Auteur extrêmement prolifique, Serge Carrère est connu pour de nombreuses excellentes séries mais aussi pour son héros principal, le détective Léo Loden, de retour cet automne pour une enquête surprenante. Non content d’animer ses aventures depuis 25 ans maintenant, le dessinateur est également présent à la reprise d’un monument de la bande dessinée franco-belge, Achille Talon. Bien occupé par cette double actualité et d’autres projets, Serge Carrère était tout de même présent au festival Quai des Bulles, où nous avons pu le rencontrer.
Bonjour Serge ! L’actualité du moment, ce sont les 25 ans de Léo Loden. Déjà !
Oui, 25 ans, 25 albums… c’est un bon rythme mais j’ai débuté dans la presse, j’ai travaillé beaucoup pour des hebdomadaires et ensuite des mensuels. Et on y apprend la rigueur. Le journal doit paraître, on est obligé de fournir la planche… après, le rythme on le garde.
Pour fêter l’événement, vous avez sorti un Léo Loden complètement inattendu.
C’était vraiment une idée de Christophe Arleston. Il m’a dit : « je vais te faire une surprise, tu vas voir ». Pour les 25 ans, on peut s’amuser à faire bouger tout ça. Les codes sont là, les personnages sont là, il fallait simplement trouver une idée qui soit transportable dans le temps. Et puis voilà. Moi ça m’a fait vraiment rigoler, franchement ça m’a changé de dessiner des 4cv. (rires) Par contre, pour éviter l’écueil d’Astérix, j’ai cherché beaucoup de doc sur le net. J’avais aussi les épisodes de la série Rome qui me permettait de voir déjà les habits qui existaient, les décors, les rues. Ensuite sur le net j’ai trouvé des maquettes dont j’ai pu me servir, même si j’ai un peu extrapolé sur certains quartiers. La conception de la tenue, ça m’a demandé une semaine de recherches, pour voir vraiment comment ça se « construisait ». C’est rigolo, ça permet d’apprendre des choses.
C’était une surprise mais ce n’était peut être pas un cadeau !
Oh mais si, parce que ce travail, on ne le sent pas, ça fait partie du boulot. Après, il y a des questions que je me suis posées sur l’anachronisme de certaines situations, même si il y en a qui sont volontaires comme le garagiste, avec le systèmes de pompes sur lequel je me suis amusé. Mais je me suis vraiment posé la question des chats. J’aime bien mettre des animaux mais je me demande s’il y en avait, je ne pense pas.
Était-ce la bonne manière de changer un petit peu au bout de 25 albums ?
Chaque album est un challenge et celui-là est quand même particulier. Je pense que Christophe et Loïc Nicoloff se sont vraiment amusés, il y a plus d’humour. C’est ce qui ressort des premières personnes qui ont lu l’album, ils passent un bon moment.
C’est une série qui n’a pas vraiment baissé en qualité en 25 ans…
Pour moi, il y a deux-trois albums… (dubitatif) parce que j’avais trop de choses à faire en même temps, ils ont été faits plus rapidement… Mais c’est tout. C’était aussi un moment où il y a eu un changement de matériel, le papier que j’utilisais n’existait plus et il m’a fallu en trouver un autre. Quand j’avais rencontré André Franquin, il m’avait dit d’utiliser telle plume, tel papier… Jusqu’à ce que je décide de revenir à mon outil premier qui est le pinceau. Je l’ai retrouvé avec un grand plaisir, ça a redonné du peps. C’est un outil tellement fabuleux quand on le tient en main. Et puis j’ai changé pour un format plus grand aussi qui me permet d’avoir un lettrage plus grand.
Quel a été l’apport de Loïc Nicoloff à la série ?
Il est justement arrivé à la période où j’avais ces problèmes de matériel. Christophe trouvait aussi qu’il y avait moins d’application de sa part, il avait beaucoup de projets en parallèle et moi je trouvais que ses scénarios étaient plus légers, on était tous les deux dans une période un peu bizarre. Loïc a ramené la trame du polar. A partir de là, on peut s’amuser. Pendant quelque temps, c’était surtout des course-poursuites, sans vraiment cette trame-là. Et ils s’entendent bien tous les deux, ils se complètent. Là on a des histoires qui tiennent davantage la route. Pour celui qui se passe par exemple pendant le festival d’Angoulême et ensuite à Bruxelles (NDR : le tome 19, Spéculoos à la plancha), je me suis vraiment régalé. Bruxelles est une ville que j’avais envie de dessiner, elle est vraiment intéressante. On s’amuse bien et, tant que le plaisir est là, le lecteur doit le voir.
