
S’il est un auteur dont la trajectoire ne cesse de surprendre et d’impressionner dans sa constante progression, c’est bien Mathieu Reynès. De ses premières productions pleines de fantaisie et d’ambiances parodiques, suivies par des co-scénarios de séries d’humour plus classiques, à sa première création personnelle, Harmony, le dessinateur signe un début de carrière exemplaire dont on se demande encore jusqu’où elle le mènera. Nous l’avons rencontré à l’occasion de sa venue au festival Quai des Bulles.
Bonjour Mathieu ! Le premier cycle d’Harmony est arrivé à son terme, c’est déjà une belle aventure.
Oui, c’est une belle première étape. C’est ma première série personnelle, là je fais vraiment ce qui me plaît, ce qui m’a toujours plu depuis que je suis gamin. C’est vraiment le genre d’univers qui m’a toujours inspiré et attiré. Harmony, c’est là où je m’éclate vraiment le plus. Je prenais du plaisir dans les autres projets mais ce n’était pas aussi personnel que maintenant. C’est aussi la première fois que je me sens vraiment scénariste, même si je le faisais déjà avec Frédéric Brrémaud, un super pote, pour se marrer entre nous. Après il y a eu les projets Alter Ego, La Peur géante, etc., des projets très intéressants mais je ne m’épanouissais pas à 100% comme actuellement.
Est-ce que Alter Ego a été un projet charnière dans votre carrière ?
Ah oui, je pense que ça m’a assis dans la profession. Jusque-là, j’avais fait de la parodie, de l’humour, des choses un peu légères, et puis Alter Ego a été la grosse série réaliste d’anticipation avec un énorme boulot en amont et bien reçue par le public. Ça m’a donné un petit peu plus d’envergure auprès des éditeurs. C’est ce qui m’a permis de développer après mon propre projet.
Est-ce que c’est difficile de sortir de l’humour ?
L’humour pur et dur, ça a été une période hachée, avant j’étais plutôt dans la parodie, avec Lola Bogota, Banana Fight… Mais c’est vrai qu’Alter Ego est la vraie transition. Déjà graphiquement, ça n’avait plus rien à voir avec ce que je faisais avant et ce n’était pas du tout le genre de projet auquel on aurait pu m’associer.
C’était le bon moment pour changer de registre ?
Oui, parce que je commençais à saturer au niveau de l’humour, j’avais besoin d’autre chose. Pour moi ça devenait trop répétitif. Ça m’amusait et financièrement c’était intéressant, mais ce n’était pas ce que j’avais envie de faire de toute façon. Artistiquement, j’avais envie d’un challenge un peu plus lourd, de me mettre plus en danger qu’avec ce genre de projet. Avant Alter Ego, j’avais fait deux petites histoires courtes dans le magazine Spirou qui s’appelaient Greens et qui étaient justement une transition entre l’humour et ce qui est devenu Harmony. C’était des ados avec des pouvoirs dans le même esprit que Harmony mais avec un style vraiment très Bamboo, très franco-belge à gros nez. Et puis Alter Ego a vraiment tout cassé… enfin, pas cassé, mais ça m’a poussé à me remettre en question au niveau graphique et en tant qu’auteur. Après avoir travaillé comme ça en équipe avec beaucoup d’autres auteurs, à la fin de l’aventure j’avais besoin de me recentrer, de me réaffirmer en tant qu’auteur unique.
La Peur géante a-t-il été nécessaire avant Harmony ou l’idée était-elle déjà là ?
Harmony était plus ou moins fait, pas sous sa forme actuelle, mais c’était déjà un projet sur lequel je travaillais, et La Peur géante est arrivé à ce moment-là avec Denis Lapière. Ça me permettait de mettre un pied dans autre chose que je n’avais pas encore fait justement, ce côté un petit peu aventure, super-héros, fantastique, avec du second degré. Ça a été une bonne transition.
Harmony s’est donc finalisé pendant ce temps-là ?
