’élargis ma culture western, polar et autres, et Augustin sa culture fantasy et science-fiction, du coup ça fait qu’on a une culture commune à partir de laquelle on peut discuter. Par exemple, quand on discute scénario, on peut dire que ce serait intéressant d’aller vers quelque chose comme ça, comme telle personne fait dans telle fiction. Donc c’est facile en fait, parce qu’on a les mêmes références.
AL : Oui, et puis après il y a des goûts que moi je ne partage pas forcément, mais je sais que Louise oui. Ca nous est arrivé de visiter des aquariums ensemble, je sais que Louise adore les méduses. A un moment, je cherchais une forêt bizarre. Je lui ai dit « des méduses dans les arbres, ça t’intéresse ? »
LJ : J’ai dit oui !
AL : Du coup moi, à écrire, ça ne me demande pas d’effort. C’est tout l’inverse d’être dessinateur de son propre scénario. Quand on écrit pour soi, on veut des choses qui nous plaisent à dessiner. Alors que quand on écrit pour les autres, on veut que ça plaise aux autres. A écrire, c’est facile. Écrire une forêt avec des méduses dedans, c’est facile. Si moi je n’ai pas envie de le dessiner, mais que Louise en a envie, ça ne pose pas de problème.
LJ : Et moi ça me fera vibrer.
AL : Après quand on est sur la planche et qu’il faut mettre tout l’énergie du dessin dans ça, c’est autre chose d’écrire des choses qui nous plaisent pas trop. Louise est branchée par les fonds marins…
LJ : Et les dinosaures !
AL : Et les dinosaures, voilà. Moi comme je viens du western et qu’on faisait un truc avec du voyage, je voulais des chevaux entre guillemets. Il fallait un truc à chevaucher. Et donc voilà, il fallait réfléchir. Donc, on pense aux bipèdes, genre autruches et tout ce qu’il y a dans Star Wars, dans La Quête de l’oiseau du temps. Et là avec Louise c’est venu assez vite. Des dinosaures ! L’air de rien, ça a créé un truc complètement différent de la fantasy, on ne s’en est pas vraiment rendu compte. C’est venu assez naturellement, plein de gens nous disent c’est trop bien d’avoir mis des dinosaures. Il y a des gens qui achètent le livre juste parce qu’il y a un dinosaure sur la couverture. Mais nous on l’a fait très naturellement, très naïvement.
LJ : C’est vrai que tu as un moment pensé à un voyage avec des chariots. Moi je sortais des Légendaires où il y a toute une troupe de cirque avec plein de chariots, etc. Et donc j’ai dit “non, non, je veux des stégosaures”. Et il a dit “Mais comment est-ce qu’on va mettre nos bagages sur les stégosaures?” Je lui ai dit “ne t’inquiète pas, on mettra des bagages sur les stégosaures.”
AL : Et donc notre grande discussion de scénaristes c’était “j’ai besoin de ça, alors on va mettre quel dinosaure?” On regardait la liste des dinosaures sur Google et puis on se disait “ah, celui-là est pas mal.” C’était hyper amusant.
LJ : En plus, on en a eu tardivement l’idée de demander à un ami qui normalement est coloriste de faire la carte du monde du Grand Migrateur parce que c’est un de ses hobbies de faire des cartes de monde qui n’existent pas, de mondes imaginaires. Et c’était très chouette parce que ça participait encore plus à l’univers. Nous, ça nous a éclatés. Tu t’es même dit que tu aurais aimé avoir la carte avant.
AL : Oui, parce que ça donnait envie d’explorer des régions comme ça. C’est limite ce qui m’a le plus donné envie de faire une suite en voyant la carte. Il a fait des îles, alors qu’on n’en a pas du tout parlé dans l’histoire. Et puis il a donné un nom : l’Île des trois reines ou je sais pas quoi. Ca m’a intrigué, je me suis dit qu’il se passait quelque chose.
LJ : Tout ça était vraiment du pur bonheur.
Tout s’est fait naturellement ?
LJ : C’était tellement des vacances, des vacances rémunérées et avec de l’effort. Mais c’était tellement agréable.
