À l’occasion de sa présence lors du FIBD 2024 et de la sortie ce 9 février d’En marche ou grève, aux éditions Nada, nous avons souhaité rencontrer David Snug pour une interview plus ou moins sérieuse.
Bonjour et merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs et lectrices qui vous découvriraient avec cet album, En marche ou grève ?
Je suis David Snug, je fais de la BD depuis 48 ans à peu près, un peu moins parce que je ne dessinais pas quand je suis né. J’ai fait 18 BD, les premières aux Enfants rouges, après chez Même pas mal, un peu chez Marwanny et maintenant chez Nada. Je fais de la BD et de la musique, je mélange les deux. Je ne peux me passer ni de l’un ni de l’autre. C’est très autobiographique et politique en même temps.
Votre page Wikipédia résume très bien votre œuvre en indiquant que les thèmes récurrents, qu’on retrouve aussi dans vos chansons, sont le rock indépendant, le travail, l’école et le chômage. J’y ajouterais une haine profonde de Fabien Roussel.
Fabien Roussel n’est pas un camarade (rires). Ouais, c’est ça. Je parle un peu moins de rock indé ces dernières années.
Un peu moins, oui.
Mais sinon, oui, c’est ça. J’ai fait des études, un peu n’importe quoi, d’arts plastiques même pas abouties, ce qui fait que c’est la porte ouverte du boulevard pour aller tout droit vers le chômage. Comme ce qui m’intéressait était de faire de la BD et de la musique, j’ai été très très longtemps au chômage. Donc c’est un thème assez récurrent.
Votre dernier album, en avant-première sur le festival, sort le 9 février et s’intitule En marche ou grève. On peut voir que notre gouvernement vous inspire beaucoup.
Beaucoup !
J’ai vu notamment il y a quelques jours sur votre blog un post « Travail-famille-patrie » suite au dernier discours de notre cher président. J’avoue un gros coup de cœur pour votre publication du 11 janvier, sur le slogan « Je baisse, j’éteins, je décale ».
Ah cool, ça me fait bien plaisir parce que celui-là, j’ai remarqué qu’il n’a pas trop marché.
Ah si, vous aimez bien jouer avec les mots donc les slogans un peu ridicules…
Oui, c’est ça. Mais je me suis demandé si les gens connaissaient bien ce slogan. Je ne sais pas si ça a bien pris en fait. J’ai du mal à me rendre compte. Moi, je l’ai vu un peu dans les bandes-annonces. Bon, c’est facile en 2024 de dire « j’ai pas la télé » mais disons que je ne regarde pas la télé en direct donc je ne vois pas les pubs du gouvernement. Donc je me suis dit que peut-être que personne n’était au courant de ce slogan qui est magnifique. Mais j’ai l’impression, en vrai, que pour que ça marche, il faut décalquer Rachida Dati ou Darmanin.
C’est votre quatrième album chez Nada (après Dépôt de bilan de compétences en 2020, Ni web ni master en 2022 et La Lutte pas très classe l’an dernier). Comment s’est faite votre rencontre avec cette maison d’édition, qui semble parfaite pour vous ?
Oui, on s’entend bien. En fait, ça s’est fait à Colomiers, qui est mon festival de BD préféré. C’est à côté de Toulouse et c’est un festival où il n’y a que les éditeurs indé, il n’y pas du tout les gros éditeurs. C’est comme s’il n’y avait que « Le Nouveau Monde » [l’espace des éditeurs indépendants au FIBD] ! Il y a des soirées organisées où tout le monde se rencontre. Nada avait un stand – moi je faisais des bouquins chez Même pas mal – et ils avaient Voleur et anarchiste, Alexandre Marius Jacob [de Jean-Marc Delpech]. Marius Jacob était un anarchiste qui volait aux riches pour redonner à des journaux anarchistes. J’avais un peu entendu parler de ce gars-là et le livre m’intéressait. On a discuté, discuté et décidé de faire un bouquin contre le travail. Le premier, Dépôt de bilan de compétences. Et après, ça s’est enchaîné.
Plus sur le dessin, on a remarqué que Les Rois de la récré et Mon fiston ma baston étaient en couleurs, mais globalement vos dernières parutions sont en noir et blanc. C’est un choix artistique ?
Ouais (rires). L’avantage du noir et blanc, c’est que les gens peuvent le colorier eux-mêmes ! Ça fait double emploi, BD et livre de coloriage. Je ne sais pas… Au tout début, je faisais du noir et blanc, après je me suis mis à faire de la couleur sur ordinateur, pour essayer et ça m’allait. Et puis après j’ai découvert Julia Wertz et ça m’a mis une claque monumentale, ça m’a donné envie de refaire du noir et blanc. Et puis la couleur est une perte de temps, ça coûte plus cher à fabriquer. Bon, il paraît que ça se vend mieux en couleur… Je ne sais pas.
