Nous avons profité de la venue de Yoann Vornière au festival international de la bande dessinée d’Angoulême pour en apprendre plus sur son manga Silence édité aux éditions Kana. Attention il est préférable d’avoir lu les deux premiers tomes avant de lire l’interview !
Bonjour Yoann, et tout d’abord merci d’avoir accepté cette interview. Peux tu nous dire d’où t’est venue l’idée de Silence avec ses personnages qui ne peuvent pas parler à cause de la présence de monstres ?
Il y a quelques années, j’avais un projet, je voulais faire une BD muette et j’avais trouvé cette excuse de dire que les personnages ne parlaient pas parce que des monstres les attaquaient. C’était vraiment une idée un peu trouvée pour ne pas faire de bulles à la base. Et cette idée est revenue après, quand les premières ébauches de Silence sont arrivées. Je me suis dit que j’allais reprendre cette idée là de monstres qui réagissent au bruit. Et le folklore français, les monstres qui attaquent, c’est un peu venu avec le Covid, parce qu’il y a eu ce truc qui fait que, comme on ne pouvait pas sortir du pays, je me suis un peu intéressé à ce qu’on avait en France. Depuis que je suis ado, j’ai cette remarque qui rôde dans ma tête d’un camarade de classe qui disait « ah mais c’est nul, en Chine ou au Japon ils ont un folklore qui les intéresse, mais en France on n’a rien ». En fait, je me suis toujours dit qu’il y a des trucs mais qu’on ne les connaît pas. Quand on voit sur les églises, sur les fontaines, les trucs comme ça, il y a toujours des créatures et on ne sait jamais d’où elles viennent. Je me suis dit que ça pouvait être intéressant de travailler là dessus.
Tu parles la langue des signes ?
Pas du tout.
Parce qu’il y a quand même des signes qu’on reconnaît. Tu fais comment ?
J’ai vu qu’il y a eu un peu d’incompréhension parce que j’ai plusieurs fois des lecteurs qui communiquaient par la langue des signes et qui, quand ils voyaient que je ne la parlais pas, étaient un peu surpris ou déçus. J’ai un dico qui s’appelle le dico Elix sur internet et je vais là dessus. A chaque bulle en fait, je prends un mot, le mot fort de la bulle, et je vais sur ce site, je regarde le signe correspondant ou un signe associé et je m’en sers pour que les signes soient concrets, réels. Je fais ça parce que je me dis que, pour les gens qui ne communiquent que par la langue des signes, si on lit un bouquin où il y a la langue des signes mais que ce n’est pas le bon signe c’est un peu… Donc j’essaie de faire ça.
En parlant de ce folklore français, dans ces deux premiers tomes de Silence, ce ne sont pas des monstres très connus que l’on voit apparaitre. C’est volontaire de ne pas avoir mis la Bête du Gévaudan par exemple ou d’autres monstres français très connus ?
La Bête du Gévaudan, c’est celle dont on me parle le plus souvent. L’idée c’est que ce sont des cartouches que je n’ai pas envie de griller tout de suite. Donc là, pour l’instant, on a signé pour quatre tomes et, si la série trouve son public et que ça dure un peu, la Bête du Gévaudan est une créature qu’il faut faire venir à un moment important du récit. Il ne faut pas la gâcher tout de suite.
Quitte à la faire durer plus longtemps, avec un arc un peu plus long peut-être ?
Voilà. Tout à fait. Du coup, j’essaye de choisir. Par exemple, dans le tome 1, il y a quatre monstres, il y en a deux à la fin que les gens connaissent, la petite souris et la souris verte, et les deux premiers, je pense, sont beaucoup moins connus. Donc j’essaye un peu d’alterner. Après, par exemple sur le tome 4, il y en a un peu moins parce que le récit ne permet pas de mettre des monstres tout le temps, il faut que l’histoire avance. Mais l’idée est d’avoir ça tout le long et d’essayer de varier entre des trucs que tout le monde connaît et des trucs complètement inconnus sur lesquels c’est intéressant.
Justement, comment cherches-tu tes monstres ? En faisant des recherches sur internet ?