Et tu arrives à passer de ça au western ? Sans te dire “ah mince j’ai mis un dinosaure là! “
AL : Sur Western Love et sur mes bouquins à moi, c’est pareil, je fais la même chose. J’ai écrit le scénario en entier, mais j’ai fait le découpage en entier. Et donc, quand j’ai écrit le scénario du Grand Migrateur, j’étais au milieu du tome 1 de Western Love, dans l’étape où je dessine. Je n’avais pas deux scénarios à faire en même temps, parce que ça c’est compliqué pour moi, quand je suis sur un scénario je focalise. Alors que par contre, comme je disais tout à l’heure, quand je suis dans le marathon du dessin et qu’il faut crayonner tous les jours, comme j’ai un dessin assez laborieux, ce n’est pas facile pour moi de faire des planches. J’adore l’encrage quand tout se termine, mais quand je dois commencer un crayonné, c’est assez compliqué. Comme mon cerveau a tendance à s’évader, à aller voir autre chose, me mettre en pause et me dire « je me prends deux mois, j’écris Le Grand Migrateur », c’est une vraie récréation et j’ai le temps d’accumuler un peu de frustration de dessinateur quand je reviens sur mes planches. Du coup, je repars comme en début d’album, ça me fait plaisir de dessiner. Donc c’est tout l’inverse, c’est comme ça. Moi ça me fait du bien.
Qu’est-ce que tu as pris comme modèle? Tu disais qu’il y avait beaucoup de références pour les scénarios. Tu as des modèles pour ce genre de western?
AL : Western Love, c’est un mélange entre les western spaghetti, l’imagerie des années 70, notamment Sergio Leone et un peu les western parodiques comme Mon nom est personne, Trinita, ce genre de choses, et les comédies romantiques style Coup de foudre à Notting Hill, assez british, avec des répliques, des voix off toujours assez drôles, très cinglantes.
Ah oui, c’est complétement différent !
AL : Oui c’est vrai, sur le papier ça ne marche pas. Mais c’est comme ça que je l’ai vendu à mon éditeur. Et il a trouvé ça tout de suite très bien.
LJ : Il avait la même vision. Il a compris.
AL : C’était l’idée. Parce qu’en fait, le western, j’adore. J’ai un truc avec les couleurs, l’ambiance. Je ne sais pas expliquer ce qui m’a frappé depuis que je suis gamin. Je suis fasciné par les westerns mais, en tant qu’adulte, j’en ai un peu marre des westerns toujours sombres, pessimistes sur l’humanité, avec des grosses brutes qui se tapent dessus et ça ne va pas plus loin. Le côté celui qui qui pisse le plus loin ne me fait plus trop marrer en tant qu’adulte. Aller vers des comédies romantiques, mettre du sentiment dans cet univers qui est souvent hyper viril, ça m’amusait beaucoup. Et les retours que j’ai, c’est que c’est assez frais au niveau du genre. Mais c’est pareil, les comédies romantiques, c’est un truc que je me suis vraiment mis à regarder avec Louise.
LJ : Il y a aussi l’aspect où toi, même dans Le Révérend, où ce n’est pas toi qui faisait le scénario, ou dans Résilience, la thématique du couple est quelque chose qui t’intéresse beaucoup et que tu ne te permettais pas avant. Parce que justement, écrire des sentiments, écrire des histoires d’amour, c’est pas justement un truc dont tu avais l’habitude.
AL : Ce n’était pas dans mon bagage culturel, je n’avais pas de références par rapport à ça. Je suis très western et aussi les films d’action des années 90, Die Hard et les trucs comme ça assez bourrins. Dans Le Révérend, je me souviens que dans le tome 2 j’ai bataillé avec le scénariste pour qu’il mette une page où le couple s’embrasse et se fait un câlin, parce qu’on ne voyait pas que c’était un couple sinon. Sinon ça lui n’était pas venu à l’idée, c’était un couple qui se disputait un peu tout le temps. Et donc Western Love vient un peu de là, c’est un peu ma sensibilité aussi.
Pour revenir sur Le Grand Migrateur, le personnage principal est toujours une femme. Ca a tout de suite été pensé comme ça ?
