Tout commence dans la salle de presse du Palais du Grand Large, à l’occasion du festival Quai des Bulles. Jean-Claude Mézières arrive, souriant, d’une gentillesse extrême et nous invite à nous déplacer dans un lieu moins bruyant. Changement de cadre donc pour une entrevue à quatre dans un lieu plus cosy. Si aucun album de la saga Valérian ne fait l’actualité en ce moment, l’annonce du film réalisé par Luc Besson a fait grand bruit et sera un gros coup de projecteur sur cette série qui fêtera ses 50 ans.
Bonjour Jean-Claude Mézières, comment allez-vous ?
Je vais bien. Mais c’est très sportif tout ça. Je viens juste d’arriver à Saint-Malo et je rentre tout juste de Stockholm. Il parait que j’y étais invité l’année dernière, ils m’y ont remis un prix et je n’ai pas été le chercher. Ils me l’ont envoyé en plus, ils y tenaient absolument. Donc cette année j’y suis allé. C’était très sympathique et très beau. Il y faisait un temps sublimissime, comme à Saint-Malo quand il fait très très beau.
C’est la première fois que vous alliez en Suède ?
Non, j’y ai été il y a 25 ans mais cette année j’ai eu le temps de marcher, d’aller me balader et de visiter un peu plus. En plus, l’éditeur suédois a fait un bel effort car il a refait une traduction des anciens albums qui ont été publiés il y a 25 ou 30 ans. Par le traducteur qui s’est occupé de Tintin et qui a reçu une récompense pour ce travail. Donc ça prouve que ça doit être un bon car je ne suis pas spécialiste (rires). Des gens charmants.
Le premier Valérian est paru en 1967, vous approchez du 50ème anniversaire…
Ça va, ne me poussez pas dans la tombe ! (rires)
Si vous deviez faire un bilan de ces 50 ans de Valérian ?
Écoutez, vous allez le faire vous-même ! (rires) Parce que le bilan est assez facile à faire : on a commencé à deux, Pierre Christin et moi. J’ai acheté une feuille de papier à dessin et de l’encre de chine, des petits pinceaux, des plumes et on s’est dit « allez, on s’y met » et maintenant il y a Luc Besson qui tourne un film sur Valérian, le budget le plus cher du cinéma européen ! Donc le bilan est fait.
Est-ce quelque chose que vous prenez comme une fierté justement ?
Ce n’est pas une insulte. (rires) Il y a des choses qui peuvent être très désagréables mais là, en ce qui concerne le film de Besson, c’est totalement… (il réfléchit) ce qui est extraordinaire, c’est que c’est un rêve de gosse pour lui. Il était à l’époque lecteur de Pilote et il se disait qu’il ferait bien des films quand il sera plus grand.
Vous avez déjà collaboré avec Luc Besson sur Le Cinquième élément.
Il m’avait appelé en me disant que les Américains m’avaient suffisamment piqué de trucs et donc qu’il m’engageait pour travailler sur son film. Il n’y a pas eu à se plaindre, d’autant plus que je lui ai fait cadeau des taxis volants, car j’étais en train de travailler sur Les Cercles du pouvoir.
Vous auriez laissé Valérian à quelqu’un d’autre que Luc Besson ?
Qui ? Mais qui ? Il aurait fallu que je sache qui ça aurait été. Mais personne ! Je ne veux pas dire qu’il n’y a pas de talents, il y a des noms qui pourraient circuler comme Jean-Pierre Jeunet mais il n’est jamais venu me voir pour me dire que George Lucas m’avait piqué des trucs, et je ne sais pas s’il y aurait eu la possibilité. Lui est allé tourner son Alien aux États-Unis. Luc Besson veut monter son « Hollywood » à Paris ! Ce qui est très ambitieux et plutôt bien vu en ce moment.
Et c’est le seul qui peut le faire de cette ampleur en France ?
Disons qu’il va peut-être maintenant y arriver. J’ai des dizaines de gens qui sont en train de sonner à ma porte pour me dire « moi aussi je veux faire un film ». (rires)
Même à l’étranger, personne n’a jamais eu l’idée ?
Les Américains ne se sont jamais gênés ! J’ai écrit à Lucas une fois ou deux – ce qui en quarante ans est modeste – où je lui dis que nous avons des univers très proches. Il n’a jamais répondu et la lettre ne m’est jamais revenue. Donc soit le service postal américain est nul – mais je connais bien les États-Unis et quand une lettre ne va pas, elle revient – soit il a du s’asseoir dessus. Merci monsieur George Lucas! Je ne le fais pas volontairement, mais ça me choque quand je vois un truc qui ressemble fortement à ce que j’ai fait. Comme Independence Day, fait par un Allemand qui travaillait à Hollywood, Roland Emmerich – qui a du être lecteur de Zack à l’époque où Valérian passait en Allemagne parce qu’il est un peu plus jeune que moi – car tous les astronefs des extraterrestres qui attaquent la Terre ressemblent à celui de Valérian. Tiens donc !
