Sorti en mai 2019, Dans la tête de Sherlock Holmes a très vite trouvé son public pour devenir un des succès de l’année. Amis de longue date, ses auteurs, Cyril Liéron et Benoit Dahan, ont bien voulu nous en dire plus sur cet album original et inventif à l’occasion d’une rencontre lors du festival Quai des Bulles de Saint-Malo. Suivons le fil rouge de cette incroyable aventure dans la tête de leurs auteurs. Rencontre.
Bonjour Cyril et Benoit. D’où vous vient cette passion pour Sherlock Holmes ?
Benoit Dahan : Depuis petit pour nous deux. En ce qui me concerne, le premier contact que j’ai eu était en allant voir en famille le film Le Secret de la pyramide en 1985. Ce film raconte l’enfance de Sherlock Holmes, ou plutôt son adolescence, et comment il aurait rencontré Watson. En vrai, dans les livres, ils se sont rencontrés adultes. Mais malgré tout, ce film est vraiment très très respectueux de l’esprit de Conan Doyle et des aventures de Sherlock Holmes. C’est ça qui me l’a fait vraiment aimer au départ.
Cyril Liéron : Pour ma part, ce n’était pas tout à fait pareil. Il y avait une émission sur sur FR3 à l’époque, avec Eddy Mitchell, qui s’appelait La Dernière Séance. Des vieux films y étaient diffusés, comme Le Chien des Baskerville avec Peter Cushing, un vieux film de 1959. Et comme il y a une dimension fantastique dans ce film-là, ça m’avait tout de suite accroché. C’est bien plus tard que je suis revenu à Sherlock Holmes, aux alentours de 18-20 ans avec les petits bouquins à 10 francs qu’on trouvait comme ça, pas chers, et c’est là où j’ai vraiment redécouvert le vrai Sherlock Holmes.
Dans la tête de Sherlock Holmes est une création originale plutôt qu’une adaptation. Pourquoi avoir fait ce choix ?
CL : Déjà, c’est à la fois une création mais aussi un hommage. C’est-à-dire qu’on voulait une sorte de retour aux sources et coller au plus près de l’esprit de Conan Doyle et du personnage de Sherlock Holmes en respectant vraiment le caractère de Holmes, de Watson, etc. Le parti pris que Benoît a eu au départ était vraiment de changer de point de vue puisque ce n’est pas Watson qui est le narrateur mais on est dans la tête de Sherlock Holmes. Benoît avait eu l’idée dès 2013 de prendre le vocabulaire qu’on trouve dans les romans, comme la mansarde, comme le fil rouge, et de le transcrire graphiquement dans une bande dessinée. Pour ce qui est de la question de l’adaptation, il y en a beaucoup. Et nous on avait envie de faire notre propre enquête en essayant de rester vraiment le plus fidèle possible à l’esprit de Conan Doyle.
C’est la principale difficulté de cet album ?
BD : Ce n’est pas tant une difficulté. Ça nous aide presque d’avoir une structure existante finalement. C’est-à-dire que, même si on invente un scénario, il y a tout l’univers de Sherlock Holmes qu’on connaissait déjà très bien. On a lu tous les livres. On s’est replongé dedans et on s’est documenté. Effectivement il y a un peu de travail mais on connaissait déjà tellement bien le sujet que ce n’était pas une si grosse difficulté. Et puis il y a aussi le style d’écriture. On essaye vraiment de faire en sorte que les personnages parlent comme si c’était Conan Doyle qui les avait créés. C’est un peu prétentieux de dire ça mais, ce que je veux dire par là, c’est que ça nous aide dans l’écriture parce qu’on entend déjà comment Holmes et Watson parlent. Ça nous guide un peu.
Cyril, c’est votre première BD en tant que scénariste. Qu’est ce qui vous a décidé de passer de la couleur au scénario ?
