A l’occasion du dernier festival Quai des Bulles, nous avons eu la chance de pouvoir poser quelques questions à Jérôme Pélissier et Carine Hinder au sujet de leur série Brume.
Bonjour Carine et Jérôme. Pour commencer, pouvez-vous pitcher l’album pour ceux qui ne l’auraient pas encore lu ?
Jérôme Pélissier : Brume, c’est l’histoire d’une petite fille qui a 8 ans et qui vit dans un village où il est interdit d’en sortir parce que les abords sont beaucoup trop dangereux. C’est un village qui vit confiné, ça doit rappeler quelque chose à tout le monde. Brume a un rêve, celui de devenir sorcière. Elle est fan de Naïa, une ancienne sorcière qui a disparu. Son rêve est de remplacer Naïa dans le village et il faut savoir que seules les sorcières ont le droit de sortir du village parce qu’elles sont aptes à se défendre face aux créatures qui existent en dehors de celui-ci. Un jour, il y a une brume un petit peu étrange qui se répand dans le village et les habitants, qui sont très superstitieux, se persuadent que c’est le réveil d’un dragon qui vit dans la montagne à côté. Brume décide, avec son copain Hugo et son petit cochon assistant Hubert, de sortir du village pour aller combattre le dragon. En sachant que les pouvoirs en tant que sorcière de Brume sont plus ou moins sujets à caution.
Brume symbolise en quelque sorte la concrétisation d’un nouveau départ pour vous, une nouvelle vie.
Carine Hinder : Effectivement, quand on est arrivés en Bretagne, ce n’était pas un choix de notre part mais on a fait cette BD et ça a sans doute marqué un tournant dans notre vie.
JP : C’est un changement de vie, oui. Je quittais le jeu vidéo, je travaillais chez Ubisoft, on voulait quitter la région parisienne et on s’est retrouvé un petit peu par hasard dans le Morbihan. En fait, on attendait d’avoir un coup de cœur et on visitait à droite à gauche des lieux de vie. On a eu un coup de foudre pour ce village et ça a chamboulé pas mal de choses parce qu’on a eu envie d’écrire nos propres histoires, nos propres héros. Ce village nous a pas mal inspirés, tous les contes et légendes qui existent dans ce coin de Bretagne sont assez riches. On a mis un pied dans la BD donc c’est vrai, c’est un changement. Une fois qu’on a mis le doigt dans l’engrenage, on ne s’est plus arrêtés.
La série est née à la fin du confinement, comme vous le dites à la fin de l’album, vous aviez besoin d’une touche d’humour pour rompre l’anxiété.
JP : En fait ça c’est fait juste après le confinement mais on s’est nourri de lui. Le confinement nous a donné les ingrédients, c’était d’ailleurs plus ou moins inconscient. C’est d’abord Carine qui a été très inspirée par les brumes matinales, absolument magnifiques, qu’il y a dans ce coin de Bretagne en automne.
CH : Initialement, je souhaitais faire de l’aquarelle à travers des petits albums, en méthode traditionnelle, et j’étais très inspirée par ces brumes matinales. En automne c’est beau, c’est chaud, c’est doux. Je voulais faire un petit personnage qui était comme une tâche d’encre dans cette brume blanche. J’imaginais bien une petite sorcière pour ce rôle-là. A partir de là je suis allée voir Jérôme, je lui ai dit « toi tu sais écrire de belles histoires, est-ce que tu pourrais pas m’écrire une histoire avec une petite sorcière dans la brume ? ». C’était donc un souhait graphique.
Deux éléments essentiels pour cette série : une petite sorcière et la brume ?
CH : Effectivement, il y avait ces deux éléments, la brume et la sorcière. Jérôme est revenu vers moi très rapidement et m’a sorti l’histoire du tome 1 de Brume. L’histoire était juste géniale mais ça ne correspondait pas au petit album que je m’étais imaginé au départ. Jérôme m’a dit justement que ça serait idéal en BD.
JP : C’était l’occasion de mettre un pied dans la BD donc voilà, on est parti comme ça et ensuite l’histoire du confinement m’a inspiré le village confiné. Je me suis baladé dans les rues de Rochefort-en-Terre, ce petit village touristique plein de vie était complètement vide. C’était très étrange et toutes ces légendes, qui existent autour et qui sont très présentes en Bretagne, ont commencé à me faire fantasmer. Je me demandais ce qui se passait dans la forêt alors que plus personne ne sortait, est-ce que les créatures de Brocéliande ressortaient ? C’est trippant comme idée, il y a donc eu cette inspiration-là, l’envie de rire, de faire quelque chose de drôle parce qu’on sortait d’une période un peu étouffante. Je suis très friand des petites punchlines. Dans ce premier tome, on avait envie de faire de Brume une petite peste que l’on commence à aimer, on commence d’ailleurs à découvrir sa fragilité et on montre également son grand cœur.
C’est votre première expérience en BD pour tous les deux. Ce n’était un peu stressant de se lancer dans l’inconnu ?
CH : Alors moi je suis de nature spontanée. Bref, pour moi, ça a été juste un grand bonheur. J’ai mis les pieds dedans, je me suis marrée et je me marre encore littéralement devant mon écran quand j’arrive à leur faire des tronches rigolotes. Pour moi, ça a été juste de la joie du début à la fin, ce n’est pas toujours facile, tu recommences, tu galères un peu mais en fait ce n’était vraiment que de la joie. J’ai adoré l’histoire de Jérôme, donc la mettre en dessin, c’était juste du kif, et puis reprendre ces personnages, les triturer dans tous les sens… j’ai tout aimé.