LJ : Ca datait de l’idée qu’on a eu à Bruges. Mais il y a des choses qui se sont ajoutées sur le personnage. Anne Sylvestre, Robin Hobb, on a des références qui sont venues après. En fait, Robin Hobb, on l’a lue après Bruges je pense. Elle fait énormément de personnages féminins et masculins qui sont tous très très bien. Pour Anne Sylvestre, ce sont ses chansons pour adultes qu’on ne connaissait pas du tout, qu’on a découvert il y a quelques années maintenant et qui ont en partie nourri le personnage d’Odette.
AL : Oui, surtout une chanson qui s’appelle L’Histoire de Jeanne-Marie. C’est un peu tordu ce que je vais vous raconter mais elle a écrit cette histoire en réaction à une chanson de Brassens qui s’appelle Don Juan. C’est un Don Juan qui est bien sympathique puisqu’il accepte de coucher avec une nana par charité, parce que personne ne veut d’elle. Hyper misogyne comme chanson. Brassens a écrit de super chansons, mais celle-là pas du tout. Et donc elle a écrit une chanson qui dit en gros que de ne pas être belle ne l’empêchera pas d’exister, ce n’est pas parce qu’elle n’appartient à personne qu’elle n’existe pas toute seule. C’est resté ancré dans le personnage d’Odette et ça s’est mélangé avec les princesses. Ces histoires de princesses, c’est une influence qu’on partage tous les deux de notre enfance avec les Disney. Moi j’adore les princesses, c’est pas commun pour les mecs, mais voilà. Et du coup je raconte l’histoire d’une vieille princesse. On a eu l’idée de mettre un flashback sur Odette, qu’elle soit jeune et qu’on la voit vraiment princesse un peu Disney plus jeune. J’ai adoré ce passage quand Louise l’a dessiné, je trouve ça très cool.
LJ : Je me suis inspirée de Jasmine parce que j’adore Jasmine dans Aladdin.
AL : Aladdin et Le Roi Lion, ce sont mes deux Disney d’enfance.
LJ : Les princesses, c’est important aussi. Tout ça s’est mixé, avec des personnages de Robin Hobb qui sont ceux qui n’ont pas besoin d’autres personnages pour exister. Anne Sylvestre a longtemps été comparée ou appelée la Brassens en jupon alors qu’il n’y a rien de comparable en fait dans ses chansons. Elle était en avance sur son temps dans ce thème qui aborde tout ce qui est féminisme aujourd’hui. C’est dingue à découvrir seulement il y a quelques années et de se dire « ah ouais ok, elle avait tout compris, elle avait tout vulgarisé dans ses chansons en fait ».
Pourquoi cette pagination au début de l’histoire ? Pourquoi quatre pages? Puis les remerciements, puis le titre et ensuite l’histoire. Ce n’est pas une partie qui se passe bien avant, c’est en continuité. Donc pourquoi ce découpage là?
AL :C’est l’éditrice qui nous a proposé l’idée.
LJ : En fait, la pagination de l’album a fait qu’on avait pas mal de pages en plus. Comme c’était un 62 pages, ça qui permettait de faire un cahier graphique à la fin, ce qui était très chouette. L’éditrice nous a proposé l’idée de couper et de mettre le titre après, un peu à la manière du cinéma. On s’est dit pourquoi pas?
AL : Après coup, je ne sais pas si c’est la meilleure idée du monde.
LJ : Je sais pas non plus.
Ce n’était pas prévu du début ?
AL : Non, c’est venu après.
LJ : Dans le découpage, il y déjà un peu cette idée-là. En haut de la page 5, qui n’était pas la page 5 dans l’album au départ, j’ai mis le titre au dessus du plan de la ville avec la voix off d’Odette qui commence. Peut-être qu’elle s’est dit que faire une coupure avant ce titre serait intéressant.
AL : Je me demande si nous on n’avait pas proposé ça. En fait, il y a Le Grand Migrateur qui se réveille dans les trois premières pages de l’album. Et là, il y a une vraie coupure parce que ça finit sur une case où elle dit “ils sont de retour”, un truc comme ça. On a proposé de mettre le titre là. Et puis après il y a eu cette discussion sur la voix off.