CL : J’ai un papa qui est dessinateur de bandes dessinées (NDLR : Philippe Luguy) donc je suis tombé dans le chaudron tout petit. Manifestement on ne s’en remet pas. En fait, quand j’étais môme déjà, en rentrant à la maison je regardais les pages de mon père. Je lisais les pages de scénario de son scénariste et je voyais la différence entre la vision du scénariste et l’interprétation de mon père. Ça a déjà été un premier pas en quelque sorte. Ensuite, Benoît et moi on s’est rencontrés au lycée, on est des amis de lycée. On vient un peu de l’univers du jeu de rôles et du jeu de société. On écrivait déjà nos propres scénarios quand on faisait des jeux de rôles ensemble. Donc j’ai toujours eu envie de raconter des histoires. Je trouve ça beaucoup plus sympa que de prendre une histoire déjà toute faite et de devoir travailler pour pouvoir la connaître. Je préférais – et lui c’était pareil – écrire notre histoire. C’est beaucoup plus riche, on peut improviser lorsque des joueurs ne font pas ce qu’ils veulent.
BD : Là, tu parles du jeu de rôles ?
CL : Je parle du jeu de rôles. C’est aussi un exercice, pas de création mais en tout cas d’inventivité. Et donc après j’ai fait de la couleur plus pour une question alimentaire, on ne va pas se le cacher. Il y avait toujours eu cette envie de créer des histoires véritablement. Comme avec Benoît on a toujours eu envie de faire un projet commun, quand il m’a proposé ça, évidemment c’était l’occasion.
Benoit, ce n’est pas la première fois que vous rentrez dans la tête de vos personnages. Je pense à Psycho Investigateur.
BD : Oui. C’est une obsession. (Rires)
La construction graphique, de Psycho-Investigateur jusqu’à Dans la tête de Sherlock Holmes est différente et est plus construite page par page. Est-ce l’histoire racontée qui impose cette évolution ou votre style qui évolue ?
BD : C’est un peu les deux… Mais ce serait plus le style car Psycho-Investigateur a été ma première série et donc le premier album que j’ai vraiment amené à terme. Ce n’était pas mon premier projet parce qu’avec Erwan Courbier on avait déjà fait trois projets ensemble qui n’avaient pas trouvé preneur. Donc quand on a fait Pyscho-Investigateur, c’était quand même ma première BD. Forcément je n’avais pas encore toutes les idées de fonctionnement, de mise en page, etc. C’est venu petit à petit. C’est pour ça qu’entre la première aventure et la dernière, qui est la quatrième, il y a quand même une évolution sur la recherche au niveau de la mise en page et tout ça. C’est un peu une sorte « d’entraînement ». Je ne voudrais pas le limiter à ça… c’est plus qu’un entraînement mais en tout cas ça m’a formé et ça a amené à un projet comme Dans la tête de Sherlock Holmes.
En tout cas votre style se prête vraiment au genre de l’histoire.
BD : Oui. Et puis le thème de « rentrer dans la tête » est quelque chose qui m’a toujours fasciné, les modes de pensées et de percevoir des gens de manière complètement différente et subjective. Et ça c’est ce qu’on retrouve effectivement dans les deux projets. Psycho-Investigateur, c’est carrément plus psychanalytique. C’est vraiment basé sur la psychologie. Alors qu’avec Dans la tête de Sherlock Holmes on s’intéresse plus au fonctionnement du raisonnement de Sherlock Holmes qu’à la psychologie, même s’il y a des petites traces quand même.
Avez-vous envie de faire autre chose de ce style ou de différent ?
BD : Pour l’instant, on est à fond sur Sherlock Holmes puisque déjà non seulement on travaille sur le tome 2 bien sûr, mais en plus il y aura une autre enquête de Sherlock Holmes si possible en un seul livre, on va voir. On sait déjà qu’on est parti là-dessus pour au moins deux ans. Donc on s’interdit un peu de penser à d’autres projets pour le moment même si on a des idées à droite à gauche.
Il y a un ou deux ans, à Angoulême, tu cherchais un éditeur… Voir que cet album cartonne, parce qu’il y a eu plusieurs réimpressions, ce doit être une certaine fierté de voir que tu as eu raison de te battre et d’y arriver ?
BD : Effectivement, il y a un peu d’acharnement. Oui, parce que le premier album de Psycho-Investigateur est sorti en 2005. Ça remonte quand même. Et effectivement on a eu tellement de déconvenues, deux éditeurs ont coulé sur la même série, donc on a eu trois éditeurs pour la même série. Ça a été très compliqué. C’est vrai que mon parcours a été très chaotique mais ça ne fait qu’augmenter la joie quand ça marche enfin. Voilà, Cyril et moi sommes super contents. Pour l’instant ce n’est que du bonheur. Ça se passe très bien avec Ankama.
D’autant plus que c’est déjà le quatrième tirage !
