Pour ses premiers titres, Drakoo a sorti du lourd avec des auteurs aussi expérimentés au dessin qu’inattendus au scénario. Résultat : des histoires aux univers bien construits et des thématiques différentes d’un titre à l’autre. C’est le cas du sombre La Pierre du Chaos dont le dessinateur Stéphane Créty a accepté de répondre à nos questions à l’occasion du Festival Quai des bulles à Saint-Malo. Rencontre avec un auteur passionné, intéressé par les nouvelles expériences et les rencontres.
Qu’est-ce que ça fait d’être parmi les premiers auteurs d’une nouvelle maison d’édition ?
C’est intéressant parce que ça fait maintenant 20-25 ans que je travaille chez Delcourt, Soleil, etc., grosso modo dans une boîte à laquelle je n’ai pas participé à la naissance. Arriver dans une nouvelle maison d’édition donne l’impression de participer plus ou moins à quelque chose qui pourrait devenir assez grand et c’est toujours bon de voir le début. C’est une nouvelle expérience aussi. C’est un nouveau contexte éditorial et c’est intéressant.
Est-ce une sorte de challenge que Christophe Arleston partage avec vous et les premiers auteurs ?
« Challenge » ne fait pas partie de mon vocabulaire. Ce n’est pas un défi. C’est surtout la rencontre avec des gens. C’est un nouveau contexte éditorial. Je trouve que les habitudes sont un peu contradictoires avec notre métier. Dès qu’on commence à avoir trop d’habitudes, il est important de se remettre un petit peu en question ou de renouveler le contexte.
De se mettre en danger ?
Non. On ne se met pas tellement en danger. On n’est pas dans la fission nucléaire. Non, c’est juste de changer de contexte éditorial. Sur La Pierre du Chaos, c’était la volonté de créer un univers à moi. Je travaille beaucoup avec Soleil sur des séries concept. On est plusieurs auteurs. C’est ce qu’on appelle un univers partagé. J’adore ça. On est plusieurs à participer à la définition graphique du l’univers. Et là j’avais envie d’être à l’ancienne, c’est-à-dire que je gère entièrement l’univers et je le définis à ma façon. Et ça aussi c’était très intéressant. Et accessoirement c’était de travailler avec Christophe Arleston. Ce n’est quand même pas le perdreau de l’année. Et puis avec Gabriel Katz. J’ai tendance à aimer travailler avec des romanciers. J’ai déjà travaillé avec Serge Lehman du temps de Masqué. J’aime bien car ils apportent leur univers. Un univers très très défini parce que souvent les romanciers ont un univers très très défini dans leur tête.
D’autant plus que La Pierre du Chaos est le premier scénario BD de Gabriel Katz.
C’est son premier scénario BD et je trouve qu’il s’est très vite adapté à la rythmique de la bande dessinée qui n’a pas grand chose à voir avec le roman. Ça a été très confortable de travailler avec lui. Et puis c’est quelqu’un de très agréable sauf quand il a des problèmes de dos (NDR : Gabriel Katz n’a pas pu se déplacer à Quai des bulles à cause de soucis de santé). C’est quelqu’un de très agréable au niveau de la collaboration, quelqu’un de très ouvert. Et puis il a un regard acéré aussi. Ça participe à l’intérêt de travailler en collaboration.
Il apporte quelque chose d’assez différent ?
Oui et puis surtout il a une belle écriture. Je suis assez sensible à l’écriture des personnes. Christophe a recruté des personnes qui ont une très belle écriture. Je suis aussi assez fan de l’écriture d’Isabelle Bauthian qui travaille sur Dragon & Poisons. Surtout je pense un jour travailler avec elle parce que je me suis aperçu que je n’ai travaillé exclusivement qu’avec des hommes. J’aime beaucoup ce que fait Isabelle donc ça me tenterait un jour quand j’aurais un planning moins chargé de lui proposer une collaboration.
En revenant sur Gabriel Katz, on peut remarquer que certaines transitions d’une scène à l’autre passe du coq à l’âne. Mais à y regarder de plus près les dialogues, on peut s’imaginer des liens subtiles.
