Albums marquants de leur époque, lancements de séries devenues cultes ou simples curiosités oubliées, Rétrobulle sera la rubrique remettant à l’honneur des bandes dessinées à l’occasion de leurs anniversaires.
Chaque mois, nous reviendrons sur ces titres qui célèbrent leurs 10, 20, 30, 40, 50, 60, 70 ou même 80 ans d’existence. Souvenez-vous…
Il semble parfois pertinent de changer quelque peu la forme de cette rubrique lorsque des destins croisées de bandes dessinées le justifient. En effet, en ce mois d’avril 2009 sortaient deux nouvelles séries très différentes et qui connurent des fortunes éditoriales diverses.
Succubes #1 & Clandestine #1
Succubes d’un côté, qui raconte les manipulations d’un groupe de femmes plus souvent nues que vêtues, œuvrant dans l’ombre pour tenter de prendre le pouvoir. L’histoire n’est là qu’un prétexte à une série érotique qui ne dit pas son nom. Le scénario se tient tant bien que mal dans ce premier tome mais ira de Charybde en Scylla au fil des tomes suivants. Une série qui aurait largement pu, et même qui aurait du, s’arrêter dès ce premier tome mais qui parvint malgré tout à durer sept tomes. Il faut croire que dessiner des femmes nues suffit à faire vendre…
A l’inverse, ce même mois d’avril 2009 sortait Clandestine, série abandonnée après ce premier tome alors qu’une trilogie était initialement prévue. Pourtant, l’histoire de cette « enfant de la honte » comme on disait à l’époque, avait de belles promesses à tenir. Elle se passe à l’époque où l’avortement était illégal et clandestin, où les enfants non avortés de ces adolescentes « filles-mères » étaient confiés aux grand-parents pour les cacher et éviter la honte et les « qu’en dira-t’on ». Isolée, la petite Virginie va alors développer son imaginaire pour tenter de répondre aux questions qu’elle se pose. Si le récit traîne un peu en longueur au gré des 200 pages, le trait de Marc-Renier se faisait pour la première fois vivant et dynamique, bien éloigné du style réaliste et figé de ses productions précédentes (Le masque de fer ou La traque par exemple). Nous ne saurons sans doute jamais quelle part de ce récit écrit par Virginie Cady est autobiographique, mais c’est en tout cas une série qui aurait pu, qui aurait du, pouvoir aller au bout de son histoire. Il faut croire que vouloir mettre le doigt sur un passé que la société Française préfère oublier soit un frein aux ventes…
« Après ma formation j’ai galéré pendant deux ans à proposer des projets et à chercher des contacts. Finalement j’ai contacté Philippe Tome qui, au vu de mes dessins, m’a proposé Berceuse Assassine. » (© Ralph Meyer, dessinateur, interviewé en 2011 par PlanèteBD)
Lorsque le premier tome de Berceuse Assassine est paru, je l’ai trouvé fort sympathique. A la sortie de ce second tome, j’ai enfin compris le potentiel du récit stéréoscopique qui raconte une même histoire par le point de vue de deux personnages différents. Une révélation pour moi. Ce n’était pas le premier du genre en BD et le concept a bien entendu été souvent repris avec bonheur depuis (Quintett, La vierge et la putain, …), mais c’est le premier que j’ai lu et on se souvient toujours avec nostalgie de sa première fois. Complétée sous un nouvel angle avec le tome 3 (qui est toutefois un ton en dessous des deux premiers), cette trilogie reste une très bonne lecture et une des référence en la matière. A lire si vous ne connaissez pas le concept, et pour découvrir les débuts prometteurs du futur dessinateur d’Undertaker.
