Dessinateur fascinant, qui se taille en compagnie de Stéphane Betbeder, son scénariste désormais habituel, une bibliographie aussi variée que captivante, Paul Frichet s’est lancé dans un registre sensiblement différent de ses autres projets avec le premier tome de Mikki et la traversée des mondes. Pour présenter ce titre un peu orienté jeunesse mais exigeant dans son histoire et son univers, le dessinateur était invité au dernier festival Quai des Bulles, où nous avons pu échanger quelques minutes avec lui.
Bonjour Paul. La dernière fois qu’on s’est croisés, c’était pour la conclusion de L’Arche de Néo. Cette nouvelle série est quelque chose de complètement différent.
Paul Frichet : C’est complètement différent. Mais, pour moi, c’est la continuité logique de ce que je faisais sur Brocéliande.
L’album donne l’impression que ça va être du young adult mais l’histoire est vraiment complexe.
PF : Oui, c’est ce qu’on nous a dit. Après, on a fait un énorme travail pour que ce soit le plus limpide possible.
Le scénario ne joue pas la facilité, on sent qu’il y a beaucoup de choses qui doivent se mettre en place.
PF : C’est un peu ça. L’idée, c’est un peu que, comme dans certains films, on ne mâche inutilement pas le travail du lecteur. Du coup, ça peut demander plus d’attention, de la concentration. On pense que ce n’est pas mal de faire le pari de l’intelligence.
On a l’impression qu’il y a plein de petites pistes, et qu’on en saura sûrement un peu plus après le tome 2.
PF : Oui, mais ne compte pas sur moi pour spoiler quoi que ce soit ! (rires)
La quatrième de couverture n’en dit-elle pas trop, d’ailleurs ? Ça parle de réalité virtuelle et d’intelligence artificielle…
PF : Non, je pense qu’on comprend bien qu’on est dans un programme. Et le récit est plus dans le registre du conte, façon Alice au pays des merveilles, plus que d’interroger les questions de l’intelligence artificielle. Cette dernière est un prétexte, une explication de surface. Mais ce n’est pas la finalité du récit. Le but du jeu est plus d’explorer des espèces de mondes fantastiques qui obéissent à des règles un peu bizarres. Ca va plus se poser sur ce terrain-là que d’un point de vue scientifique ou rationnel.
Dans chaque tome, on va donc découvrir des règles différentes ?
PF : Exactement. Il y aura à chaque fois un élément détonnant qui va créer la dynamique du récit. Comme les portes dans le premier tome. Et donc, dans le prochain, la gravité. Sans trop spoiler, tout le tome 1 est centré sur Mikki, c’est elle qu’on suit, c’est sa thérapie, son épreuve. Elle restera fortement présente dans les autres tomes, car c’est l’héroïne du titre, mais c’est par exemple Pétronille qu’on suivra dans le tome 2. On va être plus sur sa problématique à elle et voir comment Mikki peut s’intégrer à son aventure.
C’est un beau projet de s’engager sur quatre tomes.
PF : C’est du travail, oui, d’autant que le tome 2 va être encore un peu plus long que celui-ci. J’espère encore ne pas trop spoiler mais chaque tome, avec la particularité de son univers, crée des difficultés de mise en scène autour du moyen de faire fonctionner tout ça. Avec la gravité en jeu, il y a plein de problèmes à résoudre pour que tout se tienne. C’est un casse-tête assez rigolo.
Tu travailles une fois de plus avec Stéphane Betbeder. Est-ce logique pour toi de continuer avec lui ? J’imagine que vous vous entendez parfaitement.
PF : Exactement. On a une super relation de travail. C’est notre dixième livre ensemble et on a une collaboration très fluide et très ouverte. Quand on a commencé, c’était le plus expérimenté de nous deux. Du coup, il m’a pas mal accompagné et, au fur et à mesure, m’a permis de gagner en confiance. Du coup, sur Mikki, on est sur quelque chose de vraiment collaboratif dans le sens où, même si c’est lui le scénariste et moi le dessinateur, le récit a vraiment été façonné sur mesure pour moi. Quand il a monté le scénario, j’ai commencé à bosser les persos puis il a pu rebondir sur les visuels que j’avais et ça a été ensuite un dialogue constant sur l’histoire. Et encore plus quand on est passé à l’étape du storyboard, une étape ultra importante pour ce tome-là. Comme tu l’as dit, vu que c’est assez complexe, il ne fallait être sûr que tout se tienne. Et on y a passé pas mal de temps. C’est le premier livre qu’on a storyboardé de A à Z avant de réaliser quoi que ce soit. D’habitude, comme sur L’Arche de Néo, on le faisait plutôt par scènes. Pour le tome 2, c’est pareil, j’ai tout storyboardé avant de commencer la réalisation des pages.
Les autres séries étaient peut-être plus linéaires ?
