Nous avons souhaité rencontrer Edith à Saint-Malo pour son nouvel album Moi, Edin Björnsson, pêcheur suédois au XVIIIe siècle, coureur de jupons et assassiné par un mari jaloux, paru chez Oxymore, le nouveau label BD des éditions Gallimard. Attention, cette interview dévoile de nombreux éléments de l’intrigue, nous vous conseillons de la lire après avoir lu l’album.
Bonjour et merci beaucoup d’avoir accepté de répondre à nos questions. Alors, je ne vais pas vous mentir, je vous découvre avec cet album.
D’accord !
Est-ce que vous pouvez vous présenter pour celles et ceux qui, comme moi, vous découvriraient là, en 2023, avec ce bel album ?
Je m’appelle Edith, c’est mon nom d’auteure, et j’ai déjà une bonne carrière derrière moi. Je ne compte pas mais je dirais une bonne vingtaine d’albums, sans compter les albums illustrés pour la jeunesse. Et puis, là, mon dernier album est sorti le 25 octobre et le titre est très long donc je vais le dire quand même parce que je l’aime bien : Moi, Edin Björnsson, pêcheur suédois au XVIIIe siècle, coureur de jupons et assassiné par un mari jaloux. C’est une expérience narrative qui m’a beaucoup plu.
Je voulais parler un petit peu de Noctambule. Vous avez déjà travaillé avec Clotilde Vu, pour la collection Noctambule. C’était une évidence pour vous, de la suivre, sur ce label, Oxymore ?
Oui. En fait, pour Noctambule, j’ai réalisé l’adaptation d’un roman jeunesse, Le Jardin de minuit et puis j’ai travaillé avec Zidrou pour Emma G. Wildford. Ce nouveau projet-là date un peu, il a été arrêté avec la pandémie et repris cette année, mais à l’époque déjà… Des fois, on sent la connexion, c’est un album pour Noctambule ! Je savais qu’elle allait en faire quelque chose de chouette. Donc je ne me suis pas posé de questions, je suis allée la voir et je lui ai dit que j’avais un nouveau projet, elle m’a dit « je le veux, je le veux ». Et la seule chose que je lui ai dite, c’est :
« Ok mais à une seule condition : tu ne me changes pas un seul mot du titre !
– Bah oui, pourquoi ? Je laisse toujours les auteurs libres de leur choix de titre…
– Oui mais tu n’as pas encore lu le titre !
– Ah oui, effectivement, c’est un peu long !
– Attention, hein, tu ne changes pas une virgule ! »
Donc le titre était connu dès le départ.
Oui, dès le départ. Donc elle m’a dit : « on verra avec le maquettiste pour faire tenir le titre ». Et je trouve qu’ils ont fait un très beau travail.
Est-ce qu’on peut vous demander si c’est une histoire vraie, d’être allée voir une magnétiseuse qui vous a proposé de connaître votre vie antérieure ?
Oui, absolument ! L’histoire vraie, c’est que je suis allée chez une magnétiseuse pour, je le dis dans l’album, des migraines. J’ai essayé pas mal de trucs divers et variés et la pratique du magnétiseur ou de la magnétiseuse a pour elle que ce n’est pas médicamenteux, le magnétiseur ne te touche pas, donc il n’y a pas beaucoup de dangers. Et puis je sais que ça peut avoir des résultats, après on l’explique comme on veut, je ne cherche pas d’explications, auto-persuasion… Je ne sais pas comment ça marche. Enfin, là, pour les migraines, ça n’a absolument rien fait mais, à la fin de la séance, elle me dit :
« Avant de partir, voulez-vous connaître votre totem animal ?
