Dans la bulle de… Ciou

Par | le 12 février 2016 |

Dans le cadre du 43ème festival international de la Bande Dessinée d’Angoulême, nous avons rencontré Ciou, l’auteure de l’adaptation illustrée du conte de Hans Christian Andersen, Thumbelina ou Poucette, fraîchement sortie chez Scutella. Inspirée du courant artistique américain Lowbrow apparu à la fin des années 70, l’artiste est davantage connue pour ses expositions et son univers si particulier.

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© La Ribambulle 2016

Bonjour Ciou, et merci de nous recevoir aujourd’hui. Qu’est-ce qui t’as amené au monde de la BD depuis 2009 où tu as sorti un premier livre, Chat siamois?

En 2004, j’étais à Angoulême, dans la bulle New York avec les Musicophages de Toulouse et la Fanzinothèque de Poitiers, avec mes premiers fanzines, et j’ai rencontré Guillaume Bianco et Barbara Canepa. C’est la rencontre qui a amené le livre, Guillaume a pris tous mes fanzines et il m’a créée une histoire à partir d’eux. Donc en fait, Chat siamois vient du tout début d’Angoulême 2004. Ensuite, j’ai continué à faire des expositions dont beaucoup à l’étranger, ce qui fait que j’ai eu une coupure de plusieurs années entre Chat siamois et maintenant Thumbelina, surtout à cause de l’international. Je recommence depuis cette année à faire des expositions en France, mais j’ai quand même un bon programme à l’étranger, et l’année prochaine aussi.

Et comment t’es venu ce projet d’adaptation du conte de Hans Christian Andersen, Thumbelina ?

En fait, je travaille avec Nathalie d’ArtsBD qui fait des produits dérivés d’artistes et qui a rencontré Soline Scutella. Elle a donc vu mon Artbook édité par la galerie Koch&Bos ainsi que les produits dérivés. On s’est rencontrées, et il y a eu une proposition de livre au bout. Celui-ci est le premier, mais ensuite il y aura une autre adaptation de conte prévue, cette fois-ci de La Belle et la Bête.

Cela te plait de réaliser des adaptations ?

Oui, des adaptations de contes surtout.

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© Scutella Editions / Ciou

Et pour le choix de la couleur par rapport à Chat siamois qui est en noir et blanc ?

Oui, j’ai fait ce choix car cela fait plusieurs années maintenant que je travaille beaucoup en peinture, même si j’aime toujours aussi le travail en noir et blanc, mais la peinture a pris le dessus grâce à mes expositions. Et là, ça s’y prêtait : un conte illustré sur le thème de Poucette, la reine des fleurs, je ne pouvais mettre que de la couleur ! Chat siamois est plus sombre, plus gothique. Le prochain aussi sera en couleurs mais il y aura des noirs et blancs alors que dans celui-ci il y a des noirs et rouges. Il y a plusieurs possibilités graphiques en fait.

Pour le texte bilingue, tu as choisi aussi ou c’est l’éditeur ?

Là, ça a été une discussion. Je travaille beaucoup à l’étranger et je voulais que le livre soit exporté, qu’il soit vendu dans les galeries, et que les étrangers puissent aussi comprendre l’histoire tout simplement. L’anglais, c’est la seule façon de pouvoir travailler dans le monde entier. Donc ce n’est pas forcément évident avec le public français qui est un peu plus frileux, mais là on a quand même le texte en français. Par exemple, mon Artbook n’est qu’en anglais, et les autres livres aussi. En fait, tout ce qui est livre d’art, c’est uniquement en anglais. Pour la France, on a fait le choix d’avoir les deux. Et je pense que c’est important aussi pour des jeunes ou des élèves qui veulent apprendre la langue, ça peut aussi être un moyen d’apprendre en s’amusant. Moi j’aimerais bien qu’il y ait plus de livres justement traduits, parce que les français ne s’exportent pas très bien à l’étranger, c’est plus rare, sauf s’ils vendent les droits à l’international. Sinon, le français n’est pas une langue que tout le monde parle…

En même temps que l’illustration, n’aurais-tu pas envie aussi de passer au scénario ?

