
Il est des artistes qui vous marquent, que l’on n’oublie pas ! C’est mon cas pour Virginio Vona et son œuvre. Découvert tardivement, lors du salon de la BD de Vigneux-sur-Seine le 16 novembre 2013, j’ai été subjugué par ses toiles et originaux exposés là, sous mes yeux ébahis et désireux…
Je n’avais pas l’habitude de voir de telles planches dans l’univers BD : le trait lourd mélangeant un noir très marqué et des couleurs intenses retranscrivait dans ces originaux à la gouache une violence et une énergie qui m’attiraient. Ce qui était représenté : de bons gros flingues et des voitures, plutôt brutes (à la Mad Max !), une palette de couleurs très vives, des visages de mecs qui ont l’air plutôt énervés… l’univers m’a parlé ! Après avoir parlé 20 minutes avec le scénariste, Iah-Hel, j’achète donc le premier tome de Fenice.
Dévoré dans la nuit, ce premier tome ne suffit plus : je fais une chronique pour mon site BD à 2h du mat’, et je retourne au salon le dimanche pour m’acheter le deuxième tome ainsi que deux planches originales.
Serais-je devenu fou ?! Attendez quand même, je vous explique…
L’histoire…
Virginio Vona est Italien, né à Rome en 1969 (oui je sais, ça commence bien…).
Passionné depuis toujours par le dessin, il étudie pendant 5 ans dans une école de graphisme en Italie, puis se forme pendant 2 ans à l’Institut d’Art de Rome, avant d’enchaîner à nouveau sur 2 années à l’Ecole de la Bande Dessinée, toujours à Rome.
Son art mûrit et se perfectionne lorsqu’il est embauché pour concevoir et réaliser des trompe-l’œil avec divers cabinets d’architectes durant plus de cinq années.
Quittant l’Italie à l’âge de 29 ans, il arrive en France avec un tas d’envies et une priorité : devenir graphiste et en faire sa vie. Bon… on va dire que ça n’a pas tout de suite été une partie de plaisir : Virginio travaille en France mais galère plus qu’en Italie. Il fera donc des petits boulots en tant que jardinier, peintre en bâtiment, agent piétonnier (vous savez, celui qui fait traverser les enfants), sort les poubelles des HLM et, chemin faisant, il adopte la France dans son cœur.
Actuellement artiste-peintre et dessinateur de bande dessinée, son plus grand amour à lui, ce qui a besoin de s’exprimer en lui, c’est ça :
Un mélange de constructions architecturales mêlant courbes, univers futuriste, et couleurs tranchantes. Le tout très souvent imbibé d’univers ferroviaire… Des trains, des rails, ça fait partie de son trip. Comme pour nous perdre… ou bien peut-être nous inviter à voyager dans son monde, et au final dans la vie vous le verrez !
D’ailleurs, je pense ne pas me tromper en affirmant que certains apprécient drôlement son monde… Eh oui, l’artiste Virginio Vona a été repéré depuis un moment et est coté chez Drouot, rien que ça !
Et quand vous aurez lu et apprécié son travail, si certaines planches vous rappellent Enki Billal par leurs couleurs en pastel gras et l’énergie artistique présente dans les mondes futuristes représentés, ne vous étonnez pas, beaucoup lui font cette remarque. Lui-même avoue que Bilal influence son travail.
Lorsque l’on demande à Virginio pourquoi il aime tant représenter des univers dans lesquels l’architecture est très présente et imposante, sa réponse est intéressante : « L’architecture est le premier impact humain, et également là où le bébé naît, son premier univers. L’environnement architectural dans lequel l’homme naîtra influencera certainement sa vie. »
Et pourquoi ne pas se concentrer sur l’architecture, en faire sa vie, pourquoi la BD, finalement ? « La bande-dessinée est ma passion depuis l’enfance. En Italie, je contemplais mon frère qui dessinait d’une main de maître mais pour qui le dessin n’était pas une ambition ni un but en soi. En tant qu’artiste éclectique et touche-à-tout, il n’en a pas fait son métier, mais moi qui ai moins de talent à la base, si. »
Les trains et les rails le fascinent-ils tant ? « Les trains sont pour moi le premier moyen de transport mécanique qui me fascine. Ce dernier a évolué avec l’homme et son histoire, il a été utilisé pendant l’ère de l’industrialisation, durant différentes périodes de l’Histoire de façon plus ou moins glorieuse malheureusement, et j’aime cette mécanique et ce que représentent les vieux trains. » Virginio avoue même avoir préféré plusieurs fois rentrer en train à Rome, de Paris, et perdre 17h, parce que le trajet l’apaise plus que de rentrer en avion…
La performance…
Et oui, un tel talent concentré dans un seul petit homme, ça s’exprime souvent d’une façon violente, voire brutale parfois ! Gare aux coups de pinceaux et aux couleurs qui punchent et vous mettent une droite ! Mais avec Virginio, ceci est toujours exécuté avec l’amour de l’art.
