Alors que la rentrée littéraire de septembre a vu son cortège de beaux projets habituel, un album de bande dessinée s’est particulièrement mis en valeur par la qualité de l’objet, avant même que les lecteurs ne puissent plonger dans une histoire très romanesque, forte d’une belle prose et d’un graphisme époustouflant. L’Ombre des Lumières marque la rencontre fort réussie entre deux auteurs de talent, Alain Ayroles et Richard Guérineau, avec qui nous avons eu l’opportunité de discuter à l’occasion de leur venue au festival de Saint-Malo.
Bonjour Messieurs ! Commençons avec la question classique : comment en êtes-vous venus à collaborer sur ce projet ?
Alain Ayroles : J’y vais ? Allez. J’avais ce projet depuis longtemps et, quand j’ai réussi à le faire aboutir, après beaucoup de réflexion et beaucoup de réécriture, je me suis rendu compte que ça allait être très compliqué de trouver un dessinateur. Parce que c’est un projet qui est multiple, c’est à la fois un récit d’aventure, un récit historique, un récit où il y a du drame, de la psychologie, il y a des choses assez subtiles, mais il y a aussi de la comédie. Et il fallait quelqu’un qui puisse passer graphiquement d’un registre à un autre avec aisance. Les dessinateurs qui sont capables de faire ça ne sont pas si nombreux que ça. Ça demande des talents et des compétences très diverses. Richard fait partie de ces gens-là puisqu’il a déjà prouvé, à travers ses différents ouvrages, qu’il est capable de faire du réalisme très précis et à la fois de la comédie ou des choses très dynamiques et très expressives.
Richard Guérineau : Ce sont ces grands écarts que j’adore, moi, dans ce métier, dans la bande dessinée justement, pouvoir passer du chaud au froid comme ça. La douche écossaise, j’adore.
As-tu pensé à Richard quand tu as écrit le projet ?
AA : Non, car c’est un très vieux projet, qui a plus de 20 ans. Je travaille sur le temps long, je suis un ébéniste à l’ancienne. Au départ, je comptais même le dessiner, j’avais fait quelques pages de storyboard et j’avais même signé un contrat en francs. (rires)
RG : On se disait hier soir que c’était peut-être le projet qui avait duré le plus longtemps, en fait.
AA : Je me suis aperçu au bout d’un moment que j’étais dans une impasse, ça ne fonctionnait pas. Dès le début, l’idée était de faire une histoire qui soit dans l’esprit des Liaisons dangereuses et de retrouver tout cet univers du XVIIIᵉ siècle très feutré, très élégant, très romanesque et très littéraire, très subtil, mais qui allait entrer en collision avec un monde, à la même époque, au contraire très rude, brut et sauvage. C’est le monde du Dernier des Mohicans, par exemple, ou des récits de Pratt comme Fort Wheeling ou Ticonderoga, c’est à dire l’Amérique du Nord durant les guerres par tribus amérindiennes interposées que se livraient les Français et les Anglais et qui est le théâtre de grandes aventures. Je voulais faire entrer en collision ces deux mondes et je n’arrivais pas à trouver le gimmick, le procédé pour arriver à bien raconter cette histoire-là. A partir du moment où j’ai réalisé que la meilleure façon de le faire était de faire exactement comme Les Liaisons dangereuses, à savoir en récit épistolaire, entièrement basé sur des lettres – parce qu’au départ, je voulais mettre quelques lettres par ci par là pour ponctuer le récit, mais ça ne suffisait pas, il fallait vraiment que ce soit construit autour de lettres – ça s’est mis à fonctionner.
RG : Du coup, ça a quand même changé, j’imagine, la structure globale de ton récit d’origine.
AA : Oui. Le récit s’est modifié. Le fait d’avoir des lettres permettait aussi de jouer sur des temporalités différentes, d’avoir des flashforwards, des flashbacks… Et donc c’est comme ça que j’ai vendu le projet à Richard.
RG : Très bon pitch, la rencontre entre Les Liaisons dangereuses et Le Dernier des Mohicans… « Ah bah oui, d’accord, allons-y ! »
Ça doit être un peu étrange de voir une idée vieille de 20 ans qui prend enfin forme.
AA : C’était vraiment magique de voir ça, parce que ça prenait vie. Je maîtrisais bien les personnages, mais je n’avais pas les visuels encore. Et là, ils prenaient vie sous mes yeux.
C’est un sacré défi graphiquement.
