Titre : La Désobéissance d’Andreas Kuppler
Scénariste : Corbeyran
Dessinateur : Manuel Garcia
Coloriste : Degreff
Éditeur : Delcourt
Collection : Mirages
Parution : Octobre 2020
Prix : 17,50€
Février 1936, station bavaroise de Garmisch-Partenkirchen. Les jeux olympiques d’hiver se terminent et Andreas Kuppler, journaliste sportif allemand, angoisse de rentrer à Berlin. Il faut avouer que son couple avec Magdalena bat de l’aile. Leur désir d’enfant est inassouvi et sa femme lui reproche ses absences répétées pour reportages. Et puis il y a l’omniprésence du parti. Andreas n’est pas un héros, ni un militant. C’est un homme ordinaire. Blanc. Catholique. Aryen. Il n’a aucun penchant communiste non plus. Il n’a donc rien à craindre du régime. Et pourtant, il a osé parler à des journalistes américains, il a écouté du jazz avec eux, il a même osé danser avec une Américaine, juive de surcroît ! Alors que sa femme idolâtre Hitler et que ses beaux-parents sont des nazis convaincus, son manque d’engouement envers le régime fait d’Andreas un suspect. Contraint et forcé d’être encarté au parti nazi pour pouvoir simplement faire son métier, il sent progressivement l’étau du régime se refermer sur lui et dans le même temps il prend conscience de ce que l’Allemagne est en train de devenir. Pourtant, il n’est pas Georg Esler. C’est un homme ordinaire, pas un révolutionnaire. Alors que faire ? Tombera-t-il dans les griffes de la Gestapo ? Et quel rôle jouera donc sa femme Magdalena ?
» Je ne suis qu’un reporter sportif tout ce qu’il y a d’ordinaire…
– L’analyse de vos articles nous invite à penser que vous n’avez pas été laminé par trois années de national-socialisme. Et ceci n’a rien d’ordinaire! »
Adapté du roman de Michel Goujon paru en 2013, La Désobéissance d’Andreas Kuppler nous plonge dans l’Allemagne nazie pré-guerre mondiale, à la découverte d’un couple ordinaire. Rien d’engageant présenté ainsi, et pourtant ce sont ces hommes et ces femmes ordinaires qui font les histoires de l’Histoire. Le scénario est à l’image du livre, prenant. Il installe les différents éléments de l’histoire progressivement, comme une partie d’échecs où la défaite échec et mat serait inéluctable. Sans s’en rendre compte, le lecteur s’identifie à Andreas et en partage les doutes. Au gré des cent pages de cette histoire, les auteurs nous prouvent qu’il n’est pas si facile de lutter contre un système, contre une ferveur populaire proche de la folie, ni contre un pouvoir tentaculaire. Comment sortir de la spirale lorsque tous vos proches sont entraînés par le courant ? Aux dessins, Manuel Garcia (Les Voleurs de beauté), qui a débuté pour Marvel, reste sur le format comics qu’il connait le mieux. Le duo Corbeyran-Garcia a d’ailleurs déjà œuvré avec succès en 2018 pour le Barbecue marseillais. Son style graphique sied particulièrement à l’atmosphère de l’histoire avec ses traits qui laissent deviner les formes, comme un écho au scénario qui laisse deviner ce que le nazisme est en train de devenir. Le dessin est si percutant en noir et blanc qu’on pouvait craindre que la colorisation n’en masque les subtilités. Fort heureusement, il n’en est rien. Tout en à-plats, sans effet numérique ni dégradés qui gâcheraient l’ensemble, la mise en couleurs de Degreff et au contraire très bonne, traditionnelle et efficace. La scène de l’incendie des livres, qui sert aussi de couverture, en est le parfait exemple. La clarté des couleurs des souvenirs heureux contraste parfaitement avec le rouge sang des réminiscences de la Grande Guerre et avec la noirceur tiède de février 1936. La combinaison de tous ces talents nous permet d’avoir un bel ouvrage, à l’histoire pas vraiment joyeuse mais réaliste. Au final, lorsqu’ils refermeront ce roman graphique, la question que se poseront les lecteurs fera forcément écho à une célèbre chanson du trio Fredericks/Goldman/Jones : « Serions-nous de ceux qui résistent ou bien les moutons d’un troupeau ? S’il fallait plus que des mots… »
Un ouvrage fort, tout autant que le roman dont il est adapté. Une BD petit format qui renferme une grande et belle histoire.
Christophe Van Houtte
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