
Le succès de la saga de La Guerre des Lulus n’est plus à démontrer dans l’univers de la bande dessinée. C’est à l’occasion de la sortie du huitième tome et de l’avant-première cinématographique que nous avons rencontré Hardoc, le dessinateur de la série lors du festival Quai des Bulles de Saint-Malo.
Bonjour Hardoc ! Nous vous remercions d’avoir accepté cette invitation. Pouvez-vous nous faire la genèse de l’idée de La Guerre des Lulus?
Tout d’abord bonjour à vos internautes. Le projet date à peu près des années 2008-2009 dans la tête de Régis Hautière. À l’époque, il avait été contacté par un dessinateur qui voulait faire un projet jeunesse. Il y avait aussi ses enfants qui disaient « Papa, on aime bien tes bandes dessinées mais tu ne fais pas de bandes dessinées pour les enfants ». Il y a aussi un autre élément important, c’est qu’à l’Historial de la Grande Guerre de Péronne, qui est un musée sur la Première Guerre Mondiale proche d’Amiens, une amie en commun qui travaillait à cet endroit disait que les enfants, à la boutique, allaient vers les bandes dessinées. Et il se trouve qu’il n’ y avait rien qui leur parlait directement puisque c’étaient des bandes dessinées pour des adultes, comme l’œuvre de Tardi qui est une référence en la matière. Donc le cumul de plein d’informations comme ça a fait tilt chez Régis pour scénariser un album sur la guerre à hauteur d’enfants mais pour un autre dessinateur que moi au départ. Ce dessinateur a pris peur parce qu’il pensait que l’histoire tournerait uniquement sur le front des tranchées, les gueules cassées, la dureté de la guerre, enfin les dégâts qu’on connaît de la guerre psychologique et physiologique. Régis s’est alors tourné naturellement vers moi car nous voulions déjà depuis quelques temps monter un projet ensemble, une œuvre tout public avec des enfants et que l’histoire soit lue par le plus grand nombre de 7 à 77 ans !
Le huitième tome concerne exclusivement Luce, la seule figure féminine de la série. Que peuvent attendre les lecteurs de ce tome sur ce personnage féminin ?
Alors c’est compliqué parce que là on est plus basé sur la psychologie. On a eu un petit retour récemment des producteurs qui ont adapté la bande dessinée au cinéma, qui viennent de lire ce tome, et ils ont adoré cet album en lui trouvant un petit côté thriller avec une intrigue importante. On s’aperçoit que Luce, effectivement, a bien grandi, qu’elle a retrouvé une partie de sa famille, que son caractère s’est même affirmé et que ces années de guerre ont aussi contribué à la faire grandir, comme chaque Lulu, avec une maturité gagnée plus rapidement que dans un contexte hors de la Première Guerre Mondiale, un contexte très dur pour un enfant. Elle retrouve aussi son amie d’enfance, elle a des échanges avec elle et puis des rencontres qui font qu’elle va prendre position. Elle va affirmer son côté féministe aussi, ce qui va rejaillir tout au long de cet album. Et puis nous allons retrouver d’autres personnages, notamment un ancien protagoniste de la série, dont je tairais le nom, qui causera quelques tracas.
Parlons du « méchant » très rapidement, est-ce un peu le « Olrik » de Blake et Mortimer qu’on peut retrouver sur certains tomes au gré de l’aventure ?
Non, je ne pense pas. Dans la tête de Régis, je ne le pense pas non plus. C’est juste qu’il est là dans le but de servir l’histoire. Les ingrédients aussi d’une bonne histoire c’est d’y incorporer un personnage sans foi ni loi. Souvent les lecteurs retiennent plus les méchants d’ailleurs parce qu’ils sont bien plus marquants. Là, il réapparaît une fois, mais je pense que ce sera l’unique fois, à moins que… Mais il y a très peu de chances que nous le fassions réapparaître dans les autres albums. Il avait vraiment un rôle clé dans cette histoire puisque, encore une fois, il allait donner des informations qui étaient importantes pour la suite des aventures des Lulus. Après, rien n’est jamais écrit. Enfin, pour Régis, je pense qu’il peut encore revenir sur sa décision. L’avantage de la bande dessinée, c’est que c’est un travail de longue haleine et que sur un an on peut encore changer d’avis.
Il restera ensuite deux tomes, un sur Lucas et le dernier sur Ludwig. Est-ce que vous connaissez déjà la suite et fin des aventures ?
Alors l’avantage c’est que Régis travaille petit à petit, qu’il ne fait pas toute une histoire complète et la livre au dessinateur. Pour nous c’est bien parce qu’on peut échanger sur des idées auxquelles nous n’aurions pas pensé. Il y a des choses qui peuvent arriver comme ça un matin ou après une discussion, que ce soit avec les lecteurs ou simplement Régis avec moi. Pour l’instant, non, je ne connais pas la fin et c’est très bien comme ça, parce que moi-même j’ai beaucoup plus de plaisir à découvrir et à me dire sincèrement que je n’aurais pas pensé à ça et que ça va être chouette à mettre en scène. Il faut toujours qu’il y ait une petite part de surprise, que nous arrivions à nous surprendre pour pouvoir étonner le lecteur à son tour.