– Oui, d’accord, je veux bien. »
Donc elle est avec son pendule, sur sa table il y avait plein de papiers… Et elle dit, c’est l’ours ! Je me dis « wah, génial, c’est un beau totem animal, l’ours ». J’allais partir et elle me dit : « Est-ce que vous voulez connaître votre vie antérieure ? » Je le dis dans l’album, je n’ai pas d’opinion sur la vie antérieure, ce n’est pas que j’y croie ou que je n’y croie pas, je laisse la porte entrouverte parce que je peux vivre sans avoir d’opinion sur ça. Peut-être que ça existe, peut-être pas. Et ça ne me dérange pas que les gens y croient, ça ne me dérange pas que les gens refusent ça. Je suis très « open ». Mais, par contre, j’étais trop curieuse de voir ce qu’elle allait me raconter (rires) ! Et donc cette dame me dit, textuellement, avec tous ses papiers comme ça, c’était un lutin, elle tournait… D’abord un calendrier avec des chiffres romains : XVIIIe siècle. Ensuite, elle tourne la page, il y avait un planisphère : Suède.
Donc, c’est l’ordre dans lequel vous le racontez dans l’album…
Exactement ! Je le raconte exactement, c’est-à-dire que jusqu’à la page 5 c’est vraiment ça.
Alors c’est l’entièreté des détails que vous avez eus par la magnétiseuse et le reste c’est vous qui avez brodé. Mais, la base, c’est ça ?
C’est ça ! Et, en fait, ce qui s’est passé, c’est que quand j’ai raconté cette histoire à des amis, on en souriait. Mais j’ai une amie qui croit aux vies antérieures et qui m’a dit :
« C’est ta vie antérieure, toi qui voulais créer une histoire, tu l’as !
– Enfin, j’ai sept mots…
– Oui, mais c’est ta vie antérieure ! »
Elle m’a dit « qu’est-ce que tu risques ? Mets-toi devant l’ordi. Et si tu n’arrives pas à l’écrire, tu abandonnes. » Et j’ai adoré imaginer la vie de cette entité – peut-être la mienne, je ne sais pas – avec ces quelques indications.
S’ensuit l’histoire de ce pêcheur suédois au XVIIIe siècle, à la vie plutôt mouvementée, quand même. On va dire que la vie commence plutôt mal pour lui.
Voilà.
J’ai surtout noté un thème qui parcourt vraiment tout l’album, celui de la transmission, de l’ordre de naissance aussi qui est très important, du destin… Par exemple, on ne donne pas cher de la peau de l’Asticot au début, il est trop maigre, il est ci, il est ça, avant d’apprendre plus loin que ça en fait bien le fils de son père, un peu comme si la vie consistait à échapper à son destin mais que le destin nous rattrape quand même. C’est un peu sur ça que vous avez voulu écrire ?
Je pense qu’il y a surtout le thème qui permet ça mais, moi, c’est la première fois que j’écris un scénario donc je n’ai pas de technique, je n’ai pas de choix d’écriture. C’est une écriture assez spontanée, en fait. Par contre, j’aime beaucoup la partie découpage : après avoir toute mon inspiration, j’ai retravaillé, parce que j’adore faire ça, le découpage, la narration, le silence, le rythme… Moi, j’aime bien les choses assez concises, dans mes lectures. Je n’aime pas trop les trucs trop bavards. Donc, à partir de ce que j’avais imaginé, j’ai construit l’histoire pour l’album et je me rends compte que, finalement, il y a des choses qui m’échappent et qui se retrouvent telles que vous le dites. Même à la fin, quand j’avais tout fini, j’ai retrouvé des correspondances entre des images ou des propos… et ce n’était pas maîtrisé. En fait, j’ai mis un indice au début mais, quand je l’ai mis, je n’avais pas écrit la fin. Donc il y a quand même un processus de création qui fait que, je pense, ça va plus loin que juste retranscrire des idées qu’on a formulées. Il y a des propos sous-tendus qui réapparaissent dans les images sans que j’en sois vraiment consciente et que je le maîtrise vraiment.
C’est la vie antérieure qui a dicté…
Peut-être…
Ça donne un album qui est vraiment très ambivalent. C’est drôle et triste en même temps, c’est assez mélancolique mais aussi très serein avec beaucoup de décors dans la nature. J’ai adoré les cases sous la pluie, elles sont vraiment magnifiques. J’ai également beaucoup aimé, on va saluer votre dessin, quand il est embarqué en virée avec les marins…
Oui !
La case toute tremblotante…
Ah, quand ils le font boire, oui !