Son talent, vous le trouverez exprimé de la manière la plus brute lors de ses performances en live sur toile de 2m par 3m. C’est en général une prouesse suivie par des centaines de personnes se massant autour de lui dans un lieu public. Notre ami sue pendant environ 45 minutes de ce défoulement artistique, et ce uniquement pour libérer le besoin artistique présent en lui. Il lâche les chiens, comme diraient certains. Et c’est beau. Admirez :
La bande dessinée…
Vous savez, la vie c’est fait de tout et de rien, de rencontres souvent banales…et puis un jour « BAM!!! » : Virginio rencontre un autre artiste, dans le pur hasard d’une agence immobilière, en 2006. Cet artiste, Iah-Hel de son nom, est un poète du 21ème siècle à la plume acerbe et ne mâchant pas ses mots pour exprimer sa haine de la bêtise humaine.
De là naît une amitié qu’on leur souhaite à jamais. Ceux que je définirais volontiers comme deux artistes violents, non pour une violence physique évidemment, mais plutôt pour la violence de leur expression artistique, se lanceront très vite dans un projet commun qui travaillait les méninges de Virginio Vona depuis un moment : Fenice.
Vous imaginerez bien que la rencontre de deux atypiques comme ça ne donne en aucun cas naissance à une œuvre banale… Un monde futuriste où l’humain est réduit à être un mouton entièrement soumis à une puissance dictatoriale et capable de connaître tout de vous en lisant une simple puce sous votre peau, cette puce vous injectant du cyanure à la moindre tentative de s’en défaire, ça vous dit ? Un monde où le héros est un junkie borné et shooté au café, dégainant des bastos pleine tête sans écouter le moindre conseil de sagesse de ses pères, et ce en étant persuadé qu’il suit le droit chemin, vous achetez toujours ? Alors ajoutez à ça que notre héros est tourmenté, qu’après chaque décision il se retrouve confronté à lui-même dans un univers parallèle dans lequel les dieux de la mythologie grecque le tiraillent et lui font payer le prix de ses erreurs. Vous mélangez bien le tout, ajoutez des couleurs qui pètent : rouge, jaune, vert, bleu, rose. Et paf !! Servez-vous !
Vous obtiendrez une BD très originale, au scénario passionnant et au trait artistique sans équivalent. L’univers créé par le tandem mêle poésie, réflexion sur la nature de l’homme et sa condition, ne négligeant pas l’action et la brutalité humaine. Le tout servi par l’artiste Virginio, au trait imposant à la gouache, empli de couleur et de profondeur artistique… de quoi vous rassasier 10 fois plus qu’un Menu Maxi Big-Mac ! Et vous en redemanderez.
Le Tome 0 et le Tome -1 sont sortis respectivement en 2010 et 2012.
Le Tome -2, intitulé La Chrysalide, sortira en septembre 2014 et est déjà dispo en précommande.
Vous voyez, de cette rencontre imprévue lors du salon de Vigneux, je garde un souvenir jubilatoire car ces deux artistes m’ont fait – et continuent de me faire – vibrer avec l’univers qu’ils ont créé et leur façon de nous le raconter. Telle leur devise : « Fenice, un univers que vous ne pouvez même pas imaginer ! »
Je vous souhaite de telles rencontres. N’hésitez surtout pas à aller les voir sur les forums et salons, ce sont des passionnés, ils adoreront discuter avec vous !
Le bonus…
– Virginio, quand les gens te comparent à Enki Bilal, que penses-tu ?
« Ça me touche beaucoup, forcément, parque que j’ai une grande estime pour l’artiste qu’est Bilal… mais tu sais, il paraît qu’un bon disciple dépasse toujours le maître à un moment… » (sourire partagé)
– Fred, tu dépeins avec acharnement la bêtise humaine. As-tu malgré tout espoir en l’homme ? Ou bien ne sommes-nous tous que des moutons, perdus et aveuglés dans un monde dont la violence nous dépasse, et que nous ne comprendrons jamais ?
« Il y a deux problèmes qui se juxtaposent : la nature humaine et la société.
Le jour où l’homme admettra qu’il n’est ni plus ni moins qu’un animal (un mammifère comme tous les autres, la conscience en plus certes) et que ses pulsions viennent de cette animalité, peut être utilisera-t-il cette conscience qu’il possède pour agir autrement que celui-ci. Admettre ce que nous sommes réellement et comprendre comment fonctionne cette animalité, nous permettrait d’être meilleurs, mais encore faudrait-il l’admettre.
Le second problème est celui des sociétés qui fonctionnent à l’image de cette nature humaine et où l’on retrouve les dominants et les dominés. Tout comme l’animal, l’homme est à caractère dominant et les critères prioritaires qui l’animent sont les suivants ; il aime diriger, se sentir tout puissant, être le plus fort enfin, il en veut toujours plus, c’est dans sa nature. Il a donc créé des sociétés répondant à ces critères stricts. Une fois la place de dominant acquise (à quelque échelle que ce soit), il usera de tous les stratagèmes pour y rester et répondra à ses pulsions, si l’on tente de l’en déloger. Il agira comme un animal, d’ailleurs, essayez de retirer un os à un chien affamé et vous comprendrez…
Je dirais que l’homme a une conscience, mais qu’elle est tronquée par le déni de ce que nous sommes… Ce qui m’amène à conclure que non, dans le fond l’homme n’est pas bon. Il se situe entre le mouton et le loup, mais il y reste cette conscience qui peut laisser présager que tout n’est pas perdu. La prise de conscience doit se faire et s’il faut des électrochocs pour qu’elle prenne vie, je veux bien être l’électrochoc. »
Nicolas Davy
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