Nous avons profité du fait que le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême ait pu se tenir cette année après l’annulation de 2021, pour aller à la rencontre de Mini Ludvin, dessinatrice de la série Le Grimoire d’Elfie, scénarisée par Christophe Arleston et Audrey Alwett aux éditions Drakoo.
Bonjour Mini Ludvin ! Pour commencer, pourriez vous présenter pour nos lecteurs ? Quel a été votre parcours jusque-là ?
J’ai commencé par travailler dans l’animation, dans le dessin animé. Parcours qui est plutôt récurent actuellement sur les auteurs de BD. J’ai travaillé 10 ans dans l’animation principalement comme animatrice et aussi en character design et écriture un peu. Mon cœur de savoir-faire se situait vraiment sur la création de personnages et pour trouver des identités visuelles qui fonctionnent pour les personnages. Et, au bout de 10 ans à travailler en studio avec beaucoup de monde, c’était un peu fatigant. A la fois c’est super, c’est un travail d’équipe, c’est super stimulant mais c’est vrai que j’étais épuisée de gérer cette partie-là. Initialement je voulais faire de l’illustration et de la BD. Donc finalement je suis passée par l’animation, c’était un petit détour, mais qui m’a permis d’arriver à la BD avec 10 ans d’expérience, de métier sur un autre format, ça m’a permis d’arriver mieux armée que si j’avais commencé par la BD. C’est donc en 2015 que je suis passée à l’illustration et la BD. J’ai commencé par illustrer des romans jeunesse. Je pensais illustrer pour les petits, les 5-8 ans, et finalement tous les projets que l’on m’a proposés c’était plutôt pour les 8-12 ans. Donc je me suis dit « eh bien voilà, en fait c’est ça ma tranche d’âge »
Pourquoi vous pensiez plutôt aux 5-8 ans ?
Parce que j’ai un enfant, qu’il était sur cette tranche d’âge, et qu’à ce moment-là je lisais beaucoup de romans petite lecture, première lecture et j’aimais bien ce format. Mais en fait, mon dessin correspond plus à la tranche d’âge au dessus, donc fin de primaire. Il faut aussi accepter parfois que son dessin parle de lui-même. La BD étant quand même quelque chose d’exigeant, avec beaucoup d’investissement, je savais qu’à partir du moment où j’aurai des projets qui se signeraient, je ne pourrai rien faire à côté. Mais c’était vraiment ce que je voulais et ça s’est vérifié, et je suis super heureuse. Sur les premiers projets que j’ai signés, j’ai eu de la chance qu’on me propose des projets hyper surprenants ou qui correspondaient complètement à ce que je voulais faire. Par exemple, quand Christophe Arleston et Audrey Alwett m’ont proposé Elfie, ils sont tombés pile poil, avec la magical girl, les thèmes du merveilleux et de l’enfance, la bonne tranche d’âge…
Justement, comment s’est passé la collaboration ? Comment tout a débuté ?
En fait, Audrey Alwett connaissait mon travail depuis super longtemps. Quand j’étais encore dans l’animation, elle m’avait déjà contactée, alors qu’elle était éditrice, mais ce n’était pas encore dans mes projets de faire de la BD. Quand ils ont commencé à monter le projet Elfie, Christophe Arleston pensait à Alessandro Barbucci et Audrey Alwett a pensé à moi. Il se trouve qu’Alessandro n’était pas disponible et donc j’étais le second couteau. Mais ça me va très bien d’être ce second choix !
Second choix de l’un mais pas de l’autre quand même !
Oui, effectivement, Audrey avait vraiment mon univers en tête et, quand j’ai lu le synopsis, le résumé de l’univers, je leur ai dit tout de suite « c’est un peu flippant parce qu’on dirait vraiment que vous avez lu dans ma tête ! ». D’ailleurs j’ai régulièrement cette impression quand ils me proposent les scénarios. Je pense quand même que j’ai eu de la chance de venir à la BD tardivement parce que je mesure à quel point j’aurai été désarmée si j’avais commencé par ça il y a 10 ans !
Comment s’organise le travail ? Est-ce que vous intervenez un peu sur le scénario ou bien vous donnent-ils vraiment tout ? Bref comment est ce que vous travaillez à trois en fait ?
Christophe et Audrey travaillent vraiment en amont ensemble, ils ont une vision du projet très précise, ils l’ont vraiment construit tous les deux. Mais c’est vraiment très ouvert, si j’ai des suggestions je peux les faire à tout moment. Moi je reste vraiment la dessinatrice. Je leur fais confiance, mais on en discute très ouvertement. Et pareillement, quand je fais les planches, malgré tout je me considère vraiment comme une débutante, et donc j’ai vraiment appris sur le premier tome grâce à leurs retours. On échange sur les design des personnages, qui est quelque chose de très important pour moi, venant de l’animation et notamment des postes chargés du character design. Il était vraiment très important de trouver les personnages qui fonctionnent ensemble. La discussion est vraiment ouverte à tout moment, si jamais il y a une idée qui surgit, que ce soit de mon côté ou du leur, on échange.
