
Parmi toutes les excellentes nouveautés sélectionnées par Rue de Sèvres, un éditeur qui a le vent en poupe, une nouveauté retenait l’attention en mars dernier. Les Promeneurs sous la lune signait une nouvelle collaboration entre Zidrou et Mai Egurza, une dessinatrice espagnole au style personnel épatant. Ce one-shot au ton léger et onirique montrait une fois de plus le talent du scénariste à imaginer des histoires fortes et atypiques et faire découvrir de jeunes artistes issus de son pays d’adoption. Présents au Salon du Livre de Paris, les deux auteurs sont revenus avec nous sur cette collaboration qui en annonce d’autres.
Bonjour ! Quel effet cela fait, quand on a été instituteur et qu’on a laissé tomber ce milieu, d’arriver chez l’École des Loisirs ?
Zidrou : Au début, je n’avais pas fait le rapprochement entre Rue de Sèvres et l’École des Loisirs… C’est d’abord un bel éditeur, qui fête ses 50 ans, ce n’est pas rien. En tant qu’enfant, je n’avais pas eu accès à des albums comme Max et les Maximonstres, je les ai seulement découverts pendant mes études d’instituteur. Ensuite, je les ai lus, relus, fait lire à mes élèves et mes enfants. Certains de ces albums sont des références. Ce n’est pas en pensant à ça que j’ai signé, mais quand même.
Le clin d’œil était amusant de retourner à « l’école » ?
Z : Oh non, l’école, c’est fini pour moi depuis longtemps ! (rires)
Est-ce que cet album était ce que vous vouliez faire, le type d’histoire qui vous plaisait ?
Mai Egurza : Je voulais vraiment faire de la bande dessinée, mais sans avoir d’idée précise sur ce que je voulais aborder pour mon premier album. Quand j’ai reçu le scénario, j’étais emballée car le sujet me semblait parfait pour moi.
Z : Moi, j’aime faire de tout : les pizzas, l’escalope milanaise, le tiramisu, je sais tout faire ! (rires) C’est ce que je cherche à faire, des choses différentes, que je n’ai pas encore faites. J’avais envie de raconter cette histoire. Dès que j’ai fait un truc et que les gens aiment bien, on a tendance à me redemander la même chose. Mais si je l’ai fait une fois, je n’ai pas forcément envie de le refaire. Certains sont déçus, mais je préfère continuer comme ça.
C’est pour cela qu’on vous voit davantage faire des one-shots pour des nouveaux projets ?
Z : Oui, c’est à dire que si j’ai déjà des séries en cours, pourquoi est-ce que j’irais me fatiguer à en faire d’autres à côté ? Enfin, « me fatiguer », ce n’est pas ça, on se comprend… Pour revenir à la cuisine, quand on fait des pizzas toute la journée, le soir on a envie de se faire des frites ! (rires)
Mai rejoint les autres auteurs espagnols avec lesquels vous aimez travailler.
Z : Oui, ça a été un déclic par rapport à mes scénarios plus « adultes », disons. Comme personne n’en voulait en France et en Belgique, on me les a jetés à la gueule ! (rires) Plus sérieusement, c’est vrai, personne n’en voulait. On me parlait toujours de Ducobu, alors je me suis dit que j’allais trouver un talent espagnol. De fil en aiguille, on a fait un album d’essai collectif qui s’appelle La Vieille Dame qui n’avait jamais joué au tennis chez Dupuis, ce qui m’a permis « d’essayer » d’excellents dessinateurs comme José Homs ou Jordi Lafebre, avant de passer à l’étape suivante. La suite fait déjà partie de la légende ! (rires)
Comment en êtes-vous venus à travailler ensemble tous les deux ?
ME : On s’est rencontré à Angoulême, où j’étais allée avec d’autres dessinateurs. Nous étions installés à un café, nos books à la main pour rencontrer des gens intéressés. Benoît en faisait partie. Un an plus tard, on était encore en contact et il m’a parlé de ce projet en particulier, qui était retenu par Rue de Sèvres et Norma Editorial, un éditeur espagnol. Et c’était parti !
Z : Il y a quatre ans, hormis à Barcelone, il n’y avait pas encore énormément de dessinateurs, qui m’envoyaient leurs travaux ou qui me montraient leurs books. C’était encore souvent des copains ou leurs fiancées qui venaient à moi pour me montrer certains trucs. Quand j’ai cherché à me diversifier, j’ai eu envie de travailler avec des plus jeunes – pas toujours les mêmes poils gris qui ont les mêmes références musicales ou cinématographiques – pour me rafraîchir. Ils ont un autre background qui est très intéressant.
Plus besoin aujourd’hui d’aller chercher les nouveaux talents, ils viennent directement à vous ? (rires)
Z : Non, il ne faut pas exagérer, ils ne dorment pas encore devant ma porte ! (rires) Hier, nous avons eu un repas avec l’éditeur, avant ils ne me connaissaient pas vraiment, ils savent maintenant qui je suis et ce que je fais. Ils ont compris que je n’étais pas si mauvais que ça, que je savais faire autre chose que Ducobu et que j’avais raison de vouloir essayer autre chose. Après, il y a une question d’affinité à avoir avec les dessinateurs.