LJ : Il y a eu des discussions et on a fait en fonction du matériel qui était un cahier supplémentaire, Donc c’était plus des questions liées à ça.
Petit question sur Les Légendaires. C’est un univers à part entière mais on retrouve clairement ta patte dans le dessin ou même l’histoire. Comment as-tu réussi à t’intégrer aussi facilement dans un univers comme ça ?
LJ : Ce qui est chouette avec Les Légendaires, c’est que ça emprunte énormément à l’univers du manga. Je suis de la génération où le manga est arrivé en France et en Belgique, je me souviens que le premier manga que j’ai lu était Ranma ½ quand j’avais 6/7 ans. Ce qui était super avec Les Légendaires, outre le fait que j’ai découvert la série, que je l’ai lue, que je l’ai appréciée, c’est que je me suis dit j’allais pouvoir me permettre de faire plein de choses avec des codes manga et de pouvoir encore plus assumer ce côté-là de mon dessin que je me permettais pas forcément avant. Du coup, ça a été une vraie libération pour ça. En plus, c’était chouette parce que je me suis fondue au niveau de l’histoire, j’ai trouvé une petite histoire qui me plaisait, annexe, avec un personnage qui me plaisait, qui était Toopie et j’ai pu inventer des bestioles. C’était super aussi de pouvoir faire un personnage avec les cheveux violets, j’en ai fait un avec des moustaches bleues. C’était fantastique. J’étais hyper heureuse de pouvoir aller dans une exagération qui était propre au manga. Ça m’a permis d’exagérer certaines choses dans mon dessin, de tordre un petit peu mon dessin en exagérant certains aspects et ça m’a libéré après en partie pour Le Grand Migrateur. Le passage par Les Légendaires m’a vraiment libérée ce côté là, je me suis fait plaisir. Et ça a été un jalon hyper positif qui m’a permis d’exprimer une partie de mon dessin et de moi qui était là et qui ne demandait qu’à être exprimé, et qui va me servir par la suite. Chez Drakoo, je retourne vers un dessin un peu plus proche de Neska et Kanopé, mais par la suite, pour d’autres histoires, je vais continuer d’aller un peu dans ce filon là, ça va être super chouette.
AL : Patrick Sobral t’a pas mal aidée aussi. C’était des coups de téléphone passionnés sur son univers…
LJ : Oui, il a été vraiment super parce que je me suis pas senti enfermée dans son univers, souvent il rebondissait sur mes propositions pour l’associer de manière encore plus cohérente à son univers, parce que lui le connaît très très bien évidemment. Moi j’avais tout lu mais lui a une connaissance, même au-delà des albums, de l’univers en général. Et donc il rebondissait sur tout. Tous ses ajouts étaient toujours bienvenus et je me suis jamais sentie restreinte. Au contraire, ça ajoutait toujours quelque chose de bien, de positif, qui raccrochait avec l’univers. Donc c’était très très agréable et très rassurant pour moi parce que je savais que j’étais dans les clous de l’univers et en même temps je n’avais pas de doute, tout ne reposait pas sur mes épaules. J’étais en mode « OK, si c’est validé, c’est que ça va ». C’est vraiment chouette et c’était parfait pour cette période où j’ai laissé chevaucher travail et grossesse, ce qui n’est pas toujours facile. Le fait est que, pour l’univers des Légendaires, l’éditeur est un certain Thierry Joor qui se trouve être de ma famille et je n’ai pas du dire à mon éditeur pause maternité. J’ai été très responsable dans le sens où tout le travail a été fait dans le temps qui était prévu, tout a été bien agencé, je n’ai pas fait faux bond ni à l’éditeur, ni à Patrick Sobral. J’étais très responsable, mais je n’ai pas dû me justifier. Je n’ai pas eu de craintes pour une perte de travail ou quelque chose. C’était beaucoup plus stable. Voilà, c’était pile poil au bon moment dans le planning. On n’en parle pas souvent de la famille chez les auteurs de BD. Et encore, entre Belgique et France, c’est un peu différent, mais voilà, pour les congés maternité c’est un peu compliqué parfois mais là ça s’est très bien passé.