Donc c’est un vraiment travail à trois, même si le matériau de départ est celui de Christophe et Audrey.
Oui, voilà. Je pense qu’une bonne collaboration doit admettre cela. C’est à dire que chacun doit savoir où est sa compétence principale et faire confiance à l’autre dans ses compétences mais en même temps l’échange doit rester vraiment possible sinon c’est compliqué. Et c’est vrai que venant de l’animation et avec l’habitude de travailler avec des grosses équipes, les échanges permanents sont vraiment naturels pour moi.
Même si vous êtes assez jeune en bande dessinée, vous n’avez pas l’envie de faire tout, c’est à dire scénario et dessin ?
Oui, bien sûr, le projet où l’on est auteur complet. Même si je trouve ce terme un peu discutable, il y a un cœur de savoir faire et c’est important d’être reconnu pour ça aussi, que ce soit scénariste ou dessinateur. Donc oui, bien sûr j’ai des envies, mais je n’ai pour le moment jamais pris le temps de développer cela réellement. Peut-être un jour mais pour l’instant ce n’est pas d’actualité, je me laisse porter par ce qui se présente à moi.
C’est bien d’avoir cette chance, surtout avec une série qui fonctionne bien et qui a reçu des prix.
Oui, on a eu le prix du Journal de Mickey et aussi le prix Nickelodeon pour le premier tome. C’est vraiment super, on a de super retours, que ce soit sur l’histoire, les thèmes, le graphisme. Donc je savoure vraiment cela. Mais oui, peut-être un jour un projet seule, j’ai des envies clairement.
Pour Le Grimoire d’Elfie, qu’est-ce qui a été prévu du départ ?
Clairement Audrey et Christophe ont pensé le projet pour être du semi-feuilletonnant comme on appelle cela en animation. C’est à dire qu’il y a un fil rouge tout au long de la série, mais chaque épisode est auto-conclusif. On peut en lire un indépendamment des autres, mais c’est quand même mieux de suivre la série, notamment pour connaître les personnages. On a toujours les deux premières pages qui expliquent le concept mais après on a des aventures qui se concluent à chaque tome. Donc, si on est très pragmatiques, c’est déclinable à l’infini, on continue tant qu’on veut et on arrête quand on veut.
Il y a d’ailleurs largement assez de matériaux dans les différentes régions, d’histoires pour continuer à décliner la série durant de nombreux tomes !
Tout à fait, d’ailleurs Audrey aime bien dire que c’est la série BD « nos régions ont du talent ». Je pense qu’il y a un certain plaisir à montrer des régions où on a des attaches affectives. La Bretagne, ça venait d’Audrey qui a grandi là-bas. La Provence, Christophe et Audrey y habitent, Christophe est de la région et moi aussi. Là maintenant on part en Alsace. Il faut savoir qu’ils font beaucoup de documentation pour chaque tome, ils m’envoient des tonnes de photos. On voit bien que les lieux les ont inspirés. A chaque fois, ils imaginent un lieu imaginaire mais qui est un patchwork de villes ou villages qui existent et c’est vraiment chouette d’avoir des lieux inventés mais qui s’ancrent dans quelque chose de très réel. Et donc en Alsace, ils sont allés voir Claude Guth, le coloriste de Trolls de Troy, et ils en ont profité pour me donner une super documentation.
Tant que ça fonctionne, l’idée est de continuer ?
Oui voilà, tant qu’on se fait plaisir, que les lecteurs se font plaisir, on continue. Clairement je prend beaucoup de plaisir sur cette série.
Si l’on parle maintenant de votre façon de travailler plus globalement, vous êtes plutôt numérique ? Traditionnel ?
Pour Elfie, je fais tout en numérique, je travaille tout sur ordinateur ou sur tablette, selon les étapes. Pour certaines, j’ai besoin d’un grand écran, pour d’autres ça peut être un peu plus nomade. Mais oui je travaille tout en numérique. Du coup je n’ai pas d’originaux ! Tristesse !
J’ai l’impression que le recours au numérique se fait de plus en plus. C’est pour des facilités de correction ou c’est plus simple à déplacer pour la tablette ?
Je pense qu’il y a des avantages et des inconvénients à toutes les méthodes. Mais disons que le numérique a un aspect de facilité mais il y a aussi un côté un peu traitre. Parce qu’on peut zoomer à l’infini. Alors que lorsqu’on travaille en traditionnel, sur une planche, on a la limite de l’œil, on jauge mieux et on ne se fait pas avoir par le fait de pouvoir zoomer et de se dire « ah tiens et si je dessinai mieux cette petite miette là, que personne ne verra, mais qui sera parfaite ».
