En cette fin de première journée au FIBD d’Angoulême 2016 et dans une ambiance très détendue, La Ribambulle s’offre un combo Bob Morane – Renaissance / Sykes. En effet même si il est presque l’heure de l’apéro au moment des faits, nous avons rendez-vous avec Dimitri Armand – qui nous parlera à la fois de l’un et de l’autre puisqu’il est le dessinateur des deux séries – et Aurélien Ducoudray qui a co-scénarisé, avec Luc Brunschwig, le reboot du héros de tous les temps. Qui de Bob ou du Marshall Sykes tirera le plus vite ? Bang Bang !
Bonjour messieurs.
Dimitri Armand & Aurélien Ducoudray : Bonjour.
Nous allons commencer par Bob Morane. Je suis désolé mais je vais probablement vous poser des questions auxquelles vous avez déjà répondues !
AD : Mais tu sais quoi ? On va répondre la même chose, comme d’hab !
Bien évidemment !
DA : Répondre n’importe quoi, c’est possible aussi ! (Rires). Je peux même répondre à ta place, Aurélien. Je suis scénariste, tu es dessinateur !
AD : Il connait mes réponses. (Rires)
Ensuite, je ferai un petit aparté pour Sykes.
AD : Ben là, moi je m’en irai !
Aurélien, Comment as-tu été approché pour travailler avec Luc Brunschwig sur cette renaissance de Bob Morane ?
AD : C’est exactement le terme. J’ai été approché. C’est-à-dire que cela fait six ans que fais du scénario. J’ai bossé pour Ankama (The Grocery), Futuropolis (Championzé), Delcourt (L’Anniversaire de Kim Jong-Il), Casterman récemment (Léviathan), La Boîte à bulles (Gueule d’amour), Sarbacane (Sixteen Kennedy Express), Bamboo (Amère Russie)… Donc, sur des choses assez diversifiées. Mais je ne pensais pas du tout que, si tôt, on allait me proposer un personnage aussi énorme. En fait, c’est Luc, qui a drivé un petit peu le projet, qui m’a dit : «Je le fais si tu le fais avec moi ! » Je lui ai répondu : «Ben ouais ok ! Je veux bien le faire avec toi, sans souci !» Par contre, il ne m’avait pas dit ce que c’était. Il m’a juste dit que c’était un personnage très connu qui s’appelait B.M.. Alors j’ai cherché, cherché… Je lui ai dit : «Blake et Mortimer … Non, non, non, ce n’est pas possible ! Au secours !» Ce à quoi il m’a répondu : « Non, c’est Bob Morane ! » Et moi de dire : «Wow Bob Morane ! » C’est surprenant car ce n’est pas mon parcours jusqu’à maintenant de faire un personnage aussi important et de faire des albums très Grand Public. Jusqu’à présent, j’explorais plus des trucs assez personnels. Même si cela trouvait un écho, des fois, dans le Grand Public. Donc du coup, cela a été une opportunité à laquelle je ne m’attendais pas du tout.
Tu étais fan de Bob Morane ?
AD : Je connaissais de Bob Morane la chanson d’Indochine et le personnage. J’avais dû lire quelques bandes dessinées quand j’étais plus jeune. Je connaissais le personnage mais je n’étais pas connaisseur. Voilà, du tout ! Par contre, je pense que c’était un avantage le fait de ne pas être fan. Cela permet de le rudoyer à loisir.
Dimitri, tu es un jeune dessinateur …
D.A : Merci ! Ça fait plaisir ! (Rires)
Comment es-tu arrivé sur le projet ?
DA : Alors, ce n’est pas du tout pour être «corporate» ou quoi mais pour l’instant je dois vraiment tout à Gauthier, mon éditeur (NDLR : Gauthier Van Meerbeeck, directeur éditorial des éditions du Lombard). Pour tout remettre dans le contexte, j’ai fait une série chez eux qui s’appelle Salamandre qui a fait un four plus ou moins monumental. A part ma famille et mes amis, il n’y a pas beaucoup de ventes qui se sont faites. Malgré tout, je pense que Gauthier a vraiment tenu à me garder avec lui. Je travaillais aussi sur une série d’heroic fantasy chez Soleil, qui s’appelle Angor, et je savais que j’allais arrêter à cinq tomes. Donc j’en ai parlé avec lui. Je lui ai dit que j’aimerais prendre le temps de faire un vrai projet après, mais qu’entre les deux il m’en fallait un de transition. De façon à ce que je n’arrête pas de dessiner et que j’explore un autre truc. « Genre un one shot, ce serait nickel !» Donc là, il m’a proposé Sykes dont on parlera peut-être plus tard…
Oui, oui !
