Dans la bulle de… Edith

Par | le 16 novembre 2018 |

Alors que sa parution remonte à maintenant un an, Emma G. Wildford poursuit une superbe carrière auprès des lecteurs. Très beau succès critique et public, l’album se voit également remarqué par les prix, traduisant la formidable réussite de cette première collaboration entre le prolifique et protéiforme Zidrou et la non moins surprenante Edith. De passage au festival Quai des Bulles, elle a répondu à nos questions sur le déroulement de la conception de l’album et l’influence qu’il aura sur ses futures œuvres.

© 2017 Editions Soleil

Bonjour Edith ! Après la sélection officielle d’Angoulême, l’album concourt au Prix Ouest-France/Quai des Bulles. Est-ce la preuve d’une belle reconnaissance ?

Je ne sais pas trop. Mais sur ce livre, c’est comme ça depuis le début. Il y a une espèce de bonheur à le faire, de bonheur à le faire lire. Les gens sont attirés d’abord par le thème puis chacun parle de l’histoire avec beaucoup de cœur et beaucoup d’implication, on sent que ça les a touchés. Il y a toute une part d’affect dans le ressenti. Du coup les prix font un peu partie de tout ça. Il y a de très bonnes ondes sur ce livre.

Je crois qu’il a pourtant mis du temps à pouvoir se faire, entre l’idée de la collaboration entre Zidrou et vous et sa réalisation.

En fait, on n’était pas pressé. Dès le moment où on s’est contacté, c’était un peu l’idée d’attendre qu’on soit tous les deux disponibles dans nos plannings pour pouvoir travailler ensemble. Zidrou n’est pas un feignant, il a toujours des trucs sur le feu, du coup il a fallu attendre deux ou trois ans mais on le savait. L’envie était là mais pas le planning. Le jour où il m’a envoyé un mail en me disant « ça y est, je suis dispo pour t’écrire un scénario », j’étais dispo aussi pour dessiner.

Pendant ces deux ou trois ans, l’idée a-t-elle commencé à mûrir ?

Non, pas vraiment, on avait des conversations un peu décousues sur nos envies, il me demandait un peu où je voulais aller, tout ça. Je lui ai parlé du Grand Nord, j’ai dit que j’aimerais bien ça, je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce que j’avais envie de mettre des couleurs sur les lumières de ces pays-là, de changer un peu car je n’avais jamais dessiné ces paysages. Je lui ai aussi parlé d’aurores boréales mais ça il me les a sucrées ! (rires) Ça doit être compliqué pour que ça se rende bien graphiquement. C’est vite kitsch quand même, avec les verts un peu flous, ce ne sont pas du tout mes couleurs en plus. Quel challenge ça aurait été ! Bon, tant pis. (rires) Après il m’a envoyé une première histoire, et ça ne m’a pas trop plu, je n’avais pas envie de le faire. C’était un peu la même chose mais plus réaliste, plus aventures à la Indiana Jones. Ensuite, il m’a envoyé Emma et j’ai fait yes ! C’était un peu plus littéraire, plus intériorisé, avec ce côté sentimental sans les grosses ficelles. C’est marrant parce que le personnage était déjà là. Quand on est avec un scénariste qui écrit l’histoire pour vous, on le lit et on se dit que oui, il l’a vraiment écrit pour vous et pas pour quelqu’un d’autre.

© 2017 Editions Soleil

Zidrou est impressionnant pour ça, il est capable de passer de Ducobu à Emma, de l’humour à des choses très très sombres.

C’est incroyable, il a aussi un large panel d’envies. On ne s’est pas vu beaucoup, mais en discutant par mail, je sais qu’il a des envies qui ne sont pas encore réalisées. Malgré tout ce qu’il fait, il en a encore à faire. On refera peut-être autre chose ensemble, mais de la même manière, on attendra le bon moment. Ça a bien réussi avec ce livre-là et on ne voulait pas enquiller avec quelque chose d’un peu factice, d’un peu obligé. Il y a eu quelques suggestions d’un deuxième tome car ça marche très bien, mais on a dit non. Ce livre existe tel quel. Après, est-ce qu’on reprendra cette forme, est-ce que ce sera complètement différent… je ne sais pas et c’est très bien de laisser mûrir les choses. Moi je n’ai pas envie qu’il m’écrive un scénario entre deux autres, car il est souvent pressé. Je lui ai demandé de le faire quand il aura le temps. Parce que si c’est pour écrire 20 pages entre Ducobu et un autre, il n’y aura pas la même magie. Mais il m’a dit « je sais quand je dois sortir un scénario », il sait ce qu’il veut mais aussi quand il le veut. Je lui fais tout à fait confiance, à un moment donné il me rappellera et ça sera le moment de faire quelque chose ensemble. Pour moi c’est parfait, ça me va très bien comme ça.

Il ne faut rien hâter.

Non. Comme c’est notre première collaboration, cette relation Zidrou-Edith est associée à quelque chose de qualité et ce serait bizarre après d’aller faire un un album qui serait moins dense et moins original. Profitons de cette belle collaboration, c’est comme ça que je le vois.

© 2017 Editions Soleil

Cette histoire très littéraire et ce personnage assez moderne, c’était la base voulue ?

J’ai bien aimé que ce soit un scénariste qui parle de cette femme, parce que je trouvais que du coup il avait un regard qui était encore plus fort du fait que c’était un regard masculin, et surtout je pense que cette histoire a profité aussi du fait que c’était l’association d’un scénariste et d’une dessinatrice. C’est-à-dire que moi je l’avais prévenu au début qu’avec un personnage de femme forte en caractère, qui va s’affranchir des conventions, si il tombait un poil dans la caricature, je serais là pour lui dire parce qu’il fallait que j’assume aussi ce personnage de femme en tant que dessinatrice. De fait, je ne pouvais pas la dessiner n’importe comment, avec n’importe quelle réaction. Mais j’ai eu très peu à dire. Une ou deux fois c’était un peu lourd sur un truc mais c’était à peine deux phrases. Lui aussi savait qu’avec une dessinatrice, attention, elle serait intransigeante. Du coup, le personnage a profité de ces deux points de vue.