Donc en fait on en devient plus perfectionniste, grâce à cette capacité de pouvoir voir les tous petits éléments du décor ?
Oui, voilà. Mais ça peut aussi nuire à la lisibilité de la planche, donc c’est vraiment à double tranchant. J’aimerais bien travailler un jour en traditionnel parce que j’aimerais me frotter à ça, personnellement. C’est quelque chose que je fais pour moi, pour des projets perso. Mais dès que je travaille pour de projets de commande, que ce soit pour la BD ou des illustrations, je travaille en numérique pour des questions de pratique, d’habitude, je pense que ça me donne un sentiment de sécurité de pouvoir retoucher si besoin. Mais il faut se dire que ça reste un outil comme un autre. En gros, c’est une fausse sécurité que moi j’ai avec cette technique mais qu’un autre illustrateur n’aura pas.
Vous pensez être allée vers le numérique parce que vous venez de l’animation ?
Oui, complètement ! Parce qu’en animation, quand je travaillais en série TV, j’étais en numérique. Mais de toute façon tout est en numérique maintenant, il n’y a quasiment plus d’animation à la main sur papier à part quelques court-métrages peut-être. Et du coup ça faisait 10 ans que je travaillais en numérique et, pour parler très concrètement, j’avais tout un pipeline et un process de travail dérivé de ça.
Comment vous vous organisez dans votre travail ? Vous faites d’abord tout le crayonné, puis l’encrage ? Ou planche par planche ?
Là ça dépend des gens avec qui je collabore. Avant Elfie, j’ai réalisé un album, qui est terminé mais n’est pas encore sorti, avec un autre scénariste. Et les façons de faire sont très différentes. Par exemple, pour ce projet-là, ça m’a rassurée de faire tout le story-board, d’avoir toutes les planches, parce que je voulais vraiment avoir une vision d’ensemble du projet. Ça pouvait se comprendre, parce que c’était un one-shot, que le scénariste avait vraiment fait tout son déroulé. Là, sur Elfie, c’est un peu différent. Les planches sont vraiment exigeantes en terme de dessin, j’y passe vraiment beaucoup de temps. Audrey et Christophe fonctionnent par séquence d’une dizaine ou douzaine de planches. Donc on fait cette séquence-là et, une fois qu’elle est faite, je passe à la suivante. On avance vraiment progressivement. Ce qui permet, s’il y a un petit truc à modifier ou retoucher dans une planche, de le faire. Je ne dirais pas qu’une façon est mieux que l’autre, c’est différent et cela dépend vraiment du projet et des gens avec qui je collabore. Mais de la même façon un scénariste va s’adapter un peu au dessinateur, tous n’ont pas besoin de la même chose, certains ont des besoins très spécifiques et d’autres refuseront de ne pas faire tout le story-board au début du projet. Moi, comme j’ai l’habitude du travail d’équipe, ça ne me dérange pas du tout de m’adapter. Toutes les approches ont leurs avantages et leurs inconvénients.
Combien de temps vous mettez pour faire un tome du Grimoire d’Elfie ?
En gros, il faut un an de travail à plein temps. Avec l’idée d’avoir la sortie d’un tome par an.
Est-ce que vous avez le temps d’envisager d’autres projets en parallèle ?
Alors je n’ai pas beaucoup de temps mais je m’autorise quand même un petit projet illustré de temps en temps. Parce qu’il y a besoin aussi d’une respiration, de faire autre chose. C’est un bon rythme pour moi. On est pas tous égaux de ce côté-là mais moi ça me convient bien comme ça. Clairement, les problématiques financières jouent aussi, en fonction des conditions de certains projets, on est un peu obligé de prendre des projets à côté. Mais là j’ai la chance que ça ne soit pas le cas, que ce soit possible de le faire à plein temps, dans des bonnes conditions. Ça fonctionne bien, l’entente est parfaite, j’ai vraiment beaucoup de chance !
Vous pensez que vous pourriez vous lasser de faire les mêmes personnages ?
Je sais pas, on verra… C’est dur à dire. Mais il y a matière à s’amuser avec un scénario itinérant comme ça, on a beaucoup de possibilités. Globalement, à part le jour où j’en aurai marre de dessiner des petites filles mignonnes et de la magie, ce qui est vraiment peu probable d’arriver, il y a peu de chance, du moment que j’ai des respirations de temps en temps comme je disais. Parce que c’est un marathon, mais je ne suis qu’au début du marathon. On verra peut être dans 10 tomes ! Pour le moment en tous cas, on a de super retours, des petites filles qui se déguisent en Elfie… Ce qui est marrant c’est qu’évidemment, vu le thème, on a une propension de jeunes filles lectrices assez forte évidemment mais on a aussi plein de petits lecteurs. Et ça c’est chouette !
Merci pour ce moment partagé et pour toutes ces réponses !
Propos recueillis par Laëtitia Lassalle.
Interview réalisée le 16 mars 2022
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