Et un petit peu plus tard, il m‘a rappelé en me disant : « Écoute, j’ai un beau projet pour toi. Une série – jusque-là tout va bien ! – ce serait Bob Morane ! » Donc là, moi je m’assoie parce que je me dis : «Bob Morane c’est bien mais il y a mon dessin et de l’autre côté du spectre il y a celui de Bob Morane ! » J’aime beaucoup les dessinateurs qui ont bossés sur la série mais je ne corresponds pas au truc. Et je me suis dit : « Pourquoi moi ? » En fait, il m’a rassuré en me disant qu’il voulait relancer Bob Morane, c’est-à-dire faire une nouvelle série, un reload ou un reboot. Je ne sais pas ce qui est le moins péjoratif. Il m’a envoyé le scénario de Luc et Aurélien. Enfin, la note d’intention dans laquelle il y avait en gros le synopsis détaillé du tome un et le pitch des tomes suivants. Et ce qui s’est passé, c’est que d’une j’ai aimé le scénario et de deux j’ai aimé l’approche des personnages qu’ils avaient. On a ce point commun qui est que si j’écrivais et ce que j’aime dessiner, ce sont des histoires qui racontent avant tout des personnages. Une histoire qui est conté par le biais des personnages. Il y avait un peu cette approche-là qui me parlait. Et en plus, mine de rien, le fait qu’il y ait le pitch des tomes suivants, je me suis dit : «Les mecs savent où ils vont. Ils n’ont pas une bonne idée qui va être une bonne idée pendant 46 pages et c’est tout !»
AD : En fait, on avait deux bonnes idées !
DA : Pour le tome 2, c’est tout. Mais ça nous laisse plus de temps pour réfléchir ! (Rires)
DA : Donc, Gauthier me propose ça et me dit de réfléchir. Pendant ce temps-là, les filous me contactent sur Facebook pour en discuter. Du coup, j’ai commencé à faire des recherches de personnages et l’idée était de faire des recherches à partir de leur scénario comme un scénario complètement original. C’est-à-dire de ne pas du tout avoir en tête les personnages existants. Parce que déjà, je ne voulais pas m’embarquer sur un projet avec une charte graphique «relou».
Tu n’as donc pas relu l’ensemble des Bob Morane ?
DA : Je n’ai pas relu les Bob Morane en ce sens que je ne les ai pas lus. Donc je ne peux pas les relire déjà ! (Rires)
AD : Et là c’est la fin de ta carrière ! (Rires)
DA : Non non ! J’en ai lu, quasiment tous mais presque pas ! Sérieusement, j’en ai lu certains mais quand j’étais petit. J’avais une image de Bob Morane qui était super lointaine. C’est pour cela qu’au départ je ne pensais pas correspondre à ce genre de projet. Cela m’a rassuré que ce soit un reboot ! J’en étais où ? Ah oui ! J’ai donc fait une recherche de personnages à partir du synopsis sans tenir compte des personnages tels qu’ils existaient. Et je crois que c’est là que ça a convaincu tout le monde. Je parle souvent de Bill Ballantine. J’ai fait un graphisme que certains, au départ, ont mal vécu parce qu’en gros on touche un peu au héros de leur enfance. Alors que moi, j’essayais vraiment de mettre en avant la psychologie de ce personnage-là. C’est-à-dire qu’il a eu des problèmes avec l’alcool dans sa vie, il a été viré de l’armée et il n’a pas la vie facile. Je voulais que cela transpire sur son physique. Je voulais que cela se voit directement sur son visage et qu’on se dise que ce n’est pas un petit ange. De la même manière pour Miss Ylang-Ylang, j’ai été pas mal critiqué parce que ce n’est cette belle chinoise dans sa robe fourreau. Une fille qui peut tuer un mec à mains nues au combat, le côté robe fourreau c’est cool dans une mission spéciale en soirée. Mais ce que j’en ai fait me semblait totalement correspondre à cette tueuse de sang-froid. Tous les choix que j’ai faits graphiquement correspondaient à un idéal psychologique. Ce n’était pas gratuit.
AD : Il y a un côté pratique aussi dans tes «designs» qui fait qu’on sent des personnages qui sont tout de suite face à des situations. C’est-à-dire que si elle est habillée comme cela, c’est qu’il y a une raison. C’est plus pratique pour tuer.
DA : D’ailleurs la scène dans laquelle Miss Ylang-Ylang apparaît, elle vient potentiellement pour recruter un autre personnage dont je ne parlerai pas là ! Elle arrive dans une prison de mecs et si elle arrive dans une robe-fourreau, ce n’est juste pas cohérent.
