Ancien dessinateur parfois malmené de Spirou et Fantasio, José Luis Munuera vole aujourd’hui de ses propres ailes et s’est fait une place d’auteur complet et respecté dans le journal Spirou. Il a impressionné en solo avec sa série Les Campbell, histoire bien ficelée d’un pirate et de sa famille. Actuellement, il surprend encore en développant le personnage de Zorglub dans une série à part. Une volonté de rester attaché à l’univers de Spirou et Fantasio ? Pas tout à fait, comme il nous l’a expliqué à Angoulême.
Bonjour José Luis. On vous a longtemps connu en tandem avec Jean-David Morvan, notamment sur Spirou et Fantasio. On vous connaît maintenant en tant que scénariste et dessinateur. C’était une volonté d’être plus libre ?
Non, c’est un concours de circonstances qui a abouti à cela. Grâce notamment à la série Les Campbell, que j’ai animée dans le journal Spirou à la demande du rédacteur en chef, Frédéric Niffle, qui m’a commandé une histoire de pirates. Donc j’ai commencé à écrire et à prendre mes marques en tant que scénariste. Surtout, ça m’a laissé l’opportunité de découvrir qu’effectivement j’avais des choses à dire et que j’avais une façon particulière de le dire, qui m’est propre.
Vous n’osiez pas écrire de scénarios avant ?
Je n’y avais même pas pensé, tellement j’étais pris dans la boucle infernale : faire des albums les uns à la suite des autres… Donc je n’y avais pas vraiment réfléchi sérieusement et c’est en cours de route que ça s’est fait comme ça. Maintenant c’est compliqué de faire marche arrière. La vérité, c’est qu’être à la fois scénariste et dessinateur, ça permet d’aboutir à des albums très cohérents, plus cohérents par définition…
Donc ce serait difficile de travailler avec un scénariste maintenant ?
Ce n’est pas impossible, j’aime bien les collaborations donc pourquoi pas, mais c’est vrai que je deviens de plus en plus exigeant…
Et le côté indépendant, c’est bien aussi…
Exact. Mais c’est angoissant car tu es tout seul à faire ta bande dessinée ! Le seul responsable, le seul maître. Et du coup ça m’angoisse beaucoup. Mais en tout cas, le résultat est beaucoup plus plaisant.
Je suppose qu’on n’est pas forcément tout seul tout le temps, on peut aussi demander conseil à des amis…
Bien sûr, mais tu restes seul à la fin. Ce n’est pas comme quand tu travailles en collaboration avec quelqu’un d’autre.
Les Campbell vous ont permis de faire vos preuves en terme de scénario. Pourquoi vouloir reprendre Zorglub, revenir à lui ?
Parce que de tout le catalogue de personnages de l’univers de Spirou, c’est celui qui m’a toujours le plus interpellé, en tant que lecteur et en tant que dessinateur de Spirou et Fantasio aussi. Je sentais que dans ce personnage, il y avait un côté tendre et humain sous-jacent qu’il fallait exploiter, rechercher. Ça vient de là.
L’idée était aussi de ne pas non plus totalement abandonner l’univers de Spirou ?
Hum, disons que je pense que c’est le ton de Spirou et Fantasio, la comédie d’aventure qui est propre aux aventures de Spirou et Fantasio, que moi j’ai aimées en tant que lecteur. Mais l’univers en lui-même, non. Ça ne m’intéresse pas de faire des clins d’œil aux anciens albums, etc. Au contraire. L’idée était de partir de zéro ou presque, avec un personnage déjà établi donc qu’on n’a pas à expliquer, à présenter au public. En profitant de cette synergie qui s’est créée par le fait qu’il ait été le méchant dans les aventures de Spirou et Fantasio mais sans y faire référence. Histoire que les nouveaux lecteurs puissent arriver sans avoir besoin de se taper 50 albums pour comprendre (rires).
Justement, on sent que les deux premiers tomes sont très imaginatifs, que vous vous êtes amusé à les faire. Est-ce dû à une liberté de création qu’on n’a pas dans la série classique, par exemple ?
J’ai une liberté incroyable dans tout le processus de Zorglub, incroyable ! Ils m’ont vraiment laissé carte blanche. C’est moi qui ai proposé le dossier chez Dupuis. Au départ, ils l’ont évoqué, ce n’était pas sûr mais, finalement, ils l’ont accepté et à partir de ce moment, mon éditrice, Laurence Van Tricht, me laisse carte blanche, est là pour répondre à mes questions, pour m’aider si je bloque sur quelque chose mais je suis totalement libre. Et ça, on ne l’a pas vécu comme ça sur Spirou…
Ce n’est pas du tout le même contexte, oui… On a l’impression que vous vous amusez dans Zorglub des critiques qui disent qu’on tire sur la corde de Spirou… Après les one-shots, déjà, les séries dérivées, maintenant… Est-ce que vous comprenez quand même un petit peu qu’on puisse dire ça ?