RG : Oui, il faut être précis, généreux aussi, parce que c’est quand même un format de livre qui est un peu luxueux. Donc il ne faut pas être avare en informations visuelles. Et puis il y avait aussi une difficulté qui était d’intégrer de manière fluide les cartouches épistolaires, les scènes dialoguées qui se chevauchent, qui se répondent parfois l’une l’autre, sans qu’il n’y ait aucune redondance entre le texte et l’image, le texte prenant beaucoup de place. Donc il y avait tout un tas de choses à gérer comme ça, qui ont demandé des réglages au fur et à mesure. Du coup, il a fallu qu’on trouve la bonne méthode et ça passe par le storyboard. Ce qui est marrant, c’est qu’avec Alain on est dans des fonctionnements qui étaient jusque-là assez opposés. Alain travaille dans la longueur, dans le temps. Moi j’ai tendance à aller vite, peut-être trop parfois. Et il a fallu qu’on se trouve une moyenne. Et en fait là, ça y est, c’est sur le storyboard que l’essentiel s’est fait. Je ne voulais pas qu’Alain le dessine parce que j’avais l’impression de ne plus rien avoir à faire. Et donc voilà, ça s’est fait comme ça.
Le retournement de situation en plein milieu est assez marquant.
AA : C’est une construction un peu inattendue et surprenante. C’était vraiment maîtrisé. On voulait présenter le personnage, mais pas de manière statique, pas dans une exposition un peu plate. Il fallait le présenter en action et sans le montrer justement. Pendant tout le début du récit, le personnage principal est beaucoup cité, beaucoup nommé et on ne le voit jamais, on finit par le voir et puis après on a des surprises. Le premier chapitre fait la moitié de l’album, c’est une présentation. D’ailleurs, ce sont les premiers mots de l’incipit, on fait un portrait mais ce n’est pas le portrait de la jeune femme, c’est en fait celui du chevalier de Saint-Sauveur. Avec cette construction, j’avais un peu la crainte que ça désarçonne les lecteurs, parce que c’est assez inattendu. On a une histoire qui est finie au milieu et puis on repart dans une autre qui se passe plus tard, dans un autre registre aussi. Mais j’ai l’impression que ça n’a pas trop effrayé.
RG : Ce qui est compliqué, c’est de parler du livre quand les gens ne l’ont pas lu. Il ne faut pas spoiler donc c’était compliqué pour savoir comment faire la promo du récit.
AA : Même si certains éléments, comme des affiches ou des posters, pouvaient dévoiler un peu le personnage.
On en parlait hier, Marie n’avait pas vu arriver la surprise de la fin du premier chapitre…
RG : C’est le but !
AA : Il est malin, Saint-Sauveur, il crée des fausses pistes. Si ça marche, c’est bien parce que, quand on fait des trucs, des surprises comme ça ou des twists, c’est toujours difficile de juger de la réaction du lecteur puisqu’on est au courant, forcément. Pour créer un mystère qui soit suffisamment surprenant, mais qui ne peut pas tomber ex nihilo, car il faut qu’il y ait quand même quelques petits indices, quelques indications, il faut prendre le risque que quelques lecteurs particulièrement attentifs puissent débusquer la chose.
RG : Ça me rappelle un détail visuel dans les toutes premières pages. C’est en page 2, Alain décrivait une certaine case et moi je voulais ajouter un morceau de silhouette. Alain disait qu’on ne voyait que les arbres, les frondaisons des arbres, et moi j’avais besoin de mettre une présence, qu’on sente la présence de Saint-Sauveur. Dans la première version, je l’avais fait de dos, mais avec un tricorne, on voyait sa tête. Et là Alain me dit « ah non, là tu en montres trop ». Et, effectivement, il avait raison. Donc on a opté finalement pour ne montrer que les mains.
AA : Il y avait une scène aussi, où il avait trop une tête de fripouille.
RG : Ah oui, je lui avais fait l’expression un peu trop marquée. Là, au début, je lui avais plissé les yeux, il était un peu trop Saint-Sauveur.
Mais ce qui est drôle est que, qu’on s’y attende ou pas, ça marche de la même manière.
AA : Oui, alors voilà, ce que je me disais, c’est que ce n’est pas très grave qu’on évente la supercherie. Celui qui devine se dit « ah, le salopard, comment va-t’il faire ? »
Dans la première partie, on le présente vraiment comme fourbe mais, dans la deuxième, on a un peu pitié de lui. A l’image du titre qui est un oxymore.