Avec un projet en dix tomes, une suite est-elle déjà dans les tuyaux ? Quel est le souhait de l’éditeur ?
Nous nous arrêterons à dix tomes, mais effectivement l’éditeur serait très heureux de pouvoir avoir une autre histoire dans l’univers des Lulus. Nous évoquons entre nous potentiellement le personnage de Moussa, tirailleur sénégalais qui est joué dans l’adaptation cinématographique par Ahmed Sylla et que les lecteurs ne connaissent pas vraiment, sauf ceux de la revue amiénoise Pierre Papier Chicon, une histoire courte de quinze-seize pages. Pourquoi ne pas évoquer ce personnage plus en profondeur pour que les lecteurs puissent le retrouver dans une aventure complète pour ceux qui n’ont pas eu l’opportunité et la chance de le découvrir dans la revue ? Mais, encore une fois, rien n’est encore sûr. Il nous reste encore deux tomes à faire, ça veut dire deux ans et encore un peu de temps pour la réflexion.
Est-ce que vous vous attendiez un tel succès depuis le début ?
Non, pas du tout. Et même tout à l’heure, je ne vous ai pas expliqué que la genèse du projet était même un one shot de 80 pages sur quelques mois de la Première guerre mondiale. C’est l’éditeur à l’époque, Didier Borg chez Casterman, qui n’est plus là aujourd’hui mais qui était un peu à l’initiative de la série, qui s’est dit « Non mais c’est trop bien, moi je vais faire des pieds et des mains pour que ça soit signé chez Casterman mais j’aimerais en faire une série ». Et il se trouve qu’en 2013, quand le premier tome est paru – c’était une première parution pour Angoulême – nous avons tout de suite eu des retours de Casterman en disant que l’album avait très bien fonctionné en termes de ventes. La série fonctionne très bien depuis dix ans maintenant, les années passant ça s’est vraiment accentué et il y a de plus en plus de lecteurs qui sont venus nous voir, des jeunes, des moins jeunes, des sans enfants aussi, parce que c’est tout public. Et maintenant, il y a l’adaptation au cinéma, une opération spéciale pour le tome 1 à petit prix (5€) et des romans jeunesse pour début 2023. Pour nous, c’était une petite histoire et elle a pris des proportions assez incroyables au fil des années, c’est un beau cadeau.
Et aujourd’hui, vous connaissez le nombre d’exemplaires vendus à peu près ?
Nous sommes aux alentours de 500 000 exemplaires, ce qui n’est pas rien aujourd’hui dans notre domaine professionnel. Dans le milieu, on sait que les ventes en bande dessinée sont plutôt en baisse en général chaque année.
Parlons un peu de l’adaptation de la série au cinéma. Est-ce que vous avez été prescripteur de conseils pour la réalisation ? Est-ce que vous avez pu participer à différents champs d’action au niveau du film?
Nous avons très vite été mis dans la boucle, c’est-à-dire que nous avons reçu les différentes moutures du scénario. Après, Régis avait refusé d’écrire l’histoire de toute façon parce qu’il voulait être surpris aussi. Il ne faut pas oublier que ça reste une adaptation et non pas un copier-coller. De toute façon, pour nous, ça n’a aucun sens de faire un copier-coller puisque l’histoire en tant que telle existe déjà. Il fallait qu’à travers le prisme du cinéma, le regard de Yann Samuel, il puisse être assez fidèle à la bande dessinée tout en apportant sa propre vision. A un moment donné, elle lui appartient un petit peu pour la redistribuer à un autre public qui n’est pas forcément lecteur de bande dessinée. Nous avons toujours été les bienvenus sur le tournage, pour donner des conseils pour les costumes par exemple, et regarder le tournage avec des yeux d’enfants, voir nos personnages en vie, c’était incroyable. Et puis Eric Boquého, le producteur des films du Lézard, et Yann, étant des fans de la série, n’ont jamais mis la bande dessinée à part, ils nous ont toujours intégrés dans le projet et en cela on les remercie encore aujourd’hui.
Comment se passent les avant-premières et quels sont les retours auprès du public ?
Aussi bien sur les avant-premières tout public que scolaires, nous n’avons que des très bons retours. Les lecteurs des albums nous disent que pour une fois c’est une histoire qui est bien adaptée et qui colle vraiment à l’univers. Globalement, à chaque fois il y avait des réactions très enthousiastes, des applaudissements, des rires, des gens qui pleurent également car le film est touchant pour eux. C’était vraiment très enrichissant pour nous de pouvoir assister à tout ça, de constater les premiers retours, de voir que les Lulus ont plu en BD et qu’ils vont, espérons-le, continuer à plaire aussi avec ce film avant pourquoi pas un deuxième volet.
