C’est pour une double actualité que nous avons rencontré Loïc Clément lors de sa venue au festival Quai des bulles. Créateur d’univers sensibles et marquants, prolifique scénariste ces derniers mois, il est notamment l’auteur d’une très sympathique bande dessinée en grande partie autobiographique, Super Pixel Boy, déjà l’un de nos coups de cœur l’an passé, et de Héloïse et les larmes de givre, un nouvel opus des Contes des cœurs perdus.
Bonjour Loïc. Depuis deux ou trois ans, on peut retrouver de plus en plus de tes projets édités. C’est un petit peu nouveau pour toi, les parutions sont bien plus nombreuses.
Loïc Clément : Ce n’est pas faux. (rires) C’est aussi l’injustice du métier de voir certains livres sortir aujourd’hui alors qu’ils ont été terminés il y a trois ans. Ça fait un peu carambolage. A l’inverse, j’ai eu des périodes un peu désertiques, alors que je travaillais à fond. Il y a vraiment ce truc de la collaboration qui fait que je suis un peu tributaire du boulot des gens qui veulent bien travailler avec moi. Mais oui, c’est vrai que je travaille beaucoup.
En ce moment, c’est une belle période, avec de beaux projets qui se concrétisent.
LC : Je ne sais pas si c’est une consécration. Après, est-ce que je suis le genre de type qui voit le verre d’eau à moitié vide ? Je n’en sais rien, mais je trouve que les albums sortent parmi tellement d’autres qu’ils sont peu à exister, en réalité. Et c’est assez dur à vivre de travailler longtemps sur un projet, voire d’attendre parfois longtemps sa parution, pour qu’il soient aussitôt invisibilisé dès sa sortie du fait d’un carambolage de nouveautés. Vraiment, c’est quelque chose qui me frappe, moi, beaucoup. Ils sont assez rares, les livres sur lesquels je bosse et qui surnagent un peu, parce qu’ils sont très très vite chassés des tables. Mais c’est la dure loi de la surproduction, que j’incarne un peu peut-être aussi malgré moi.
C’est difficile à juger…
LC : C’est difficile, oui. J’essaie de mettre des exigences qualitatives sur chacun des projets et je suis d’ailleurs le premier à m’autocensurer sur des projets qui ne méritent pas selon moi de devenir des livres, que je mets de côté volontairement. Il n’en demeure pas moins que j’ai cette impression qu’il n’y a plus beaucoup de livres et que je pourrais être content d’avoir effectivement des ouvrages qui sortent régulièrement. Mais je ne le suis qu’à moitié à cause de ça.
Ça semble peut-être long à lancer mais est-ce qu’une série comme Les Contes des cœurs perdus ne commence pas à trouver un vrai public ?
LC : Eh bien moi j’ai l’impression que non. Je préférerais me tromper mais j’ai l’impression que ce sont des livres qui passent assez inaperçus. J’espère me tromper. Ce ne sont déjà pas des gros tirages. Ce que je peux dire de positif, parce qu’il y a des choses positives, c’est que ce sont des séries qui me permettent de travailler avec des gens que j’adore, ce qui est déjà incroyable, et d’avoir un public fidèle, qui suit sur la longueur les albums, et ça c’est super. Maintenant, j’en reviens à la visibilité et les ventes ne sont pas du tout folles. Les albums disparaissent très très vite. J’ai des copains qui vont en librairie, ils ne voient pas les ouvrages. C’est dur à vivre, c’est peut-être même encore plus dur – là, je parle peut-être au nom de Boris, je ne sais pas ce qu’il en dirait – quand on passe un an sur un album parce que moi j’ai la chance de jongler entre plusieurs livres, donc finalement, quand j’ai une déception, je disparais des étals de librairie mais parfois je peux me consoler avec un autre ouvrage. Pas le dessinateur ou la dessinatrice qui a passé un an sur son livre. Et si le livre a une espérance de vie de quinze jours, ce qui est parfois le cas, c’est plus dur encore à encaisser pour les collaborateurs.
C’est d’autant plus étonnant que tu travailles avec des artistes formidables.