Du coup, j’ai un petit peu lâché La Peur géante, je n’ai pas fait le troisième tome parce que je devais démarrer Harmony. Quand j’ai signé La Peur géante, c’était prévu sur deux tomes. En cours de route, on s’est dit avec Denis qu’il y avait matière à faire plus et qu’en deux on irait trop vite. Au milieu du bouquin, il y a une ellipse terrible tout d’un coup. On a le début, on a la fin et au milieu il n’y a rien. Donc on s’est dit qu’on allait le faire. Sauf que moi j’étais engagé sur Harmony, le projet était signé depuis quasiment deux ans, il était hors de question que je repousse encore le projet. Donc j’ai dit OK, on fait un tome 3 mais ce n’est pas moi qui le dessinerai. Tout le monde était d’accord, ça s’est bien passé.
Y a-t-il eu une autre évolution graphique sur Harmony ou ces précédents projets avaient déjà affiné ce que vous vouliez atteindre ?
Je pense que ça a continué à évoluer, même avec Harmony d’album en album. Entre le début et la fin d’un album, j’ai mon trait qui change beaucoup. Ce n’est peut-être pas très visible mais je pense que si on regarde la fin du tome 3 et qu’on compare avec le début, ça doit faire un choc assez impressionnant. Mais après ça se fait naturellement. J’essaie de faire en sorte que mon dessin ne soit pas figé, qu’il évolue avec moi. Je prends de l’assurance au niveau de l’encrage, ça me permet d’en faire plus. Je mûris, mon dessin aussi.
Le scénario aussi.
J’avais fait La Mémoire de l’eau déjà en tant que scénariste, donc je savais à peu près comment construire un projet. Mais Harmony est une vraie série, pas juste un diptyque. Et donc il a fallu poser les jalons d’une série qui pouvait s’étendre sur trois albums. Donc c’était un challenge de mettre ça en place, de convaincre les éditeurs puis de retravailler dessus parce que ce n’était pas au point au début. Mais voilà, le scénario est un truc qui me plaît énormément. J’aurais tendance à dire que maintenant ça l’est peut-être plus que le dessin. ça. Pour moi c’est une plus grande liberté parce que dans un scénario on peut écrire ce qu’on veut, ça ne demande pas des heures de transpiration pour mettre ça en image. Je me sens plus libre quand j’écris que quand je dessine. Je pense que je me mets moins la pression quand j’écris que quand je dessine. Je pense que je vais essayer de développer d’autres scénarios pour d’autres dessinateurs.
Ce sera une nouvelle étape dans la carrière ?
C’est ce qui va se faire. Je prépare un nouveau projet avec Valérie Vernay avec qui on a fait La Mémoire de l’eau, on va partir sur un triptyque. Elle terminera d’abord sa série Rose et on partira sur un triptyque ensemble, dans un univers fantastique. Ça me permet de développer d’autres choses à côté, de ne pas faire uniquement Harmony.
Le scénario d’Harmony est un de ses points forts, avec pas mal de surprises.
Oui, ce sont les retours que j’ai, sur le fait que ce soit de plus en plus dense, de plus en plus sombre. De moins en moins jeunesse. C’était un peu trop catalogué jeunesse sur le premier tome. D’ailleurs Dupuis a profité de la réimpression pour refaire la maquette et sortir un petit peu du côté très girly. Ça pouvait correspondre au niveau du tome 1 et du tome 2, parce que c’est des enfants, etc. Mais plus ça va aller, plus la série va devenir basée sur l’action, ça va être violent, ça va être noir. On ne va pas se priver des enfants mais du jeune public en tout cas. Le but est de viser le public ado/adulte, le « young adult ». On essaie de se caser dans ce tiroir-là. C’est vrai que, quand le tome 1 est sorti, il était rangé à côté des Carnets de Cerise, ce n’est pas cohérent. Ce petit réajustement était nécessaire pour que le public concerné ait une bonne visibilité de l’album.