Est-ce que ça appelle un deuxième volet du coup ?
Ça dépendra forcément du succès du numéro un mais c’est pour ça aussi que nous faisons des avant-premières, pour tâter un peu le terrain. L’écriture du deux est en cours mais encore une fois il faudra attendre de voir si le premier marche, surtout quand nous connaissons le contexte actuel du monde du cinéma où les salles sont assez vides et apparemment cette année c’était assez compliqué aussi. Les entrées du film seront le juge de paix pour une hypothétique suite.
Economiquement, pour vous, quelles seront les retombées financières durant la carrière du film ?
Il faut déjà savoir que, quand on fait une adaptation au cinéma, il y a une option qui est posée par le producteur. Il paye l’éditeur pour retenir les droits d’auteur afin de pouvoir adapter. Sur cette option, nous touchons des sous. Ensuite, effectivement, à la réalisation du film, nous sommes également rémunérés par des droits d’auteur. Vient pour finir un possible intéressement sur les entrées du film, ça dépend des contrats qui sont signés au préalable. Ce qui compte surtout pour nous, c’est une nouvelle mise en lumière de la série BD grâce au film. Certaines personnes qui iront voir le film vont peut-être aller le lendemain en librairie se procurer les albums et participeront à augmenter les ventes de la série. Un cercle vertueux pour nous en quelque sorte si le film fonctionne bien.
C’est vrai qu’en passant par le film, vous allez toucher un autre public qui se dirigera ensuite sur les albums. L’exemple le plus connu étant Harry Potter.
C’est exactement ça ! Il faut absolument que la BD porte le film et inversement que le film porte la BD.
Revenons à la bande dessinée. Est-ce les Lulus ont été inspirés par des enfants de votre quotidien ?
En partie oui. La petite Luce au départ est inspirée par ma fille qui est plutôt brune aux yeux en amande mais Régis voulait une petite blonde donc je suis parti sur une chevelure blonde. Luigi est fortement inspiré par mon grand-père qui n’était pas du tout italien mais flamand, un petit homme trapu et les cheveux frisés. Lucien, je pense que c’est un peu des réminiscences de mes lectures d’enfance du style Lucky Luke qui a un visage allongé, un long nez. Lucas, je pense aussi que ce sont des réminiscences de personnages comme Pinocchio ou de petits personnages un peu naïfs, enfantins, avec deux petites dents apparentes qui vont rajouter une identité graphique forte au personnage. Et puis Ludwig, je l’avais en tête après avoir vu des images de Francisque Poulbot, qui est un illustrateur du début du XXe siècle. Il a donné son nom au « poulbot parisien » et j’avais l’image d’un petit rouquin, les cheveux rasés à cause des poux. Je l’ai dessiné avec ce souvenir en tête, à ma sauce par la suite. Ce sont des personnages qui sont venus plus ou moins facilement dans le processus de création.
Il y a un médium BD, un médium cinéma. Est-ce que d’autres projets vont exister ?
Pour un autre type de lectorat pendant la sortie du film, il y a des romans jeunesse qui sortent chez Casterman, qui seront adaptés en petit format avec quelques vignettes des albums. Et puis normalement il y a un escape game qui se prépare aussi, mais pour les expositions itinérantes.
Les romans seront fidèles aux BD ou y aura-t-il des petites choses en plus ?
Non, ce sera très fidèle. C’est Eva Grynszpan qui a réalisé le travail d’écriture et qui a vraiment repris les grandes lignes de l’histoire. Il y aura des vignettes de la bande dessinée que j’ai dû retravailler pour le coup, pour supprimer tout ce qui est cadre de texte ainsi que des parties des dessins manquantes à faire. Donc non, ça reste vraiment l’histoire des Lulus mais sous une autre forme de littérature.
Le prochain tome sortira en 2023. A la même période que cette année (octobre-novembre) ?
C’est ça, si tout va bien dans le processus habituel.
Quels sont vos prochains projets ? Êtes-vous exclusivement sur les Lulus ou vous avez d’autres choses à côté ?
Je suis exclusivement sur les Lulus. Un album prend déjà presque un an de mon temps. Nous avons quand même une cadence assez folle qu’il faut maintenir quand le projet est une série afin que le lecteur puisse avoir un tome de façon très régulière. Sans oublier qu’il y a le temps de correction et d’impression à mettre dans la boucle également.
Très bien ! Pour finir, rassurez-nous, nous saurons à la fin des dix tomes avec qui Luce est mariée ?
Normalement oui ! Rendez-vous dans deux ans !
On vous remercie pour votre temps et à bientôt pour une nouvelle aventure des Lulus.
Propos recueillis par Tristan Logghe
Interview réalisée le 8 octobre 2022
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