PF : Pas forcément, on essaie aussi de trouver des façons plus intéressantes de travailler. C’est une question d’organisation de travail, en fait. Mais c’est vrai que c’est beaucoup plus confortable d’avancer comme ça. Au final, on a un meilleur contrôle sur l’ensemble. Si on se rend compte en fin de lecture qu’on a raté un truc en page 15, c’est beaucoup plus simple à corriger. En fait, ça me paraîtrait même maintenant un peu absurde de procéder autrement.
Vous avez enchaîné rapidement entre les deux dernières séries.
PF : On a commencé à bosser dessus pendant le confinement en 2020. Ca nous a laissé le temps de faire mûrir le projet. J’ai pris le temps de finir le dernier tome de L’Arche de Néo et c’est tant mieux. Comme tu disais, j’ai changé des choses dans mon dessin. C’est un travail d’épure, j’ai cherché le moyen de faire plus simple, plus efficace, plus expressif. Il a fallu préparer ça en amont.
Il y a aussi un gros travail sur les couleurs.
PF : C’est quelque chose sur lequel je bosse beaucoup, avec Stéphane aussi. C’est quelque chose qui est vachement important. Sur le tome 3 de Néo, j’ai laissé la couleur pour gagner du temps et préparer Mikki mais dans l’absolu je préfère faire mes couleurs, car c’est plus simple. Elise Follin, qui a fait la couleur du tome 3 de Néo, a fait un super travail, mais j’ai du lui casser un peu les pieds parce qu’elle a du continuer le travail que j’avais posé, ce n’est pas forcément ce qu’elle fait naturellement. C’est une situation qui n’est pas confortable pour elle et que moi je n’aime pas non plus. Elle s’en est super bien sortie mais c’est plus simple pour moi d’être dans ce rôle pour Mikki. Le dessin et les couleurs sont vraiment le composant d’une même pièce et, si on a une vision de ce qu’on va faire en couleur, c’est différent du fait de devoir travailler avec un coloriste.
Est-ce que tu as mis du temps à trouver les personnages ?
PF : Un peu. Sur mon instagram, on peut trouver une publication où je montre des recherches sur les personnages. Les premiers essais étaient plus réalistes. Puis ça s’est fait en même temps, de trouver les persos et de trouver le style graphique qui va avec. Travailler les persos, c’est ce que je préfère. Sinon, tu parlais de young adult mais la cible, à la base, c’est plutôt les 10/12 ans. J’ai vu des enfants de cet âge tout à fait capables de comprendre. Mais quand j’ai vu ta chronique, j’ai dit à Stéphane “tiens, une chronique fait remarquer que ça peut s’adresser aussi à un autre public”. Je pense qu’il y a un niveau de lecture qui peut plaire à des jeunes adultes, ou des adultes, car c’est pensé pour les enfants mais on ose espérer que ce n’est pas que pour les gamins. Un peu comme ce que fait Pixar, qui fait du divertissement de qualité pour les enfants, c’est intelligent, et en même temps les adultes y trouvent leur compte. C’était un peu aussi ça, l’idée, modestement. Moi je vois ma fille qui lit des mangas, des shonen, qui peuvent être assez complexes. C’est un équilibre qui est dur à trouver.
C’est notamment ce qui change de vos autres séries.
PF : C’est un peu notre souci parce que, sur Néo, on avait mal réfléchi au lectorat cible et cela nous a conduit à commettre quelques erreurs stratégiques. Notamment, les couvertures faisaient un peu “jeunesse” alors que les albums ne le sont pas.
D’où le format plus petit pour Mikki ?
PF : Ca, ce sont aussi des contraintes éditoriales. Ca fait plus jeunesse, mais c’est tout bête, c’est une question de prix. Si on réduit un peu la taille, on peut vendre moins cher. Là c’est un 72 pages, une assez forte pagination, c’est donc la proposition de l’éditeur de faire un format plus petit. Même si c’est du numérique, j’ai bossé sur le même format que pour Néo. Mais je trouve que les pages ont bien vécu la réduction, d’autant que la décision de réduire a été prise après coup. Mais ça tombe bien car j’ai quand même un dessin qui est beaucoup plus épuré. Pas vide non plus, mais si on compare à Brocéliande où c’était l’orgie de détails et de petits traits… (rires)
Es-tu venu facilement à ce côté plus épuré ?
PF : Oui, même si il faut parfois se faire violence quand, au noir et blanc, il n’y a qu’un personnage et rien derrière. On a l’impression que ce n’est pas assez, que c’est “fainéant”. En fait, il faut toujours avoir à l’esprit que c’est la facilité de lecture qui compte. C’est une sorte de complaisance dans laquelle on peut vite tomber si on ne fait pas gaffe, avec l’envie de faire du remplissage. Surtout dans la jeunesse, il est important d’en mettre des fois moins pour gagner en dynamisme. Souvent, efficacité rime avec simplicité !
Merci beaucoup à toi !
Propos recueillis par Arnaud Gueury.
Interview réalisée le 28 octobre 2023.
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