Absolument ! Absolument, c’est pour ça que je le dis dès la première page ! On va faire ça, si vous voulez jouer le jeu, soyez les bienvenus, on va passer un bon moment ensemble… Mais sinon, on sait quelle est la situation, si vous ne voulez pas, tant pis. C’est juste une déclaration d’intention.
Mais c’est bien, ça met les choses au clair tout de suite ! Et un peu de pression quand même, on imagine ? On se dit qu’il faut peut-être aussi faire taire tous ceux qui vont dire que ce n’est pas bien de « tirer sur la corde ».
Moi, non. Justement, avec Spirou, j’ai appris à supporter ce type de pression. Je sais gérer. Dieu sait qu’il y aura toujours des gens qui n’aimeront pas, qui trouveront justement que c’est un truc marketing qu’on fait pour tirer sur la corde de façon mercantile… Tandis que pour moi, ce n’est pas ça du tout. Ce sont les histoires que je veux raconter, qui s’adressent à un public concret…
Public jeunesse, au départ, ou plutôt tout public ?
Tout public !
Même les fans de Spirou ?
Bien sûr, il ne faut pas les négliger. Au contraire, ils sont bienvenus et j’espère qu’ils s’y retrouveront, si ce n’est pas dans les personnages, au moins dans le ton, dans ce type de comédie que j’essaie de faire. Tout public mais jeunesse, aussi. J’essaie de m’adresser à un public de 13 ans.
Les retours sont bons, on imagine.
Plutôt positifs, oui. Le grand public a plutôt bien accueilli, je crois que les gens ont bien joué le jeu et que les lecteurs ont une expérience de lecture agréable à la sortie de l’album. C’est mon but en tant qu’auteur. Je n’ai pas d’autre objectif que celui de procurer une expérience de lecture satisfaisante.
Vous envisagez d’en faire d’autres ?
Des albums de Zorglub ? Oui, oui, je suis en train de travailler sur le troisième qui s’appelle Lady Z. J’en suis à la moitié, il sortira cette année. On continuera tant qu’on s’amusera et que l’éditeur m’en laissera la possibilité.
Vous dites que l’univers de Spirou ne vous manque pas. Ce n’est donc pas un attachement qui vous pousserait par exemple à faire un one-shot ?
Un Spirou par Munuera? Non. J’en ai déjà fait quatre.
Mais on a bien vu le cheminement inverse puisque Yoann et Vehlmann ont d’abord fait un one-shot…
Moi, je ne me vois pas faire ça. Mais peut-être s’il y a une idée…
Parce que peut-être qu’on se dit que maintenant que vous avez pris votre envol en tant que scénariste, vous pourriez avec le recul avoir des idées pour Spirou.
Peut-être mais je n’y ai même pas réfléchi. Pour moi, Spirou est une étape de mon parcours en tant qu’auteur, on l’a fait dans les conditions dans lesquelles on l’a fait. J’en ai un souvenir positif, ça m’a apporté plus professionnellement et personnellement que ce que moi j’ai apporté à la série en tant qu’auteur…
Même si les critiques étaient quand même plus sur le scénario que sur le dessin…
Oui mais il y avait des critiques sur le dessin… Les critiques, il faut… c’est les états d’âme d’une personne, c’est un lecteur mais on a vendu 250 000 exemplaires du premier album de Spirou et on a continué à très très bien vendre. Le chiffre est énorme. Ok, vingt-cinq critiques par rapport à l’ensemble des ventes, c’est vingt-cinq opinions.
Vous avez lu l’album Champignac ?
Oui, je l’ai lu, effectivement. Je le trouve très bien. Ça s’adresse à un autre public, c’est différent par rapport à Zorglub, ça n’a ni la même ambition ni la même volonté mais je le trouve extrêmement bien fait et très juste.
