Benoist Simmat était à Quai des Bulles pour présenter en avant-première ses nouveautés aux éditions Les Arènes. Après le succès de L’Incroyable histoire du vin, le scénariste est arrivé cette année avec de nouveaux thèmes : l’immortalité, la géographie… et la cuisine, volume sur lequel nous avons centré notre interview ! C’est en quelque sorte la suite de notre entretien sur le vin, paru en 2018.
Bonjour Benoist. Voici le fameux volume L’Incroyable histoire de la cuisine …
Je le découvre aujourd’hui, en fait. Il sort de l’imprimerie… Il sort en France le 18 novembre, je crois. Ils l’ont fait venir pour Saint-Malo donc je l’ai découvert il y a une heure.
On a lu le PDF un petit peu avant, quand même. Enfin, pour être honnête, Chloé l’a lu en entier. Moi, j’ai lu le premier et le dernier chapitre… C’est déjà pas mal… pour m’imprégner…
C’est ce qu’il faut faire.
Nous nous étions déjà rencontrés il y a trois ans au moment de la sortie de L’Incroyable histoire du vin, qui a déjà fait son chemin depuis. Il a eu son gros succès, même.
Oui, très gros succès.
Est-ce que vous vous étiez préparés à ça ?
Ah non, franchement… Pour parler chiffres, on avait tablé sur 20 à 30 000, en se disant qu’on allait cibler le public qui s’intéresse à l’histoire du vin. Là, on va finir à 100 000, à Noël. Dixit l’éditeur. Pour nous, c’est extraordinaire ! Pour un auteur comme moi, qui vient de la presse, faire 100 000 exemplaires, c’est fabuleux.
Il y a eu des ajouts, en fonction des rééditions…
Oui ! On a fait déjà deux rééditions. En 2019 avec le vin bio et en 2021 avec le rosé. Là, on va faire une quatrième édition.
Avec encore un autre chapitre ?
Oui, bien sûr. C’est le concept. Il y aura toujours un chapitre en plus, de 30, 40, 50 pages, afin d’élargir le public. Le résultat a été une grosse surprise.
Est-ce que vous avez eu des retours de spécialistes ou même de lecteurs, qui ont été emballés ?
Quand vous faites 100 000, vous mettez tout le monde d’accord ! Enfin, je résume comme ça parce que voilà… En trois ans, j’ai très rarement eu des gens qui m’ont dit que ce n’était pas assez précis, pas ci, pas ça. Non, ça met tout le monde d’accord. Les spécialistes et, surtout, le grand public qu’on a visé, qui n’est pas un public d’initiés. Ce sont ces gens-là qui ont acheté l’album. Quand vous dépassez 20 ou 30 000, vous dépassez la niche du sujet. Donc c’est ce qu’on va faire avec la cuisine. Sait-on jamais, on pourra peut-être réitérer la performance.
Donc, cette Incroyable histoire de la cuisine, c’est un peu une suite logique pour vous.
Totalement. Quand on a vu le succès qu’on a eu avec le vin, on s’est dit que la cuisine, c’est pareil, ça intéresse tout le monde, les spécialistes d’un côté, les amateurs de l’autre. On va peut-être réussir à mettre tout le monde d’accord, en faisant une histoire, une méta-histoire mondiale de la cuisine, qui s’intéresse moins au détail qu’à la grande histoire depuis les origines. C’est ça, le fil conducteur.
C’est un sacré défi également. Déjà, le vin, c’est large. En plus, c’était mondial. Mais là, la cuisine, on peut aborder encore plus de thèmes, il a fallu faire des choix…
La cuisine, c’est encore plus large, c’est vrai. Néanmoins, il y a des points communs : les inventions, les appropriations de produits, se passent toujours de la même façon, en fonction des civilisations, de l’époque historique humaine. On s’aperçoit qu’on apprend à domestiquer certaines céréales, certains modes de cuisson… Au fil de l’histoire, c’est cumulatif et ça se répand de continent en continent. La différence, c’est que le vin, c’est une origine méditerranéenne qui, en cercles concentriques, s’est élargie au monde entier ; la cuisine, ce sont des origines qui appartiennent à tous les continents et qui se cumulent les unes les autres au fil de l’histoire. C’est la seule différence thématique.
Quand vous travailliez sur le vin, est-ce que vous aviez déjà l’idée de faire la cuisine ensuite ?