Non ça je n’y arrive pas, je ne sais vraiment pas écrire, mais pour ce qui est des idées, j’ai fait d’autres rencontres, et peut-être y aura-t-il d’autres livres, on va dire que c’est en cours. Cela va prendre du temps car je ne souhaite pas écrire et ce n’est pas ma formation. Il y a beaucoup d’auteurs qui sont de très bons dessinateurs mais pas de bons scénaristes, et du coup cela pêche souvent au niveau du scénario, alors que le dessin est magnifique. Ce n’est pas du tout mon travail mais j’aimerais rencontrer d’autres scénaristes pour développer mon univers. Ça me pousse à faire des personnages et des compositions que je n’aurais pas réalisés dans mon travail d’exposition. Donc, en fait pour moi, la démarche de création pour un livre est enrichissante car l’histoire reste le support, ce qui me permet d’aller plus loin dans mon travail. Il y a des expositions où je suis complètement libre, je fais ce que je veux, j’ai un thème ou je n’en ai pas et les galeries achètent mon travail. Là, j’ai un cahier des charges et ça c’est important pour se dépasser.

Tes personnages sont tout de même plutôt féminins ?

Oui, ce ne sont que des filles et puis des animaux ! (Rires) C’est vrai, je n’ai pas forcément envie de représenter des personnages masculins. Après, ils sont représentés par des animaux ou des plantes, plutôt un personnage comment dire… au caractère design… comme dans des dessins animés par exemple si on prend Adventure Time. Ils ne sont pas forcément garçons mais il y a des chats, des chiens, des licornes… masculins quoi ! (Rires) C’est vrai que c’est vraiment plus axé sur le personnage féminin… cela a toujours été… Mais là dans Thumbelina, il y a le prince des fleurs donc c’est déjà c’est un grand pas ! C’était obligé ! Et dans La Belle et la Bête, ce qui est intéressant pour moi, comme je ne représente que le caractère masculin à travers la personnification d’un animal, c’est que je vais pouvoir justement créer une chimère masculine, et cela va être encore autre chose. Après, je ne suis pas féministe, c’est juste un choix personnel car je ne trouve pas le personnage représenté comme je veux, cela ne vient pas.

Peut-être que cela va venir un jour ?

Peut-être qu’à force de chercher je vais y arriver mais j’ai essayé et ils ressemblent à des travestis, du coup cela fait un peu femme…

Ou androgyne(s) ?

Androgyne oui, je vais peut-être faire un Glen or Glenda ! (Rires) (Ndlr : premier long-métrage du réalisateur américain Ed Wood datant de 1953 abordant la transsexualité)

D’autres actualités ?

Je pars au Japon en avril pour une exposition à Tokyo, organisée par un magazine australien. Du coup, j’amènerais le livre qui justement peut être présenté directement en anglais.

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© Scutella Editions / Ciou

Sinon, y-a-t-il un sujet particulier que tu as envie d’évoquer, une question que l’on ne te pose pas habituellement ?

J’aimerais qu’en France, les portes soient un peu plus ouvertes. Entre l’illustration, la peinture et la BD, c’est encore très cloisonné. C’est dommage. Déjà avec les expositions lowbrow à la Halle Saint-Pierre et dans le magazine Hey!, auxquels j’ai participé il y a deux ans, je trouve que ces gens-là ouvrent une porte intéressante dans le milieu de l’art. Il y a des ponts à faire entre la BD, l’art et l’illustration. Ces ponts-là, aux États-Unis, se sont faits sans problème, en Angleterre aussi. Il y a même des sociétés d’illustrateurs à New York et en Angleterre qui exposent aussi des peintres. J’ai des amis qui sont peintres en galerie et qui exposent dans des foires d’art contemporain. Ils sont aussi illustrateurs et font également des produits dérivés, c’est-à-dire que les passerelles se font sans soucis. Ils sont acceptés en tant qu’artistes et peuvent être des artistes complets. Il n’y a pas de hiérarchisation de classes sociales dans l’art alors que je trouve qu’en France c’est encore très marqué. Ça commence à venir et j’ai eu cette opportunité deux fois, mais cela reste encore pour un public averti, qui a déjà les codes et qui aime parce que c’est aussi notre génération, qu’on a aimé les mêmes choses sur la musique, certaines bandes dessinées, et tout cet univers américain ou japonais, ou les deux. Mais j’aimerais que cela se développe un peu plus, il y a des galeries en France qui proposent mais qui sont peut-être encore en difficulté par rapport au marché de l’art. Enfin, je ne fais pas de différences entre l’art, l’illustration ou la BD, pour moi c’est la même chose. Au Japon c’est pareil et aux États-Unis aussi, même si effectivement l’art contemporain y est très fort, mais cela existe.