Saviez-vous qu’il y avait une telle génération d’artistes en allant vivre en Espagne ?
Z : Ah non, pas du tout ! J’en ai trouvé un au pied d’un pommier et plein d’autres sont tombés quand je l’ai secoué, c’est étonnant. (rires) Ce sont de vrais talents et des gens qui en veulent. Pour eux, le marché franco-belge c’est l’eldorado, c’est là qu’il faut aller, dans les traces de Guarnido, Miralles, etc. Les prix en Espagne ne sont pas assez élevés pour en faire un métier.
Vos albums sont-ils tous traduits en espagnol ?
Z : Norma traduit toute ma production, surtout adulte. Les Promeneurs sous la lune est paru à peu près au même moment en espagnol. Il avait même été prévu pour décembre dernier mais c’était une mauvaise période pour sortir un premier album.
Justement, la réalisation de cet album s’est-elle déroulée comme vous le souhaitiez ?
ME : Un premier album est toujours difficile à faire, je pense que c’est le cas pour tout le monde. Ma première difficulté a été de bien trouver les personnages. Pour Linh, l’héroïne, c’était parfait dès le départ, tout le monde l’a aimée. Alors que personne n’a aimé les premières ébauches de Napoléon ! (rires) « Il ressemble à un ado, il est trop maigre… » Bon, alors j’ai essayé de dessiner un gars plus âgé, plus costaud. Et il a commencé à ressembler à ce qu’on voulait. Ensuite, j’ai ressenti beaucoup de pression, même si les éditeurs ont été très sympas avec moi. Je voulais absolument que ça plaise à tout le monde, du coup j’ai pris du retard. Il m’a fallu un peu de temps pour revenir à quelque chose de plus personnel et pour que je me fasse à nouveau plaisir avec mon dessin. Ensuite, tout s’est mieux passé. Nous avons même un nouveau projet ensemble, je suis impatiente de commencer.
Il y avait aussi le défi de faire passer beaucoup d’émotions à travers le dessin.
ME : Oui, car je savais que si le dessin ne plaisait pas, personne ne lirait cet album.
Z : Je crois franchement qu’elle a réussi.
Est-ce que c’est une volonté de donner beaucoup d’importance au dessin et donc au dessinateur ?
Z : C’est de la bande dessinée. J’essaie toujours au mieux de leur donner à manger ce qu’ils aiment. C’est un métier difficile, il faut passer des mois sur un album, autant que ce soit quelque chose qu’ils apprécient de dessiner. C’est pour ça que j’ai demandé à Mai ce qu’elle souhaitait pour notre deuxième album, car Les Promeneurs n’avait pas été écrit pour elle. Le prochain le sera. Mais elle a fait un très bon boulot, la connexion s’est très bien faite. Parfois on peut se louper, mais ce n’est pas le cas cette fois, c’était très bien.
Sur quel type d’album allez-vous donc partir ?
Z : Ce sera un conte inspiré d’images qu’elle avait réalisées, dans un univers semi-indien, du passé bien sûr. Une sorte de conte indien de pacotille.
Quelles sont les influences pour le dessin ? Car c’est difficile d’en trouver tant le style est personnel.
ME : Merci ! J’aime beaucoup ce que font Juanjo Guarnido, Alessandro Barbucci, et plein d’autres dessinateurs. J’apprécie aussi l’animation, mais j’aurais du mal à dire ce qui m’influence le plus.
Z : Pour moi, c’est effectivement très important de travailler avec un auteur qui a un style propre. J’apprécie tous ces dessinateurs qui ont un style réaliste, même ceux qui ont un trait un peu haché à la Sfar, mais on les distingue pas toujours. Avoir un dessin personnel, ça peut être un écueil – pas dans le cas de Mai car elle a un dessin très empathique. Vuillemin, avec son style trash, il aurait très bien pu ne jamais réussir. Blain, il lui a fallu Quai d’Orsay avant que les gens le découvrent, avant ce qu’il faisait ne se vendait presque pas.
Dans quelques temps, on pourra voir un album en reconnaissant son trait.
Z : Voilà, quand elle aura fait trois, quatre albums, on pourra la comparer à d’autres et dire « ça, c’est du Mai, lui c’est le nouveau Mai ». Ce sera chouette !
Le dessin a-t-il déjà évolué au cours de la réalisation de cette album ?
ME : Oui, je parviens déjà à beaucoup mieux dessiné les hommes. Jusque-là, j’avais du mal, avec les proportions, le style… Et, comme ce projet m’a pris deux ans, à la fin je devais dessiner de la même façon que dans les premières pages. Je n’ai donc pas pu changer grand-chose. Mais avec notre nouveau projet, je serai libérée de ça.
Félicitations encore pour ce magnifique album !
ME : Merci beaucoup !
Z : Merci, je lui souhaite vraiment de gagner un prix « premier album », ce serait réellement mérité pour Mai.
Propos recueillis par Arnaud Gueury
Interview réalisée le 11 mars 2015
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