À l’occasion de la rencontre organisée par BD Aix le 20 avril dernier, avec Yann Legendre et Serge Lehman pour le vernissage de leur exposition consacrée à Vega, nous avons eu le plaisir d’échanger quelques mots avec eux. L’occasion de prendre rendez-vous pour un entretien plus poussé, pour aborder à la fois l’album et l’événement, que nous vous partageons aujourd’hui. Bienvenue en 2066 !
Yann, avais-tu déjà l’idée générale, le pitch, de Vega en tête avant de la présenter à ton éditeur ?
Yann Legendre : J’avais l’idée des personnages et des deux intrigues croisées, la femme étoile et la sauvegarde de la dernière femelle orang-outan, Java. Mais aucune idée concernant l’interconnexion de ces deux histoires, ni de l’intrigue.
Comment est née cette collaboration avec Serge Lehman sur l’album ?
YL : Eh bien très simplement. Après avoir présenté le projet à mon éditeur, il était emballé mais m’a conseillé de m’associer à un scénariste pour développer l’histoire. Immédiatement, j’ai pensé a Serge, que je ne connaissais pas personnellement mais que j’admirais comme romancier et essayiste.
Une histoire d’anticipation avec des préoccupations bien actuelles dans laquelle tu as plongé avec plaisir, Serge ?
Serge Lehman : Plaisir est le maître-mot, ici. Je n’ai pas plongé dans l’histoire mais dans le graphisme fabuleux de Yann. Pour un scénariste, une proposition aussi forte, aussi aboutie, c’est le rêve.
Qu’as-tu apporté comme bagage personnel dans cette histoire ?
SL : Une certaine approche de ce qu’en science-fiction on appelle « le futur proche » : les récits d’anticipation à cinquante ou cent ans. J’en ai écrit quelques-uns dans les années 1990, en particulier la trilogie F.A.U.S.T (Fleuve éditions – Grand Prix de l’Imaginaire 1997). Ça m’a fait plaisir de retrouver cette forme spéculative particulière.
Comment avez-vous travaillé ? Y avait-il un ping-pong créatif ? Vous rencontriez-vous souvent ?
YL : Nous ne voulions pas écrire l’histoire d’un seul jet, car nous souhaitions progresser dans l’histoire, en même temps que nos personnages… Se laisser surprendre par un élément visuel ou narratif inattendu. Serge écrivait l’histoire en même temps que je la dessinais, chapitre par chapitre.
SL : … et on ne s’est pas rencontrés avant les dernières pages du livre. On a travaillé plus d’un an et demi par mail et téléphone avant de se voir. Mais je crois bien qu’on est devenus amis au premier coup de fil. Parfois, c’est comme ça.
Il est évident que le spectre des couleurs/lumières est un élément important du récit. Pourquoi cette volonté ?
YL : Je voulais que l’aspect visuel soit le plus immersif possible pour le lecteur. L’élément couleur n’est pas là pour rendre les choses “cute” mais pour happer le lecteur. C’est pour ça que je voulais des lumières irradiantes, des associations cognitives inattendues, comme par exemple la solution au-dessus de la ville de Chicago qui est rose ou la jungle qui est parfois bleue.
Serge, tu as été sensible à cette approche chromatique ?
SL : Oui, évidemment. L’idée que le monde en train de s’effondrer reste beau, et même splendide. C’était très important.
Yann, j’ai ouï dire que, outre le genre abordé à travers Flesh Empire et Vega, l’adaptation de roman pourrait t’intéresser. Mais d’un romancier en particulier…
YL : Oh, la liste est longue… mais il y a eu un roman par lequel tout a commencé, c’est Songes de Mevlido d’Antoine Volodine. Après avoir lu et relu ce livre plusieurs fois, j’avais tout le déroulé visuel dans ma tête et j’ai décidé de contacter son auteur pour lui proposer le projet d’adaptation en bande dessinée. Il n’a pas été très enthousiaste à l’idée qu’un autre artiste s’empare de son univers… et c’est grâce a ce refus que je me suis lancé dans l’écriture de ma première BD, Flesh Empire. Comme quoi chaque chose arrive pour une raison.
Cette exposition pour BD Aix est superbe. Comment l’avez-vous appréhendée ? Je pense notamment à la taille des illustrations, la forme de la pièce et l’accompagnement sonore.
YL : Nous voulions créer un lien d’immersion pour le visiteur. L’idée est venue très vite de créer un espace sensoriel plutôt qu’une exposition traditionnelle. Pour cela, j’ai proposé quatre grandes fresques qui vont du sol au plafond et qui couvrent la totalité des murs soit environ 2,50 x 6m. Elles sont composées d’un patchwork d’images tirées du livre et réorganisées par grandes zones de couleur… un peu à la manière de fresques picturales. Puis j’ai demandé à un ami musicien, Thomas Barrandon, de composer une bande-son musicale qui accompagne la plongée dans l’univers visuel. Pour finir, nous avons enregistré la voix de Dewi, la petite fille du livre, qui à certains moments vient ponctuer la bande-son de phrases qu’elle dit et qui créée le lien narratif entre images et son. La reprise de ces phrases se fait aussi par quatre stèles lumineuses, dispersées dans la salle, qui viennent éclairer à tour de rôle les fresques.
SL : Pour ma part, j’ai fait porter l’effort sur le journal associé à l’exposition.
Oui, c’est l’autre élément clé de l’événement, le Chicago Daily News de 2066 que vous avez imaginé. À la fois une suite, un prolongement, une mine d’informations (Papa Pongo est bien vivant !) et clairement une ouverture sur une suite. Serge, je crois que tu as l’habitude de ce genre d’objet para BD ?
SL : C’est presque un élément de mon style, en fait. Je l’ai réalisé il y a peu. Depuis mes débuts, la plupart de mes livres importants sont composites : le récit principal est presque toujours complété par de faux articles, des essais imaginaires, des lettres apocryphes, mais aussi des préfaces, des postfaces, des notes… Donc oui, faire le Chicago Daily News était très naturel.
Comme nous l’avons compris, la suite de Vega est en route. Que pouvez-vous nous en dire sans trop spoiler ?
SL : Rien. La patience est une vertu.
Merci à tous les deux d’avoir pris le temps de répondre à mes questions.
Propos recueillis par Stéphane Girardot
Interview réalisée le 25 avril 2023
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