AA : Il y a aussi un oxymore dans le personnage qui est vraiment flamboyant, mais en même temps c’est un loser. Il gagne un pari, mais il perd son âme quand même, dans cette histoire. Il sème le malheur autour de lui mais il perd vraiment son âme. C’est peut-être un peu la malédiction initiale, car après il a la lose. Pourtant il fait plein d’efforts, il est intelligent, machiavélique, rusé, mais le sort s’acharne. Un petit peu comme si une justice immanente voulait le punir de ses méfaits, et c’est ça qui rend ce récit moral.
RG : Et le personnage effectivement est attachant, on le prend presque en pitié par moment dans la deuxième partie.
AA : Quand il part en exil, on est triste pour lui. Le truc aussi, c’est qu’à partir du moment où il commence à être dans l’échec, dans les échecs à répétition, et que la malchance s’acharne contre lui, on finit par avoir un peu de compassion pour lui alors que c’est la dernière des ordures. En plus de ça, le récit tout naturellement bascule un petit peu dans la comédie. Parce que c’est une comédie. Il se retrouve quelque part entre Valmont, Casanova et De Funès.
RG : Oui, voilà, il a un côté De Funès, « j’y arriverai quand même ! »…
Pour revenir à l’aspect graphique, sur Charly 9 ou Henriquet, c’était historique mais avec beaucoup de fantaisie, alors qu’ici…
RG : Oui, c’était plus comédie, avec un aspect caricatural, ça pouvait partir dans un grand délire. Ici, le plus compliqué était cette première partie justement parce que je savais que c’était Saint-Sauveur quand je le dessinais mais il ne fallait pas que je le dessine comme Saint-Sauveur. Alors ça a été assez compliqué à mettre en place. Pour la deuxième partie, c’était bon, ça coulait tout seul, mais cette première partie a été assez laborieuse.
Il y a aussi l’idée que c’est l’effondrement d’un siècle et d’une société.
AA : Et lui, finalement, incarne un petit peu la perversion d’un système, et le fait que ça ne peut pas durer et que ça va finir par déboucher sur la Révolution. D’ailleurs, peut-être que là on en a quelques prémices. Mais, par la suite, on va voir que son valet Gonzague, son valet philosophe, va avoir de plus en plus d’importance et va, lui, pour le coup, incarner le côté lumineux des Lumières.
Ça fait penser un peu au valet de Don Juan qui le met en garde.
AA : Don Juan et Sganarelle sont évoqués dans la préface d’ailleurs. On a un duo maître-valet qui est quand même au cœur du récit.
RG : C’est devenu une espèce d’archétype, ce genre de duo entre le maître et le valet, le maître et le disciple… Et forcément, si le récit est moral, en général le valet va dépasser le maître.
Est-ce que l’idée du bureau avec les lettres était déjà là il y a 20 ans ?
AA : Non, justement, ça date du moment où je me suis dit que j’allais concevoir entièrement le récit de manière épistolaire. Un des points forts du roman Les Liaisons dangereuses, ce qui est quand même très très habile, surtout par rapport à une époque où il n’y avait pas tout le recul sur la littérature qu’on peut avoir aujourd’hui, c’est que chaque chapitre est constitué par la lettre d’un des différents protagonistes du récit, et la dernière lettre explique comment toutes ces lettres ont été rassemblées, mises ensemble et données à la disposition du public, et pourquoi on est en train de les lire mises bout à bout. Et ça, c’est vraiment intéressant. Mais comment y arriver ? Alors déjà, casse-tête pour trouver la façon de justifier que toutes ces lettres soient en possession du chevalier. Et c’était marrant, j’avais l’image de ces meubles très typiques de l’époque. Je me disais que ça ferait quelque chose d’assez iconique et de très intéressant, et que ça pourrait être vraiment la manière de rassembler les lettres, en imaginant toute une histoire autour de ce secrétaire. Enfin, ça, c’est une version… Une autre version possible, c’est qu’on a effectivement vraiment retrouvé le secrétaire en marqueterie de palissandre et de satin qui contenait vraiment la correspondance du chevalier et qu’on travaille à partir du vrai matériau, de la vraie correspondance du chevalier. Ce n’est pas exclu. Pour en avoir le cœur net, il suffit de lire l’avertissement de l’éditeur au début de l’ouvrage, qui met les choses au point. Ou pas.
