A quelques jours de la sortie de Sa majesté des chats, le deuxième tome de la trilogie des chats adaptée des livres de Bernard Werber, nous avons profité de la venue de Pog et Naïs Quin à Quai des Bulles pour leur poser quelques questions sur leur façon de travailler et le métier d’auteur de bande dessinée en général.
Bonjour à tous les deux. Pourriez-vous vous présenter pour savoir ce que vous avez fait avant cette série ?
Pog : Allez, du coup je commence. Donc moi je suis à la base auteur jeunesse. Beaucoup d’albums illustrés. Ma première BD c’était Mulo en adulte et Trappeurs de rien en jeunesse. Depuis, il y a plusieurs productions, dont l’adaptation de la trilogie de Bernard Werber avec Naïs.
Naïs Quin : Moi j’ai commencé en sortant de l’école avec Ramona que j’avais publié chez Vraoum. Une BD complètement perso et puis j’étais dans le collectif Bande de déchets, j’ai fait quelques trucs. Et ensuite Pog m’a contactée, pour Demain les chats, parce qu’on avait un embryon de projet ensemble si ce n’était pas fait.
Il s’agissait d’une idée de l’éditeur d’adapter cette trilogie ?
P : Ca vient de Bernard Werber, finalement. On lui a demandé ce qu’il voulait adapter. Et comme il savait que ça serait difficilement adaptable au cinéma, il s’est dit que celui-là on pouvait le tenter en BD. Ensuite, lorsque j’ai parlé avec Martin, je lui ai dit que j’étais intéressé pour faire une adaptation et il m’a dit “tiens, il y a ce truc là”. J’ai proposé plusieurs noms et il y avait celui de Naïs. Il m’a répondu “ah oui c’est étonnant, ça serait très surprenant !”. Et comme Martin est joueur, il a dit ok.
Effectivement, on n’aurait pas tout de suite pensé à Naïs pour cette adaptation.
P : C’est vrai, je ne sais pas si c’est le graphisme qu’on aurait attendu au départ sur du Bernard Werber.
Mais ça fonctionne très bien !
P : Oui, c’est ce qu’il dit, c’est un mélange entre Les Aristochats et Walking Dead. Et voilà.
Donc Bernard Werber a été très impliqué ?
P : Non, il nous a laissé jouer. Il regardait plus au départ, on a eu plus d’aller-retours. Puis après, je pense que la confiance s’est installée.
NQ : Oui, et puis toi tu as créé des personnages de ton côté aussi.
P : Oui, le tome 2 commence avec une introduction où il y a des nouveaux personnages. Puis a priori, on va pouvoir les garder jusqu’au bout. Bon, ce ne sont que des figurants, ils n’ont pas une importance capitale, mais voilà, ça avait été sympa.
C’est le jeu d’une adaptation.
P : Ça permet de surprendre le spectateur lecteur.
C’est votre première collaboration à tous les deux. Est-ce que la façon de travailler change en fonction du dessinateur ?
P : Oui, ça change. Mais je pense que c’est à moi de m’adapter. Il y a des dessinateurs qui font en exagérant un trait, puis ils me montrent, c’est bien mais c’est un peu scolaire, on va dire. Et d’autres qui sont très bavards. Et Naïs, toi…
NQ : Moi je fais mes trucs dans mon coin.
P : Oui, tu fais plutôt des fournées.
NQ : C’est ça. Je fais des grosses fournées de 30 pages.
P : Tu aimes bien ton indépendance. Et on te la laisse aussi.
NQ : Je préférais avoir des moments où je suis en mode “retours”, et à des moments je suis en mode “dans ma grotte à faire mes trucs”, je suis plus efficace comme ça.
Donc en fait, tu avances sur une grosse partie avant d’envoyer ?
NQ : Oui, sinon ça me parasite d’avoir tout le temps à gérer des retours alors que je suis encore en train d’avancer sur des trucs.
P : Tu préfères faire des sessions de retours alors qu’il y a des dessinateurs qui vont finir les crayonnés, puis vont les envoyer, puis ils colorisent, et envoient, on valide tout et là ils ne veulent plus y revenir.
NQ : Moi j’envoie juste les boards et après j’envoie fini et c’est tout. Je préfère faire deux jours de session de retouche, d’aller-retours et être tranquille après.
Tu travailles en numérique ?
NQ : Je fais le dessin en traditionnel à la plume et les couleurs en numérique.
Ah oui, donc une grosse partie en traditionnel quand même, ça doit représenter un sacré boulot !
NQ : Je suis déjà assez myope comme ça , j’essaie de pas passer trop de temps sur l’écran (rires).
On a l’impression que de plus en plus d’auteurs travaillent en numérique ou alors seulement l’encrage en traditionnel, puis toute la couleur en numérique.