Il y a plusieurs trucs, il y a la recherche sur internet, c’est quand même bien pratique. Il y a aussi des lectures, notamment un bouquin de Paul Sébillot qui a fait un travail de folkloriste assez impressionnant, pas que sur les monstres, sur plein de croyances, etc. Donc ça c’est chouette. Quand j’avais un peu de temps, j’aimais bien rouler. Des fois on tombe sur des endroits, dans des régions, dans des villes, où il y a des trucs intéressants. Donc voilà, ça dépend. Il faut être curieux de tout en fait. Le truc que je regrette dans la tournée de dédicaces que j’ai faite, c’est que je m’étais dit qu’en allant dans plein de villes, j’allais avoir plein de folklore à disposition. Et en fait on n’a pas le temps. Quand on dédicace, on arrive, on dédicace, on va se coucher et puis on repart le lendemain. Donc c’est dommage, je n’imaginais pas ça comme ça. Mais oui, il y a plein de manière de trouver un peu tout ça.
Tu disais tout à l’heure qu’il est prévu quatre tomes. Dès le départ, tu avais prévu ton histoire en quatre tomes ? C’est comme ça que tu l’as proposée à Kana ?
Moi-même, je leur avais proposé trois tomes et ils m’avaient dit qu’il y avait moyen d’en faire un quatrième. Bah oui ! Parce que si l’histoire se fait telle que je l’ai en tête, c’est une grande aventure qui va durer beaucoup plus longtemps. Donc le format quatre tomes, c’est le premier arc qui se conclura. Mais, à la base, je leur ai proposé trois tomes, parce que c’est un peu ce qu’on fait en général quand on propose du manga français. Là c’est Kana qui m’a dit quatre tomes, moi j’étais content qu’ils proposent un tome de plus
Si jamais ça fonctionne, tu repartiras sur des arcs de quatre tomes où tu n’as pas forcément pensé à l’après ?
Je pense que si on me dit que c’est bon, que le public suit, je ne me contraindrais plus à faire des arcs courts. Je les raconterai tel que je le sens sur le moment.
C’est peut-être plus dur si ils te disent maintenant on arrête, ce sera peut-être plus dur si tu pars sur un arc plus long…
C’est le risque mais, pour entraîner le lecteur, c’est bien de le dire en fait. Je vois Radiant, Dreamland, ce sont des mangas qui ont plus de dix tomes, ils ont réussi à avoir leur public et maintenant ces questions ne se posent plus. Déjà à la base, ces questions n’étaient pas dans leur façon d’écrire mais après ça l’était encore moins.
Si je me trompe pas, c’est la première fois que tu fais vraiment un manga qui est édité, c’est ça ?
C’est ça.
Avant tu as fait de la BD avec Jim Bishop. Mais un manga, c’est quelque chose que tu as toujours voulu faire ?
En fait, j’aime tout faire. Si Silence doit s’arrêter un jour – espérons qu’il dure le plus longtemps possible – je ne m’interdis pas de revenir à la BD. En fait, j’aime le média bande dessinée au sens large. Du coup, là, pour Silence, le format manga se prêtait plus à ça. En plus c’est un format que j’aime beaucoup, je lis en ce moment beaucoup plus de manga, donc ça dépendra des projets. Il y a eu, avant Silence, un projet qui s’est fait en manga aussi, mais qui n’est jamais sorti. C’était avec un éditeur mais il y a eu un souci à la fin. Les trois tomes sont faits, mais ce n’est jamais sorti.
Ca doit être un peu frustrant, non ?
C’était frustrant. En plus, c’était un projet plus intimiste, plus sombre et tout, donc c’était assez difficile à écrire. Quand c’est sorti, on a envie que le public le lise. Du coup, Silence s’est fait un peu en contrepied, j’avais besoin d’un truc un peu plus positif, avec un héros plus énergique, avec un peu plus de joie. Donc ça s’est fait un peu comme ça.
Même si tu aimes le manga, contrairement à d’autres auteurs, tu ne veux pas faire que du manga…
Non, en fait j’aime bien aller un peu partout donc si les prochains projets sont du manga, je serai content. Même si c’est de la BD, je serai content.
Pour toi, quelle différence ça fait de travailler avec quelqu’un comme Jim Bishop par exemple ou de travailler tout seul ? Est-ce que tu préfères travailler tout seul, faire de tout de A à Z ? Ou est-ce que ça t’apporte une sécurité peut-être par moment d’avoir quelqu’un avec qui échanger ?
Ouais, ça c’était super chouette. Bosser avec Jim Bishop, c’est quand même particulier parce qu’il est très bon et en plus on s’entend très bien. Même si, sur Jill et Sherlock, on a eu des petits moments de désaccord, ce qui est normal quand on bosse avec quelqu’un de qui on est proche, c’est chouette quand on bosse à plusieurs, il y a un échange, la routine n’est pas pesante. Quand on fait du manga tout seul dans son salon, il y a un moment où il faut voir des gens, c’est très fatigant. Moi je sais que maintenant, dès que je vois beaucoup de monde, ça me fatigue énormément parce qu’au quotidien je suis seul. Donc il y a un truc très chouette à faire de la BD à plusieurs. Parce qu’on fait aussi des BD qu’on n’aurait pas fait seul, tout simplement. Il y a des idées, des ping-pong d’idées où on se dit “ah mais c’est génial”. Et ça, c’est assez grisant.