D’autant que les sorties était assez rapprochées.
Les deux premiers sont sortis dans la même année, après il y a eu un an pour le tome 3 et maintenant on va faire comme ça, je prépare un album tous les ans. Avec les autres scénarios, ça fait des bonnes journées, je pense que j’ai du boulot pour un bon moment.
On peut aussi parler du magnifique travail sur les couleurs, qu’on voit dès les couvertures.
C’est une tâche que je partage avec Valérie Vernay justement, on fait ça à deux, ça me permet de vraiment pousser les couleurs que j’avais en tête depuis le début. C’est travaillé, avec pas mal d’effets, tout en restant cohérent avec le dessin. Avec Valérie on se connaît vraiment très très bien, on a vécu ensemble pendant 15 ans même si on n’est plus en couple. On sait qu’on peut se dire les choses et on bosse super bien ensemble, il y a une vraie confiance. Ce qui lui plaît c’est la couleur, c’est déjà elle qui le faisait sur Sexy Gun. Et puis comme je la connais très très bien, je n’ai pas l’impression de faire intervenir quelqu’un de vraiment extérieur. Donc ça reste en famille.
Comment se déroulera le prochain cycle ?
Il y aura trois albums pour le nouveau cycle, qui est écrit dans les grandes lignes. Le tome 4 est complètement ficelé parce que je l’ai démarré. Après c’est écrit mais je me laisse quelques marges de manœuvre en fonction des idées qui peuvent arriver. Par exemple, plus j’avançais dans le tome 4, plus je me disais qu’il fallait que je répercute un truc ailleurs, etc. C’est l’avantage aussi d’être auteur complet. Quand je dessine, je peux encore revenir sur mon scénario, sans prévenir quelqu’un ou négocier le truc. J’avance en temps réel.
Le tome 3 a-t-il beaucoup évolué par rapport à ce qui était imaginé au départ ?
Il y a eu quand même quelques changements mais la plus grosse partie était ficelée dès le début. C’est le second cycle qui change énormément par rapport à ce que j’avais prévu de faire. En fait, je fais intervenir beaucoup plus tôt des éléments qui devaient arriver au troisième cycle. J’ai un peu tout réorganisé pour être dans la continuité d’une accélération dans le tome 3.
Les auteurs nous disent souvent que les personnages se mettent à vivre tout seuls…
C’est exactement ça ! Il y a des personnages secondaires qui deviennent presque les principaux. Les autres enfants ne devaient pas être aussi importants, ça devait être vraiment centré sur Harmony. Au final il y a un vrai trio et, plus ça va aller, plus les autres vont devenir importants… peut-être aussi importants qu’Harmony. C’est ce qui s’est passé au fur et à mesure de l’écriture de l’histoire, les personnages prennent vie par eux-mêmes. Au bout d’un moment, ce sont eux qui me racontent leurs aventures. Je retranscris, je ne fais juste que raconter ce qui arrive. Quand c’est comme ça, c’est un vrai plaisir parce que pour moi c’est que ça montre qu’il y a une vraie cohérence dans cet univers-là. Quand les personnages commencent à vivre par eux-mêmes, à se développer eux-mêmes, à prendre plus d’envergure, de caractère, etc., ça devient vraiment un plaisir.
Par rapport à l’évolution de votre dessin, y a-t-il des scénaristes qui vous ont proposé des projets ?
Oui, de temps en temps. Après je pense que ça doit se savoir que je dis non à tout le monde. Maintenant que j’écris mes scénarios, je crois que j’aurais beaucoup de mal à refaire une collaboration. Bon, si ça ne marche pas, si je suis amené à partir sur autre chose, peut-être que j’en aurais besoin. Mais si je peux continuer à travailler tout seul… non non. J’ai plaisir à être tout seul, j’aime cette liberté même si c’est un poids et une responsabilité énormes.
Merci beaucoup !
Propos recueillis par Arnaud Gueury
Interview réalisée le 27 octobre 2017.
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