Depuis quatre tomes déjà, Corine Jamar, Leo et Fred Simon nous régalent d’une série d’anticipation rondement menée, excitante et originale. Invités au festival Quai des Bulles en octobre dernier, le scénariste brésilien et le dessinateur étaient d’une grande disponibilité pour nous parler de leur BD.
Bonjours Messieurs. Mermaid Project a atteint son quatrième tome, c’est une série qui est un peu atypique dans vos deux parcours, un peu plus fantastique pour l’un, moins science fiction pour l’autre. Est-ce un équilibre entre vos deux univers ?
Leo : C’est vrai. Dans mon cas, comme j’écris le scénario avec Corine Jamar, l’aspect réaliste s’invite un peu plus.
Fred Simon : L’aspect fantastique est un peu plus présent que dans ce que j’ai fait jusque-là, mais il y a quand même quelques points communs avec ma toute première série, Rails.
L’idée de départ – ce retournement des pouvoirs géopolitiques – correspond toutefois bien à votre profil.
L : Oui, c’est un mélange de choses à moi et de celles de Corine. J’ai lancé l’idée initiale et elle a ensuite modifié, amélioré, pour donner quelque chose d’un peu différent. Au début, c’était très général, autour d’un policier dans un futur très fantastique, que j’imaginais très simplement. J’avais aussi l’image d’un grand vaisseau spatial mais je la voyais un peu ennuyée. Et elle avait raison ! (rires) Du coup, l’histoire s’est vraiment bâtie à deux.
Est-ce que ce n’est pas cette idée de vaisseau qui vous a servi pour Centaurus ?
L : Oui, c’est ça. C’est plus mon truc, c’est presque une obsession. (rires)
Fred, comment êtes-vous arrivé sur ce projet ?
FS : Leo et Corine avaient écrit le premier tome et ils cherchaient un dessinateur. C’est comme ça que j’ai été contacté, tout simplement. J’étais encore au début de L’Appel de la forêt, une adaptation de Jack London pour Delcourt. J’avais très envie de partir sur ce projet-là mais il fallait quand même que je termine ce que j’avais commencé. J’ai du répondre que j’avais encore un an de travail devant moi, et j’étais bien content qu’ils m’aient attendu.
Vous aviez donc l’envie de revenir sur ce type de récit d’anticipation ?
FS : Oui, pour l’aspect policier aussi car c’est un polar autant qu’un récit d’anticipation. On peut également dire que c’est une BD d’action, que des trucs qui me donnaient envie. Je sortais de plusieurs années où j’avais fait du jeunesse, puis les adaptations pour Ex Libris qui sont des exercices un peu particuliers. Revenir à un scénario de Leo, c’était très agréable.
Le premier tome était très orienté sur l’anticipation, la suite part vers une enquête plus surprenante. Est-ce que cette évolution était programmée ?
L : Le tome 1 était compliqué à faire car il fallait situer l’histoire, cultiver l’ambiance. Ça prend un peu de temps parce qu’il faut éviter d’être trop descriptif. Comme le monde est différent, il faut expliquer où se passe l’histoire, ce qui prend beaucoup de place. Dans les tomes suivants, le récit devient un peu plus fluide, on sait où on est, donc l’aventure et le mystère prennent le relais. L’ambiance participe aussi beaucoup à la série, on retrouve des chevaux, des calèches, qui permettent de comprendre pourquoi tout est différent.
Était-ce un atout de pouvoir justement dessiner un monde particulier ?
FS : Ah oui ! C’est un côté que j’aime bien, de pouvoir décaler un peu la réalité pour en faire autre chose, en mettant la végétation tropicale à Paris, etc.
Ça changeait des forêts enneigées !
FS : C’était un choc, c’était nettement plus long à dessiner ! (rires) J’ai mis du temps à faire le premier tome.
L : Le premier est toujours le plus difficile.
FS : Dès les quatre premières pages, je dois avoir une plongée sur la Tour Eiffel, l’Arc de Triomphe…
L : On a été dur ! (rires)
En plaçant l’histoire en Amérique du Sud, vous y avez mis des idées personnelles.
L : J’essaie toujours, oui. Ça aide aussi, je connais bien ces pays. Mais surtout ça sert le scénario dans lequel les nations du nord régressent et le sud – le Brésil, l’Afrique – deviennent les premières puissances. C’est un monde à l’envers. Automatiquement, il fallait choisir un pays pour l’action, et le Brésil, je connais. Avec tout ce qui se passe aujourd’hui, ça a une certaine crédibilité.
C’est assez éloigné de vos séries futuristes.
L : Oui, c’est complètement différent, c’est moins fantaisiste, moins imaginaire. C’est venu progressivement, d’abord avec le personnage, qu’on a choisi féminin, puis avec un futur proche. Avec Corine, on a pensé à la catastrophe qui amènerait à ça, on a longtemps réfléchi pour imaginer comment ça se passerait dans la réalité, pourquoi les pays du sud progresseraient comme ça. On a beaucoup travaillé sur cet aspect, après l’histoire a commencé, petit à petit. L’histoire des personnages et l’enquête policière sont arrivées à ce moment.
