Nous avons profité de sa présence lors du festival Quai des Bulles pour poser nos questions à Julien Martinière dont nous attendions avec impatience l’adaptation d’À la ligne de Joseph Ponthus, récemment parue aux éditions Sarbacane.
Bonjour et merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Est-ce que vous pouvez vous présenter pour celles et ceux qui, comme moi, vous découvriraient avec cet album, À la ligne, publié chez Sarbacane ?
Je m’appelle Julien Martinière, je viens plutôt du monde de l’illustration jeunesse où j’ai déjà fait pas mal d’albums chez différents éditeurs. Là, chez Sarbacane, c’est ma deuxième BD. J’avais fait un album chez Les Enfants Rouges, Ma (dé)conversion, qui était déjà une adaptation d’un roman [Ma (dé)conversion au judaïsme, de Benjamin Taïeb, paru en 2017 aux éditions Lunatique]. Et là, ce projet chez Sarbacane était beaucoup plus conséquent en termes de travail et c’est donc l’adaptation du roman de Joseph Ponthus.
Comment est né ce projet ? C’est vous qui avez démarché Sarbacane, vous aviez déjà cette idée d’adaptation ?
Non, en fait, j’étais en train de faire un album jeunesse chez Sarbacane [Loup d’or, avec Raphaële Frier au scénario, 2020] et on était déjà dans l’univers de l’usine, même si c’était un conte. Cet univers était en place, Fred, qui s’occupe de la BD, voyait déjà ce dont j’étais capable et on était sur un salon, on discutait de ce qu’on était en train de lire comme livres et il m’a dit « ben tiens, j’ai lu ce bouquin, tu devrais le lire, je pense que ça va te plaire ».
Ah, vous ne l’aviez pas encore lu !
Non, je ne l’avais pas lu. Je pense qu’il avait déjà une petite idée en tête mais c’était vraiment parce qu’on échangeait sur des romans. J’ai une famille qui est liée au milieu ouvrier aussi. Je pense que ça a fait tilt. Enfin bref, il y avait tout ça. Quand je l’ai lu, ça a vraiment été une grosse claque et je lui a dit « si on peut le faire, on le fait ! ». Après, il a pu avoir les droits, on a rencontré l’auteur, qui n’était pas encore décédé à ce moment-là, et son éditrice. Je leur ai présenté quelques croquis d’ambiance et ils ont accepté qu’on parte sur l’aventure.
Le projet est né il y a quand même un petit moment…
Oui, ça fait autour de quatre ans, je dirais. J’ai mis trois ans à le faire. C’est vrai que j’ai pas mal tâtonné au début sur l’objet en tant que tel. Comme c’est vraiment un texte qui est tout en prose, sans ponctuation, il y avait un enjeu formel à trouver et, au départ, j’étais parti sur des pistes que j’ai finalement abandonnées. Ensuite, j’ai fait tout le storyboard. Ça pris beaucoup de temps. Je voulais vraiment faire quelque chose d’intéressant, qu’il y ait un réel enjeu sur l’adaptation, que ce ne soit pas une adaptation parmi tant d’autres. Il y avait toute cette recherche à la fois formelle et puis du rythme. C’est vrai que j’ai pris mon temps mais je suis assez content du résultat.
Ça n’a pas été très facile à scénariser ?
Il a fallu faire des choix parce qu’il y a plein de chapitres que je n’ai pas mis, pour plein de raisons. Soit parce que c’était redondant, soit parce que ça ne collait pas visuellement. Je voulais aussi qu’il y ait certes des scènes fortes liées au monde du travail mais je voulais aussi qu’il y ait des respirations, notamment dans la nature quand il est avec son chien, histoire que le lecteur se repose un peu aussi. Il y a eu tout ce travail de mise en scène qui a été mis en place. Et puis tout ce qui est autour des dialogues.
Donc il y a eu des ajouts, ces respirations. Vous pensiez faire ça dès le départ, ou bien vous avez envisagé de faire une adaptation très fidèle et vous vous êtes rendu compte que ça ne marchait pas ?
Lui, il parle dans son texte de certaines pauses, justement, qu’il a besoin de sortir dehors, et ce sont des choses que je reprends mais c’est vrai que la mise en images crée en soi…
On s’y arrête plus longtemps que la phrase en passant…
C’est ça et c’est tout l’enjeu de l’adaptation. On peut dire des choses en une case ou en quatre planches. Il y a tout un rythme qui se met en scène. C’est du cinéma. À partir du moment où on s’est mis d’accord sur ce qu’on voulait faire, ça a coulé de source. Je prenais les chapitres qui m’intéressaient et je les travaillais comme ça. Ça s’est fait assez logiquement. Longuement mais logiquement (rires).
Le choix du noir et blanc a été une évidence ? Parce que vous avez fait des choses qui sont en noir et blanc, Black Cloud ou Macadam (même s’il y a une petite touche de couleur).