LC : Je suis d’accord. Par exemple, l’album de Justine Cunha, c’est 3500 exemplaires tirés, c’est une toute petite parution. Donc il y a les talents et la joie incroyable de travailler avec des artistes dont je suis absolument amoureux et fan d’un côté, et de l’autre cette petite douche froide, de se demander si le livre va vraiment avoir sa vie. Je n’ai pas envie de faire une interview trop dépressive mais il y a vraiment cet aspect… je m’en voudrais de passer sous silence cette réalité-là, de ne montrer que le positif, ma fierté d’avoir fait ces albums. Ce serait pour moi masquer une partie de la réalité de notre métier aussi, je trouve que c’est important de le noter. Mais je suis très heureux, très fier de ces livres, je les assume à 30000%.
Avec Super Pixel Boy, c’est encore une autre facette de toi que tu révèles. Est-ce que c’est totalement toi ou y a-t-il beaucoup de fantaisie ?
LC : Le tome 1 est à la limite de l’autobiographie. On est vraiment à deux doigts de l’autobiographie pure et simple. Dans le tome 2, on tombe déjà un peu plus dans l’autofiction. Dans la différence que je fais entre les deux, c’est que l’autofiction me permet de romancer un tout petit peu plus les souvenirs. Mais globalement on est très très proche quand même. Ce sont les copains d’époque avec leurs vrais noms, ce sont les lieux d’époque avec leurs vrais noms, les jeux d’époque avec leurs vrais souvenirs… Il y a juste eu besoin, pour le tome 2, de tordre un tout petit peu les souvenirs parce que chaque jeu doit correspondre à une émotion ou un épisode de ma jeune vie, ce qui a parfois été un peu compliqué à mettre en place. Mais globalement on est très très proche. Le petit gamin de huit ans de l’époque se dirait que c’est sa vie, ça.
On se demande parfois si c’est un peu exagéré ou non.
LC : Oui, ça l’est forcément. Par exemple, je n’étais pas aussi tête à claques que le personnage, qui est complètement obsédé. J’étais un peu plus nuancé que ça. Mais c’est fou comme il y a de moi là-dedans.
Au début, on ne s’en rend pas tellement compte, le personnage s’appelle Pixel…
LC : A la toute fin, quand mon amoureuse de l’époque me fait un bisou, elle dit « tu es un peu lent, Loïc ».
J’ai eu l’impression que dans le deuxième c’était beaucoup plus assumé, le perso est appelé Loïc, et même Monsieur Clément par une prof.
LC : Oui, oui c’est vrai. Mais le prénom Loïc n’est prononcé qu’une seule fois aussi, par l’amoureuse à nouveau, exactement comme dans le premier.
Est-ce que ta première idée était de parler de jeu vidéo, de ta jeunesse, ou tout cela s’est-il mêlé ?
LC : L’idée toute première, c’était les jeux vidéo. On a été approchés par Fluide Glacial, à Angoulême en 2021, si je ne dis pas de bêtises. Très étonnamment, Bertrand Gatignol, avec lequel je travaille et avec qui j’ai fait Le Voleur de souhaits chez Delcourt, avait participé à une expo et a rencontré une éditrice de Fluide Glacial qui lui a dit qu’elle adorait notre livre commun. Bertrand lui a dit de me contacter, ce qui l’a étonnée car elle trouvait que mon univers était un peu loin de Fluide. Mais il lui a assuré qu’elle serait surprise par ma capacité à être un peu rigolo et à faire des choses comme ça. Elle m’a contacté, on s’est rencontrés à Angoulême en 2021 et elle m’a demandé sur quoi je voulais travailler. Sincèrement, je n’avais pas préparé la rencontre. Le premier truc qui m’est venu spontanément, c’est de lui dire que je pourrais bien parler des jeux vidéo. Et je suis tombé à pic parce qu’ils cherchaient un tout petit peu à rajeunir leur lectorat et c’est un sujet qui avait été très peu traité dans le magazine. Elle m’a dit tout de suite que je devais rencontrer leur spécialiste maison des jeux vidéo, Boris Mirroir. Je connaissais Boris par son boulot, mais je ne connaissais absolument pas la personne. On