Avez-vous conçu le scénario à long terme ?
L : On sait où on va, évidemment, mais on n’avait qu’une idée vague pour les tomes suivants. On change encore au fur et à mesure, parce que ça fait déjà sept ans et cinq tomes qu’on est dessus, c’est assez long. On change d’idées, on en trouve d’autres quand l’inspiration vient. Ça fait partie du jeu de la création. Dès la conception du deuxième tome, avec le dessin de Fred sous les yeux, notre imaginaire a été renforcé par ce qu’il a fait. On pouvait écrire différemment en sachant ce qu’il pouvait faire.
C’est un défi pour un dessinateur ?
FS : Oui, ça me donne des idées, ça enrichit mon style. Je n’aurais sûrement pas fait certaines cases de cette manière sans quelques propositions ou demandes de Leo. Je serais par exemple resté dans des petites rues normales sans devoir dessiner tout le Maracanã ! (NDR : le mythique stade de football de Rio de Janeiro) Ce sont des découvertes qui m’amusent.
L : D’ailleurs, ce n’est pas un détail gratuit, je me souviens des discussions avec Corine car c’est elle qui est très pointue pour maintenir la cohérence de notre monde. Pour le Maracanã, il fallait un bâtiment ancien, un peu inutile, qui devenait un symbole du monde d’avant, fissuré et laissé à l’abandon. Mais parfois j’oublie, je mets une voiture dans l’histoire, alors elle me rattrape, « il n’y a pas de voiture, que des calèches ! ». « Oui, mais il doit aller vite ! » « Bon, ok, mais juste pour cette fois ». Elle est intraitable ! (rires)
C’est étonnant de retrouver un dessin tel que le vôtre, pas tout à fait réaliste, pour ce type d’histoire.
FS : C’est vrai qu’on retrouve de plus en plus d’auteurs réalistes. Je ne dirais pas que le style entre les deux se perd un peu, mais il y en a moins. Alors que ce n’est pourtant pas très original, c’est une tradition ancienne. J’ai pourtant pu faire Rails, qui est une histoire assez dure, ou Le Poisson-Clown, un polar qui lorgnait un peu du côté de la comédie mais pas tant que ça. Mais on m’a souvent parlé de ce décalage.
L : Dans Rails, il y avait déjà cet esprit-là, décalé, dans un futur bizarroïde. C’est ce qui m’avait plu.
FS : De toute façon, je n’ai pas le choix, je ne sais pas dessiner autrement. (rires)
Il ne faut pas, c’est ce qui fait aussi le charme de cette série !
L : Je me souviens que, quand on faisait le premier tome, on se demandait à qui on pourrait le proposer. Au départ, moi je pensais à un dessin plus réaliste. Petit à petit, en en parlant, on s’est dit que non, il fallait quelque chose de plus étrange, plus bizarre, qui irait avec le scénario puisqu’il n’est pas réaliste non plus. Mais il fallait un dessin qui fasse passer les émotions des personnages dans leurs visages. Beaucoup de dessins non réalistes n’arrivent pas à faire passer l’émotion dans un visage, ils sont figés ou trop expressifs. Fred sait faire ça, on l’a vu dans Rails et on voulait que ce soit lui.
Quel est maintenant l’avenir de la série ?
L : Avec le cinquième tome, on va finir un cycle. Mais la série continuera ensuite, sous une forme différente. Car on ne veut pas repartir sept ans sur un nouveau cycle de cinq tomes, plutôt sur des histoires en un ou deux tomes, avec plus de pages et des sorties plus rapprochées. On a commencé à travailler sur cette idée.
Aucune lassitude ?
FS : Non, car ce que je fais est très varié. On visite plusieurs pays, il y a de la mer… ce qui est un défi. J’ai essayé de travailler sur la houle pour que ça change un peu de cases en cases. Chaque nouveau tome permet de maîtriser un nouvel élément, dans le tome 4 c’était la mer. Les dauphins aussi sont durs à maîtriser. La forme du corps est compliquée, surtout de face.
Leo, en parallèle vous continuez d’autres séries. Êtes-vous donc toujours au travail ?
L : Oui, mais j’ai la chance de travailler avec Corine pour Mermaid Project ou Rodolphe pour Centaurus, ce qui rend les choses beaucoup plus faciles. Il y a aussi Ultime frontière avec Icar. Il faut savoir se concentrer sur une série à la fois, ça fait partie du métier et c’est amusant. Par exemple, avec Rodolphe, on se retrouve pour manger et parler du tome à venir. C’est souvent qu’on arrive en se disant « je n’ai aucune idée », puis on discute, une idée arrive, c’est pas mal, et tout s’enchaîne ! (rires) C’est super de travailler avec un autre scénariste. Parfois on a de mauvaises idées sans savoir qu’elles sont mauvaises. Là, si l’autre le remarque, on peut passer à autre chose tout de suite, sans perdre de temps ou devoir changer au dernier moment. Ça change tout.
Merci beaucoup et à bientôt pour le prochain tome !
Propos recueillis par Arnaud Gueury
Interview réalisée le 24 octobre 2015.
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