
© 2021 Casterman
Titre : Frink & Freud – Le Patient américain
Scénariste : Pierre Péju
Dessinateur : Lionel Richerand
Éditeur : Casterman
Parution : Janvier 2021
Prix : 22€
Vienne, 1928. Sigmund Freud revient sur sa découverte du Nouveau Monde au moment où il est sur le point de donner cinq leçons sur la psychanalyse à la Clarke University de Worcester devant un parterre de personnalités prestigieuses. C’est lors de son arrivée au port de New York en septembre 1909 qu’il rencontre pour la première fois Horace Westlake Frink. Le jeune psychanalyste, à la demande du Dr Abraham Arden Brill, accueille le Maître qui a fait le déplacement avec deux de ses disciples, Carl Gustav Jung et Sándor Ferenczi. Frink admire Freud qui l’appuiera pour devenir le Président de la Société psychanalytique de New York et le traitera en tant que patient à Vienne. À travers cette alliance aux allures de face-à-face assez inégal entre les deux hommes, qui symbolise le choc entre le jeune Amérique et le vieille Europe, c’est tout un pan méconnu de l’Histoire de la psychanalyse qui est racontée. Une relation désastreuse qui a failli menacer son avenir aux États-Unis au début du XXème siècle.
Frink & Freud est le pendant du roman L’Œil de la nuit, paru aux éditions Gallimard en 2019, que Pierre Péju s’est attelé à créer en parallèle avec l’aide de Lionel Richerand (Dans la forêt, inspiré du roman La Petite fille dans la forêt des contes de… Pierre Péju) qui, lui, en a réalisé la mise en images. Un challenge dont le romancier s’acquitte haut la main pour une première. Le récit en lui-même et les textes nous immergent complètement dans les méandres des esprits des protagonistes, plus particulièrement ceux du bipolaire Frink et son amante Angelica, qui devient sa femme, sans nous ennuyer dans une période troublée par la prohibition, le crime organisé, la corruption, le racisme, les lynchages du KKK, etc. Une liaison dont les conséquences ont bien failli annihiler tous les espoirs de Freud de voir la psychanalyse se développer dans le Nouveau Monde. Ce roman graphique de 202 pages, au travers des rapports entre Frink et Freud, anti-américain avéré, met en évidence avec passion, et à la lumière des notions psychanalytiques, les relations complexes entre la jeune Amérique et le vieux Continent. Bien sûr, il y a une part d’interprétation de l’auteur et celle offerte entre les cases. La retranscription graphique en noir et blanc de Lionel Richerand est des plus réussies et des plus appropriées au récit. Elle se veut un hommage au cinéma muet et fantastique de l’époque. D’ailleurs, l’illustrateur s’est largement inspiré de celui-ci pour planter les décors américains et le « chara design » (Doris est Lillian Gish et les traits de Louise Brooks donnent vie à Angelica). Le choix de styliser au maximum et de ne faire évoluer physiquement que très peu Frink (visage très lisse à la Tintin) est très judicieux. Tout comme l’est d’associer l’imagerie du pharaon à Freud (facilement identifiable lui) plutôt que celle habituelle de Moïse.
Une œuvre intéressante et réussie qui invite à découvrir le roman L’œil de la nuit.
Stéphane Girardot
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