C’est intéressant parce qu’au départ, on peut tous être un peu sceptiques en se disant : « c’est quoi, toutes ces séries dérivées » mais en fait, on se rend compte que les auteurs font ça très bien, que ce soit vous ou Béka et David Etien. Ça montre quand même que vous êtes plus libres pour faire ces dérivés…
Exact. On a ouvert, Jean-David Morvan et moi… notre parcours sur Spirou a permis d’ouvrir des portes, plus qu’autre chose. Les personnages étaient un peu bloqués. Ça a duré pendant sept ans parce que Tome et Janry n’y allaient plus… Personne n’osait le faire parce que c’était trop lourd… On est arrivé d’une manière un peu inconsciente, presque idiote, on s’est lancé et on a montré qu’on pouvait le faire. Et ce sont les one-shots qui arrivent et puis maintenant les « spin-off ». D’une certaine façon, j’ai ouvert la boîte de Pandore avec Zorglub (rires). Ça montre justement ce qu’on peut faire d’une manière plus personnelle. La preuve : l’album de Champignac n’a rien à voir avec les albums de Zorglub. Ce n’est pas une logique préfabriquée et mécanique : on ne va pas faire des albums comme ça, pour aller choper le public, etc. Non, non, non. Chaque auteur a construit sa propre vision et si l’éditeur la partage…
Est-ce que ça veut dire que ça devient presque impossible de faire un Spirou et Fantasio classique ? C’est si difficile de porter ce passé ? Même Yoann et Fabien Vehlmann font maintenant Supergroom… Ils essaient de faire autre chose.
Spirou et Fantasio, c’est compliqué car il n’y a pas un Spirou et Fantasio canonique. Ce n’est pas comme Blake et Mortimer…
Oui, il n’y a pas un seul style de dessin.
Comme Les Schtroumpfs ou Lucky Luke. Dès que Rob-Vel a quitté la série pour la laisser à Jigé, c’est une série qui a changé, qui n’avait pas de finition très concrète. C’est quoi, le Spirou classique ? Ça veut dire quoi ?
Tout le monde a son avis.
C’est le Spirou de Tome et Janry ? Pour moi, oui, pourquoi pas. C’est le Spirou de Franquin ? Mais quel Franquin ? Le Franquin des années 50, celui des années 60, qui était très différent ?
Ça devient difficile de satisfaire tout le monde…
C’est impossible, par définition ! Il vaut mieux ne pas essayer… parce que c’est impossible.
C’est un peu triste parce qu’on peut se dire que plus personne n’ose s’y attaquer en ce moment.
La série continuera mais ça doit forcément évoluer. Un peu comme James Bond. Maintenant, tu ne peux pas faire un James Bond hyper machiste, comme on l’a fait dans les années 60-70, tu ne peux pas faire un James Bond aussi naïf par rapport aux méchants, etc. Ce n’est pas le contexte narratif. Il faut vraiment évoluer, profiter de l’icône justement pour essayer de tirer les spécificités de ce personnage, de cet univers. Mais il faut absolument faire autrement. Refaire jusqu’à la nausée… pfff, à mon avis, ça n’a pas de sens.
On a l’impression que vous n’avez pas de regrets concernant votre expérience de Spirou, au contraire, ça a plutôt ouvert d’autres portes…
Absolument ! Professionnellement, ça a été géant. Ça a mis un coup de projecteur sur ma triste personne. J’ai appris énormément de choses, entre autres à gérer justement les critiques. Quand on l’a fait, c’était le début des forums, d’internet, etc.
C’est vrai que ça n’a pas aidé.
Ça a été, waouh, super costaud mais il faut savoir vivre avec et il faut apprendre.
On peut dire que vous avez très bien rebondi.
Exactement. Il faut savoir rebondir et il faut, finalement, se poser les bonnes questions : pourquoi est-ce que je fais ça, quelles sont les raisons profondes ? Parce qu’il y a des raisons profondes à faire quelque chose, je pense. Pourquoi est-ce que je fais de la bande dessinée, pourquoi est-ce que je suis un dessinateur tout public de bande dessinée ? Et je le suis. Qu’est-ce que je veux faire avec ? Quelle est ma responsabilité par rapport aux lecteurs et par rapport aux personnages ? Toutes ces questions qui sont bien plus importantes que le fait de savoir si l’album a été plébiscité par certains lecteurs.
Vous avez d’autres projets, hormis Zorglub ?
Il y a des choses qui commencent à se mettre en route mais pour le moment je suis concentré sur la suite.
Et Les Campbell, une suite est possible ?
C’est toujours possible mais ce n’est pas prévu pour le moment.
Donc là, on peut se satisfaire de la fin.
Voilà. Je voulais absolument finir l’histoire et que les lecteurs aient fait un voyage quelque part.
Alors, on suivra alors les aventures de Zorglub. Merci pour ces explications !
Merci à toi.
Propos recueillis par Nicolas Raduget.
Interview réalisée le 24 janvier 2019.
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