Du coup une autre question pour toi Louise, mais c’est plus une question de fan on va dire… Neska, du coup, j’imagine que c’est toujours dans un coin de ta tête de finir.
LJ : Alors Neska, c’est le projet où évidemment j’ai des regrets, parce que ça s’est coupé sans que j’aie pu le finir. L’univers existe toujours. A un moment, j’ai relu ce que j’avais publié sur mon blog, je voulais regarder quelque chose. Au final, j’ai tout relu et je me suis que c’était chouette quand même, j’aurais bien continué… C’est un peu le projet où si, un jour, il y a une possibilité de rachat de droits et la possibilité qu »un éditeur ou une éditrice me fasse confiance pour faire un minimum de quatre tomes qui sont ce dont j’avais besoin pour faire mon histoire… A la base, c’était quatre tomes d’une histoire qui se passait après les deux pour lequel j’ai signé, qui n’existaient pas en fait. Donc ça s’est fait un peu de manière bizarre. Je ne referais pas pareil aujourd’hui.
AL : En fait, Delcourt t’a proposé de faire deux tomes, toi tu as dit quatre, et ils t’ont dit d’en faire deux qui se passent avant….
LJ : Oui, et si ça fonctionnait on faisait les quatre autres.
AL : Donc Louise n’a jamais raconté les quatre tomes qu’elle voulait raconter.
LJ : Le premier ne s’est pas si mal vendu mais les attentes de Delcourt n’ont pas été remplies. Donc voilà, c’est un choix que je peux comprendre au niveau éditorial. Si un jour, dans cinq ans, dix ans, on me dit « ça pourrait se faire avec tel éditeur ou telle éditrice qui serait intéressé »… C’est rigolo parce que, à la base, Rue de Sèvres aurait pu être intéressé par Neska, mais ils développaient une histoire qui lui ressemblait un peu trop et ils n’avaient pas envie de vendre les deux projets en même temps. Et du coup, ils m’ont dit non à cette époque-là. Donc voilà, je ne sais pas si un jour ça pourrait intéresser de développer enfin ces quatre tomes, mais je ne serais pas contre. Peut-être d’ailleurs que le recul nécessaire fera que ce sera encore meilleur, peut-être plus dense. En tout cas, je serai plus sûre de mes appuis aujourd’hui pour faire ces quatre tomes avec de l’assurance auprès de l’éditeur ou de l’éditrice. Donc peut-être un jour…
AL : Mais tu as quand même tout tenté.
LJ : Oui au niveau personnel, j’ai tout tenté, mais j’ai vu que ce n’était pas gérable. Je sais que le crowfunding n’était pas une option non plus, parce qu’il y a une telle masse de travail derrière… Aujourd’hui je ne peux plus. Mais c’est un projet où tout existe. Si un jour j’ai un feu vert qui me permet de le faire dans les conditions où je peux le faire, avec mes ambitions, je serais partante.
AL : Il y a beaucoup d’auteurs qui ont des projets comme celui-là qui traînent dans leurs valises.
LJ : Alors on verra. Si je trouve l’éditeur qui a la sensibilité et qui se dit qu’éditorialement ce ne serait pas un fiasco de relancer une série… C’est pour ça que c’est compliqué de vendre ce projet auprès des libraires, auprès des lecteurs et lectrices.
AL : En fait, l’erreur de Neska est de ne pas avoir fait ces quatre tomes que tu voulais faire. Aujourd’hui, quand on a nos projets, si on ne trouve pas l’éditeur qui veux faire ce qu’on propose, on le met de côté, on en propose un autre. Parce qu’aujourd’hui on en a plusieurs en réserve.
LJ : On sait que si l’éditeur aime le projet, il fera en sorte que ça se fasse. Au départ, l’éditeur de Neska était Grégoire Seguin et lui était motivé par le projet. Guy Delcourt y croyait un peu au début mais n’était pas assez à 100% pour se lancer sur quatre tomes, j’étais plus jeune autrice que je ne le suis aujourd’hui. Donc voilà, aujourd’hui ça se ferait différemment. Mais on sait aujourd’hui, quand on a quelque chose, un projet avec des choses précises, que ça le mérite, qu’il faut trouver la personne qui va être d’accord avec ça.