Après les 50 classiques de la pop à ne pas écouter car vous vous en êtes chargé, à quand les 50 classiques anarchistes à avoir lus une fois dans sa vie ?
Ah, c’est pas con, ça !
Ça vous plairait de faire comme vous avez fait avec Élisée Reclus, Pierre Kropotkine ou Albert Thierry sur un album entier ?
Ah, c’est marrant ! En fait, il y avait une espèce d’idée de bouquin à la base de faire des biographies d’anarchistes que j’aime bien. Alors, j’ai fait Albert Thierry et après, pourquoi j’ai arrêté ? Je ne sais pas. (rires) Quand je compilais le bouquin, il fallait un truc un peu conclusif puisque ce ne sont que des petites histoires, et celle-là, en la réadaptant un peu, elle allait bien pour la fin.
Où en est cette envie de faire des BD sur le véganisme et l’antispécisme, sans tomber dans un truc chiant, comme vous dites vous-même ?
Ah ouais, j’ai des envies de ça, moi ?
J’ai vu ça, oui.
Dans une interview ?
Oui, une interview précédente, peut-être.
Justement, c’est compliqué…
Ne pas tomber trop dans la morale…
Oui, là, j’ai plus les noms… donc ça m’évite de les citer (rires) mais j’ai lu des trucs « si t’es pas vegan, t’es un con ». Les gens font ce qu’ils veulent, ce n’est pas mon problème, mais je trouve que le meilleur moyen pour que les gens ne soient pas vegan, c’est de les culpabiliser. Si tu braques les gens en disant « t’es un con, tu manges du cadavre »…
Parce que L’Avocat du diable et Plus lourd qu’un cheval mort font un peu ça, donner un bel aperçu de ce que ça pourrait donner.
L’Avocat du diable, c’est parce que les gens m’emmerdent tout le temps parce que je mange un avocat, donc c’était un peu pour me faire plaisir. Plus lourd qu’un cheval mort, ça ne culpabilise pas les gens, ça les informe. Je ne dis pas aux gens d’arrêter de manger de la viande.
Je voulais dire que c’est argumenté, vous donnez des chiffres…
C’est au-delà de manger ou pas de la viande, c’est l’aberration d’aller chercher des chevaux dans un pays pour les vendre à l’autre bout en les transportant en avion. Il n’y a rien qui va.
Est-ce que Jonathan Cohen vous a contacté pour monter un duo ?
Non.
À quand l’album à quatre mains avec Joann Sfar ?
Je l’ai vu hier dans le train !
Plus sérieusement : est-ce que quelqu’un cité dans vos BD ou chansons a déjà réagi ?
Euh, je ne sais pas. Non.
Est-ce que, par exemple, Jean-Michel Apathie a démenti le fait qu’il pourrait être Ian Curtis ?
Ah ouais, il y a de la recherche ! Vous avez bien bossé ! Non, mais c’est pas impossible, ma théorie ? Mais j’ai montré des photos à des gens et on m’a dit qu’il n’y a que moi qui vois ça.
On ne les a jamais vus dans la même pièce.
C’est vrai.
Personne n’est jamais venu dire « tu m’as mis dans ta BD, c’est pas cool ? » ou « ça m’a fait rire » ?
Je n’ai pas l’impression.
Fabien Roussel n’a pas réagi.
Fabien Roussel n’a pas réagi. Mais si quelqu’un vient, je vous le dis !
Le clip est bien, en tout cas.
Avec Robert Hue. (rires)
Et la fin avec Patrick Sébastien.
Ah bah, ça ! Mais, hé, tout est vrai, dans la chanson. J’étais à la fête de l’Huma et je l’ai vu passer, avec un service d’ordre ! Le mec, c’est le chef de tous les communistes, il peut même pas aller dans son propre parti sans être protégé !
La ministre vient demain.
Ah oui, j’ai entendu parler de ça. Je pense qu’elle ne va pas être tranquille, sans service d’ordre. Je ne pense pas qu’on va la voir au Nouveau Monde [NDR : Rachida Dati a bien fait un tour au Nouveau Monde].
Elle va peut-être pile venir vous voir vous ! Elle va venir acheter En marche ou grève.
Une fois, au Salon du Livre, il y avait Fleur Pellerin et elle était passée devant le stand de Même pas mal et j’avais gueulé qu’on était au RSA et que c’était invivable (rires). Elle n’a même pas répondu, elle a fait comme si elle n’avait pas entendu. C’est mon plus gros fait politique !
Est-ce que vous eu une autre opportunité d’avoir votre nom en aussi gros sur une affiche que celui des Pinçon-Charlot ?
Il y a mon nom sur une affiche avec les Pinçon-Charlot ?