Et ça, encore maintenant, ça vous agace un peu ou vous vous dites « j’ai inspiré tant de monde, c’est flatteur » ?
Oui, parce que ça continue ! Non, ce n’est pas flatteur ! Ça serait flatteur si la personne téléphonait en disant qu’il apprécie ce que je fais et me demandant si je veux travailler avec lui. Et hop, idée piquée ! Surtout sur des productions qui sont énormes. Ça serait un pauvre petit film fauché, je ne dis pas et encore… mais sur des grosses productions où les mecs ne se donnent même pas le mal de faire quelque chose, de le signaler, de le dire qu’il y a un mec qui a copié et qu’il ne le savait pas et s’excusait parce qu’il ne savait pas. L’inconscience du dessinateur… mouais. Non, ce n’est pas ça, c’est simplement « pas vu pas pris ». Hors, pour moi, quand on travaille, l’intérêt de la science-fiction est l’imagination, donc si tu n’as pas d’imagination mais que tu as regardé ce que l’autre fait à côté, il ne faut pas faire de la science-fiction ! Il y a même un dessin où je trouve une ressemblance pour Conan le Barbare, mais je n’ai pas vu le film, donc je ne peux pas dire dans telle séquence, mais j’ai vu une photo sur le plateau avec les acteurs, tu prends la photo et tu la déposes en transparence sur la page des Oiseaux du maître, c’est exactement la même mise en place.
Par rapport au film de Luc Besson, est-vous impliqué d’une manière ou d’une autre ? Avez-vous un droit de regard ?
Rien ! Tout le monde a des regards et ça ne sert à rien. Un droit de regard, c’est aussi efficace qu’un sifflet à roulette devant un TGV qui passe à 300 km/h ! Le regard ce n’est pas ça. C’est dans la fabrication du film. Nous sommes en ce moment dans le tout début. Luc Besson est en contact avec des studios d’effets spéciaux, je ne sais pas où il est, je ne sais pas ce qu’il fait. Visiblement il ne va pas me demander de m’occuper de ça ! C’est son film et ce n’est pas le mien. Par contre, il va sans doute faire appel à moi pour superviser des trucs mais je n’en sais rien. On s’est vus, on s’est embrassés, il était très content et moi aussi… et Christin aussi ! Donc c’est déjà ça ! On a lu le script qui semble effectivement prendre une grosse part de L’Ambassadeur des ombres.
On se demandait justement si le titre était celui qu’on nous a annoncé ?
Tous les journalistes sont tombés dedans, en disant qu’entre L’Empire des mille planètes et L’Ambassadeur des ombres, les deux albums, ça n’allait pas être facile à mettre New York sous les eaux. Il faut en fait trouver un titre. Après il y a tellement de choses dans les Valérian, rien n’empêche de mixer ! Mais tout ça ce sont les choix de Luc Besson. C’est son travail et il fait SON FILM !
Le fait d’avoir déjà travaillé avec lui, ça vous laisse peut être plus de confiance en lui ?
Je ne sais pas. Ce n’est pas du tout pareil. Quand on a fait Le Cinquième élément, il y 23 ans de ça, rien n’existait comme base graphique. Donc, sur le scénario qu’il a mené, il fallait créer une base graphique, entre les flics, la ville, etc. Et là, j’ai beaucoup produit de trucs. Il y avait des bases où lui a su où aller. Il y avait une dizaine de dessinateurs qui travaillaient pour lui et il faisait son choix. Il avait des visions qu’il ne pouvait dessiner. Et en plus, il n’est pas directif à ce niveau-là. Il faisait son marché auprès des dessinateurs.
Ça doit être plus intéressant pour un dessinateur de travailler comme ça ?
C’était une totale liberté. Moi je dessinais ce que je voulais faire – ce qui me plaisait, c’était les grands paysages – et on ne travaillait pas du tout aux ordres. C’est un truc de création. C’était mon miroir à moi qui me permettait de travailler dans le scénario. Et c’est là que j’ai commencé à lui balancer mes petits taxis volants dans les rues de New York. La science-fiction est un grand chapeau. Tout le monde y jette des idées et tout le monde en prend ! Le problème est de savoir si on peut en faire quelque chose ou pas. Et encore une fois ça dépend, si on parle de Mars et sa conquête, c’est de la SF, mais là la marge de l’imagination est limitée. Là, il faut que le gars se débrouille pour être crédible. Alors que nous, on ne s’est jamais posé de question de comment ça marche. Un taxi volant et voilà !
C’est vrai, on ne s’est jamais demandé comment le vaisseau pouvait voler !
Et le saut dans l’espace-temps !
Donc là, c’est vraiment la rencontre du 7ème art avec le 9ème art ?