« En 1989 paraît dans Pilote ce qui est peut-être la première transcription en bande dessinée, sur le mode de l’anticipation, de la pandémie du SIDA. (…) C’est définitivement la fin du XXè siècle et de l’insouciance. » (Une brève histoire de la science-fiction belge francophone et autres essais, Dominique Warfa © Presse Universitaire de Liège)
Après une quinzaine d’années de libéralisation sexuelle, le monde découvre que l’amour peut tuer. Découvert en 1983, le virus du SIDA fait rapidement des ravages. A l’instar de Jean Van Hamme et Griffo avec SOS Bonheur dont la série a débuté deux ans auparavant, Toff et Béhé extrapolent un véritable futur dystopique à partir d’un problème de société actuel. Le VIH, renommé VRH dans Péché Mortel, tue sans discernement et la France plonge petit à petit dans un état totalitaire. Le parallèle avec la montée du nazisme dans les années trente est évident, les nouveaux boucs émissaires étant ici les contaminés. Milice, ghettos, montée de l’extrême droite, endoctrinement des masses et réductions des libertés. Tout y est pour laisser imaginer que la France pourrait reproduire dans un futur proche les dérives de la pire époque de l’Allemagne. La présence par deux fois depuis la publication de Péché Mortel d’un(e) candidat(e) nationaliste au second tour de la présidentielle n’est pas en mesure de contredire ce scénario catastrophe…
Originellement prévu comme un one-shot, l’histoire sera finalement complétée par une trilogie située 32 ans plus tard et publiée de 1997 à 1999. Moins percutant que ce premier tome mais très bon complément à cette anticipation, l’ensemble a depuis été réédité en intégrale. Un ouvrage que tout le monde se doit d’avoir lu au moins une fois.
Escale sur Pharagonescia
« Escale sur Pharagonescia est un pur produit de la science-fiction délirante. Je l’ai voulue délibérément insouciante, avec un style qui allierait l’humour de Robert Sheckley et la cohérence d’un démiurge à la Jack Vance. C’est d’ailleurs la tendance de chacune des histoires qui composent ce volume. » (© Mœbius)
Le maître lui-même a tout dit sur cet ouvrage. Recueil de nombreuses histoires courtes, dont plusieurs du célèbre Major Gruber, cet ouvrage est comme l’indique l’auteur lui-même un pur délire, en particulier l’histoire qui donne son nom au recueil. Le véritable point d’orgue du recueil étant la cultissime histoire muette L’Homme est-il bon? dont une case illustre la couverture. Une histoire dans le pur style Métal Hurlant qui mérite à elle seule que cet ouvrage soit lu.
« Cette édition (…) est donnée gratuitement à tout fidèle des Humanoïdes Associés et limitée à 5000 exemplaires » (© Humanoïdes Associés)
Restons donc avec Jean « Mœbius » Giraud dans ce rétrobulle d’avril 2019. Heureux. Oui, heureux ceux qui eurent la chance de recevoir gratuitement cet ouvrage en 1979. En noir et blanc, un dessin par page, l’histoire de Tueur de monde préfigure le style d’histoire que Mœbius développera ensuite dans Les mondes d’Edena. Réédité ensuite en couleurs chez Casterman, cet ouvrage court et original à l’époque se doit d’être lu par tous les amateurs des aventures de Stel et Atan(a).
Jeremiah #1 La nuit des rapaces
« Ne me parlez pas de retraite, quelle horreur, j’en mourrais ! J’ai plus que jamais envie de raconter des histoires. Je ne suis pas un dessinateur à l’état pur qui pourrait se satisfaire de faire des illustrations entre deux albums. Le seul mode d’expression qui me convienne est la bande dessinée, que je préfère d’ailleurs appeler “cinéma dessiné” » (© Hermann dans une interview pour Le Monde après qu’il ait remporté le Grand Prix au festival d’Angoulème 2016)
A sa création en 1979, Jeremiah est pour le moins original et démontre tout le talent de Hermann. Western post-apocalyptique à une époque où les histoires dystopiques étaient loin d’être à la mode, Hermann est alors moderne bien avant l’heure. Certes, le duo de personnages est classique : un héros encore jeune et naïf, Jeremiah, affublé d’un faire-valoir plus amusant nommé Kurdy, mais l’ensemble fonctionne parfaitement.
Série parue chez Fleurus puis Novedi avant finalement d’arriver chez Dupuis, c’est hélas essentiellement la période pré-Dupuis qui vaille vraiment la peine d’être lue. Après une dizaine de tomes de très bonne facture, la série commencera à devenir d’une qualité irrégulière, et au-delà du tome 20 la série deviendra totalement dispensable, malgré le passage à la couleur directe qui fera graphiquement illusion mais ne rattrapera pas pour autant les scenarii. Oubliez donc le Jeremiah des derniers tomes bâclés et sans intérêt, et replongez-vous plutôt avec plaisir dans le Jeremiah des années 1979 à 1985, le Jeremiah de La nuit des rapaces à celui de Boomerang, et vous ne serez pas déçus.
Rendez-vous le mois prochain pour de nouveaux anniversaires !
Christophe Van Houtte
Réagissez !
Pas de réponses à “Ils fêtent leur anniversaire en… Avril 2019”