JP : Moi je suis un peu plus angoissé, j’ai eu droit au syndrome de l’imposteur. En fait, ce qui me faisait un petit peu peur, c’est que j’ai réalisé par exemple que, pour l’illustration, il m’a fallu un certain temps pour atteindre un certain niveau. On parle d’années de pratique et je me suis dit « je débarque en BD, on a un art à apprendre ». C’est un art hyper exigeant, on s’est dit qu’on allait se planter et qu’on allait voir tout plein de défauts pour notre premier album. Je me suis détendu quand l’éditeur, après avoir vu le storyboard de l’album, nous a dit de foncer et de continuer sans que nous ayons eu de modifications à faire.
L’éditeur a cru à fond à votre premier album quand on voit la finition magnifique de la couverture.
CH : Cet album est une belle histoire parce que Brume a trouvé une famille chez Glénat, une famille plus qu’aimante. C’est vrai qu’ils nous ont choyés du début à la fin, ils nous ont offert une grande visibilité ainsi que tout leur savoir-faire.
JP : Ils y ont cru plus que nous, on a été les premiers surpris finalement et du coup ils nous portent et ça c’est super. On ne les remerciera d’ailleurs jamais assez, sans oublier les libraires car il fallait qu’ils y croient aussi. On a rencontré plein de libraires qui nous ont portés. L’alchimie des deux fait qu’on a cette belle histoire. On va conclure l’histoire de Brume en trois tomes, on a cette opportunité qui nous a été offerte par l’éditeur.
La série peut-elle aller au-delà de ces trois tomes ?
JP : Si les libraires et les lecteurs continuent à suivre, on poursuivra l’aventure car on adore ce trio de personnages.
CH : C’est vrai que moi aussi j’adorerais continuer cette série. Ce qui est génial, c’est que tu as un petit village de gens hyper superstitieux, tu sors du village et là tout peut arriver parce que c’est magique. Pour nous, la liberté créative est infinie.
JP : On a créé une unité de lieu et de temps dans ce village confiné mais on s’est laissé la possibilité de la faire voyager. En dehors de ce village, c’est l’inconnu le plus total.
Cela permettrait de proposer des aventures un peu à la Astérix en sortant du village pour découvrir le monde.
CH : Exactement, pour moi en tout cas, Astérix est ma première source d’inspiration.
Brume est-elle votre première collaboration ?
CH : C’est notre première BD mais on avait fait pas mal de petits albums jeunesse ensemble, notamment des collections, donc on était déjà un peu rodés.
JP : On a travaillé dans la même société de jeux vidéo pendant un temps aussi.
CH : Notre première collaboration, c’était à l’école Estienne quand on s’est rencontrés.
JP : On a fait notre projet de diplôme ensemble. C’était un projet de court métrage à présenter. On a donc eu l’habitude de travailler ensemble très tôt.
Quelles sont vos références pour la création des personnages de la série ?
JP : Brume, c’est clairement notre petit garçon de 6 ans avec son caractère bien trempé.
CH : Après, on n’a pas forcément pensé à quelqu’un en particulier, on voulait juste faire marrer nos gamins.
JP : Ah si, on avait quand même une référence qui nous tenait à cœur parce qu’on adore Calvin et Hobbes. Les personnages de Bill Watterson étaient excellemment bien écrits et c’est évidemment l’une de nos sources d’inspiration. Quand je crée un personnage, je pars toujours d’une personne que je connais pour qu’il soit crédible et je le triture pour en faire le personnage qui évoluera dans l’histoire. Au niveau des références, on peut également citer Kaamelott pour les dialogues.
Vous expliquez d’ailleurs en fin d’album vous être également inspirés des habitants du village où vous habitez désormais. Comment ont-ils vécu cette expérience ?
CH : Certains ne le savent pas. Odette c’est notre petite voisine et je pense que personne ne lui a dit. Après, elle ne lui ressemble pas trop physiquement.
JP : Les personnages qui ressemblaient à certains villageois, on leur a demandé si ça leur allait qu’on les caricature dans la BD même si c’était déjà dessiné. On s’est permis de le faire car ce sont des amis. On leur a montré et ça les a fait rire. Dans ce premier tome, il y a Denis le marchand de chaudron qui est en fait notre buraliste et libraire dans notre village. Dans le tome 2, on découvrira d’autres zones du village.
CH : Comme initialement c’était né de cette volonté de parler des brumes de ce coin où l’on vit, on avait vraiment envie de teinter le récit de cet endroit où on vivait et, quitte à le faire, autant le faire bien. On s’est donc inspiré des vrais gens, des vrais lieux, des vraies anecdotes. Naïa a vraiment existé, on s’est vraiment nourri de ça pour le retranscrire avec une histoire qui nous plaisait.
JP : J’ai oublié de le préciser mais dans le caractère de Brume il y a aussi le caractère de Naïa parce qu’elle avait un caractère haut en couleur, c’était une roublarde. On a des anecdotes sur elle grâce au travail de Charles Géniaux qui l’a interviewé et pris en photo. Il relate des anecdotes sur son caractère qui sont excellentes et qui montrent son côté hyper roublard.
Peut-on imaginer d’autres cycles ou plutôt des one-shots après la sortie du tome 3 ?
CH : Jérôme a écrit Brume comme une trilogie, et on aura de nombreuses réponses au troisième tome. Néanmoins on aimerait beaucoup poursuivre ces aventures en one-shots ou autre par la suite, si la série a du succès bien entendu. Jérôme y réfléchit sérieusement.
Merci beaucoup à vous deux !
CH & JP : Merci à toi.
Propos recueillis par Nicolas Vadeau
Interview réalisée le 28 octobre 2023
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