Tout ça reste aussi très ambigu. (rires)
AA : Et là, c’est aussi quelque chose qu’on retrouve dans tous ces romans épistolaires du XVIIIᵉ siècle, qui prétendaient à la vérité mais qui avaient aussi une part de voyeurisme. C’était la télé réalité de l’époque, je suis désolé Monsieur de Laclos ! (rires) Beaucoup de gens les lisaient par voyeurisme, en se disant que c’était une vraie correspondance, de vraies lettres. Donc souvent il y avait tout un flou qui était laissé autour de l’authenticité des lettres.
L’éditeur a fait un très gros travail sur l’objet, avec un grand format, une couverture soignée…
RG : Oui. Et l’idée de la toile de Jouy était là très vite, elle a été évidente pour la page de garde. Puis après, effectivement, on a passé énormément de temps avec l’éditeur et toute l’équipe sur le l’habillage du livre. C’est Guy Delcourt lui-même qui a suggéré qu’on l’agrandisse, qu’on fasse un très grand format. Il a dit à un moment qu’il fallait qu’on augmente le format et, effectivement, il avait raison, le bougre.
AA : Le dessin est dense, foisonnant, mais il est très aéré et lisible. C’est très généreux, il y a beaucoup d’éléments visuels, le texte aussi est dense, donc ça prend de l’ampleur et il y a une espèce d’évidence à ce que ce soit un grand format.
RG : Quand on l’a vu en grand format, il avait raison, il fallait ça. Les planches respirent mieux, elles sont plus lisibles, même si elles l’étaient déjà.
AA : Tout l’aspect de la couverture aussi a été le fruit d’une intense réflexion, même jusqu’à la finition. Guy Delcourt nous a proposé des dorures, par exemple, sur le titre, et nous on a dit non, on ne voulait pas de dorures… à son grand étonnement, parce qu’en général les auteurs ont plutôt tendance à réclamer des effets spéciaux.
RG : On voulait un truc chic, un peu luxueux mais pas clinquant.
AA : Dans cet esprit épistolaire, il fallait évoquer l’écriture, une écriture manuscrite.
RG : On n’avait pas besoin de dorures, en fait. Il suffit juste d’un petit vernis sélectif sur la silhouette, un beau papier… un très beau papier.
AA : Et puis on savait aussi que c’était très important d’avoir une charte graphique très définie parce que c’est le début d’une série. Il y a les trois tomes, c’est une trilogie, mais comme je le disais tout à l’heure, on a retrouvé l’entièreté de la correspondance du chevalier et elle court sur tout le XVIIIᵉ siècle, donc il y a de quoi écrire des dizaines d’histoires. Par contre, après la trilogie ce serait des one shots, des histoires complètes en un tome. Et puis ce sont de nouveaux thèmes à chaque fois, en fait. Le chevalier de Saint-Sauveur a croisé toutes les grandes figures du siècle, il y a donc matière à chaque fois d’une histoire autour d’un thème.
RG : C’est en ça que le personnage est fascinant. Par exemple, il ne serait pas responsable de l’histoire de la bête du Gévaudan ? Il m’en souvient. (rires)
En attendant, la suite va l’entraîner en Amérique ?
AA : Voilà. On va là entrer dans quelque chose de plus aventureux. Mais, même dans la forêt canadienne, peuplée d’Iroquois féroces et de chasseurs de scalps, le chevalier va continuer à écrire des lettres. Il va continuer à à ourdir des manigances et de sombres projets pour perdre des innocents. Même là, il ne renonce jamais.
RG : Il y a un personnage féminin dans le deuxième tome, sur les planches que je viens de dessiner, qui dit « avec vous, monsieur de Saint-Sauveur, c’est un peu de Versailles qui vient à Québec ». Voilà, on imagine tout ce qui vient avec lui.
A la fin du premier tome, on se demande ce qui va se passer en Amérique, en se demandant si on ne va pas encore passer d’une époque à l’autre…
AA : En fait, c’est dit dans la préface, le rédacteur qui a travaillé à partir des lettres du chevalier dit qu’il les a classées non pas par ordre chronologique, mais plutôt par thèmes. Donc tout est possible au niveau des chronologies.
On est aussi intrigué par l’histoire du secrétaire, on se demande si c’est quelqu’un de sa famille qui a été impacté par le chevalier de Saint-Sauveur.
AA : On le découvrira. Dans cette histoire, on notera aussi que ledit secrétaire n’a pas été payé. L’artisan qui l’a créé se fait recaler, alors qu’il vient juste réclamer son dû. Il y a plein de micro-mystères autour du chevalier, c’est quand même un personnage assez mystérieux. Et tout ne sera pas résolu dans cette trilogie. Certaines seront des histoires au long cours.