AL : C’est compliqué parce qu’on sait, d’expérience, que si personne ne veut d’un projet, ils le mettent de côté. Cinq ans plus tard, tu peux proposer exactement le même dossier à la virgule près, et avoir trois éditeurs intéressés.
LJ : C’est pareil pour toi avec Western Love, c’est vraiment Jean Wacquet qui a compris ce que tu voulais faire.
En gros, il faut vraiment tomber sur la bonne personne…
AL : Oui, il y a tellement de rouages dans une maison d’édition… On commence à avoir un peu de bouteille. Il y a tellement de personnes qui travaillent sur un livre que, pour qu’il soit bien défendu au bout de la chaîne quand il sort, si l’éditeur en tout premier lieu n’est pas à 100% motivé, qu’il ne va pas donner la confiance aux autres de trouver que le projet est déjà un peu intéressant en interne avant qu’il sorte, quand on arrive au bout de la chaine ça se dilue et à la fin ils sortent en librairie mais sans promo dessus.
LJ : Il y a une chance infinitésimale pour que ce soit les lecteurs et les lectrices qui fassent qu’au bout de cette chaîne où tout le monde s’en fichait, il se passe quelque chose. Mais c’est compliqué, c’est très compliqué. C’est vrai que là, que ce soit pour Le Grand Migrateur ou pour Western Love, il y avait au moins un intérêt quelque part.
AL : Oui et même beaucoup d’enthousiasme dès le départ. Les projets ont été hyper bien accueillis dès le début.
LJ : Oui, c’était très très très très agréable. Et puis même pour tenir le marathon dessus c’est plus agréable !
Combien de temps vous avez mis pour faire Le Grand Migrateur ?
LJ : Toi tu as scénarisé plus ou moins deux mois dessus. Et moi j’ai dû travailler au moins un an. Je dirais donc un peu moins d’un an et demi, je pense…
AL : Par exemple, tout à l’heure, quand on parlait d’un projet sur la plage, on ne compte pas ça dans les heures de travail. Et pourtant, dans l’écriture du scénario, ce sont ces discussions qui apportent le plus. Moi, je mets deux mois pour écrire un scénario. Mais en réalité, il y a quatre, cinq, dix ans, qu’il y a un truc qui mûrit dans la tête.
LJ : Sur Les Légendaires, on discutait déjà du Grand Migrateur.
Tu ne peux pas vraiment te lancer sur le scénario du jour au lendemain.
AL : Sur une série, c’est un peu plus possible parce qu’on finit son tome et puis on se dit ok, tome suivant, on a déjà un background. On a une vague idée, on peut un peu rebondir. Mais en général, il faut quand même un temps de maturation. Moi je ne crois pas trop à la spontanéité des scénarios, à l’improvisation. Je trouve que les scénarios ont besoin d’être un peu maltraités dans le cerveau pour que ça ait un peu d’intérêt.
Pour voir ce qui peut marcher ou pas…
AL : Ouais, voilà. Ne serait-ce que de tisser des liens entre les différentes étapes du scénario. Quand on improvise, il y a des choses bien qui sortent, mais pas forcément…
LJ : C’est vrai là, par exemple, le projet auquel on réfléchissait sur la plage, on y réfléchit depuis longtemps maintenant. Plus d’un an, par petits bouts, comme ça, et il y a des choses qu’on trouve super intéressantes. Et c’est juste le temps de l’avoir laissé mûrir qui fait que ça va être meilleur. Et c’est ça qui est chouette aujourd’hui, d’être un petit peu installés dans le milieu et d’avoir des projets en cours. Ça permet justement de reposer les choses. Quand j’ai eu Neska qui a été interrompu d’un coup, je n’avais pas de cartouches. Et pondre quelque chose comme ça, c’est compliqué. Donc là, je me suis sentie un peu démunie. Alors que là, maintenant on sait qu’on va mûrir des choses… Bon du coup on doit attendre. Mais ça a du positif aussi.
Et du coup, chez Drakoo, ça sera quoi alors?