a correspondu brièvement par l’entremise de Fluide Glacial, à un moment particulier puisque Boris se posait la question de continuer ou non la BD. Et, clairement, les BD sur les jeux vidéos, ce n’est pas son dada, parce que la plupart du temps il estime que ce n’est pas bien traité, que c’est un peu opportuniste, que c’est un prétexte. Fluide lui a envoyé, je crois, le scénario des deux premiers chapitres qui avaient été écrits et il a dit oui tout de suite, ça a été immédiat. On a alors fait un chapitre dessiné qu’on a proposé à Fluide, et c’est là que ça s’est corsé. On nous a demandé d’ajouter un petit peu de cul, de la grivoiserie, et ça ne collait déjà plus beaucoup à ce qu’on voulait faire. On s’est retrouvés du coup à présenter le projet chez Delcourt et le paradoxe est qu’on a été signé avec un éditeur qui ne joue pas aux jeux vidéo mais qui estime à juste titre que si lui ça le faisait marrer alors qu’il ne joue pas, ça pourrait plaire aux autres. Et ça a donné un baromètre assez sympa, ça nous a permis d’aller plus vers ce qu’on voulait, c’est à dire un truc un peu plus sensible. Mais on est resté très jeux vidéo sur le premier et, dans le 2, j’ai l’impression qu’on a enfin trouvé notre rythme de croisière. On a pu ajouter beaucoup plus de part autobiographique, plus de récit intime, parce qu’on s’est rendus compte dans les retours qu’on a eus que c’est ce qui intéressait le plus les lecteurs. Les souvenirs, le petit garçon, comment il est avec ses parents, avec ses amis, avec son amoureuse, et moins le reste. On a vraiment tiré des leçons de ça et on s’est dit « ok, ça tombe bien, nous aussi c’est plutôt vers là qu’on a envie d’aller ». Et les jeux vidéos sont toujours présents dans le 2, mais l’équilibre s’est ajusté. Il y a beaucoup plus de narration et on a pété tout ce qu’on avait mis en place. Les chapitres ne font pas forcément quatre pages, on s’est même retrouvés à ne pas nommer le jeu vidéo. Il y a un chapitre consacré à Another World, un jeu Super Nintendo d’Eric Chahi. Pas une fois le jeu n’est cité, pas une fois le personnage ne parle du jeu, alors que c’était quand même le principe de la série. On a pu s’affranchir des règles dans le 2, et je pense que dans le 3 ça va être encore plus le bordel.
Ce sera aussi la fin de la série, avec l’envie de conclure sur cette époque particulière.
LC : Oui, ce sera la fin du 16 bits et de la Super Nintendo. Après on passe à la PlayStation et ce n’est pas ouf à dessiner. Déjà parce que c’est l’époque de la 3D moche, ça ne ferait pas une jolie BD. Je ne sais pas si ça t’arrive de rejouer à la PlayStation mais c’est pas ouf.
Effectivement, je l’ai conservée mais je préfère rejouer aux jeux NES ou Super Nintendo, ou revenir aux derniers jeux PS2, voire PS3.
LC : Oui, exactement. Il y a quelques jeux qui surnagent, mais ce n’est pas ouf. C’est pareil pour la Nintendo 64, les seuls sur lesquels on peut rejouer facilement sont ceux dont le gameplay n’a pas vieilli, les Mario Kart et autres, sinon ce n’est pas beau. On s’est donc dit que ce n’était pas la peine d’aller là. Par contre, je ne pense pas qu’on le fera mais on a eu l’idée de faire un genre de spin off des années plus tard où le gros Pixel, c’est à dire moi, est papa, et parler du lien intergénérationnel avec des enfants d’aujourd’hui puisque mes enfants sont des joueurs. On avait trouvé qu’il y avait une thématique à exploiter, autour de la transmission. Et en plus il y a plein plein de jeux indé qui sont développés aujourd’hui sur Switch, sur Steam, sur plein de trucs, on n’est pas obligé de ne parler que des grosses licences. Je ne pense pas qu’on le fera mais ça reste dans un coin de notre tête. Si Super Pixel Boy devient un succès incroyable, on pourrait pousser vers ça.
En parlant de jeu indé, le jeu Super Pixel Boy existe.
