Plus besoin de présenter Charlie Adlard ! Malgré une carrière riche de collaborations très variées, le dessinateur britannique est surtout connu pour sa participation au méga succès de la série Walking Dead. Pourtant, il a su se détacher depuis des zombies, comme en témoigne la sortie de l’album Altamont, dont il est à l’origine de la création. Invité pour la première fois au festival Quai des bulles, il nous a accordé quelques minutes pour revenir sur cette bande dessinée qui conjugue son métier et sa passion de la musique.
Bonjour Charlie ! Qu’est-ce qui t’a amené à travailler sur cet album, et plus particulièrement sur ce sujet ?
Charlie Adlard : Hé bien, hmm… je ne sais pas. C’est toujours difficile de dire pourquoi on choisit de faire un livre, je pense. Et c’est très difficile de se souvenir du moment où une idée spécifique est arrivée. Tous ces éléments viennent d’une très longue et lente gestation. Mais, pour faire simple, après avoir terminé Walking Dead, j’avais enfin du temps devant moi. Et une des choses que j’ai toujours eu envie de faire, c’est un livre sur la musique.
Parce que tu joues dans un groupe ?
CA : Oui, je joue dans un groupe (NDR : batteur de Cosmic Rays). Et ça m’a toujours intéressé, cette histoire récente, en opposition à des récits victoriens, romains, de pirates ou je ne sais quoi. J’aimais l’idée de faire quelque chose à une époque bien définie. Tous ces éléments mis bout à bout semblaient pointer vers la fin des années 60. J’avais justement très envie aussi de raconter une histoire qui expliquait comment on était passé de l’idéal positif des hippie à là où nous en sommes, avec ce qui s’est passé dans les années 70. Beaucoup l’ont déjà fait, tous les historiens parlent des meurtres de Manson, mais il y a cet événement qui est moins connu mais tout aussi significatif, c’est Altamont. Toutes ces choses ont tourné dans ma tête. Mais je n’ai jamais pu faire un scénario seul, j’ai toujours eu quelqu’un qui est venu vers moi pour me proposer de travailler avec lui. Le seul pour lequel j’avais proposé l’idée, ça a été La Mort blanche, que j’ai fait avec Robbie Morrison. Altamont est donc vite devenu mon projet passion, parce qu’il est né d’un concept qui vient de moi. Quand Herik Hanna a été impliqué, il a pu se l’approprier, donner forme à un scénario bien conçu, on va dire.
Comment est-il arrivé sur ce projet, d’ailleurs ?
Ca : Là encore, ça a été une longue gestation. Quand j’ai eu l’idée, je voulais à l’origine travailler avec un scénariste britannique, parce que je trouvais que ça avait du sens. Je savais que certains avec qui j’avais pu travailler sauraient vraiment se connecter avec le sujet. J’ai commencé à en parler avec un gars que je connaissais et il semblait vraiment partant. On s’est vus en 2020 pour parler de la façon dont ça pourrait se mettre en place. Mais deux mois plus tard, il a décidé que ça n’était pas pour lui, ce qui n’était pas un problème puisqu’on n’avait rien commencé encore. Mais soudainement je me suis retrouvé sans personne avec qui relancer ça. Je me souviens en avoir alors discuté avec Thierry Mornet, mon éditeur chez Delcourt, et avoir demandé de façon anodine s’il connaissait quelqu’un qui pourrait être intéressé par un bouquin comme ça. Il m’a tout de suite parlé d’Herik. Il nous a alors mis en contact et il y a eu une connexion mutuelle parce qu’il avait fait un album (NDR : 7 Psychopathes) avec Sean Phillips, qui est un de meilleurs amis, et je savais que c’était un super scénariste. On a discuté et il a parfaitement saisi ce que je voulais faire.
Herik a un sens vraiment parfait de la narration.
CA : Oui, ça a été sûrement une des meilleures collaborations que j’ai jamais eues parce que, tu vois, il m’a envoyé le scénario et il n’y avait rien que j’ai eu envie de changer. Je me sens incapable d’écrire un scénario mais, si je savais le faire, c’est ça que j’aurais écrit.
Tu ne t’en sens vraiment pas capable ?
CA : Non. Je sais que je ne peux pas. Et puis ça ne m’intéresse pas non plus. Ca me prend déjà beaucoup de temps à faire le dessin, si je devais en plus écrire, ça serait bien trop long. Et je veux continuer à produire des albums donc…
Le groupe te prend aussi un peu de temps ?
CA : Oh oui. Et j’ai envie de faire des choses aussi différentes que ça.
L’excellente idée est de ne pas centrer toute l’histoire d’Altamont sur le festival.
CA : Au bout du compte, Altamont n’est là que pour le décor. On n’a jamais vraiment voulu faire une histoire sur le festival parce que ça a déjà été fait. Il y a un magnifique documentaire sur le sujet. Pourquoi aurait-on besoin de raconter à nouveau cette histoire ? Mais c’est un endroit génial pour placer une intrigue, on voulait en tirer toute la noirceur pour raconter notre propre histoire à propos de spectateurs innocents. Enfin, ils ne sont pas si innocents mais ils arrivent avec cette candeur des années 60 et, à la fin, quand ils repartent, ils sont complètement détruits. Tu vois, c’est similaire à la façon dont les années 60 se sont finies et celle dont les années 70 ont commencé. C’est cette sorte d’analogie qui est intéressante.