Pas du tout.
D’accord. Mais vous avez quand même repris quelques sources ?
J’ai repris la recette qui a fonctionné pour le vin parce que ça n’avait pas été fait, l’histoire mondiale du vin, comme ça, qui transcende la grande histoire de l’homme… ça n’avait pas été imaginé comme ça et je me suis dit qu’on pourrait le faire pour la cuisine. J’ai expliqué aux Arènes qu’avant de faire ce livre, je suis allé à la Librairie Gourmande (à Paris) et j’ai demandé à la propriétaire (Déborah Dupont) s’il existait un livre comme ça. Elle m’a dit « non » donc je me suis dit « ok, je vais le faire ! ». Enfin, « je vais essayer de le faire », en toute modestie. Parce que c’est vrai que ça n’existait pas. C’est tellement large que ça n’existait pas. Et donc dans ce livre, vous allez trouver : tout, du début à la fin, 500 000 ans d’aventure. Il manque beaucoup de choses parce qu’il faut tailler dans le vif et faire des choix mais il y a une logique qui est la même que pour le vin, c’est-à-dire qu’on part de l’origine de l’homme qui est sa créativité et surtout sa socialité, le fait de partager les choses et de mettre en commun. C’est ça, la cuisine ! On pourrait faire pareil avec la bière, le thé… D’ailleurs on est en train de faire les deux… C’est le point commun avec ce qu’on a fait pour le vin. On ne sait pas si ça va marcher autant mais en tout cas c’était la même méthodologie.
Voyant que le vin a marché, est-ce qu’on réfléchit différemment ? Par exemple, à l’époque de la sortie du vin, vous vous demandiez si vous alliez le traduire… Là, vous y avez peut-être pensé directement…
Ce n’est pas nous qui traduisons, ce sont des éditeurs étrangers qui achètent les droits. Pour le vin, je n’avais absolument pas pensé aux traductions. Il y en a eu beaucoup. On est à 11 pays, ce qui est beaucoup, je crois, dans la BD. Là, j’ai clairement travaillé pour les traductions. Donc j’ai fait bien attention à sortir de notre européano-centrisme habituel, qu’on a tous, nous les auteurs, et j’ai essayé de m’intéresser aux origines de la cuisine inca par exemple. La cuisine inca a influencé le monde entier mais c’est quelque chose qu’on ne connaît pas. Au-delà de l’histoire de la pomme de terre, de la tomate ou du maïs, ce sont les piments, les cuissons, la vapeur. Plein de choses. Et ça, je l’ai fait vraiment pour les traductions en me disant que ce livre doit parler aux Français, aux Européens mais également aux Américains, aux Américains du Sud, aux Russes et aux Chinois…
Donc ce succès passé vous a aidé à faire un meilleur livre.
Complètement. Je me suis laissé influencer volontairement par le succès du vin pour faire ça. C’est peut-être en ça également qu’il est différent. Il est moins centré sur la culture méditerranéenne qui, en matière viticole, a envahi le monde. En matière de cuisine, on ne peut pas dire que la cuisine occidentale ait influencé le monde entier, au contraire. Je pense que c’est plutôt la cuisine du monde entier qui a influencé la cuisine occidentale.
Y compris française.
Surtout française. La part consacrée à la cuisine européenne et à la gastronomie française est minuscule. C’est volontaire ! Non pas que je renie la gastronomie française, je suis même passionné, mais je pense que les influences culinaires, en matière sociologique ou instrumentale ou méthodologique, sont autres. La cuisine, ce n’est pas quelque chose de national. La gastronomie française, c’est quelque chose de récent, c’est pour ça que c’est à la fin du livre. Enfin, vous avez vu, c’est résumé à l’extrême, c’est horrible. 200 pages.
Comment fait-on les choix ?
Comme je ne suis pas un spécialiste de gastronomie ni un chercheur, je suis obligé de faire quelque chose de très différent, obligé de faire des choix radicaux. Construire un scénario où je taille dans le vif. C’est atroce mais j’assume ! Je ne suis pas un chercheur en histoire de la gastronomie ni en histoire de l’alimentation, je suis un journaliste. Qui fait du documentaire BD. Très spécialisé.
Donc il faut trouver les sources, les bonnes sources, ce que vous avez fait.