NQ: Oui, je trouve ça plus agréable, parce que tu n’as pas la tentation, en traditionnel, de faire des control-Z toutes les deux secondes et de pinailler un trait.
Finalement c’est le bon mix de faire en une partie en traditionnel. Ca doit aller beaucoup plus vite par contre de faire la couleur en numérique?
NQ : La couleur? Oui, ça va plus vite parce que je suis plus à l’aise comme ça aussi. Et puis même les aquarelles, il faut attendre que ça sèche. J’ai deux, trois pages à l’aquarelle dans la BD. Je pétais les plombs parce que j’attendais que la première couche sèche, et puis il fallait faire la deuxième, et attendre qu’elle sèche…
Ça fait perdre un peu de temps…
NQ : Pour des illustrations de temps en temps, j’aime bien, mais pour une BD entière, je ne peux pas, je n’ai pas le temps.
Question peut-être un peu difficile, mais vous arrivez à vivre de la bande dessinée ou vous êtes obligés de faire de l’illustration à côté ?
NQ : Moi oui.
P : J’arrive à en vivre aussi mais je pense qu’on est chanceux. Ce n’est pas vraiment une question de talent mais c’est le bon timing. Par exemple Naïs, sans Albin Michel, tu n’en vivrais pas ?
NQ : Non, pas sans Albin Michel. Mais là je suis payée correctement.
P : En fait, ça se joue à un contrat. Un contrat qui est annulé, qui est reporté de deux mois, peut nous enlever ce qu’il nous faut pour terminer l’année. Donc en fait on en vit mais à tout moment ça peut basculer.
Ça reste donc quand même très précaire.
NQ : Oui. Il ne faut pas hésiter à négocier ses contrats aussi. Je sais qu’il y a plein de gens qui ne le font pas, mais heureusement que j’ai pas mal négocié mon truc.
P : Je me souviens à Angoulême d’un album qui avait eu un Grand Prix, puis les auteurs ont dit combien ils avaient été payés par leurs éditeurs à la remise du prix. C’était un peu violent, mais c’était du minable. La valeur du prix, c’était largement plus que la paye qu’ils avaient eu pour l’album.
NQ : Je trouve qu’un bon livre, c’est quand on négocie les contrats, c’est de parler de smic horaire, de dire voilà, pour faire cette BD j’aurai besoin de temps, et du coup le smic est à tel niveau et tu fais tes calculs avec les charges et tout. Et tu montres : “voilà combien vous devez me payer pour ne pas me payer moins que le smic.”
Oui, le nécessaire pour être payé normalement en fait.
NQ : Généralement, les éditeurs ne savent pas trop quoi répondre à “Tu vas pas me payer moins que le smic quand même?”. Du coup, il ne faut pas hésiter à faire de petits calculs et un petit forcing.
P : Du coup, là par rapport à l’interview, on ne veut pas forcément positiver la situation parce que on sait qu’on est chanceux. Ce n’est pas forcément une parole représentative du milieu.
Beaucoup d’auteurs sont obligés d’avoir un boulot alimentaire à côté, de l’illustration par exemple…
P : Oui, on n’est pas représentatifs du tout. Avec le Covid, il y en a pour qui ça a été super dur. Moi j’ai eu une bourse annuelle juste une semaine après le covid.
Question plus pour Naïs : les animaux ne sont pas forcément le plus simple à dessiner, surtout pour leur donner des expressions. Ce n’est pas trop dur de trouver comment faire?
NQ : En fait, je n’avais jamais trop dessiné d’animaux avant. Ce que j’aime bien faire pour ne pas que le dessin devienne trop rigide, c’est que je dessine mes boards en mode patate, avec des expressions super exagérées et des chats qui sont en mode liquide. En fait, je fais mon crayonné directement sur le board que j’ai imprimé. Ce que j’essaye de faire, c’est de garder vraiment l’intention du board dans le crayonné, ne pas trop m’attacher à la justesse anatomique. Et oui, je trouve ça plus intéressant, même si l’anatomie part un peu en cacahuète, d’avoir un truc expressif.
Justement, sur une BD comme celle-là, ce n’est pas tant l’anatomie qui va être importante, mais plutôt les expressions.
NQ : Après, c’est vrai que les chats n’ont pas de sourcils, mais je trouve un peu des équivalents. Parfois, je fais un peu froncer les yeux comme ça et au final ça prend un peu le rôle des sourcils. Je les humanise un petit peu sans aller trop dans l’anthropomorphique non plus.
P : Je pense que ce qu’a aimé Martin dans son graphisme, c’est l’énergie du trait, un petit peu agressif. Et tout ça parce qu’il fallait tenir un nombre de pages, une trilogie potentiellement. Il y avait de la page, donc il fallait quand même qu’on garde le lecteur, et si c’était des jolies petites images ça n’aurait pas forcément marché.