Emma est une vraie héroïne de roman.

Oui, et quand mes lectrices m’en parlent, elles disent qu’elles peuvent, sinon s’identifier, du moins la comprendre et peut-être l’admirer. Et, ce qui m’étonne, c’est aussi que pas mal de lecteurs, dont pour certains ce n’est pas du tout l’univers habituel, ont aussi une petite admiration masculine pour une femme qui se débrouille comme ça et qui va être capable d’aller jusqu’au bout pour retrouver son fiancé. Et puis de toute façon, quand on l’a créée, quand on l’a dessinée, on s’était dit avec Zidrou qu’a priori il y aurait quand même la possibilité qu’il y ait pas mal de lecteurs, voire de lectrices, qui tombent un peu « amoureux » d’Emma. Du coup, il y a des lecteurs qui ne lisent jamais ce genre de truc mais qui aiment, c’est drôle.

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En tant qu’objet, le livre est aussi une merveille. Comment est née sa conception ?

Au départ, c’était la proposition de l’éditrice, Clotilde Vu, de mettre les petits ajouts de documents et après la question s’est posée de comment faire pour que ces ajouts ne tombent pas des livres. On ne voulait absolument pas que ce soit fermé, donc pas de blister, pas de truc compliqué. Elle a alors pensé que façon carnet à rabats aimantés, ça suffirait. Effectivement je n’ai jamais entendu parler de soucis de livres qui auraient perdu les ajouts. Donc c’est Clotilde qui a trouvé ça et comme c’est une amoureuse des beaux livres, elle adore ça, elle a commencé à concevoir avec la graphiste et c’est parti sur une maquette de couverture un peu riche. La condition était que le prix ne soit pas excessif. Là il est à quelques euros de plus que le reste de la collection, la première version était un peu moins chère… mais bon, ce sont des histoires commerciales, je ne rentre pas dedans car c’est trop compliqué, mais c’est pour dire qu’en fait on était d’accord depuis le début pour dire qu’on faisait un beau livre mais qu’il ne fallait pas que ce soit au prix d’un beau livre. Moi je raconte une histoire avec Zidrou, il n’est pas question que les gens le regardent et ne le prennent pas, il ne faut pas que ça change de catégorie. Ça m’aurait vraiment ennuyée si c’était réservé aux gens qui aiment les beaux livres, moi je fais de la bande dessinée.

On reste donc dans l’esprit de la collection, qui trie les projets sur le volet.

Et ça reste toujours superbe. C’est effectivement un peu la caractéristique de cette collection, ce pour quoi je suis super contente évidemment de travailler avec Clotilde. C’est vrai qu’on s’est tous très bien entendus, Zidrou est quelqu’un de très souple, de très compréhensif, il laisse beaucoup de possibilités, que ce soit à moi ou à l’éditrice. C’est vraiment quelqu’un d’humainement très agréable en collaboration et Clotilde a en plus toutes ces formidables idées. Je pense que c’était une belle équipe.

© 2017 Editions Soleil

Les ajouts ayant été créés après l’écriture, la conception du livre en tant qu’objet donne-t-elle des idées pour un autre projet ?

L’idée est évidemment de ne pas refaire la même chose. En ce moment, je travaille sur quelque chose de complètement différent, aussi pour Noctambule. Je pense que Clotilde va me sortir de son chapeau une autre idée, parce qu’elle en a plein, qui sera totalement adaptée au projet et qui ne sera pas une copie. Cette idée-là collait tellement bien avec l’histoire.

On pourrait croire que la lettre additionnelle a été imaginée dès le départ car il faut l’ouvrir pour comprendre.

Oui, mais on en a quand même des passages… ce sont les questions qu’on se pose. Si on doit lire la lettre à part, ça ajoute à la lecture. Mais si on la perd, notamment dans les bibliothèques, on perd un peu l’histoire. C’est pour ça qu’on s’est dit qu’on allait mettre les passages principaux. Il y a un peu moins de mystères mais en même temps il faut qu’on puisse lire sans les ajouts parce que, même si on sait bien que les gens font attention, la lettre peut partir quand ça passe de main en main. Ce serait dommage que l’histoire soit incompréhensible ou amputée d’un truc important. C’est pour ça qu’on s’est décidé à faire ça. Mais ce sont typiquement les questions qui se posent au fur et à mesure, et ça j’aime bien parce que du coup ça renouvelle aussi le travail. Ce livre est vraiment le fruit d’une très belle collaboration.

Merci beaucoup, c’était un plaisir !

Propos recueillis par Arnaud Gueury.

Interview réalisée le 13 octobre 2018.

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Description de l'auteur

Arnaud Gueury

Département : Mayenne / Séries préférées : Tintin, Gaston, Léonard, Garfield, Les 4 As, XIII, Largo Winch, La Quête de l’Oiseau du Temps, Sillage, Valérian, L’Incal, Le Vagabond des Limbes, Michel Vaillant, Lefranc… / Auteurs préférés : Jean Roba, Dupa, Luguy, Moebius, Alan Moore, Mike Mignola, Tim Sale, Marc Wasterlain, Leiji Matsumoto, Buichi Terasawa, Charlie Adlard, Christophe Bec, Terry Dodson, André Taymans, Philippe Berthet, Silvio Camboni… / J’aime aussi : ma famille et mes chiens, la forêt, le Dr Pepper, le retrogaming et les tartes aux cerises.

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