LJ : Je ne sais pas à quel point je peux en parler, mais ça va être un diptyque. Je pense que je peux dire les grandes lignes, je n’ai pas reçu de consignes encore. Ça va être un diptyque dans l’univers de Peter Pan. Avec un jeune scénariste par la carrière, pas forcément par l’âge car il était instituteur. Il a fait un chouette scénario en deux tomes qui me plaisait bien. En général, quand d’autres scénaristes m’envoient des choses, je n’accroche jamais. Et là je l’ai lu en n’y croyant pas trop et c’est chouette, c’est sympa, je me verrais bien le dessiner. Je l’ai fait lire à Augustin et effectivement c’est très sympa, très agréable et je crois que ça sera ses premiers albums publiés, c’est très agréable aussi comme collaboration. Ça me permet de ne pas gérer tout l’aspect scénaristique et même de très peu m’impliquer dans l’univers parce que c’est un univers qui existe déjà. Ca me permet de tester aussi des choses au niveau technique, je vais mettre un peu d’encre dans mon dessin là où je suis toujours au crayon d’habitude.
C’est quelqu’un que tu ne connaissais pas du tout, alors ?
LJ : Pas du tout, c’est quelqu’un qui m’a contactée via Facebook en me disant qu’il avait déjà fait faire des tests chez Drakoo avec d’autres dessinateurs et dessinatrices, mais qui n’avaient pas fonctionné au final. Donc on a fait un test et ça a plu à l’éditeur, à Christophe Arleston aussi. Et voilà, ça s’est fait un peu comme ça.
AL : On avait proposé Le Grand Migrateur chez Drakoo. On était en discussion avec Christophe Arleston mais finalement ça ne s’est pas fait. On a donc fait Le Grand Migrateur chez Rue de Sèvres et après Louise s’y met. Donc là elle a quelques années de travail devant elle.
LJ : Disons qu’au moment où on discutait de tout ça, on a signé Le Grand Migrateur chez Rue de Sèvres, juste avant que je signe chez Drakoo. tout s’est chevauché, mais on a dit priorité au Grand Migrateur et c’était très bien comme ça. Là je suis en train de finir le noir et blanc du premier tome et je vais enchainer tout de suite sur le deuxième, les deux, je pense, sortiront courant 2024-2025.
Quelle est la façon de travailler avec quelqu’un que tu ne connais pas ?
LJ : Ce qui était rigolo, c’est que, en fait, je suis plus jeune que lui, mais lui est nouveau dans le métier. Du coup, c’était chouette parce que j’avais une certaine assurance qui fait que je pouvais justement souligner certains endroits en disant « ah là peut-être… » Et encore, Christophe l’avait déjà beaucoup épaulé pour que ce soit bien, donc je n’ai pas eu grand chose à dire.
AL : Tu avais eu le scénario en entier.
LJ : Oui. J’ai eu le scénario en entier qui avait déjà été travaillé avec l’éditeur. Et c’est très chouette parce qu’il est hyper enthousiaste. Il voit son histoire prendre forme en dessin et il a l’enthousiasme du premier album, donc c’est très agréable. J’essaie de ne pas le décevoir du coup. Je m’amuse et j’essaye que ça soit à la hauteur de ce qu’il aimerait bien. Pour l’instant, j’ai l’impression que oui, parce qu’il est très très enthousiaste et ça se passe très bien. Il a de temps en temps une petite remarque, Christophe Arleston aussi, mais ça se passe vraiment très bien, je trouve. Les principales remarques ont été faites au découpage et encore, ce sont des petites remarques donc ça se passe vraiment tranquille. Moi j’ai l’assurance et en même temps c’est agréable, il y a des bons retours. Quand il y a des petites choses à changer, je les change. C’est très souvent pour un mieux. Donc voilà, ils me font confiance pour produire quelque chose de la qualité qu’ils veulent. Voilà, voilà, j’espère que je ne me ferai pas assassiner pour avoir divulgué des informations ! (rires)
Merci beaucoup Louise et Augustin du temps que vous avez pu nous accorder pour cet échange des plus intéressants !
Propos recueillis par Laëtitia Lassalle et Arnaud Gueury
Interview réalisée le 27 octobre 2023
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