J’ai trouvé ça sublime et puis, ensuite, la réapparition de la tante en flou. Vous avez expérimenté des choses, il y a des styles différents.
Pour tous les albums que j’ai dessinés, même quand je travaille avec un scénariste, pour moi le dessin et la couleur participent de manière égale à la narration. Je me sers de la couleur pour raconter. Ce n’est pas juste une ambiance météo, une ambiance triste, une ambiance gaie… Ce sont des choses qui, pour moi, doivent souligner un propos ou, au contraire, doivent le contrecarrer. Mais c’est vraiment un outil de narration, comme le dessin et comme le texte, selon moi. Ce qui fait qu’effectivement je joue avec des ambiances colorées mais aussi, là, grâce à l’ordinateur, avec des flous quand il y a besoin.
C’est ce que j’allais vous demander : niveau technique, c’est entièrement à l’ordinateur ?
Non, pas du tout.
Vous encrez ?
J’encre et je passe déjà pas mal de couleurs sur le papier, à l’encre acrylique et, ensuite, je scanne et, sur l’ordinateur, je rajoute… Souvent, c’est juste très léger, une couleur par exemple pour appuyer une ambiance chaude ou froide, et puis quelques dégradés aussi, comme ça. Au départ, peut-être que mon image est bleue comme ça et j’ai ajouté un petit dégradé en haut pour ajouter ce côté un petit peu plus enfermé. C’est un mix des techniques. L’ordinateur me permet aussi de nettoyer quelquefois, si je trouve qu’une expression n’est pas très juste, je vais peut-être remonter la bouche ou agrandir les yeux…
Mais le dessin est à la plume ?
Oui. Avec de l’encre acrylique pour faire les couleurs. Je sais qu’il y a des gens qui sont très très fixés sur un matériel, la plume numéro machin de la marque trucmuche… Moi, je prends un peu ce que j’ai sous la main (rires). Il n’y a que le papier… Une fois que j’ai trouvé un bon papier, je le garde. Parce qu’il faut de toute façon avoir le même rendu sur tout l’album donc il vaut mieux avoir un peu de réserve.
On parlait tout à l’heure de la transmission. Finalement, le personnage d’Oddbergur est un peu un père de substitution pour Edin.
C’est ça, même s’il s’en défend.
C’est lui qui boucle la boucle aussi, qui lui parle des vies antérieures et donc, indirectement, de vous.
Évidemment, c’était le clin d’œil.
« Tu veux dire… que je pourrais revivre… euh… dans le corps… d’une femme, par exemple ? » (rires)
C’est rigolo parce que je me dis, au XVIIIe siècle, dans la campagne suédoise, mais comme dans la campagne bretonne…
On le voit quand le père meurt, on leur enlève leur travail, leur vie en fait…
Oui, voilà. À cette époque, dans beaucoup d’endroits, surtout à la campagne mais même en ville, la place des femmes… Il fallait qu’elles bataillent pour avoir un peu de responsabilités. Effectivement, elles s’occupent de la maison, elles torchent les marmots et elles font la soupe et lavent le linge.
Donc il préfère être un renne parce que c’est plus cool pour lui.
Mais oui, c’est ça. Il est à l’âge de l’adolescence… Je crois que j’ai mis des choses qui sont assez évidentes, que tout le monde vit, soi-même, avec ses frères, avec ses enfants quand on a des fils. Cette adolescence où il y a quand même le mystère des nanas, quoi. Et lui, quand il dit « je pourrais être une femme ? », c’est aussi dire « mais donc je vais ressentir ce qu’une femme ressent, ça m’intéresserait bien quand même (rires) » sauf que l’autre lui dit qu’il ne s’en souviendra pas (rires).
Il suit même un peu ses traces dans son rapport aux femmes, justement, puisqu’on apprend qu’Oddbergur a l’air d’aller voir un peu par-ci, par-là.
Oui ! Oui, c’est vrai qu’au début j’avais mis cette petite case où il fait un clin d’œil au gamin qui ne comprend pas, il est encore jeune… Je voulais que, dans ce regard, on sente qu’il se demande ce qu’il est en train de lui raconter. Donc en fait, il n’est pas avec une seule femme. Le mystère de la vie adulte commence à lui apparaître (rires).
