
© 2018 Casterman
Titre : Prendre refuge
Scénariste : Mathias Énard
Scénariste – Dessinatrice : Zeina Abirached
Éditeur : Casterman
Parution : Septembre 2018
Prix : 24€
2016, Berlin. Lors d’une soirée entre amis chez Elke, Karsten est absorbé en début de soirée par un livre intitulé Prendre refuge racontant l’histoire d’une voyageuse et écrivaine suisse, Anne-Marie Schwarzenbach, qui tombe amoureuse d’une archéologue. L’action se déroule aux pieds des Bouddhas de Bâmiyân, en Afghanistan, en 1939. Un lieu paisible loin des troubles que subit l’Europe. C’est d’ailleurs en écoutant la radio autour d’un feu de camp qu’elles apprennent que la Seconde Guerre Mondiale a éclaté. Karsten, passionné par l’Orient, emprunte le livre à son amie. Quelques temps plus tard, le jeune architecte rencontre Nayla lors d’une kermesse, une réfugiée syrienne pour laquelle il développe très rapidement des sentiments malgré leurs différences. Au fil de sa lecture du livre qu’il a toujours avec lui, il voit évoluer une histoire d’amour atypique durant une époque complexe. Tout comme la sienne avec Nayla, un parfait écho à travers le temps.
Zeina Abirached (Le Piano oriental), qui a l’habitude de travailler seule, s’est laissé tenter par cette collaboration avec l’écrivain Mathias Énard (Boussole – Prix Goncourt 2015) afin de voir où cela la mènerait de suivre les textes d’un autre. Il en résulte une expérience des plus heureuses. Ensemble, les auteurs content deux histoires d’amour qui n’ont à priori rien à voir l’une avec l’autre. La première se déroule en 2016 à Berlin et l’autre, librement inspirée de faits réels, en 1939 en Afghanistan aux pieds des Bouddhas de Bâmiyân, détruits en 2001 par les talibans. A posteriori, il s’avère qu’il y a plus d’un point commun (la difficulté de s’aimer dans des périodes complexes et d’autant plus au sein d’une relation atypique, le déracinement, les constellation d’Orion et du Scorpion…) ou des liens qui sont autant d’oppositions en miroir (l’Allemagne nazie de 1939 et l’actuelle qui a accueilli des réfugiés syriens, Berlin et Alep…). Un récit prenant, fourni en émotions diverses et poétique où la notion de prendre refuge est omniprésente (dans la religion, dans les bras de l’autre, dans un pays…). La conception graphique est un petit peu différente de ce que l’auteure libanaise a l’habitude de nous proposer. Il n’y a pas de voix off et les dialogues sont assez courts, ce qui laisse encore plus d’espace au dessin. De fait, le trait gracieux, le noir et blanc ainsi que les vides et les pleins sont superbement utilisés à travers un autre style de cadrage : des double-pages contemplatives qui alternent avec des passages découpés de manière plus énergique. Un pavé de près de 340 pages où la lecture graphique est riche de plusieurs niveaux. À noter la jolie maquette de l’album.
Une association fructueuse, parsemée de poésie, qui fait voyager et interroge sur de nombreux sujets.
Stéphane Girardot
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