LC : Oui, sur Game Boy. C’est développé par Johnny Humberset, qui signe JohnDo en tant que développeur. Effectivement, avec Delcourt et Johnny, on a travaillé sur l’adaptation en jeu Game Boy de Super Pixel Boy. On peut donc vraiment acheter la cartouche, qui se joue vraiment sur la Game Boy, c’est très très cool. Ca fait un goodies assez rigolo, assez collector parce qu’il n’y en aura pas des tonnes. Moi c’est un truc qui m’intéresse depuis longtemps, on appelle ça la scène homebrew, c’est à dire les gens qui développent sur les vieilles consoles. Et ça m’arrive régulièrement d’acheter des jeux NES. Pour NES et Super Nintendo, je ne sais pas si c’est possible, je n’en suis pas sûr, je ne me lancerais pas, mais pour Game Boy il existe un logiciel qui est très simple d’accès et qui te permet vraiment de créer un jeu. Tu ne fais même pas la ligne de code, c’est le logiciel qui le fait pour toi, et tu peux sortir des jeux Game Boy assez facilement aujourd’hui. Johnny fait ça à temps plein maintenant, c’est son job, mais quand il s’est lancé au début, il ne connaissait rien à la programmation. Il s’est lancé il y a quelques années, il a commencé à développer ses premiers jeux et maintenant c’est son taf. Je suis abonné à un magazine qui s’appelle Pixel Love, qui traite de l’actualité homebrew justement, donc de plein de jeux qui sont développés sur les machines mais aussi des jeux d’époque. Je trouve qu’avec Super Pixel Boy on s’est vraiment inscrits dans cette ligne de quadras qui s’intéressent encore un peu aux vieux jeux en pixels.
Est-ce que tu te replonges souvent dans ces vieux jeux ?
LC : En fait, j’étais un énorme collectionneur. Je dis « étais » parce que, depuis septembre 2022, je revends ma collection. Ça fait un an que je revends ma collection, j’avais des milliers de pièces, des milliers de jeux, dont certaines consoles extrêmement rares. Je pense que j’ai dû garder quelque chose comme une dizaine de consoles et une centaine de jeux, et je revends tout le reste parce que j’ai déménagé dans un tout petit endroit. Avant j’avais une pièce de 120 m² et là je vis dans 59 m² donc il a fallu faire des choix. Je me débarrasse de toute ma collection et ça fait bizarre. Il y a des pièces uniques qui partent, qui font le bonheur des collectionneurs, et j’ai vécu des scènes qui pouvaient faire des chapitres pour Super Pixel. Des trucs complètement dingues où tu as rendez vous sur un parking avec un collectionneur et toi tu viens avec un témoin des fois que tu te fasses péter la gueule, parce que ta console vaut 2000€, et lui aussi parce qu’il a le liquide… (rires) On se retrouve au petit matin sur un parking, il n’y a personne, on se regarde en chiens de faïence, en mode « est-ce que c’est une arnaque ? »… c’est assez drôle ! Je me débarrasse de vieilles consoles mais je continue à jouer régulièrement. Pour être très précis, la console aujourd’hui encore à laquelle je joue le plus, c’est la Super Nintendo. Je suis très régulièrement à remettre une cartouche dedans, ça vieillit bien.
Question de génération, la NES est aussi un souvenir merveilleux pour moi, d’où le fait que la couverture du tome 2 m’ait autant plu. Tu dois connaître la version Lego de la console ?
LC : Mais oui, bien sûr, je l’ai ! J’ai acheté l’Atari aussi, ce n’est pas ma génération mais c’est vrai que c’est magnifique. Sinon mon Zelda préféré, c’est le premier sur NES. J’ai des petites figurines en pixel d’époque qui datent de 1987, des petites figurines japonaises, ils appellent ça des dots. Celles du premier Zelda sont magnifiques, pour moi ce sont quasiment des petites œuvres d’art. Je les ai conservées. J’ai encore un petit musée chez moi, un dressing dans lequel j’ai tout mis, les petits objets, les jeux, les consoles que j’ai conservés. Quand on referme, on ne voit rien.
Merci beaucoup !
Propos recueillis par Arnaud Gueury.
Interview réalisée le 28 octobre 2023.
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