Vous choisissez un dessin complètement différent pour la succession d’infidélités…
Oui, il y a deux scènes. Celle quand il est pêcheur et ça. Parce que ce sont des moments qui durent longtemps et, pour marquer le temps qui passe de manière accélérée, j’ai choisi ce graphisme parce que ça ne m’intéressait pas trop de… On comprend qu’il est coureur, ce n’était pas un point principal que je voulais traiter. C’est un point du titre et ça prépare la suite.
J’ai parlé des grands espaces, qu’on a pu voir dans Le Jardin de minuit, justement, on voyait beaucoup de pelouses. Là, on a les forêts… Vous vous êtes documentée pour dessiner la forêt suédoise ?
J’ai regardé sur internet.
vous avez fait un choix astucieux, les passages en langue étrangère. Edin ne comprend pas ceux qui parlent en norvégien… On est aussi perdu que lui, en fait. C’était un choix dès le départ ?
Oui. En fait, je me suis posé la question. Je suis allée assez loin, on explore des trucs auxquels on ne pensait pas. Quand j’ai écrit, je me suis dit « bon, ça se passe en Suède mais évidemment je vais l’écrire en français ». Puis, il rencontre des Norvégiens et là je me suis dit qu’il fallait qu’on arrive à être dans la position d’Edin, donc ils vont parler norvégien mais il y a quand même certains propos que le lecteur doit comprendre. Alors, parfois il fait répéter. Mais quand j’ai demandé à traduire en norvégien à des gens, j’ai précisé que c’était au XVIIIe siècle et on m’a répondu que le norvégien moderne n’existe qu’à partir de 1906. À l’époque, c’était écrit avec des runes. « Ah non, mais alors là, ça va être compliqué ». Donc j’ai décidé que comme j’avais pris le parti d’écrire d’abord en français moderne, on va prendre le parti totalement arbitraire de mettre du norvégien moderne. Ça m’a permis de garder l’écriture latine. Et j’ai choisi de ne pas traduire. On sent qu’il est perdu… Je me suis dit que si je traduisais, si je mettais un astérisque en-dessous, on perdrait ça.
Dans cette case-là, quand ils se demandent s’ils parlent de lui, on comprend sa paranoïa !
Oui, c’est ça (rires) !
On ne sait pas s’ils parlent de lui, s’ils parlent de complètement autre chose… Bon, ils parlent bien de lui.
Oui mais ce n’est pas méchant du tout. J’ai eu une réflexion à mener pour savoir comment faire passer ça, même quand il rencontre l’autre. Bon, lui, il parle un peu français…
C’est bien dosé. On peut totalement lire sans chercher la signification.
On comprend que ce n’est pas très important.
Vous aviez un attrait déjà fort pour les cultures nordiques ou c’est vraiment parce que vous êtes partie dans cette histoire-là.
C’est parce que la magnétiseuse m’a dit que c’était en Suède ! Je me suis dit que je ne connaissais rien à la Suède du XVIIIe siècle puis je me suis dit de ne pas me prendre le chou parce que c’est un pêcheur dans un village et, au XVIIIe siècle, je pense qu’il n’y avait pas une grande différence entre un pêcheur en Suède et un pêcheur en Bretagne ou en Normandie. Ce sont des gens qui vivaient pauvrement, dans des masures et qui mangeaient essentiellement du poisson et du pain gris. Et voilà. Pour les vêtements, j’ai insisté un peu plus sur le côté peau de bête mais franchement… Le pantalon un peu « craouette », un peu large. Les vareuses. Peut-être qu’ici c’étaient des vareuses en coton et là-bas des vareuses en peau de renne… mais je ne pense pas qu’il y ait une grande différence. Ce n’était pas la peine que j’aille chercher de la doc. J’avais un peu travaillé sur la Suède, surtout la Laponie, pour Emma G. Wildford, que j’avais dessiné sur un scénario de Zidrou, et là j’avais fait pas mal de recherches parce qu’il y a la peuplade samie qui avait des vêtements assez caractéristiques, les maisons aussi… Ça se passait au début du XXe siècle donc je m’étais pas mal renseignée là-dessus. Ce qui fait que j’avais déjà des images même si ce n’est pas tout à fait le même endroit. Et puis, maintenant, avec internet, aller regarder des vieilles maisons suédoises, qui datent plutôt du XIXe que du XVIIIe… mais je ne pense pas que beaucoup de gens vont me dire quelque chose. Je n’ai pas trop le souci de l’authenticité, de la documentation. Il faut juste que les gens, très vite, sachent où ils sont.