On va voir… C’est un film basé sur mes dessins mais ça va être son interprétation. Ce n’est pas comme si moi je faisais une adaptation, ce qui serait sans doute moins intéressant parce que trop près de la bande dessinée. Luc Besson va prendre son recul, il va changer les scènes qu’il veut changer, il va augmenter beaucoup de choses, il va en réduire d’autres… On verra ! Hitchcock a fait des chefs-d’œuvres avec des romans de gare.
Attendez-vous avec impatience de voir comment il va pouvoir interpréter tout ça ?
J’attends comme tout le monde. Avant de voir la séquence finale, on va voir les acteurs qui jouent sur un fond vert avec leurs petits machins lumineux, etc. On va attendre longtemps !
Avez-vous laissé la série un peu de côté ?
Non, je travaille dessus, je fais un nouvel album ! J’arrête les grandes histoires d’aventure. Là, on se permet des sauts temporels en arrière, à côté de trucs, on s’amuse avec nos personnages. On est très contents de faire ça. Pour ceux à qui ça plaira, très bien, et pour ceux à qui ça ne plaira pas, ça ne plaira pas ! C’est comme d’habitude…
Ça vous aurait manqué de laisser complètement la série de côté ?
Ce n’est pas à 77 ans que je vais me dire que je vais démarrer une nouveau héros avec une nouvelle série d’aventure ! Donc, comme je ne suis pas un dessinateur ‘fou’, je n’aime pas du tout dessiner, j’aime avoir à dessiner. Donc, tant que ce n’est pas couché au propre sur le papier, c’est dur. Je recommence plusieurs fois et puis à un moment ça va mieux ! Donc, je ne suis pas un de ces mecs qui dessinera jusqu’à son dernier souffle… Les histoires courtes c’est bien parce que ça permet justement de lancer une idée et de créer tout ce qu’on veut créer de nouveaux. Ça me permet de faire une grande illustration couleur par exemple.
Techniquement il y a des choses que vous n’aviez pas la possibilité de faire avant ?
Exactement !
Est-ce que vous seriez prêt à léguer Valérian à un autre dessinateur ?
Un nom ! J’ai adoré l’expérience Larcenet, qui a fait un truc où je me suis marré, mais c’était en totale liberté. Pour lui, c’était peut-être un hommage mais en même temps un pastiche. Il y en a eu des trucs comme ça. C’était extraordinairement drôle ! Pour ça, je suis absolument pour. Mais des mecs qui reprennent, comme les malheureux qui font Astérix en ce moment… J’ai feuilleté le dernier et je n’ai même pas eu le temps de voir le précédent. Mais j’étais tellement agacé par les histoires de dire « je copie ».
Donc quelqu’un qui reprendrait Valérian, ça n’a aucun intérêt selon vous ?
Non, soit c’est son imagination, soit c’est la mienne en recopiant ce que j’ai fait, ce qui n’a pas d’intérêt pour le lecteur. Faire dessiner par quelqu’un d’autre, pour l’instant, je dis non.
Mais par exemple, quelque chose comme Larcenet, ça pourrait refonctionner ? Car ça fait quelques années que c’est sorti.
Il y a des projets dans l’air. Ça va faire trois ans qu’il est sorti, et lui l’a beaucoup plus vite torché que moi !
Pour revenir au film, quelle est la date de sortie prévue ?
Je n’ai jamais donné la date de sortie d’un album à mon éditeur et au cinéma ils ont déjà fixé la date du 21 juillet 2017 pour sortir dans le monde entier ! A huit jours de Pirates des Caraïbes 5 et de X-Men. A la « hollywoodienne » !
Du coup, vous allez être un plus sollicité médiatiquement ? Valérian n’est-il pas déjà connu partout dans le monde comme vous l’avez vu en Suède ?
Ça va être invivable ! (rires) Mais il y a encore la Chine, tous les pays d’Afrique, de l’Amérique du Sud, qui ne connaissent pas, sans parler de la Russie. Donc, je pense que la maison Dargaud peut voir venir. Pour la traduction, ce sont les éditeurs étrangers qui s’en occupent. Les éditeurs achètent les droits de reproduire et après ils font ce qu’ils veulent avec les moyens qu’ils veulent en adaptant sur le terrain selon leurs habitudes, comme pour les formats. Tout ça, c’est chacun qui gère. C’est pour ça qu’ils s’appellent Valentin et Linda en Suède, Ravian et Laureline en Hollande, Valérian et Véronique en Allemagne.
Vous allez être sollicité dans de nombreux pays ? L’Amérique du Sud ?
Non, ça ce n’est pas des pays à bandes dessinées. Par contre toute l’Europe, oui ! Il y a des pays à bandes dessinées et des pays pas du tout à bandes dessinées. Il faudrait d’abord que ça accroche et éventuellement j’irai bien faire un tour mais ce n’est pas ça qui fera vendre mon album.
Merci beaucoup, nous sommes ravis de vous avoir rencontré.
Propos recueillis par Séverine Cointepas, Florence Daubry et Arnaud Gueury.
Interview réalisée le 23 octobre 2015.
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