Nous avons rencontré Sébastien Chevriot à l’occasion de la sortie de son Freakshow pendant le festival de BD d’Angoulême.
Bonjour Sébastien. A la fin de l’album, tu précises, aussi étonnant que cela puisse paraître, que c’est à la base une histoire pour enfants. Comment cela a-t-il pu évoluer vers quelque chose d’aussi sombre et un peu trash ?
Alors, c’est très simple en fait, j’ai commencé à l’origine par créer mon projet pour finir mon Master en Arts et principalement en bande dessinée. J’ai donc commencé à écrire une histoire qui était celle de Freakshow, mais au bout de 4 ou 5 planches je me suis rendu compte que c’était complètement ridicule et que j’étais parti dans un sens qui n’était pas du tout faisable pour les enfants. C’était entre les deux : trop adulte pour des enfants et trop enfant pour des adultes. En fait c’était un projet bancal dans l’absolu et j’ai décidé de séparer en deux cet univers. D’un côté, le graphisme pour enfant qui me sert cette année à faire une BD qui s’appelle Sally Pumpkins, et de l’autre, le graphisme que j’utilisais principalement en peinture pour Freakshow, en noir et blanc très fort, très contrasté voire coupé.
Oui, cela tranche avec la couverture…
Oui, comme avec Sally Pumpkins qui est très coloré. En fait le style que j’utilise en peinture, c’est vraiment de l’acrylique noire sur blanc et je trouvais que c’était très beau et que cela se mariait bien à une histoire très sombre. J’ai donc un peu assombri l’histoire forcément. Je l’ai ré-écrite en apportant tous les éléments que j’avais accumulé au fur et à mesure des années et que j’avais envie de placer en BD. J’ai réalisé un ensemble avec le tout pour créer Freakshow.
On pense tout de suite au film culte Freaks de Tod Browning. C’est un hommage ?
Ah oui complètement, il y a une très forte inspiration. J’ai eu la chance de voir ce film assez tôt, sachant qu’il a été interdit pendant des années en France car ce sont de « vrais freaks » qui jouent dedans. J’ai utilisé toute la matière de ce film, qui est profond, pour nourrir mon univers. Après, l’album est bourré de références aussi diverses que variées comme le Clown de Il est revenu de Stephen King. Le nain et le géant aussi sont inspirés de Lenny et George de Des souris et des hommes de Steinbeck et on reconnaît très bien cette dynamique du petit qui protège le grand. J’utilise beaucoup de petits clins d’œil, histoire de détendre l’atmosphère, comme dans la galerie des horreurs où on peut trouver la tête de Chewbacca dans un bocal par exemple.
Oui, et on pense aussi à Chucky la poupée de sang ?
Eh bien c’est vrai que tout le monde m’en parle mais bizarrement je n’ai pas du tout utilisé Chucky comme référence pour les poupées. En réalité, elles viennent de la chambre de ma grand-mère qui était une grande collectionneuse, et c’était quelque chose qui me foutait vraiment les jetons quand j’étais petit ! (Rires) C’était de vraies poupées de porcelaine et pour peu qu’il y en ait une d’un peu abîmée, on la recollait légèrement et cela lui faisait une balafre… C’était horrible ! (Rires)
Et les zombies ?
Alors, j’ai employé l’allégorie du zombisme comme une espèce de corruption latente présente dans le Freakshow mais qui n’est pas utilisé simplement comme le schéma classique – on est mordu par un zombie, on devient un zombie.
Oui, pour les sœurs siamoises, le code de la contamination par la morsure n’est pas respecté ?
Effectivement, cela ne respecte pas entièrement ce code-là. Ici, techniquement, on peut être mordu par un zombie mais, si on a une âme pure, cela ne fera rien du tout. Simplement dans Freakshow, nul n’est innocent, et donc chacun se dégrade en fonction de ses péchés et de ses crimes.
Et pourquoi cette thématique en particulier ?
Je pense qu’aujourd’hui, on a fait tout ce qui était possible autour des zombies et cela a été vu et revu, ce qui est normal parce que c’est quelque chose de très fort. Le concept est inhérent à notre société actuelle, c’est comme le refus du conformisme ou la peur du formatage qui est très présent chez (ou « en ») chacun de nous. Ou faire partie d’un groupe ou justement de dire : « Non ! Je ne veux pas faire partie de cela ou je ne veux pas devenir comme ça…». C’est un thème qui a été souvent employé et même Ionesco l’utilisait dans Rhinocéros. Bizarrement d’ailleurs, une des premières bande dessinée mainstream que l’on pourrait considérer être sur les zombies, à part les pulps, cela reste Le Schtroumpf noir ! C’est une allégorie, et oui, c’est l’une des premières histoires de zombie.