On suit très bien et puis, de toute façon, comme on est dans quelque chose qui peut aussi être du domaine du rêve, ça peut être un peu distordu…
Oui, ce n’est pas réaliste. Si quelqu’un me pose une question à laquelle je ne peux pas répondre, je sais que je vais répondre que je ne me souviens peut-être pas de toute ma vie antérieure et de tous les détails et que j’ai pu me tromper. Les souvenirs sont un peu flous.
Oui, on a déjà de la chance que vous vous souveniez un peu (rires) alors que normalement…
C’est ça !
Vous parliez tout à l’heure d’indices, de boucles, l’ours évidemment et cette fin un petit peu ambiguë en fait.
On ne sait pas ! C’est vrai que cette fin intrigue. Les quelques personnes qui ont lu l’album n’ont pas toutes eu la même lecture. Et c’était fait pour ça. Je ne voulais pas trop en dire. Mais, en gros, je cherchais comment finir cette histoire sans la fermer.
Là où c’est très réussi surtout, c’est qu’on pourrait se dire qu’on nous dit tout dès le titre mais on a une pirouette. Donc vous ne mentez pas mais…
En fait, quand j’ai commencé à écrire l’histoire, je me suis dit qu’il y a quand même des romans ou des albums qui m’emmènent, qui m’emmènent… et puis la fin, c’est un flop. Je déteste ça ! Je déteste me laisser embarquer dans un roman ou une BD et me dire « tout ça pour ça ? ». C’est une frustration ! Donc là, je m’étais dit qu’avant d’écrire l’histoire, il fallait que je trouve le début et la fin. Une fois que j’avais trouvé cette fin-là, je n’avais plus qu’à remplir au milieu. C’était important cette fin, parce que je ne voulais pas que ce soit une évidence. C’est venu assez vite, cette idée d’intégrer l’ours dans l’histoire, mon totem animal. Pour remplir au milieu, dans les éléments qui m’ont inspirée, il y a ce que j’ai imaginé, il y a des choses de mon enfance que j’ai un peu remaniées, la vie dans un petit village à la campagne, et, à un moment donné, il y a des éléments qui sont venus se greffer de manière inopinée. Quand on vit une situation un peu particulière, notre regard est tout de suite attiré par les choses… Quand on attend un enfant, on ne voit que des femmes enceintes ou avec des poussettes, et on se dit « qu’est-ce qu’il y a comme femmes enceintes ! ». Non, c’est juste qu’il n’y a que ça qui t’intéresse. Donc, « mon Edin grandit, 100 pages dans le village, je vais avoir du mal à renouveler l’intérêt, il va falloir que je le fasse un peu partir du village » mais je ne savais pas comment. Et puis je suis allée chez le dentiste et, dans la salle d’attente, il y avait un journal local plié, Paris-Normandie. Je vois du coin de l’œil un article et une gravure de bateau, apparemment du XVIIIe siècle, en train de sombrer. Là j’apprends qu’au XVIIIe siècle, en 1792, il y a un bateau de pêcheurs, suédois ou norvégiens je ne sais plus, qui a essuyé une tempête terrible au large d’Étretat, à 20 kilomètres de chez moi, et qu’il n’y a eu qu’un seul survivant, que la mer a porté sur un surplomb, que la marée a laissé agonisant, et qui a été sauvé. C’était un jeune homme, suédois, qui a été recueilli par les habitants d’Étretat qui l’ont sauvé. Je me suis dit « Mais c’est mon Edin ! ». À 20 kilomètres de là où j’habite. Et là, j’avoue que malgré toute ma rationalité, j’ai été un tout petit peu troublée ! La suite de mon histoire m’a été servie de manière tellement hasardeuse que c’était drôle. Donc j’ai repris l’histoire et trouvé la façon de le faire partir sur un bateau de pêche pour aller jusqu’aux côtes françaises. En fait, il y a un tunnel, pas praticable à marée haute, entre la plage principale d’Étretat et, je crois, la plage d’Aval. Ce tunnel a un surplomb, la mer à marée haute s’engouffre dedans. Et l’article portait sur l’origine de ce tunnel qui s’appelle « le trou à l’homme ». Parce qu’on y avait trouvé cet homme suédois… Donc je connais Étretat mais je suis allée à la bibliothèque, j’ai regardé l’histoire d’Étretat, ce qui se passait au XVIIIe siècle. Et à chaque fois, je déroulais des pelotes… Je trouve cette partie de la recherche passionnante.