CL : Cinquième !
BD : En fait le quatrième va arriver dans quelques jours et un cinquème arrivera vers mi-décembre.
C’est d’autant plus satisfaisant que vous vous êtes connus jeunes, c’est quand même une belle histoire.
CL : C’est une histoire d’amitié. Ça l’était déjà avec Erwan Courbier, un ami d’enfance que j’ai rencontré à Granville, pas très loin de Saint-Malo, où nous passions nos vacances. C’est comme ça qu’on s’est connus. Benoît et moi nous sommes rencontrés au lycée, je les ai présentés tous les deux et c’est une histoire de copains, c’est-à-dire que sur Psycho-Investigateur j’ai été à leur demande leur premier lecteur.
BD : C’est vrai. Un très bon conseiller.
CL : Benoit me demandait mon avis. Comme j’avais cet exercice du dessin grâce à mon père, il me demandait mon avis sur les dessins, sur le scénario, sur le fait que ce soit fluide ou pas. Quand on a la tête dans le guidon comme ça, quand on est dans un projet que l’on crée, l’histoire est évidente pour vous mais vous ne savez pas si le lecteur va piger de la même façon que vous vous l’avez intégré. Donc, c’est bien d’avoir un œil extérieur qui va vous donner un point de vue le plus objectif possible.
BD : C’est même indispensable en fait. Cyril est critique mais juste. C’est toujours constructif et ça marchait très bien comme ça. Maintenant, on bosse ensemble et Erwan est un peu le troisième homme.
Et peut-être une envie de faire quelque chose tous les trois ?
BD : Peut-être un jour. C’est une possibilité.
CL : Peut-être un jour. On a chacun notre personnalité, c’est ça qui est rigolo. Après il faut aussi que chacun trouve sa place. Mais pourquoi pas. Pour l’instant on n’a pas trouvé. On a juste cette façon de procéder : Erwan et moi, on s’échange Benoit. (Rires)
BD : Je suis prêté en fait ! (Rires)
CL : Un projet à trois, on ne sait pas. On n’y a pas réfléchi. Ça pourrait éventuellement.
Psycho-Investigateur, Dans la tête de Sherlock Holmes… Quand on voit les couvertures de ces albums, est-ce une demande de ta part ou est-ce un hasard ?
BD : La découpe dans la couverture, c’est une proposition de ma part. Une demande, non. On sait très bien que tout éditeur ne peut pas toujours accepter un truc comme ça.
Tu dois avoir les bons arguments ?
BD : Le fait d’avoir justement eu deux couvertures avec découpes sur Psycho-Investigateur, quand on a proposé cette idée à nos éditrices chez Ankama, effectivement ça faisait un exemple tangible. Donc, ça a aidé à les convaincre. Et comme c’était totalement dans le sujet puisque, dans les deux séries, il y a quand même une histoire de « rentrer dans la tête », le fait d’avoir la découpe fait vraiment sens avec le fait de rentrer dans la tête de Sherlock Holmes, c’était justifié. On ne le ferait pas si c’était juste du gadget.
Rentrer dans la tête et aussi rentrer dans le livre parce que ça demande une plus grosse recherche que d’habitude pour les pages intérieures.
BD : C’est vrai que c’est un peu un casse-tête. Effectivement il y a pas mal d’esquisses à faire pour que ça fonctionne, que tout se cale bien en fabrication.
Une esquisse pour la couverture et la découpe aussi ?
BD : Oui pour le coup, il y a une couverture et les pages de garde. Il y a au moins un temps de travail, si ce n’est plus même, que sur la couverture dans les pages de garde. C’est important. C’est lié l’un à l’autre.
Sherlock Holmes apparaît dans tous les médias, télévision, livre, bande dessinée et jeu vidéo. Verriez-vous votre aventure adaptée dans l’un de ces médias ?
CL : C’est quand même très prématuré. Évidemment on aimerait, on ne va pas le cacher. On réfléchit déjà avec nos éditrices à un jeu de société. Ce serait un jeu de plateau qui s’inspirerait de la bande dessinée et qui reprendrait des fonctionnements communs avec la bande dessinée. Et puis bien sûr avec un style, une charte graphique complètement adaptée et tirée de la bande dessinée.
BD : Oui. Pourquoi pas un dessin animé. Mais là c’est vraiment vraiment trop tôt. Et puis là on est dans des sphères où c’est très compliqué au niveau budget. Les projets audiovisuels, c’est du long long cours. Il n’en est pas question pour le moment.
