Titre : Le Syndrome [E]
Scénariste : Sylvain Runberg
Dessinateur : Luc Brahy
Coloriste : Hugo Facio
Éditeur : Philéas
Parution : Octobre 2020
Prix : 17,90€
Ludovic Sénéchal, passionné de cinéma ancien, achète une vieille bobine au fils d’un cinéaste qui vient de décéder mystérieusement. En visualisant l’œuvre, il devient subitement aveugle. Sur son lit d’hôpital, il fait appel à une vieille connaissance, une aventure passée : Lucie Hennebelle, lieutenant de police à Lille. En parallèle, cinq cadavres sont retrouvés atrocement mutilés et énucléés, et le lieutenant Franck Sharko, pourtant en congés pour soigner sa schizophrénie, est immédiatement mis sur cette enquête particulière. En effet, le caractère « chirurgical » qui ressort de l’autopsie donne effectivement une couleur inédite et particulière à cette enquête. Le briscard, un brin renfrogné et accompagné d’Eugénie, sa vision schizophrénique, semble le plus adapté pour cette enquête. Rapidement, les deux vont se rejoindre et les deux policiers vont devoir apprendre à travailler ensemble.
Voilà un pari qui, sur le papier, aurait pu sembler difficile à relever : adapter en BD l’un des couples les plus populaires des amateurs de littérature policière, Lucie Hennebelle et Franck Sharko, le duo créé par Franck Thilliez, le patron, le maître du polar. La particularité de ces enquêtes, dont le succès est aujourd’hui planétaire, réside dans l’effet tiroir de ses intrigues. Pas simple d’imbriquer des enquêtes parallèles en format dessiné. L’astuce a ici été trouvée par Sylvain Runberg : par double-pages, on passe de Lille à l’Algérie, ou du Québec à des laboratoires clandestins. Finalement, la réunion des deux lieutenants se fait naturellement, comme si on suivait deux histoires en une. Le second défi des auteurs était de donner physiquement vie à deux stars de romans. Alors que les fans inconditionnels imaginent le couple d’enquêteurs sur des forums spécialisés, Luc Brahy donne vie à deux personnages écorchés dont on ressent le mal-être, la fatigue physique et psychologique. Le dessin est souvent violent, ombragé, parfois même répugnant. L’ambiance glauque colle parfaitement au scénario. On retrouve ici la noirceur d’Imago Mundi, du même artiste. La palette choisie plonge le lecteur dans les tréfonds de l’âme. Ce dernier est projeté dans une histoire dont il a du mal à sortir (il est d’ailleurs déconseillé de lâcher cette œuvre après l’avoir ouverte si l’on ne veut pas en perdre le fil). On notera donc l’exceptionnelle réussite du duo d’avoir fait revivre le duo de flics en bande dessinée. Notons au passage que Sylvain Runberg a déjà travaillé sur l’adaptation en BD de la série Millénium et a déjà fait preuve de son talent dans l’adaptation (entre autres) d’œuvres littéraires. Petite mention spéciale pour Eugénie, « amie imaginaire » et fruit de la schizophrénie de Sharko. Il semblait en effet plutôt difficile d’entrapercevoir la manière avec laquelle on aurait pu transposer cette « voix intérieure », ce personnage psychiquement présent, de manière dessinée. Le lecteur se délectera de la singularité et de la vulgarité de ce personnage assez inédit (qui disparait d’ailleurs assez rapidement dans la série de romans). Il est aujourd’hui inconcevable de penser que ce génial duo va s’arrêter ici. Gataca, le deuxième opus, est, d’ailleurs, d’ores et déjà annoncé et l’empressement tenaille ! Gageons que la rencontre des deux flics passée, les prochains tomes mettront davantage l’accent sur les intrigues et exploreront encore les écorchures des deux lieutenants.
Le tout premier opus sombre et épatant d’une saga qui a déjà fait ses preuves sous la forme de romans. Une vraie réussite sur le plan du scénario et du dessin.
Jérôme Prévot
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