Les autres tomes suivront rapidement ou d’autres projets vont-ils s’intercaler ?
RG : On a bien entamé le deuxième tome. La moitié est crayonnée et il y a quinze pages totalement terminées. Donc il sortira, normalement, en septembre prochain.
AA : Un an après le premier.
RG : On sera sur le rythme d’un tome par an.
Vous avez déjà écrit tout le scénario ?
AA : Non, j’ai le synopsis, un synopsis précis et même un chemin de fer, un découpage page par page, mais qui est encore un peu fluctuant par endroits. Par contre, les dialogues et la mise en scène, je les fais au fur et à mesure. Autant, sur le premier, Richard avait besoin d’avoir l’entièreté du bouquin pour voir où il allait, pour vraiment comprendre l’esprit de l’histoire, autant sur le deuxième j’écris au fur et à mesure, j’ai une petite avance sur lui.
RG : Et c’est bien parce qu’on a trouvé la manière de fonctionner ensemble. On fait beaucoup de train en ce moment, pour la promo, du coup il me raconte tout de vive voix, ça se fait beaucoup à l’oral.
Les dialogues, qui sont très importants, sont-ils venus assez naturellement ou ça a été très travaillé ?
AA : Comme c’est un projet au long cours, ça m’a permis de me documenter, de lire de la documentation historique, mais aussi des romans de l’époque ou de m’imprégner un petit peu du style littéraire de l’époque. Avec la difficulté de rester lisible et fluide pour un lecteur contemporain, il faut donc quand même le moderniser un tout petit peu, mais en gardant suffisamment de tournures pour qu’il y ait la musique et les sonorités de l’époque. Il fallait aussi que les dialogues participent à l’immersion que le dessin très documenté, très riche de Richard, amène. C’est amusant, même s’il faut beaucoup élaguer parce que, contrairement à la littérature, la bande dessinée a une contrainte spatiale. De toute façon, je ne souffrirai jamais autant que pour De cape et de crocs où je faisais des alexandrins qui devaient rentrer dans des bulles. Le problème est que l’alexandrin n’a pas été conçu pour entrer dans une bulle. Voilà, on a une contrainte de place, d’espace, dans la bande dessinée qui oblige à gérer, à découper les répliques. Il y a des longues tirades, mais en général j’essaie de les faire suivre par des échanges brefs, ou de les découper, de trouver les pauses dans le le rythme du texte, qui justifie le fait de faire des bulles séparées ou des cases séparées. La gestion du temps de parole dans chaque bulle, dans chaque case, est très importante pour que le récit soit digeste et dynamique.
RG : Quand on adapte un roman en bande dessinée, on se rend compte vraiment clairement, quand on reprend les dialogues du roman, que c’est impossible, ça ne marche pas, c’est trop long. Donc il faut réécrire en fait, en gardant l’idée. Et donc je comprends parfaitement ce que dit Alain sur l’écriture.
Tu as d’ailleurs fait quelques adaptations et scénarios par toi-même. Là, c’était confortable de compléter le travail d’Alain ?
RG : Oui, oui. Après, il fallait se remettre dans un autre costume. Donc il y a eu un temps d’adaptation, mais c’est vrai que maintenant c’est hyper confortable, d’autant qu’on échange vachement en amont, donc là je suis dedans.
Pourquoi avoir appelé le personnage Saint-Sauveur ?
AA : Déjà, au début, son titre de noblesse, c’est chevalier. Donc là, ça ne va pas être un chevalier sans peur et sans reproche, bien au contraire. Il n’est pas très courageux et il est lourd de reproches. Il ne va pas sauver les demoiselles en détresse, il va les mettre dans la détresse. C’est un personnage qui est totalement antithétique. C’est à dire qu’il est chevalier alors qu’il n’est pas du tout chevaleresque. Il s’appelle Justin mais il n’est pas du tout juste… et Justin a une sonorité qui peut évoquer un marquis de l’époque pas très recommandable. Et Saint-Sauveur, non, il ne sauve pas les gens, au contraire il les enfonce. Donc tout est faux dans son nom.
Est-ce seulement son vrai nom ?
AA : A priori oui.
RG : On ne va pas aller jusque-là quand même. (rires)
Merci beaucoup à vous deux !
Propos recueillis par Arnaud Gueury et Marie Chicaud.
Interview réalisée le 28 octobre 2023.
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