En terme de temps de travail, pour faire un album, vous mettez combien de temps ?
NQ : Il y a eu des petites pauses dues à mille choses. Mais en cumulé, ça fait un an et demi à peu près. Et encore je bosse relativement vite globalement.
P : Maintenant tu as pris un rythme de croisière. Le premier était plus complexe. Avec le covid. Et en s’accordant les uns avec les autres, je trouve que le tome 2 a quand même filé.
NQ : Oui, il a filé plus vite.
Peut-être parce que tous les designs étaient déjà faits ?
NQ : Oui, et puis on a trouvé notre fonctionnement.
Et du coup vous n’habitez pas au même endroit. Vous échangez comment ?
P : Par mail principalement. Quand il y a un point qui pose problème, on se téléphone. Parce que bon, ce n’est pas arrivé sur ce projet, mais des fois, dans un mail, le ton n’est pas bon. Dès que je sens une tension avec l’illustrateur, je l’appelle. Mais sinon je n’appelle pas souvent parce que je préfère les mails. Mais si à un moment on sent que ça coince, il faut se parler, parce qu’à l’écrit on n’a pas la tonalité ou des fois on est pressé, alors on fait en mode télégraphique et ça peut être mal reçu. Maintenant on a l’habitude, je pense. Par mail, ça se passe bien. Et puis ça permet d’inclure l’éditeur aussi. Sur Demain les chats, Martin et Laurène ont été très accompagnants.
Parce que c’était un projet de Bernard Werber, vous pensez ?
P : Aussi oui, pour faire tampon entre les désidératas de l’auteur… Donc oui il arrondissait les angles ou il tranchait. Mais c’était agréable.
Et vous n’avez pas eu besoin de vous voir et de faire des points ?
P : Non, pas besoin, c’est des mails au quotidien et le téléphone sur des points précis.
NQ : Je ne me rappelle même plus la dernière fois qu’on s’est téléphonés.
P : Sur le tome 2, on ne s’est pas téléphoné !
C’est signe que ça fonctionne bien alors. Donc le 2 est fini et le 3 est en cours?
NQ : Le 3 va commencer. J’ai fait le design des nouveaux personnages du tome 3 et en revenant de Saint-Malo je prendrai un petit peu de repos. Et puis après je m’y mets.
Et pour après, vous avez déjà des projets?
NQ : Moi j’aimerais bien faire un peu de la BD perso parce que c’est ça que je veux faire surtout. Là c’était chouette, c’était un projet de commande. Mais j’aimerais bien faire un truc un peu perso, peut-être un peu d’illustration pour moi. J’ai une BD que j’ai dans les tuyaux que j’aimerais bien faire.
Là c’était un beau projet sur plusieurs années.
NQ : Oui, et c’est très bien. Parce que j’aurais eu un truc stable pendant plusieurs années. Et j’aurais pu mettre un peu de sous de côté, j’ai de la chance. Je pourrais me concentrer sur mon projet.
P : Et même tenter des choses plus risquées.
Il me semble que c’est une série qui marche bien. Ça peut ouvrir aussi des portes plus facilement.
NQ : Je pense que le prochain que je veux faire, ça va plus être dans la veine de Ramona, un truc un peu intimiste avec des adolescents mal à l’aise.
Et toi Pog, des projets ?
P : Pas mal de choses en même temps, assez loin pour certaines qui sont programmées, des séries chez Dargaud notamment. Mais la plus proche qui sort, ce sera Les Bras armés chez Dupuis, une nouvelle série jeunesse, sur la tranche d’âge 8/12 ans.
En tant que scénariste, tu fait vraiment de tout ? Ou il y a des choses qui ne t’attirent pas ?
P : Non, il y a tout qui me plaît honnêtement. C’est comme les films, je peux manger une comédie musicale ou un film de gladiateurs.
Et tu as autant de facilité à écrire un thème qu’un autre ?
P : Oui, justement parce que je pense que si je devais toujours faire de la jeunesse, j’aurais un blocage. Alors que justement, changer totalement d’univers, c’est ça qui m’aide. Donc en fait, c’est ça que j’aime, ne pas trop enchainer de projets dans la même veine. Une fois, on m’a posé la question “ça y est, maintenant vous faites de la BD pour adulte, c’est fini la BD pour les gamins ?“ Non, au contraire ! Et Trappeurs, on continue aussi. On relance un sixième tome avec Thomas Priou. Le but est de continuer sur tous les domaines. C »est ça qui me plait. Donc là, effectivement, si je peux faire un western prochainement, j’aimerais bien. J’aime bien varier les plaisirs.
Merci beaucoup à tous les deux pour ce super moment !
Propos recueillis par Laëtitia Lassalle
Interview réalisée le 9 octobre 2022
Réagissez !
Pas de réponses à “Dans la bulle de… Pog et Naïs Quin”