AD : C’est un cas de viol ultime ! C’est impossible.
DA : C’est une tueuse. Elle arrive pour embaucher un mec dans sa milice privée et la faire arriver en robe fourreau, c’est complètement con. En gros c’est ce qu’on nous a dit. Miss Ylang-Ylang normalement, c’est une fille en robe-fourreau. C’est dommage de résumer les personnages à leur accoutrement un peu comme la barbe de trois jours de Bob Morane. En plus dans le tome un, on le voit quasiment tout le temps rasé. Ça a choqué les fans que je le représente mal rasé à un moment. Je me suis dit : «Le mec c’est un aventurier. Il part dans la jungle et il n’emmène pas son Wilkinson sur lui !» En gros pour moi l’idée, c’est que le dessin ce n’est pas gratuit. On réfléchit quand on dessine mine de rien. Il faut faire transpirer la personnalité du bonhomme. Je ne sais même plus qu’elle était la question de départ !
C’est parfait Dimitri, tu as anticipé !
AD : Au moins trois questions !
Aurélien, avec Luc quelles ont été vos motivations et vos objectifs sur ce projet qui constitue en soi un vrai défi ?
AD : Ce qui est marrant, c’est que c’est clairement une commande au début. Et puis au fur et à mesure qu’on en discutait avec Luc, on s’est aperçu que cela pouvait être un truc très, très personnel en fait. A part le titre Bob Morane, tout le reste c’était les aventures du personnage imaginées par Luc et Aurélien et dessinées par Dimitri. C’est-à-dire qu’on a vite fait abstraction de cette énorme pression que représentait Bob Morane, pour simplement raconter une histoire qu’on pense intéressante avec un personnage incarné. C’était vraiment le but : incarner le personnage. Que ce ne soit pas juste un porte-flingues ou juste un mec qui a un costume, que ce soit un aventurier, un séducteur ou autre chose. On s’en foutait, on voulait qu’il réagisse vraiment à des situations et à des problématiques, qui nous, nous intéressaient.
Exit la pression d’un point de vue scénaristique et graphique.
AD : Oui et on a pu le faire parce qu’on n’était pas des fans énamourés de Bob Morane. Comme je l’ai dit tout à l’heure, j’en ai peut-être lu un ou deux en BD. Et je pense que ce qu’il ne fallait surtout pas faire, c’est faire la sainte-nitouche avec ce personnage. Il ne fallait pas le respecter trop. Il fallait vraiment … oui on l’a violenté ! Clairement, on l’a violenté. C’est-à-dire que dans les situations où on le met, il souffre. Et nous ne nous sommes pas freinés pour apporter quelque chose à ce personnage. Ce qui nous intéresse pour l’instant dans Bob Morane, c’est sa création. Les deux premiers albums, c’est Bob Morane avant qu’il devienne Bob Morane. Donc, tout est permis.
DA : C’est-à-dire que l’on n’ait pas l’impression que l’on a fait n’importe quoi avec les personnages. L’idée était quand même de, tant graphiquement qu’au niveau de l’histoire je pense, prendre le Bob Morane tel qu’il existe – des années 60 – et de le mettre dans un contexte différent. Et ça ne peut pas décemment être le même de toute façon. Il y a aussi l’aspect personnel. C’est vrai qu’au départ, c’est une commande… une volonté de l’éditeur de le relancer. Personnellement d’un point de vue très pragmatique, je travaille énormément quotidiennement. Et le temps que je passe à travailler sur un projet, je ne peux pas me permettre de bosser sur un truc qui m’emmerde. Avant de travailler dessus, Gauthier m’avait proposé d’autres projets. Et clairement, je n’arrivais pas à sentir les personnages ni à les dessiner parce que cela ne me plaisait pas. Il y a deux trucs qui sont importants pour moi tant que je peux me le permettre. C’est déjà d’être payé à dessiner. Dessiner, c’est ce que j’aime faire mais pas payer. (Rires) Et l’autre truc, c’est être libre.
AD : Être payé pour dessiner, c’est super. Être payé pour écrire, des fois j’y crois pas. Tu te lèves le matin, là en fait t’es payé pour écrire. Je trouve cela incroyable.
DA : Pareil. Moi, je n’ai pas envie de me faire chier quand je bosse entre dix et quinze heures par jour. Ce n’est pas pour faire quelque chose qui m’emmerde. Comme pour l’instant je peux me permettre de choisir des projets qui me plaisent, clairement je le fais.
AD : C’est marrant parce qu’il y a une contradiction entre la licence très, très Grand Public et le bonheur très personnel. Normalement, c’est une œuvre de commande où il faut se couler dans le moule, répondre à toutes les attentes. C’est ce que l’on n’a pas fait.
