© 2021 Le Lombard

Titre : Renault – Les Mains Noires
Scénariste – Coloriste : Antoine Lapasset
Dessinateur : Benjamin Bénéteau
Éditeur : Le Lombard
Parution : Août 2021
Prix : 16,45€

Bien qu’il soit né avec une cuillère en argent dans la bouche, Louis Renault a toujours eu les mains dans le cambouis, un manuel dans l’âme. Une activité de prolo qui faisait tache dans l’univers bourgeois dont il était issu. Plutôt que de se préparer à reprendre le commerce de draperie et de boutons créé par son père, il préférait avoir les mains noires et s’occuper de mécanique, une histoire d’amour qui a débuté dans la cabane au fond du jardin de la maison familiale à Billancourt. Inventeur de génie, businessman, pilote, visionnaire et travailleur infatigable, Louis Renault était un homme dur qui s’est construit tout seul. Son destin hors du commun s’est forgé durant la première moitié de XXe siècle, où la course au progrès paraît sans limite, et a connu deux guerres mondiales. Si la Grande Guerre l’a mené au sommet de l’industrie automobile, la fin de la deuxième s’est accompagnée de sa chute. À cet instant, il est passé du statut d’entrepreneur de génie à collaborateur du régime nazi, une accusation où demeure bien des zones d’ombre encore aujourd’hui !

Avec cette biographie de Louis Renault, Antoine Lapasset remet sous les feux des projecteurs un dossier sensible que certains auraient bien voulu ne jamais voir déterré. Mort à 67 ans durant sa détention, l’accusation de collaboration avec les nazis dont a fait l’objet l’industriel – qui élude complètement tous ses traits de caractère – n’a jamais pu être réfutée, ni complètement validée. Tout simplement parce qu’il n’a jamais eu droit à un procès et n’a été de fait jamais reconnu coupable ! Pour son premier scénario, Antoine Lapasset livre un travail concis, très objectif – il n’y a aucune prise de position – et de très bonne facture où la recherche de documentation a constitué le nerf de la guerre. Même si, à quelques rares occasions, la quantité importante de bulles et de textes déstabilise un peu la lecture, il n’en est pas moins que l’on peut aisément se faire une image précise de l’homme et des contextes dans lesquels se sont déroulés nombre d’événements de sa vie. Au lecteur de se faire une idée sur sa culpabilité ou non (serait-il un simple bouc émissaire ?) en regard de ce récit en six chapitres où différents narrateurs interviennent, vraiment passionnant et des plus instructifs. Et ce n’est pas une surprise de voir Benjamin Benéteau au cœur et à l’origine de ce projet, lui qui depuis 2012 illustre avec bonheur la série Michel Vaillant où l’automobile est une des stars. Au cours d’un album à la pagination généreuse, le dessinateur offre une prestation graphique rigoureuse où il impose à certains moments une lecture pelliculaire (en colonne) originale, Antoine Lapasset se chargeant de la mise en couleurs qui est au diapason.

Une lecture fascinante qui interpelle fortement des années après les faits.

Stéphane Girardot