Sur les cadeaux qu’il achète, par exemple ?
Les cadeaux, par exemple ce sont des cadeaux… Le polichinelle, c’est quelque chose que j’ai chez moi, qui est beaucoup plus petit, en porcelaine, tout désaillé. C’est un petit polichinelle qui doit dater du XVIIIe, que ma mère avait trouvé dans le tiroir d’un meuble qu’elle avait acheté chez un brocanteur. J’étais petite, elle m’avait dit « Tu le veux ? Tiens ! ». La boîte à couture, c’est une boîte à couture que ma grand-mère m’avait offerte quand j’étais petite et c’est elle qui m’avait expliqué que la cire c’était pour protéger les aiguilles qui n’étaient pas inoxydées et rouillaient avec la sueur des doigts. Ça n’a pas beaucoup d’importance pour l’histoire mais pour moi… Je n’ai pas du tout fait intervenir ma famille, je me suis dit que c’était antinomique d’aller chercher des choses chez mes parents, mes grands-parents, parce que s’il y a une vie antérieure la généalogie ne tient plus. C’est plus pour moi, pour mes sœurs à qui j’ai dédié cet album… Des clins d’œil. Pour le livre de cuisine, je me demandais ce qui pouvait exister comme livre, qui soit disponible au XVIIIe siècle, dans une famille pauvre. J’imaginais qu’un jour quelqu’un du village aurait pu ramener ça. On peut imaginer qu’un livre de cuisine était plus susceptible d’avoir une place chez des gens modestes qu’un roman ou un livre de philosophie. Donc j’ai cherché et j’ai trouvé : quand il lit, ce sont des extraits d’un vrai livre de cuisine pour la cour du roi. Je ne voulais pas commencer tout de suite en mettant des choses pas crédibles.
Vous avez d’autres projets dont vous pouvez nous parler ?
Trop ! J’ai plusieurs choses qui peuvent se combiner, je ne sais pas encore dans quel ordre. Ça dépendra un peu de l’avancée. Il y a un livre dont je voudrais faire une adaptation mais ce sont des droits anglais et je sais qu’en général c’est hyper long. Quelqu’un d’autre m’a proposé un roman noir. Et puis j’ai un autre projet tellement loufoque et absurde… ça peut attendre encore un peu. Ce sera vraiment en fonction de la façon dont les projets se déclenchent, de la disponibilité des gens qui vont bosser dessus quand ce sont des scénaristes, ou effectivement de l’obtention des droits pour cette adaptation d’un livre irlandais.
Je vous souhaite une belle réception de cet album. J’ai vu que vous aviez du monde en dédicace, déjà.
Oui. Le propos intrigue. C’est déjà un bon point. Il y a des gens autour de moi, pas forcément de grands lecteurs de BD, qui m’ont dit « la première fois, je n’ai rien compris ». Et il y en a un qui m’a dit « je l’ai repris le lendemain, j’étais au soleil et là, c’est bon, je suis rentré dedans ». Tout n’est pas toujours accessible du premier coup. Il n’y a aucune raison que ce soit différent en BD.
Propos recueillis par Chloé Lucidarme.
Interview réalisée le 28 octobre 2023.
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