Ça, je pense que je sais faire. Je me mets dans les pas des grands chercheurs. Je l’avais expliqué il y a trois ans : ma façon de faire, qui n’est pas si répandue que ça, ce n’est pas de lire les bouquins des grands auteurs, c’est de chercher les articles de recherche des grands auteurs spécialistes de telle ou telle période, de tel ou tel continent et d’en tirer un truc grand public. Ma surprise avec ce bouquin, ça a été la cuisson vapeur. Apprendre qu’homo erectus, en – 350 000, fait de la cuisson vapeur. Un gars a fait un article là-dessus, a passé vingt ans de sa vie à chercher des traces de ça, c’est extraordinaire. Homo erectus met des pierres brûlantes chauffées par le feu, dans l’eau, dans une cavité, et c’est la fumée qui fait cuire la viande. C’est pareil pour la pierrade, cuire des légumes ou de la viande sur des pierres chaudes, on a l’impression que c’est une invention des années 70 en Savoie mais pas du tout !
Ce titre a représenté un an de travail également ? Ou un peu plus.
Euh, là, un peu plus quand même ! Le vin, c’est très large mais très circonscrit. Déjà, c’est une boisson. Là, on parle de la cuisine donc on parle de tout le monde. Le vin ne concerne pas tout le monde, la cuisine si.
Est-ce qu’il y a des thèmes que vous avez évités ? Qui étaient trop durs à vulgariser ?
Moi, j’ai une impasse, c’est l’Afrique. Tout simplement parce qu’on a pas d’écrits sur l’Afrique puisque ce sont des traditions orales donc on ne sait pas bien sourcer les choses. J’ai quand même travaillé dessus : on a des sources orales écrites au XXe siècle de la tradition gastronomique et culinaire africaine qui remonte à la nuit des temps mais comment sourcer les dates… C’est très compliqué quand une culture n’a pas d’écrit. J’ai essayé d’en insérer un peu mais j’ai préféré être prudent parce que c’est compliqué. La Chine pratique l’écriture depuis très longtemps, de même que le Moyen-Orient et l’Europe, c’est plus facile.
Vous n’avez pas non plus plongé dans toutes ces légendes pour faire une sorte de catalogue de tout ce qui se dit.
Non, parce que ce serait trop facile. Il vaut mieux prendre certaines légendes en exemple pour en déduire certaines pratiques, parce que c’est tellement inscrit dans la tradition… La cuisine juive, c’est inscrit dans la Bible, dans l’Ancien Testament, donc c’est quelque chose de très fidèle, de très fiable. Après, les légendes de Gilgamesh, mésopotamiennes… ce sont les premières traces écrites de l’humanité donc on peut s’y fier mais après c’est tellement lointain qu’il faut, encore une fois, prendre des pincettes.
Et il y a toujours la petite touche d’humour.
Les petites blagounettes, c’est le carburant de la BD, et ça reste de la BD.
Au fur et à mesure des lectures, vous notiez dans un petit carnet les blagues à faire ?
Je ne me verrais pas faire une BD trop sérieuse, sans humour.
On voit que ce qui fonctionne le mieux, c’est l’anachronisme…
Complètement. Les dessinateurs me disent – c’est un hommage – « tu as un humour un peu vintage, à la Goscinny ». Des jeux de mots ringards. Comment faire autrement ?
Là, ce n’est pas le même dessinateur que pour le vin.
Non, c’est Stéphane Douay. Stéphane a fait un travail plus réaliste, années 60-70, je trouve. Ce n’est pas moi qui choisis le dessinateur, c’est l’éditeur. Et je trouve qu’il a fait le bon choix parce que… Daniel Casanave est un très grand copain, il aurait fait ça superbement ! Mais là, quand même, on est dans les histoires de l’Oncle Tom et je trouve que ça fonctionne très bien, je suis ravi. N’oubliez pas de parler des couleurs de Christian Lerolle. Plus ça va, plus il s’améliore. Ça devient un auteur à part entière.
Il avait déjà participé au vin. Ils étaient plusieurs…
Il était venu au secours du coloriste originel qui avait des problèmes de santé, comme ça peut arriver parfois. Donc il était arrivé avec son équipe de quatre coloristes, ils avaient fait ça à l’américaine. On était très impressionné.
Donc il fait celui-ci seul. D’autres ?