Oui, il y a une redondance. C’est ce qu’il y a d’intéressant de bosser avec des gens avec autant d’expérience comme Gabriel. Ce sont des gens qui arrivent à rendre les choses simples et coulantes. Derrière la simplicité, il y a énormément de travail. C’est plus facile de faire du complexe que de la simplicité parce que la simplicité ça demande à peaufiner les choses. On sait qu’il arrive à faire des liaisons qui sont intéressantes sans tomber dans une complexité qui serait plus une complexité formelle où le scénariste se fait plaisir et montre les muscles. Gabriel arrive à être dans l’exhaustivité tout en étant dans la simplicité. Je trouve ça extrêmement intéressant et je sais que ça demande un travail colossale derrière. De toute manière, je crois que Christophe a un regard aquilin sur les scénarios. Il les regarde systématiquement, les valide. Il apporte son expérience.
Et puis Christophe Arleston a vraiment eu un point d’honneur à ne choisir que des écrivains venant d’ailleurs, de différents horizons pour obtenir un résultat différent.
Je crois que c’était son protocole d’entame de la maison d’édition. C’était justement peut-être d’avoir des dessinateurs plus ou moins expérimentés mais aussi d’avoir des scénaristes qui viennent d’autres univers. Ça c’est ce qu’il y a d’intéressant, c’est ce qui fait que les dessinateurs peuvent apporter un recadrage au niveau de la rythmique qui n’a pas grand chose à voir avec le roman. Et puis c’est important que la bande dessinée se renouvelle aussi. On travaille sur des bandes dessinées de genre et le genre ça peut être vite cloisonnant. C’est bien de s’ouvrir à d’autres perspectives et d’autres approches.
Beaucoup de personnages font partie de cet album. Comment arriver à les faire vivre ensemble ou séparément ? Comment arriver à garder une certaine cohérence ?
Alors il faudra demander aux lecteurs s’ils ont été perdus, si on a réussi à passer cet écueil. L’approche est que chacun ait son identité, ne serait-ce déjà que visuelle, parce que ça reste un art visuel et il faut qu’on identifie chaque personnage. Et puis il faut que la caractérisation soit suffisamment poussée, même pour les personnages secondaires. Comme dans la bande dessinée on n’a pas 400 pages, il faut être extrêmement précis. En trois ou quatre dialogues, deux ou trois pages, on caractérise un personnage. C’est le cadre de la bande dessinée, c’est l’esprit du résumé de texte. Il faut garder, conserver les trois ou quatre adjectifs qui donne le personnage. Ça ne veut pas dire qu’il soit complexe mais au moins qu’on puisse le définir par trois ou quatre adjectifs autant graphiquement que spirituellement. Il faut que chaque personnage ait un contraste par rapport à l’autre et pas de confusion visuelle et auditive au niveau des dialogues, que chacun ait sa typologie, son langage et ses pratiques.
Cette « Pierre du Chaos », on peut dire que c’est une sorte de personnage principal ?
Pour l’instant, on ne sait pas trop. Est-ce que c’est un MacGuffin, un biais qui permet de développer l’histoire… Je suis aussi curieux que le lecteur. Je ne sais pas du tout ce que ça va donner sur le tome 2 parce que Gabriel est en train de le rédiger. Moi je suis le premier lecteur de mes bandes dessinées donc je suis assez curieux de voir comment la « Pierre du Chaos », qui n’apparaît que sur deux pages, va devenir l’origine du titre éponyme. Je ne sais pas. Il y a beaucoup de pistes qui sont ouvertes, je serais le premier à lire le scénario parce que moi aussi je veux savoir !
C’est une série assez violente.
C’est de la dark fantasy.
Au vu du développement du scénario dans le tome 1, pensez-vous que ça ira plus loin dans le tome 2 ?
Je ne sais pas. Mais il se trouve que parmi les trois sorties, on est le projet le plus sombre et le plus sérieux. J’aime bien la dark fantasy. Je n’ai jamais pratiqué l’humour en bande dessinée.
Ça ne vous a jamais donné envie ?
Je n’ai pas les moyens ou je n’ai pas le niveau. C’est une vraie pratique, la BD d’humour, c’est une fiction de rythmique. Et moi je n’ai pas ça. J’ai fait une trentaine d’albums et c’est vrai que c’est souvent des albums très sérieux, très sombres, très violents où je me sens plus à l’aise. Je ne me l’interdis pas mais pour l’instant je n’ai pas la technique, je me sens plus à l’aise avec la dark fantasy. Ça fait partie de mes lectures, j’ai moins lu Terry Pratchett que je n’ai lu Conan ou d’autres auteurs de fantasy. Ce sont des rapports humains et dans la fantasy, ils sont toujours assez violents.