C’est une excellente surprise de l’avoir traité comme ça.
CA : Oui, on raconte cette histoire, mais ça reste en arrière-plan. Les personnages en parlent beaucoup dans les dialogues, ce qui permet de comprendre tout ce qui se passe sans avoir besoin de le voir. J’aime beaucoup ça. Je n’avais pas vraiment envie de dessiner les groupes et tout, on voit à peine Jefferson Airplane ou les Rolling Stones. C’est tout mais c’est assez. Parler de musique, c’est pour moi la chose la plus difficile à faire en bande dessinée parce que tu n’as aucun son. Et on voulait éviter le cliché d’avoir quelques petites notes de musique ou un truc du genre, je trouve que c’est un peu ringard. On a donc essayé de recréer l’atmosphère du festival pour que, quand on lit les pages, on puisse avoir la chanson à l’esprit. La présence des groupes était plus là pour accentuer le côté dramatique des événements.
As-tu utilisé certaines photos d’époque pour enrichir ton dessin ?
CA : Oui, je l’admets parce que c’est assez facile de le remarquer par vous-mêmes. Pour certaines cases, j’ai repris des images comme je les ai trouvées en cherchant sur Google. Mais bon, même si tu reprends ces photos, tu les manipules un minimum, tu dessines par dessus, et ça devient clairement ta propre création. Ça serait bête de ne pas le faire parce que ça se passe à une époque précise, dans un lieu réel. Tu dois être aussi exact que possible, c’est la raison pour laquelle tu utilises des astuces comme ça. Donc oui, certaines images des groupes viennent directement de photos. Le documentaire a été lui aussi très utile. J’ai pu faire quelques captures d’écran, mais il était très bien aussi pour tout le reste, car il ne se concentre pas que sur les groupes, ce n’est pas un concert filmé, ça montre tout ce qu’il s’est passé, même les mauvaises choses. Il y a plein d’images de tous les groupes, mais ça ne prend pas plus de 15 minutes sur tout le doc. C’est très similaire à ce qu’on voulait faire.
La fin de l’album également est très surprenante. Etait-ce ton idée ?
CA : Non, ça vient d’Herik. Comme je te le disais, je n’ai aucune idée de la manière d’écrire un scénario, comment concevoir un début, un milieu et une fin. Donc tout ça vient d’Herik. Mais je trouve que c’est une excellente idée. C’est un très bon moyen de conclure tout ça. Je ne vais pas essayer de m’en attribuer le mérite car c’est clairement son histoire à lui. Je lui ai juste donné un squelette, c’est très similaire à ce que je te racontais pour La Mort blanche avec Robbie. Je voulais juste dessiner un album dans ce style, je voulais que ça se place dans cette période, j’avais les trois premières pages en tête mais, si ça n’avait pas été une bonne idée, on n’était pas obligé de commencer avec ça. « Je veux une histoire qui se passe à Altamont, mais pas sur Altamont, je veux que ça se passe à la fin des années 60 et je veux le faire dans ce style. Allez, Herik, écris une histoire avec ça ! » (rires).
Est-ce que ça te donne envie de travailler avec lui à nouveau ?
CA : Oui ! C’est une relation de travail qui s’est tellement bien passée, ça ne peut pas être pour une fois seulement. Et c’est très bien de prendre mes distances avec Walking Dead, parce que ça fait presque quatre ans que j’ai arrêté la série. J’ai fait d’autres choses depuis, il y a évidemment Damn Them All pour Boom !, l’autre grosse série récente que j’ai dessinée. Robbie et moi avons également travaillé sur un nouvel album, c’est la première chose que j’ai faite après Walking Dead, et j’espère que ça sortira l’an prochain chez Image. En terme de projets, ça fait pas mal de trucs, mais je serais ravi de pouvoir faire des albums comme Altamont jusqu’à la fin de ma carrière, c’est le genre de format qui me convient maintenant, j’y prends beaucoup de plaisir. Et ça me permet de prendre mon temps pour le faire. Concernant un autre album avec Herik, je ne peux pas t’en dire grand chose. On en discute encore, je peux juste dire que ce sera probablement mon prochain gros projet. Je devrais le commencer en début d’année prochaine, je croise les doigts. Il me reste quelques petits trucs à régler avant la fin d’année pour pouvoir me concentrer pleinement sur un seul album. Quand j’ai dessiné Altamont, je faisais Damn Them All en même temps. Je devais alterner entre les deux, j’ai eu l’habitude de le faire aussi pendant Walking Dead et j’en suis capable, mais je n’aime pas trop ça, j’en ai assez de me scinder en deux. Je n’ai pas apprécié de me mettre dans un certain état d’esprit pour deux semaines, un mois, devoir tout changer après et recommencer. En plus, j’ai tendance à utiliser des techniques différentes. Altamont a été dessiné sur papier puis colorisé numériquement, Damn Them All a été entièrement fait en numérique. A chaque changement, j’avais besoin d’un jour ou deux pour me réhabituer, pour me ré-acclimater à ça. Donc maintenant je vais faire comme ça : le projet à venir devra attendre que le précédent soit fini pour que je me lance.
Merci beaucoup à toi !
CA : Je t’en prie !
Propos recueillis par Arnaud Gueury.
Interview réalisée le 28 octobre 2023.
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