Il nous a fait L’Incroyable histoire de la géographie qui vient de sortir aussi, vous avez vu ?
Oui, avec Jean-Robert Pitte, avec qui vous avez déjà travaillé.
Tout à fait. Donc il a fait la géographie et la cuisine. C’était entre mai et fin août. Au dernier moment…
La géographie, c’est aussi important, en pagination ?
Un peu moins. 165 planches. La BD a bien changé. Enfin la BD documentaire. La cuisine, c’est 210… Oui, largement. On a fait un petit cahier aussi, un cahier de recettes, j’en suis très fier. J’aimerais beaucoup que vous en parliez (rires).
Vous avez essayé des recettes ?
Bien sûr ! La seule que je n’ai pas faite, parce c’est très compliqué, c’est le garum. C’est très intéressant.
Les recettes sont bien choisies, elles résument bien le livre…
Quand on va le rééditer dans quelques mois, on va en mettre un peu plus, j’espère.
Est-ce que certaines périodes ont été plus simples que d’autres à traiter ou est-ce que le métier de journaliste fait qu’on s’intéresse un peu à toutes les périodes ?
Il y a des périodes très faciles parce que très documentées, comme la Grèce antique, la Mésopotamie, l’Égypte… Alors là, pas de problème, il y a beaucoup d’écrits. Ce sont des références dans notre culture occidentale. Ce qui n’est pas facile, comme pour le vin, c’est la période arabe, par exemple, alors que c’est passionnant. Je pense que c’est le chapitre qui m’a le plus passionné. L’invention du couscous des pays berbères, en -200, jusqu’aux différentes façons de cuisiner… jusqu’à l’apothéose de Cordoue. C’est fabuleux ! Je crois que ce sont des références culinaires que les gens ne connaissent pas bien alors qu’on vit là-dedans, en Europe. La paëlla vient du monde arabe, indirectement.
Comment travailliez-vous avec le dessinateur ?
J’ai travaillé avec Stéphane un peu comme avec Daniel. J’avais deux chapitres d’avance. J’écris un chapitre, je lui envoie, il cogite, on commence à travailler, puis ensuite j’en écris deux et il dessine en même temps. L’échange se passe surtout sur ce qui est notre spécialité, les cartes. Je lui envoie des documents historiques pour reproduire les cartes. Après tout le monde s’engueule, les correcteurs, sur l’orthographe des noms (rires), mais je suis super content : il y a des cartes dans tous les titres. L’échange porte essentiellement sur les illustrations, après, sur le récit, c’est moi qui l’écris. Dans le documentaire, c’est vraiment le scénariste, le journaliste, qui est le chef d’orchestre.
Vous n’avez donc pas terminé sur cette thématique culinaire au sens large ?
J’espère bien augmenter ce livre-là autant que j’ai augmenté celui sur le vin.
Vous parliez des boissons, le café, le thé…
Je suis en train de travailler sur la bière ! J’ai commencé à écrire il y a un mois L’Incroyable histoire de la bière. Ah, je creuse le filon. (rires) Je m’y connais moins en bière mais sociologiquement et anthropologiquement c’est passionnant puisque la bière, c’est encore plus ancien que le vin. Les traces les plus anciennes qu’on ait retrouvées, c’est 13 000 ans ! Donc voilà, c’est une série de documentaires BD qui devrait durer un petit moment… je pense qu’on va se revoir (rires).
Vous avez trouvé un bon créneau…
Ça plaît aux gens !
Et ça vous plaît toujours autant ?
Ah, moi, j’adore !
C’est donc votre projet principal de ces prochains mois ?
Bon, j’ai une activité… Je suis journaliste-économiste dans la presse nationale. Alors, en ce moment, j’en fais moins parce que je travaille tellement dans la BD… mais je continue quand même. Je suis aussi essayiste, je fais des bouquins, sans images ! Donc j’écris des livres qui se vendent beaucoup moins, bien mais beaucoup moins, ce n’est pas pareil. Donc je travaille quand même sur d’autres projets que j’espère bien faire advenir.
Vous alternez, en somme…
Oui, je fais les trois !
Merci beaucoup Benoist et bonne continuation ! Peut-être à bientôt à Tours pour un événement autour de ces livres.
Avec plaisir !
Propos recueillis par Chloé Lucidarme et Nicolas Raduget.
Interview réalisée le 30 octobre 2021.
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