Et puis ça tombe bien, ça fait appel à l’imaginaire qui est justement le thème principal de Drakoo. Du coup, est-ce que ce n’est pas difficile de vous renouveler à chaque nouveau projet ?
C’est très difficile parce que la fantasy j’en fais beaucoup. Et donc la logique était justement de ne pas faire de la redite, de ne pas bégayer graphiquement. Il se trouve que je me suis appuyé sur un des aspects de mon parcours, une formation d’historien, j’ai fait une maîtrise d’Histoire, et quand j’ai lu le scénario de Gabriel, j’ai tout de suite eu les références historiques. Je voulais vraiment apporter quelque chose via ce biais. Alors après ça m’a donné un vocabulaire graphique que j’ai réadapté mais je suis rentré dans cette logique-là. Gabriel avait plus défini les barbares avec des physiques de vikings. Moi je suis parti par exemple pour la définition des barbares sur l’image qu’avaient les Romains des barbares, c’est-à-dire des gens hyper sauvages. Pour les Romains, les non-civilisés, particulièrement les Germains, avaient une image de monstres. Voilà, je suis parti de ce genre de choses et de l’image que se projette le civilisé sur ce qui est né au-delà de Nemès. Et puis la référence à l’Empire, etc. Il y avait quelque chose qui me permettait d’accéder à une culture de charte graphique qui m’intéressait.
Les barbares n’ont rien d’humain ?
Non. Ils sont l’hyperbole de ce qui est étranger et inconnu. C’est le côté un peu effrayant de l’inconnu. Après on s’aperçoit dans le tome 1 qu’ils ne se réduisent pas à des bêtes à cornes, il y a aussi une culture derrière, il y a une demoiselle qui va prendre une importance, si j’ai bien compris ce que m’a dit Gabriel. Derrière l’aspect monstrueux, il y a aussi une culture. C’est intéressant justement de partir sur des caricatures et après on affine la caricature.
On voit bien que tout le peuple n’est pas barbare mais que le danger vient d’un seul personnage qui a soif de pouvoir ?
J’ai l’impression qu’il n’y a pas de personnage ultra positif. À la limite, le plus positif, c’est un personnage naïf. C’est en cela que c’est de la dark fantasy aussi, c’est que tout est dans le grisé et chacun a ses petites erreurs, ses petites failles. Ça c’est intéressant aussi. Ou alors jouer sur le manichéisme justement, tromper le lecteur avec le bien et le mal et puis après on commence à troubler les choses.
Et nous faire aller dans une autre direction dans le tome 2 ?
Alors là j’en reviens sur le fait que Gabriel va peut-être nous surprendre. Il va totalement nous contredire.
Après ce projet, en avez-vous d’autres de prévu ou d’autres envies ?
J’ai déjà beaucoup de projets sur le feu. Il y a encore deux tomes à sortir pour La Pierre du Chaos. Chez Soleil, j’ai beaucoup de projets en cours. On m’a contacté ce matin pour des choses bizarres au-delà de l’Atlantique. Donc oui, des projets j’en ai beaucoup. J’ai encore toute la gamme de ce qu’on appelle Les Terres d’Aran à développer. J’ai un projet avec Fred Duval… À un moment dans la vie, on commence à apprendre à dire non parce qu’après on se retrouve vite débordé avec des plannings de dingue et une conjointe qui me demande des vacances. Mais j’ai de la chance d’avoir beaucoup de sollicitations.
Ça fait longtemps que vous n’êtes pas parti en vacances ?
Oui, ça fait longtemps maintenant (rires). Ça fait un an et demi que je n’arrive pas parce que je ne veux pas planter les gens avec qui je m’engage. Ça fait parti du respect que je dois avoir avec les collaborateurs, avec les gens qui me font l’honneur de vouloir travailler avec moi. Donc je tiens à tenir mes engagements.
Je vous remercie, Stéphane.
De rien. Ce fut un plaisir.
Propos recueillis par Geoffray Girard
Interview réalisée le 25 octobre 2019.
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