C’est vrai qu’ici, on met dans des cases ou on donne des étiquettes…

C’est ce que je ressens en France en fait. C’est peut-être pour ça aussi que j’ai beaucoup cherché à travailler à l’étranger parce que c’était plus facile et rassurant.

Qu’est-ce qui pourrait être fait pour débloquer la situation, est-ce qu’il y a une solution ?

Moi je pense qu’il faudrait des organismes avec beaucoup de moyens, qui ouvrent les portes parce que c’est le grand public qui doit être plus averti. Déjà, le musée de la Halle Saint-Pierre le fait et Hey! a même organisé une exposition dédiée au tatouage au Quai Branly. Donc ce sont quand même des lieux visités, et il faut que cela continue absolument, c’est peut-être le début, le passage qui s’ouvre…

À condition que cela ne soit pas qu’une fois de temps en temps aussi…

Il faudrait que cela soit régulier, et ça serait bien aussi que cela se développe en province et non pas uniquement à Paris. Il y a des tentatives, en ce moment, j’expose à la Spacejunk (centre d’arts) à Bayonne, Grenoble et Lyon. Ils ont de beaux espaces et prennent très bien les choses en main, c’est vraiment super. Cela se développe mais c’est toujours un peu plus lent, c’est encore un peu timide bien qu’il y ait eu l’exposition de Tim Burton à la Cinémathèque de Paris, encore pour un public averti. Et puis les journalistes le présentent toujours comme de l’art étrange, du bizarre, le « cabinet de curiosités », etc. Cela va bien un temps, c’est à la mode, mais dans deux ans c’est fini s’il y a une étiquette « cabinet de curiosités », cela ne va pas car il faudrait creuser un peu plus, il y a tellement de références, c’est tellement riche ! En tout cas, Angoulême permet ça aussi, parce qu’il y a des artistes étrangers qui sont là et qui sont super contents car c’est la seule porte internationale comme ça qui regroupe des gens de divers horizons. Bien qu’ils soient orientés BD ou illustration, ils font aussi des choses à côté, même si on le sait un peu moins. Donc ça je trouve que c’est vraiment important.

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© Scutella Editions / Ciou

Cette réputation pour cet art de « curiosités », c’est aussi les médias…

Oui, les médias le présentent toujours comme quelque chose d’étrange. Bon, ils en font la promotion, c’est déjà ça ! Les artistes lowbrow, que j’aimais quand j’avais 15-16 ans et qui ont maintenant 50-60 ans, ont beaucoup de succès aujourd’hui. Donc déjà, pour eux, cela arrive avec un temps de retard même s’ils avaient eu beaucoup de facilités dans leur pays, donc c’est un peu normal que cela prenne du temps ici. Par comparaison, je travaille beaucoup aux Pays-Bas, j’ai d’ailleurs mon exposition personnelle à Amsterdam au mois de mai. J’y suis quasiment tous les ans ou tous les deux ans parce que je suis représentée par la galerie qui présente mon travail depuis 8 ans. Je suis même passée sur une chaîne équivalente à France 2 pendant une heure. C’est passé un dimanche soir de 20h à 21h donc plus d’une heure sur les artistes. Ils sont venus me filmer à Toulouse, et ils m’ont suivi aussi sur des expositions en Belgique et cela a ramené beaucoup de monde, et depuis j’ai beaucoup plus de succès aux Pays-Bas. J’ai aussi réalisé une fresque qui a été filmée en webcam, pendant une semaine et les gens qui m’ont suivi ont eu l’impression d’avoir fait la fresque avec moi et de me soutenir. Donc les médias là-bas sont utilisés d’une autre manière ; même si ce sont les rois de la télé-réalité ; et le fait d’avoir été filmée en permanence du matin au soir pour la fresque, a créé une véritable interaction et des relations avec des gens qui sont venus me voir pendant la semaine pour savoir comment cela se passait. Du coup, c’est très agréable pour moi d’aller à Amsterdam.Les Pays-Bas sont très ouverts, la culture des années beatnik, hippie des années 70, la culture anglo-saxonne, fait que ce style d’art leur parle vraiment. Ils attendent vraiment Thumbelina, parce que c’est la princesse des fleurs et là-bas c’est un thème hyper important, bien que ce soit un conte danois, les Hollandais l’ont tous lu petits, et c’est également pour eux que le texte est en anglais.

Merci à toi d’avoir répondu à nos questions.

Propos recueillis par Sophie André

Interview réalisée le 28 janvier 2016.

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Sophie André

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