Après avoir attendu quelques minutes devant son domicile, Serge Perrotin arrive de la plage. Les cheveux encore tous humides, il s’installe confortablement à la table de sa terrasse, décapsule sa bière, et s’adresse à nous, le sourire aux lèvres. En nous recevant à domicile, nous allons pouvoir parler de son diptyque Au nom du fils, sorti chez Futuropolis, lequel a également été adapté en film par le producteur Pierre Javaux pour Arte.
Ton album est-il inspiré de faits réels ?
L’album ne raconte pas au mot à mot l’histoire d’un fait divers qui soit vraiment arrivé. Il s’agit plus d’un enchaînement d’éléments d’actualité qui ont influencés ma narration. Dans les années 90, j’ai fait deux longs séjours sur place, il y a donc une forte part autobiographique sur mon récit. La Colombie est un pays que j’ai adoré, malgré sa mauvaise presse (trafic de drogue, guérilla, etc.). Pour ma part, j’ai rencontré un peuple extrêmement chaleureux, qui m’a vraiment donné envie de parler de lui. J’étais réellement enthousiasmé, et l’idée a commencé à faire son chemin. L’occasion s’est présentée quand, en 2003, un groupe de jeunes voyageurs s’est fait enlever là-bas par une bande de guérilleros. Je tenais le point d’appui de mon histoire, sauf qu’il n’était pas question de refaire une deuxième fois « le cas Bettencourt». Il m’a donc semblé intéressant de remplacer le groupe par un jeune homme, et d’envoyer son père, qui n’avait jamais voyagé, le chercher sur place.
Y a-t-il une raison particulière pour avoir mis en scène le père, Michel Garandeau, aux chantiers de Saint Nazaire ?
Je voulais ancrer l’album dans notre réalité proche, c’est à dire l’ouest de la France. Ce n’était pas trop compliqué pour moi, puisque que c’est ma région d’origine, et que je la connais bien. Mon père a été ouvrier en métallurgie pendant 35 ans, et a toujours été quelqu’un de très sédentaire, contrairement à moi qui ai toujours été attiré par les voyages. Il se pourrait bien que cette passion me soit venue par les livres et la lecture… (sourires). En ce qui le concerne, je voulais lui rendre hommage, il s’est toujours saigné pour ses enfants, tout comme Michel Garandeau, qui est d’ailleurs un nom typiquement vendéen. Lorsque Etienne lui annonce qu’il prend une année sabbatique, le père a beaucoup de mal à l’accepter parce qu’il vient de lui trouver une place au bureau d’étude, poste privilégié, fruit de ses études. Oui, cet album est vraiment un gros clin d’œil à mon père. Je me suis souvent posé la question: « si j’avais été enlevé, serait-il venu me chercher ? » Je n’aurais jamais cette réponse, peut-être aussi parce que je me retrouvais un peu dans les deux rôles. Cet album est une vraie histoire d’amour entre le père et son fils.
Espérais-tu un jour voir ton projet adapté en film ? Était-ce un objectif ?
Pour moi, tous les fans de BD sont également adeptes de cinéma, tous. Je ne connais pas une journée en festival qui ne se passe sans aborder le sujet. Rien de surprenant donc s’il n’existe pas quelque part l’envie de se faire adapter. En ce qui me concerne, je faisais pas mal d’albums dits «de genre», comme Terra Incognita pour la SF, par exemple. Ce sont des projets excessivement coûteux à mettre en film, je ne m’imaginais donc pas en voir un jour une adaptation. Par contre, en commençant Au nom du fils, je savais déjà que c’était un récit intimiste, donc forcément plus accessible financièrement. Après l’écriture du deuxième tome, je suis donc allé voir les éditions Gallimard pour leur présenter le pitch, et ce sont eux qui m’ont mis en relation avec les productions d’Arte. Par la suite, le projet a été adapté par le réalisateur Olivier Peray, ainsi que le producteur Pierre Javaux. Je pense avoir eu beaucoup de chance (sourires).
Ton scénario original a-t-il été beaucoup modifié pour les besoins du film ?
Oui, Arte nous a présenté un cahier des charges impliquant certains changements assez importants. Par exemple, j’avais fait une fin ouverte dans le deuxième tome. J’aime bien en tant que lecteur avoir un espace de création, un endroit où on peut facilement imaginer que les choses se soient déroulées différemment. J’ai conscience que tous les adeptes de la lecture, que ce soit en BD ou ailleurs, n’apprécient pas. Pour le cas de Au nom du fils, Arte nous a demandé une fin plus choisie, plus tranchée, peu importait que ce soit un happy end ou pas. Marie, la mère d’Etienne, est également absente dans le téléfilm. Michel Garandeau est donc veuf, ce qui impacte énormément sur les relations entre le père et le fils. Nous nous sommes donc recentrés sur leur incapacité à communiquer. Pour cela, le talent de Pascal Demolon nous a énormément aidé. Lui qui est quasiment sur tous les plans, il a su par son travail d’acteur pallier l’absence de voix off et faire ressentir les sentiments, les émotions. Au final, oui, les deux versions sont assez différentes.
Le tournage sur place a-t-il été compliqué techniquement ?
J’étais assez satisfait parce que le film a vraiment été tourné sur les lieux de l’album, à la Sierra de Santa Marta, et ce selon la volonté d’Arte. J’aurais adoré être présent sur place, mais pour des raisons de budget, ce ne fût pas possible. Bon, au retour, tout semblait s’être bien passé (sourires). Par contre, je suis allé sur les lieux du tournage en France. Il n’a pas eu lieu à Saint-Nazaire, comme dans l’album, parce que les chantiers ont refusé l’autorisation pour des raisons industrielles évidentes. Il a donc eu lieu à Brest. Avec les productions Arte, ce qui est confortable, c’est qu’elles développent actuellement une ligne éditoriale fortement orientée vers la Bande Dessinée. Ce fût le cas récemment avec Les Pilules bleues, et je trouve le résultat assez proche de l’original. En ce qui concerne Au nom du fils, il me semble, malgré les différents changements, que l’on a réussi à garder la sensibilité de l’album, et cela me paraît important.
Serge, merci pour toutes ces réponses, et nous te remercions beaucoup pour ton accueil.
Propos recueillis par Frédérique Biron et Joël Leroy
Interview réalisée le 9 juillet 2015.
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