Travailles-tu en numérique ou traditionnel ?
Je bosse en numérique sur iPad.
Tu n’as toujours fait que du numérique même quand tu faisais de la BD ?
Sur Jill et Sherlock, c’était du numérique aussi. Et après il y a eu cette fameuse série qui n’est jamais sortie, qui était complètement en tradi, donc il y a 600 pages qui ont été faites en tradi. Pour Silence, je suis revenu au numérique. En fait, ça dépend des projets, et puis des envies aussi sur le moment.
Combien de temps tu as mis pour faire un tome ?
Le premier tome a pris neuf mois, le deuxième en a pris six et le troisième en a pris quatorze, sachant que j’ai quand même pris des vacances pendant le troisième, donc on va dire douze mois effectifs. Voilà, ça varie vraiment. Le tome 3 m’a pris beaucoup de temps, notamment parce que le tome 1 est sorti et donc il y a eu promo, dédicaces et tout. Il y avait aussi beaucoup de fatigue accumulée des deux premiers tomes. Faire un tome en six mois, ça m’a crevé. Du coup, ça varie un peu en fonction des tomes, en fonction de ce qu’il y a à raconter aussi. Dans le tome 1, par exemple, au début il y a un peu de décors avec l’église, mais après ça reste de la forêt, des montagnes, donc ça tombe assez vite. Les 3 et 4 vont se passer un petit peu dans la ville, c’est plus long à faire, c’est sûr que ça prend plus de temps.
C’était une volonté de Kana de sortir une fois que tu avais fait plusieurs tomes pour avoir des sorties plus rapprochées ?
Oui, pour éviter que les lecteurs attendent trop. Ça permet aussi de faire la promo continue. Je sors de la promo du tome 1, je suis déjà sur la promotion du 2. Donc il y a un truc un peu tout le temps.
Pour se rapprocher un petit peu plus de ce qui peut se faire au Japon où les sorties sont très rapprochées ?
Sachant qu’une fois qu’on aura rattrapés le frigo, si la série continue, il faudra que les lecteurs attendent. Mais ça aide vachement. Moi je voulais que ça sorte dès que le tome était fini, j’avais envie que ça sorte tout de suite. Mais j’ai vu a posteriori que ça permet de démarcher les libraires, les journalistes, et de dire “ça c’est cool, prenez le temps de le lire, ça sort dans plusieurs mois”, c’est la bonne idée.
On va revenir un peu sur l’histoire de Silence. Avec la fin du tome 1, on s’attend à être très rapidement à Haut-Fort, mais ce n’est pas le cas dans le tome 2, ce qui est plutôt surprenant. C’était voulu pour le garder pour le tome 3 ?
En fait, ça a pris plus de place que prévu quand j’ai proposé le premier arc à Kana en trois tomes. Dans mon idée, à la fin du tome 1, ils étaient à Haut-Fort. Sauf que, quand j’écris, je suis un peu bavard, donc j’ai envie de raconter des péripéties, des trucs et tout. Même s’il y a plein de trucs que j’ai enlevés, il en reste quand même plein à raconter et ça prend du temps, ça prend de la place. Donc ça a pris deux fois plus de tomes que prévu, c’est pour ça que j’espère que la série ne s’arrêtera pas en quatre tomes, parce qu’il y a déjà plein d’idées pour la suite.
Les tomes 1 et 2 sont assez différents dans leur structure…
J’ai essayé de faire deux tomes un peu différents. C’est important de varier, que ce ne soit pas 100% action et d’essayer d’avoir des trucs un peu différents, pas toujours la même chose. Dans mon tome 3 en tout cas, il va y avoir un peu des deux, de l’action et des temps morts. Et puis surtout – bon là on spoile carrément – à la fin du tome 2, on comprend qu’il y a deux groupes, qui sont séparés, donc le fait de suivre deux groupes va donner deux ambiances.
On n’en dira pas plus pour ne pas spoiler encore plus l’histoire ! Merci beaucoup Yoann d’avoir accepter de répondre à nos questions !
Propos recueillis par Laëtitia Lassalle
Interview réalisée le 25 janvier 2024
Réagissez !
Pas de réponses à “Dans la bulle de… Yoann Vornière”