DA : Il y a un autre aspect aussi. Je considère que chaque projet est un apprentissage. Dans ma tête, je ne suis jamais sorti de l’école en fait. Avec la Fantasy, j’ai appris certains trucs. Avec le Western, j’en ai appris d’autres. Le contemporain, c’est quelque chose que je ne voulais pas faire en dessin et je me retrouve sur Bob Morane. En fait, je me rends compte – ça va faire hyper cliché ce que je vais dire – que quand tu sors de ta zone de confort, c’est là que tu apprends le plus. J’aimerais faire de la science-fiction. Et dans Bob Morane, quand je dois faire un bête couloir d’hôpital, c’est super contraignant et chiant à dessiner. Et si je veux faire de la SF, je vais faire plein de couloirs. Ça, c’est un apprentissage.
AD : Là, t’as plus de piles dans le dictaphone ! (Rires)
Quels sont les retours que vous avez-eu du public ?
DA : C’est de la merde ! (Rires)
AD : Ce qui est rigolo, c’est qu’au début il y a eu pleins de commentaires sur internet qui étaient vraiment assez agressifs. En disant : «Qui vous êtes, comment vous vous permettez de décrire ce personnage que vous ne connaissez pas, etc…» Ils questionnaient même nos capacités et nos autres albums alors qu’ils ne connaissaient pas nos travaux précédents.
DA : Ils ne nous ont jamais vus, mais du jour au lendemain ils savent que ce qu’on fait c’est de la merde !
AD : Oui, oui ! Dimitri a pris plus que nous. Moi, j’ai été relativement épargné. Luc a pas mal mangé ! Par contre, on a des retours positifs de lecteurs qui n’ont jamais lu un Bob Morane à part le notre. Là, on se dit ouf ! Super !
DA : Sur internet à l’époque où l’album n’existait pas mais qu’il y avait juste quelques recherches, c’est là que les gens ont été supers violents. Sauf qu’en fait, ils étaient violents sur deux «designs». En gros, ils ont vu Bob Morane avec de la barbe et c’était fini, on était à tuer. L’autre victoire, entre guillemets, c’est qu’il y a plein de fans de Bob Morane qui ont lu cet album-là et qui ont été supers contents. Parce qu’en fait, ils ont toujours aimé Bob Morane mais ils ne l’ont jamais retrouvé. C’était toujours des ersatz de ce qui existait déjà.
AD : Ils l’aimaient par habitude en fait. Là, on sent qu’ils recommencent à l‘aimer pour une vraie bonne raison. Et pas juste la raison de la collectionnite. Ça y est, il y a enfin des nouvelles aventures qui déboulent et de nouvelles aventures qui font écho à leurs préoccupations. C’est le principe du reboot. Batman a été «rebooté» de nombreuses fois avec des équipes créatives différentes. Chaque équipe y apporte quelque chose de différent. Bien ou mal, là n’est pas la question. C’est vraiment différent. Peut-être qu’après, quand on aura fini notre cycle à nous – si on le finit – il y aura un autre cycle de quelqu’un d’autre.
DA : Non, ça y’a pas moyen ! (Rires)
Dans le prochain album, vous nous embarquez où ?
AD : Alors le deuxième tome, ce n’est pas une deuxième aventure mais la fin ce premier cycle. On peut un peu parler du deuxième cycle. Cela se passe en Ukraine avec le souci des sociétés militaires privées. Cela fait écho avec le conflit en Ukraine, du Dombasle, La Crimée, etc. On reste sur un problème de gazoduc qui se passe mal avec Bill. On le voit dans le tome 1, il va être embauché par une société militaire privée et les choses vont se gâter dans le tome trois. Le tome 2, c’est la fin de l’histoire en Afrique et à la fin de l’album, on va comprendre pourquoi Bob Morane est devenu Bob Morane. Dans le tome 3, ça y est, c’est lui. Il devient vraiment ce pourquoi on l’a relancé.
Merci beaucoup Aurélien d’avoir répondu à nos questions ! Tu es libre, je garde encore un peu Dimitri.
AD : Merci à toi.
Dimitri, en quasi parallèle tu as réalisé Sykes avec l’elficologue – devenu cowboy pour le coup – qu’est Pierre Dubois. Tu nous as dit tout à l’heure que Gauthier Van Meerbeeck t’avait proposé le projet.
