L’an passé, Juan Díaz Canalès participait à l’événement que constituait le retour de Corto Maltese en bande dessinée. Le scénariste espagnol était de retour à Saint-Malo pour le festival Quai des Bulles, où il présentait sa première production solo parue chez Rue de Sèvres, Au fil de l’eau, un récit intimiste et social qui montre une nouvelle facette de ce fabuleux créateur à l’oeuvre sur plusieurs projets, y compris le prochain tome très attendu – euphémisme – de sa série culte Blacksad.
Bonjour ! Comme scénariste, on vous a vu toucher à beaucoup de registres très variés. Est-ce que le fait de dessiner vous a permis d’en toucher un nouveau ?
Oui, grâce à mon goût pour le noir et blanc ça m’a donné une piste pour aller vers quelque chose de plus social, plus réaliste. Le fait que ça se passe à l’époque actuelle m’a aussi donné la possibilité de mettre en valeur un certain témoignage qui est important pour moi.
D’où aussi le choix de Madrid ?
Bien sûr. C’est la ville où j’habite, comme ça c’est plus facile pour moi de trouver le ton le plus juste possible pour le récit.
Qu’est-ce qui vous a poussé à dessiner une bande dessinée pour la première fois ?
J’en avais déjà l’envie depuis longtemps. Étant passionné par la BD, je l’ai toujours adorée en tant que médium et comme langage pour raconter des histoires. J’ai toujours adoré dessiner depuis que je suis enfant et finalement c’est mon vrai métier. La plupart des lecteurs ne le savent pas mais je suis dessinateur de dessin animé depuis plus de 25 ans. J’avais toutes les clés pour finir un jour par dessiner un album.
Comment est venue l’opportunité de vous lancer ?
C’est surtout une question de timing, c’est aussi bête que ça. C’est compliqué de trouver un an ou un an et demi pour faire un album, quand tu as des boulots à côté, comme celui dans le dessin animé ou des séries en cours comme Blacksad ou maintenant Corto Maltese… et puis la famille ! (rires)
Est-ce que c’était justement le meilleur moment avec toutes ces séries en parallèle ?
Oui, parce que l’album est sorti l’an passé (NDR : en Espagne) et je travaillais à sa production depuis un long moment. J’ai profité, pour avancer, des périodes où je n’avais pas grand chose à faire.
A-t-il du coup été long à réaliser ?
Oui et non. Ça m’a pris pas mal de temps pour développer l’histoire et après il fallu trouver le courage pour se lancer. Quand tu travailles dans le dessin animé, même si c’est un métier exigeant, tu as toujours derrière toi une équipe qui travaille beaucoup. C’est complètement différent de l’approche de la BD, où tu dois créer seul tout un univers graphique, ce qui n’est pas du tout évident.
Le noir et blanc est également un choix audacieux.
C’est vrai que c’est un peu risqué, surtout parce que ce n’est pas ce qu’il y a de plus populaire. Et les codes du noir et blanc sont très spécifiques, il faut savoir les maîtriser. En même temps, j’aime beaucoup ça, on peut même dire que c’est ce que je préfère sachant que mes plus grandes références sont des maîtres du noir et blanc. Dans mes premières lectures, il y avait Carlos Sampayo, Will Eisner, Jacques Tardi ou Alberto Breccia bien sûr. Donc tout ça s’est imposé de façon très naturelle.
N’avez-vous jamais pensé confier ce projet à un autre dessinateur ?
Non, je n’ai même jamais pensé à un éditeur. C’est un album que j’ai commencé à faire et puis, quand je suis arrivé autour des 30 planches, je me suis dit que le moment était arrivé de se demander avec qui ça pourrait se faire. J’ai donc d’abord proposé l’album à la maison d’édition espagnole Astiberri. Et puis c’est Astiberri qui a vendu les droits à Rue de Sèvres, où ils ont été partants dès qu’ils ont vu les premières planches.
Avez-vous beaucoup travaillé votre style ?
Non. Je suis très habitué à dessiner des décors, des personnages. Travailler l’expressivité des personnages est très important dans le dessin animé, surtout dans la préproduction, ce que j’ai fait pendant des années. Mais trouver un registre graphique cohérent, ça m’a pris du temps.
Avez-vous eu des retours de vos habituels dessinateurs ?
Oui, mais c’est ce sont des amis, je me demande si c’était sincère ! (rires) Ils m’ont dit que c’était super, mais c’est peut-être n’importe quoi.
Avez-vous dans l’idée de refaire un tel album ?
J’en ai l’envie, mais il faut trouver le temps. La priorité, évidemment, ce sont les séries en cours. J’ai déjà fini le scénario du prochain Corto Maltese, je travaille maintenant sur le prochain Blacksad et aussi sur un nouveau projet chez Dargaud, avec ma femme, Teresa Valero, qui est scénariste aussi. On travaille à quatre mains sur un scénario qui va être dessiné par Antonio Lapone. Ça fait donc pas mal de choses à faire ! Mais après ça, c’est sûr que je retournerai sur un album solo parce que j’adore faire ça.
Avez-vous déjà des idées ?
J’en ai mais elles ne sont pas très développées. Il faut que je me trouve un moment calme sinon c’est impossible. Il faut investir de l’énergie, ce n’est pas seulement du travail, donc il faut s’y mettre en restant isolé des autres projets.
Vous avez un planning bien défini?
Non, parce qu’il y a toujours des compromis, ça ne dépend pas que de moi mais aussi des copains dessinateurs, de l’éditeur aussi.
En plus, vous êtes engagé sur des séries qui sont toujours très attendues, comme le retour de Corto Maltese présenté ici-même l’an dernier.
C’est pour ça que je parle de priorités… c’est surtout un message pour les fans des Blacksad ! (rires) Tout ça donne une visibilité et c’est super. Mais en même temps c’est un travail à ajouter au dessin et à l’écriture. Par exemple, la tournée pour Corto est épuisante. Et ça a pris beaucoup de temps, ce sont des mois où tu dois beaucoup voyager et tout ça. Et faire un tel album, c’est compliqué.
Surtout qu’il doit y avoir un gros travail de recherche, ce n’est pas Madrid…
Si tu imaginais toute la documentation… c’est un sacré boulot !
Alors bonne continuation et merci !
Propos recueillis par Arnaud Gueury.
Interview réalisée le 29 octobre 2016.
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