L’album annonce-t-il bien une suite ?
En fait, j’ai envie, pour prolonger l’univers, de travailler de deux façons : l’une, la suite directe avec la continuité des personnages qui ont vieilli et qui se confrontent à nouveau, et l’autre c’est de réaliser des préquels sur l’histoire de la foire à travers les âges donc avant Freakshow. Et principalement deux tomes que j’aimerais développer : un deuxième pendant le carnaval de Venise, et un premier, encore plus intéressant à mes yeux pour l’instant et pour lequel j’ai le plus travaillé, pendant la fête des fous à Paris au 16ème siécle. C’est ce qu’on appelait le Charivari. L’histoire de Quasimodo, le bossu de Notre-Dame, se passe justement pendant la fête des fous où il est élu roi parce que l’on pense qu’il a un costume. C’était donc une fête de forains de l’époque, et je la relierais avec un fait historique très célèbre qui a mis fin au cimetière des innocents. Je crois que c’était en 1536 mais je ne veux pas trop m’avancer : les morts sont littéralement sortis de leurs tombes. Le cimetière était tellement rempli, qu’à cause d’inondations, tous les morts sont remontés à la surface ! Même si c’était des effets climatiques, c’est resté dans l’imaginaire, et c’est pour cela que l’on a fait les catacombes, on a récupéré tous les ossements pour les y déplacer.
Et donc, pour la suite de tes projets, cela sera toujours en noir et blanc ?
On pourrait partir sur des planches couleurs avec un sépia, ou à moitié colorisé seulement. Le décor est en couleur et les personnages restent en noir et blanc. Quelque chose qui donne un style assez dérangeant, de toute façon le but c’est de rester dans « le dérangeant » pour Freakshow. Après, je vais récupérer une partie de l’univers que j’avais envie d’utiliser depuis très longtemps, pour créer Sally Pumpkins. Ce sera la même base d’illustration et cela reprend un peu l’ambiance mais c’est très différent. Les planches tourneraient plutôt sur des images destinées à la jeunesse, avec un espèce de conte assez mignon sur une petite fille née à partir d’une citrouille, qui perd sa grand-mère et qui essaie de la retrouver et d’empêcher l’invasion d’une ville par une armée de citrouilles.
Oui, c’est également très différent de la caricature dans laquelle tu as beaucoup travaillé ?
Complètement. Je suis un touche-à-tout et j’avoue que j’aime bien travailler dans plein de domaines.
Et cela sera chez quel éditeur ?
Alors ça serait pour une association en fait. Le but est d’aider les enfants malades à l’hôpital. C’est un livre qui serait en même temps un tutoriel : il y aurait 48 pages couleur pour lire l’album, et 48 pages pour apprendre à faire de la bande dessinée. En fait, chaque année, je réalise quelques jours de bénévolat dans les hôpitaux, où j’offre grosso modo une session de caricatures. On le remarque très facilement, et dans les festivals aussi, que lorsqu’on dessine pour un enfant, cela lui donne l’envie de dessiner. Et pour peu qu’on lui donne l’envie, il continue de dessiner. Donc, pour l’instant, je fais cela seul, mais à terme, j’aimerais que cela se réalise un petit peu partout en France avec des dizaines de copains et de collègues que j’ai dans le milieu, et donner l’envie aux gamins de dessiner et aussi de les occuper pendant qu’ils sont dans des séjours prolongés à l’hôpital.
Souhaites-tu ajouter quelque chose ?
Je suis très heureux d’avoir fait ce livre chez Scutella, car je trouve qu’ils ont fait un travail magnifique. C’est une maison d’édition très dynamique, qui se trouve à Angoulême même, et ils ont l’amour du livre. Soline Scutella réalise des choses que je trouve vraiment très intéressantes, des spectacles par exemple, elle travaille beaucoup autour du para-BD, et elle a vraiment une vision que je pense être l’avenir de la BD.
Merci à toi d’avoir répondu à nos questions.
Propos recueillis par Sophie André
Interview réalisée le 29 janvier 2016.
Toutes les images sont la propriété de leurs auteurs et ne peuvent être utilisées sans leur accord.
Réagissez !
Pas de réponses à “Dans la bulle de… Sébastien Chevriot”