Je fais de la couleur parce qu’en jeunesse c’est un peu attendu même s’il y a des auteurs comme Guilloppé qui ont fait du noir et blanc leur marque de fabrique. J’aime beaucoup le noir et blanc parce que j’ai beaucoup lu de BD en noir et blanc, tout bêtement. Je suis fan de tout ce qui se faisait à L’Association, par exemple. Ça fait partie de ma culture. La couleur, je trouve parfois que ça peut alourdir le dessin. En y repensant, je pense que j’ai été beaucoup marqué par un documentaire de Franju qui était sur les Halles de la Villette [Le Sang des bêtes, 1949]. C’est vrai que, quand j’y repense, ce sont des choses sur lesquelles je travaillais déjà quand j’étais aux Beaux-Arts. Il y avait cette espèce d’esthétique du noir et blanc qui était assez déconcertante parce que c’était beau et en même temps c’était la mise à mort des animaux. J’ai en tête toute une scène avec un magnifique cheval blanc qui se fait tuer. On est dans cette espèce d’ambivalence entre le beau et l’horreur. Je trouvais que le noir et blanc s’y prêtait assez bien.
Vous expliquez que l’auteur n’était pas encore décédé quand vous avez commencé le projet. Est-ce qu’il y a eu une espèce de pression supplémentaire à l’idée de ne pas pouvoir échanger avec lui, pouvoir faire valider certaines idées, vouloir ne pas trahir l’esprit de son œuvre ?
Complètement. Lui n’est pas intervenu au début, il a validé et on a quand même beaucoup échangé sur ce qui lui avait servi à lui, ses sources, ses références, de livres autres qui parlaient de cette thématique-là. On a beaucoup échangé, même sur des documentaires. Quand il est décédé… En plus, il avait mon âge donc ça m’a vraiment mis un coup. Et il y a ce truc de se dire que jamais il ne verra le produit fini. C’est vrai que ça a été assez dur. Sur le coup, ça m’a démoralisé. Je me suis dit à quoi bon…
Vous vous êtes demandé si vous vouliez le finir ?
Oui, vraiment. Après, on se disait qu’il fallait que ce soit un objet qui existe justement en hommage à sa mémoire. Il fallait aller au bout. Mais à ce moment-là, ça m’a beaucoup questionné sur la légitimité du travail d’adaptation. Ça a été un rude coup.
Être sûr d’ajouter quelque chose…
Oui, je m’étais posé la question dès le début mais c’est vrai que là, ça a encore mis une couche supplémentaire. Ce qui n’était pas simple.
Vous êtes content de la réception ? Vous avez eu du monde en dédicace, j’ai l’impression. Les gens connaissaient le livre ?
Il y a un peu les deux cas de figure, soit ceux qui connaissaient le roman et sont curieux de l’adaptation, et ceux qui ne connaissaient pas du tout et sont portés par le graphisme ou la thématique. Il y a un peu de tout. Ce qui est pas mal, c’est que ça peut potentiellement toucher des gens qui ne lisent pas beaucoup de BD, des gens un peu plus littéraires. Je trouve ça bien. Ça peut amener de l’un vers l’autre. Là, il est sorti depuis quinze jours mais il y a déjà pas mal de retours de libraires notamment qui connaissaient très bien l’œuvre et qui attendaient avec une certaine réticence. J’ai vraiment des très très bons retours. Pour l’instant, ça va.
Est-ce que vous avez d’autres projets dont vous pouvez nous parler ?
Là, je travaille sur un album jeunesse mais, après, je pense que je vais repartir sur un projet BD, sûrement avec Sarbacane.
Ça donné envie de refaire de l’adulte.
Oui. Je suis un gros lecteur de BD. C’est un peu la BD qui m’a amené au dessin en fait, quand j’étais petit, comme tous les dessinateurs je pense (rires), je recopiais des Lucky Luke ou des Astérix. C’est comme ça que l’amour du dessin est venu. Quand j’étais étudiant, je faisais beaucoup de fanzines. Je suis tombé un peu dans l’album jeunesse par hasard parce que ça me semblait plus facile de démarrer une carrière sans être connu, que tout de suite avec un projet d’album BD, beaucoup plus lourd en termes de travail. Après, ça s’est fait… c’est toujours des hasards de rencontres, de toucher la bonne personne chez l’éditeur à qui on envoie. Classique ! J’ai fait des études en animation et je trouve qu’il y a beaucoup de lien entre la bande dessinée et le dessin animé. La séquentialité se rapproche vraiment fortement du cinéma donc c’est quelque chose où je suis assez à l’aise.
Je rebondis un peu sur une question précédente : vous avez eu des retours de la part de la maison d’édition d’origine du livre ?
Je sais qu’ils ont relayé l’info. Personnellement, je n’ai pas eu spécialement le retour. Après, je sais que nos éditeurs, Sarbacane et l’éditrice de La Table Ronde, échangent pas mal. A priori, elle est assez contente du résultat.
On se sent validé. La pression redescend.
Oui, c’est ça. Estampillé. Là, il y a quinze jours, pour le lancement, on était du côté de Lorient où il habitait et les libraires le connaissaient personnellement dont un qui était vraiment un ami proche. C’est vrai qu’il y avait tout un truc de dire : « bon alors, ton livre…. On va en parler ». Et il était très content du résultat. J’étais adoubé. Je trouve ça chouette parce qu’il y a toujours cette crainte. Comment ça va être reçu ? Est-ce qu’on ne va pas crier à la trahison à partir du moment où le livre a connu un certain succès, l’auteur aussi avait une certaine aura. Ça fait beaucoup de choses qui peuvent amener à ce qu’on ait des attentes. Et puis on peut décevoir. J’ai de très bons avis, il y avait du monde en dédicace, c’est cool.
Merci beaucoup.
Merci à vous.
Propos recueillis par Chloé Lucidarme
Interview réalisée le samedi 26 octobre 2024.
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