Il y a un festival qui était programmé et a été annulé…
Ah oui, oui. Exact ! Bah là, il y a mon nom avec Riad Sattouf… (rires) Ah non, il n’y a pas mon nom ! À la fête de l’Huma, on avait fait un stand avec La Ville brûle et ils étaient venus. Ils étaient vivants [NDR : Michel Pinçon est décédé en 2022]. On avait discuté. Ça faisait comme si c’étaient les grands-parents que tu aimerais avoir.
On se demandait si vous avez le même public pour la BD et la musique…
Souvent, quand on fait des concerts, les gens ne savent pas que je fais de la BD. C’est dur à dire…
L’album DAC – La Déconstruction de l’analyse constructive, paru aux éditions Même pas mal, contenait également un CD de l’album Boucherie de Trotski Nautique.
Oui, c’était une bonne idée ! Et ça ne coûtait pas très cher.
Quels sont vos derniers coups de cœur ? Vous évoquez par exemple Julia Wertz dans DAC, et vous en avez parlé tout à l’heure. Vous maintenez ?
Oui, j’ai lu le dernier là [Les Imbuvables, chez L’Agrume], carrément bien !
Et les classiques ?
Joe Matt ! C’est mon idole. C’est lui qui m’a donné envie de faire de la BD. Après, je ne pourrais jamais faire ce que lui fait et ça me va très bien parce que ça ne doit pas être facile de vivre quand on raconte ça. Mes coups de cœur BD ?
Plutôt mais pas forcément. Il faut lire Élisée Reclus, on a compris.
En fait, dernièrement, je ne lis pas trop de BD.
D’accord, plutôt des récits d’anarchistes.
Ouais. Je deviens grand, je deviens adulte. (rires) Je suis en train de lire un livre, ça s’appelle Conversations sur l’anarchisme [d’Errico Malatesta, aux éditions Nada].
Vous tournez souvent en dérision, y compris en musique, la BD mainstream, comme Astérix ou Lucky Luke. Est-ce que ça vous fait profondément chier ou vous aimez quand même quelques classiques ? Tintin au Congo revient souvent mais on ne sait pas si c’est premier degré…
Je suis né à Bayeux, moi. Pile-poil en face de la Tapisserie, qui est la première BD du monde selon les gens de Bayeux. (rires) Et je ne l’avais jamais vue. Je l’ai vue cet été pour la première fois. Donc je suis parti de là pour faire un genre d’autobiographie où je donne des avis, un peu n’importe quoi, sur toutes les BD que j’ai lues de ma naissance à aujourd’hui. Et il y a des pages sur Tintin au Congo. Je lisais ça et je ne me posais pas de question : il tue des animaux, il fait pousser le train… Tintin, j’adore le dessin, après ce qu’il raconte c’est pas ouf. (rires) J’essaie de faire des pages sur Lucky Luke. C’est marrant de regarder ça avec une analyse anarchiste. Il fout les Dalton en prison parce que les Dalton braquent les banquiers alors que c’est les banquiers qu’il faut foutre en prison ! Je suis au début.
Mais Joe Matt, c’était pas dès le début, c’est venu plus tard ?!
Non, ça viendra à la fin du livre. Mais dans les BD franco-belges que je lisais quand j’étais petit, le seul qui a survécu au truc, c’est Gaston Lagaffe : il était contre le travail en gros.
Lui, les anarchistes l’aiment bien.
Alors que quand j’étais petit, j’étais pas spécialement fan.
Il est un peu dans le sabotage.
Oui, c’est ça.
Gaston est plus une série qu’on apprécie adulte, effectivement. Et le fait que Tintin soit régulièrement parodié sur Internet, ça vous plaît, j’imagine ? Les ayants droits sont complètement débordés par rapport à une époque, quand ça reste gratuit.
Je suis hyper fan de tout ce qui est détournement !
Ce n’est pas vraiment du détournement qu’il fait mais, dans les auteurs à succès décalés, on pense à Fabcaro. Vous connaissez, vous aimez bien ?
Fabcaro, oui, j’aime bien. Il est sympa en plus ! Je n’ai pas encore lu son Astérix mais je vais le lire parce qu’on m’a dit qu’il est très écrit. Par contre, je ne sais pas ce qu’ils ont chié la couverture…
Elles sont toujours moches, les couvertures d’Astérix.
Mais celle-là, elle dépasse tout !
Vous avez parlé d’un projet, je crois qu’il y en a un autre…
Il y avait À bas l’humanité à l’unanimité qui était sorti chez Marwanny, qui n’existe plus. Donc on en refait une version augmentée, et je refais tous les dessins. Un peu dans la même collection que La Lutte pas très classe.
Propos recueillis par Chloé Lucidarme et Nicolas Raduget
Interview réalisée le vendredi 26 janvier 2024.
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