En parallèle de Léo Loden, vous avez aussi une reprise sacrément impressionnante, puisque vous êtes le nouveau dessinateur du légendaire Achille Talon.
Oui, et c’est un plaisir de bosser avec Fabcaro. Vraiment. On s’était déjà croisé, on avait failli travailler ensemble sur un truc pour Jungle, qui ne s’est pas fait. Et quand j’ai reçu les scénarios, quand Dargaud m’a proposé d’essayer, mouais… puis l’éditeur m’a dit que c’était Fabcaro, alors là oui. Quand je vois le travail de Fabrice, ça ne me donne qu’une envie, c’est de l’illustrer. Je voyais les expressions, je voyais comment les personnages allaient bouger…
Dans votre reprise, votre trait colle à l’univers de Greg mais ça reste votre style. Était-ce votre volonté ?
C’était mon parti-pris. A quasi 60 ans, je ne vais plus changer mon dessin, ce n’est pas la peine. J’essaye de phagocyter un peu justement l’univers, les personnages pour qu’on les reconnaissent. Je l’ai dessiné à ma manière, mais il a fallu un album et demi pour que l’alchimie se fasse, on va dire. Parce que des fois, avec ces personnages tout en rondeurs, avec un visage comme une poire et une grosse excroissance, il suffit de décaler le nez un peu en haut et ça change tout, l’équilibre du visage est complètement changé. Maintenant j’ai trouvé un système qui me convient bien. Après c’est vrai que le dessin de Greg ne me parle pas tant que ça, même si je suis de la même école, mais moi les mains sont plus travaillées, les doigts ont des phalanges alors que chez lui non. Ce que j’aimais bien dans le travail de Greg, c’était cet humour absurde et aussi une certaine méchanceté. C’est vraiment du Laurel et Hardy avec Lefuneste. Ils peuvent tout démonter, s’étriper, s’écharper, faire des scènes de bagarre où les mecs ont des couteaux plantés, des haches… ce genre de violence passe quand même, il n’y a pas de censure. C’est assez rigolo. Dans les pages que dessinait Greg, il y avait déjà beaucoup de codes qu’on retrouve dans le manga.
Vous avez donc relevé le défi très vite ?
Oui, c’est donc mon projet qui a été accepté. Et il a fallu se lancer ! Car, en tant que dessinateur, je peux faire deux albums par an. Et à côté je fais du scénario, mais ça va plus vite. Ça fait quand même des années bien remplies, mais je travaille en atelier. Le fait d’être avec des copains, d’arriver à quitter le lieu de vie pour le lieu de travail comme n’importe quelle personne qui travaille dans un bureau, ça permet de se mettre en condition et d’être efficace quand on arrive. Et donc j’ai moins de perte de temps. Le gaspillage de temps, je l’avais chez moi, que j’aille me balader ou que je prenne une guitare. Mes enfants étaient petits aussi, maintenant ils sont autonomes.
Est-ce que le prochain Léo Loden reviendra à notre époque ?
La seule chose que je sais, c’est que ça se passera pendant la campagne municipale. Et à Marseille c’est assez chaud ! L’idée de l’ère romaine n’était pas spécialement ponctuelle pour fêter un anniversaire, Christophe a eu cette envie, ça aurait pu être le vingt-sixième album. Au bout de tant d’albums, on peut se le permettre. Et si ça fonctionne, si le public n’est pas trop décontenancé, pourquoi ne pas recommencer dans quelques tomes si l’idée s’y prête, faire un récit de cape et d’épée, ou au Moyen-Âge… Le tout est d’avoir toujours cette trame polar, c’est l’essence de la série. Quant à Achille Talon, le troisième tome vient de sortir et c’est toujours un plaisir. On va faire une petite pause car Fabcaro a pas mal de choses en cours, moi de mon côté j’ai d’autres projets également.
Alors bonne continuation et merci beaucoup !
Propos recueillis par Arnaud Gueury.
Interview réalisée le 28 octobre 2017.
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