DA : C’est ça. En fait, j’avais fini ma série de fantasy chez Soleil et je savais que j’allais surement envoyé sur une série après. Et je voulais un truc entre les deux pour me libérer l’esprit, travailler sur autre chose. Il y a eu une ou deux propositions qui ne me convenaient pas. Il m’a demandé si je voulais travailler avec Pierre Dubois. Moi, je le connaissais de réputation et cela m’intéressais. C’est un personnage qui a une aura. Même quand on ne le connait pas, il est intriguant. Petit à petit, il s’est avéré que c’était pour un western. Je n’avais aucun à priori sur le western, ni positif ni négatif. Quand je vais au ciné ou que je lis une BD, que ce soit un western ou autre chose, je m’en fous. Du coup, il m’a envoyé le début du scénario qui m’a pas mal séduit. J’avais à peu près quinze pages et on ne voyait pas grand-chose. Mais cette arrivée de Sykes à contre-jour… Il y avait des scènes comme celle-là qui se sont de suite dessinées dans ma tête. Gauthier m’a proposé de rencontrer Pierre Dubois chez lui. Et ce qui s’est passé est que Pierre Dubois n’avait pas écrit de scénario mais il me l’a raconté. Et Pierre Dubois qui raconte un scénario, c’est juste énorme. J’ai été motivé tout de suite. C’est parti comme cela, très naturellement. On s’est très bien entendu.
Comment as-tu géré tes phases créatives entre ces deux genres diamétralement opposés ?
DA : Normalement, Sykes devait être un album de transition. Il s’est avéré que je l’ai fait pendant la fin de Angor chez Soleil, un peu tout seul et pendant Bob Morane. En fait au début, ce devait être un album classique genre cinquante-quatre pages à faire en deux ans. Et cela s’est transformé en un soixante-quinze pages que j’ai fait en six parce que je l’ai fait en parallèle du reste. Comme je travaille énormément en quantité horaire quotidienne, j’ai tendance à vite me lasser. Et au lieu d’être raisonnable, je vais un peu trop travailler. Donc ce western était une espèce de récréation. Quand je travaillais trop sur Angor, je m’arrêtais et je me faisais plaisir sur ce western. Et pendant le tome un de Bob Morane, c’était un peu pareil. Comme c’est très contraignant pour moi le contemporain, quand je commençais à saturer, je me plongeais dans Sykes. Du coup, c’est un album que j’ai fait sur six ans. Cela peut paraître long mais c’était toujours en parallèle de mes autres projets et surtout juste quand j’en avais envie. Je n’ai donc jamais eu de mal à passer d’un univers à l’autre parce qu’en gros j’en avais besoin.
Bob Morane est bon graphiquement mais il est vrai que Sykes a quelque chose de plus.
DA : Merci beaucoup. On me le dit pas mal. En fait, il y a eu une accumulation de facteurs. Déjà, il y a l’histoire qui m’a vachement parlée, l’univers aussi – même si je n’avais pas d’à priori sur le western, je me suis aperçu que pour dessiner c’est juste génial et j’étais très à l’aise – et le fait que j’ai plus de temps. Mine de rien même si j’ai fait des projets à côté, je m’y mettais quand j’en avais envie. Il n’y avait jamais de contrainte. Et je pense que c’est cela que l’on ressent aussi graphiquement. Cependant, le tome deux de Bob Morane va être un petit peu plus proche de Sykes graphiquement, je pense. En terme d’investissement, de quantité de décors, etc…
Quelles ont été tes sources d’inspiration pour ce western ? Plutôt cinématographiques ou plutôt BD du côté de Comanche d’Hermann par exemple ?
DA : Ce serait pourtant d’actualité que je dise ça. Très honnêtement, je n’avais pas forcément de références western au départ. Il y a un auteur qui m’a vraiment donné envie de faire de la BD et qui est Enrico Marini. Du coup fatalement, j’avais L’étoile du désert qui faisait partie de mes références. Et le hasard a fait que c’est à cette période également que j’ai commencé à lire Bouncer et à apprécier le travail de François Boucq au dessin. C’était aussi une période où je regardais Deadwood, la série télé. Voilà, ce sont ces petites choses qui étaient là au moment où j’ai commencé Sykes. Ah oui, il ne faut pas que j’oublie. Je jouais aussi à Red Dead Redemption sur Xbox 360. Un jeu western assez génial où on est dans la peau d’un cow-boy et cela va brasser un peu toutes les époques cinématographiques : le western spaghetti, le western un peu plus sombre, le western crépusculaire. Il permet de se plonger dans ces univers-là graphiquement et c’était assez intéressant.
Dimitri, merci beaucoup de nous avoir consacré un peu de temps.
DA : Merci à toi.
Propos recueillis par Stéphane Girardot
Interview réalisée le 28 janvier 2016.
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