Il y a souvent des producteurs qui achètent les droits et rien n’en sort.
CL : C’est ce qui s’est produit sur Psycho-Investigateur.
BD : Disons qu’il y avait un producteur qui nous avait acheté une option pour une adaptation soit en téléfilm soit en série télé. Mais ils n’ont pas reconduit l’achat de l’option au bout d’un an. On a touché un peu de sous, mais ce n’est pas allé plus loin parce qu’ils n’ont pas trouvé assez de financement. En fait, on m’a dit que dans les projets audiovisuels il y en avait 1 sur 6 qui arrivait jusqu’au bout. Donc, même quand c’est déjà bien parti, les chances sont maigres.
Dans la tête de Sherlock Holmes est également sorti en format gazette.
BD : Oui. C’était un dossier exclusivement pour la presse. Mais effectivement il y a des collectionneurs qui nous demandent où on peut l’avoir. Du coup ce n’était que pour la presse et ça rend l’objet encore plus collector.
Vous avez déjà commencé à travailler sur le tome 2 ?
BD : Oui. Il y a encore beaucoup de boulot. Sur les dessins, je suis quand même plutôt vers le début. Entre toutes les dédicaces et tout, c’est vrai que ça prend un peu de temps.
Les dédicaces sont bientôt finies ?
BD : On en a jusqu’à décembre puisque c’était déjà acté et ensuite on fait une petite pause. On a reçu comme consigne – et on est d’accord – de ne pas en prendre plus pour le moment parce que sinon je n’avance pas assez. Ensuite il y a un blanc jusqu’à peut-être avril/mai où ça reprendra un petit peu. Donc oui, je travaille sur le 2. Le scénario est fait, on a encore des dialogues à faire. Et puis il y a encore le gros du boulot, le dessin, les couleurs. Le deuxième sortira dans à peu près un an.
En ce qui concerne votre façon de travailler, est-ce que l’un et l’autre participent au moment des corrections ?
CL : En permanence. D’abord on est tous les deux sur le scénario. Comme précisé, je ne suis pas le seul scénariste de l’histoire. Benoit travaillait précédemment de la même façon sur Psycho-Investigateur avec Erwan. Benoit est quelqu’un de très créatif qui en plus adore faire du scénario. Ça permet une synergie entre nous deux, l’un rebondissant sur les idées de l’autre. On a un avantage – pour nous assez considérable, on l’estime comme ça en tout cas – c’est que comme on est des amis, véritablement, quand on travaille et qu’on propose des idées, s’il y en a un qui n’est pas convaincu par l’idée de l’autre, on ne va pas batailler pour une question d’ego. Si je n’ai pas su le convaincre en une ou deux phrases, c’est que je sais que ça ne fonctionne pas et on passe à autre chose parce que des idées, on va en trouver d’autres. Et inversement si je trouve que Benoît a une très bonne idée, on le fait. Si je trouve que ça ne va pas fonctionner, je lui dis non.
BD : Et puis surtout, ce qui est je suppose plutôt rare dans une collaboration comme celle-ci, c’est quand on ne s’interdit pas des modifications même après coup dans un sens comme dans l’autre. C’est-à-dire que pour faire des mises en page très déstructurées, assez complexes et tout ça, forcément il y a des fois quand je cherche des idées de mise en page, des fois au côté de Cyril, des fois tout seul, il y a des idées qui viennent, qui demanderaient qu’on bouge un peu les dialogues dans la même scène, qu’on les agence d’une autre manière et ça ce n’est pas n’importe quel scénariste qui accepterait ça. Autant avec Cyril qu’avec Erwan, c’est comme ça qu’on a toujours fait parce que tous les trois on est dans la même logique : le but est que l’objet final soit le meilleur possible. On ne s’interdit rien. Et s’il faut modifier un petit truc parce que ça va faire quelque chose de beaucoup mieux, on le fait. On est plus exigeant en fait.
C’est une très bonne logique !
BD : Le fait de travailler à deux, notamment sur le scénario, mais pas seulement, on est plus exigeant que si on le faisait tout seul.
Merci beaucoup !
CL & BD : Merci à vous !
Propos recueillis par Nicolas Vadeau et Geoffray Girard
Interview réalisée le 26 octobre 2019
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