Auteur touche à tout, Joël Alessandra revient en librairie avec A Fleur de peau, un titre attrayant à bien des égards. Nous avons eu l’occasion de lui poser quelques questions lors du festival Quai des Bulles. Rencontre.
Bonjour Joël, comment avez-vous rejoint ce projet qui consistait à raconter l’histoire d’une enfant atteinte de la Neurofibromatose ?
J’ai rencontré les gens de l’association et ils m’ont appris qu’en règle générale pour la neurofibromatose c’est d’abord physiquement que cela se voit. Les enfants ont des taches café au lait sur la peau, le dermatologue peut déjà s’interroger, le généraliste ou le pédiatre, s’ils voient apparaître cela, peuvent orienter, etc. Cela peut aussi bien se déclarer à l’âge de trois ans ou plus tard, il n’y a pas de règle en l’occurrence pour cette maladie. Les symptômes peuvent se développer très très vite, par exemple il y avait une personne atteinte de la maladie hier à une dédicace dans une librairie à Paris qui a 65 ans et qui a des petits nodules sur la figure mais il n’y a pas grand chose. Et quelques jours avant je faisais une dédicace avec l’association il y a une maman qui venait de perdre son mari atteint de la maladie qui avait 37 ans. Tout ça pour dire qu’il y a vraiment des écarts et des évolutions de la maladie très différents. Bref, pour moi cela restait un travail de commande sans implication personnelle car moi je ne connais personne atteint de la maladie, je ne connaissais d’ailleurs pas cette maladie . Et puis lors des tests au CHU d’une petite fille qui s’appelle Eden, j’ai suivi son parcours avec les tests neuropsy, pédagogiques, dermatologiques, etc. Je me suis vraiment attaché à cette petite fille et ça a été un véritable déclencheur pour lequel je me suis vraiment impliqué dans la bande dessinée. Du coup j’ai écrit l’histoire d’une traite vraiment en deux jours j’ai créé l’histoire, c’était très très rapide. Évidemment j’ai fait beaucoup d’allers-retours à Nantes au CHU avec les équipes médicales qui ont validé toutes les étapes pour ne pas raconter de bêtises au niveau médical.
Cela a été pour vous un travail d’observation en quelque sorte ?
C’est finalement le principe d’un espèce de reportage dessiné même si le personnage a changé de nom, si elle ne ressemble pas à la véritable Eden que j’ai rencontré, cette dernière avait 13-14 ans. On suit le parcours de l’héroïne de l’album de sa naissance jusqu’à ses 16 ans. Eden a malgré tout été mon modèle pour la création du personnage et c’est pourquoi je lui dédicace cet album . Ainsi autour de ce reportage dessiné j’y ai greffé une petite histoire humaine autour de cette petite fille, de son caractère et de son rapport avec la maladie en essayant de parler aussi du point de vue des parents. C’est quelque chose d’assez terrible pour des parents parce qu’on ne se préoccupe jamais d’eux mais ça n’est pas spécifique à cette maladie-là, je pense que l’autisme est probablement comparable. J’ai lu récemment l’album Les Petites victoires qui parle du sujet et qui est assez poignant, il parle justement du rapport des parents vis-à-vis de la maladie de leurs enfants.
La Neurofibromatose a beau être l’une des maladies orphelines les plus connues, le grand public ne la connaît pas forcément. Vous considérez-vous désormais avec cet album comme un ambassadeur pour la faire connaître ?
Je ne suis pas légitime pour ça, je pense plutôt que ce sont les personnes qui composent l’association Neurofibromatoses et Recklinghausen qui sont légitimes. L’association organise un concert au Casino de Paris début novembre avec des gens comme Souchon, Hugues Aufray, etc. Ils sont très mobilisés, moi j’y serais pour dédicacer l’album. Ambassadeur, non mais je pense que l’album sera très bon outil, je pense que c’est important que ce soit un ouvrage qui soit présent en médiathèques, bibliothèques, etc. Il faut qu’il serve d’outil pédagogique mais en même temps il y a beaucoup de parents ayant des enfants malades qui sont venus me voir en me disant « enfin on parle de la maladie » et on l’explique aux gens parce que c’est une maladie inconnue . Simplement le fait que cette BD existe, que le récit soit intéressant ou pas, c’est quelque chose qui existe et qui parle de la maladie. Donc ambassadeur est peut-être un terme un petit peu exagéré mais en tout cas j’espère avoir contribué à faire connaître et surtout à ce qu’on prenne conscience qu’il y a des gens qui sont carrément en désarroi avec cette maladie. Ces personnes ne sont pas du tout considérées, c’est-à-dire qu’elles sont stigmatisées parce que c’est vrai que physiquement souvent on a en image Elephant Man, qui a le visage complètement déformé, il n’est pas atteint par cette maladie mais les symptômes de la maladie peuvent arriver à ça. Il y a eu des greffes de visage, il y a des gens à qui on a enlevé toute cette partie-là pour leur greffer le visage de quelqu’un d’autre. Et c’est vrai que pour des gamins je le raconte dans la bande dessinée c’est stigmatisant, ils ne peuvent pas se mettre en maillot de bain pour aller à la piscine avec les autres gamins.
Il est vrai que les enfants sont assez cruels entre eux.
Effectivement, dans l’album il y a un passage où la petite Fleur se fait traiter de léopard, de contagieuse. C’est assez terrible. Dans les symptômes on peut avoir des bras extrêmement déformés, des taches comme ça partout. J’ai choisi le parti pris de faire intervenir Fleur d’une manière beaucoup plus de mature tout au long du récit . C’est-à-dire qu’elle intervient et donne son avis à l’âge de 16 ans, elle commente un petit peu toutes les étapes de sa vie ce qui montre quand même une certaine maturité, un certain recul de ses enfants par rapport à leur maladie. C’était cet aspect que je souhaitais montrer.
L’album sort à l’occasion du festival Quai des Bulles, avez-vous déjà eu l’occasion de rencontrer les premiers lecteurs de ce titre ? Si oui, quelle a été leur réaction ?
J’ai eu une petite séance hier avec des gens de l’association en province. En librairie BD j’ai rencontré deux personnes qui étaient concernées par la maladie et les trente autres albums vendus lors de la dédicace concernait des gens qui aimaient la bande dessinée. C’est peut-être très prétentieux ce que je vais dire mais c’est un petit peu mon lectorat de base qui est intéressé par l’album. Le sujet n’étant pas au cœur du problème, les lecteurs achètent aussi les albums car ils apprécient les auteurs. Justement c’est ça qui est super intéressant c’est que si on arrive à toucher des gens qui ne connaissent pas la maladie mais qui sont intéressés par la bande dessinée, c’est super de faire découvrir la maladie par ce biais. Ce sont des gens qu’on ne toucherait pas autrement donc ça c’est une belle démarche je trouve.
Vous avez par le passé participé à des collectifs sur différents sujets (groupes musicaux, érotiques…), publié des récits de voyage. Vous n’êtes pas cantonné à un genre, c’est quelque chose d’important pour trouver la motivation et conserver le plaisir de faire ce métier exigeant ?
Il faut quand même essayer de garder une certaine ligne directrice de ce qu’on essaye de faire. Déjà moi j’ai un style graphique qui est quand même assez particulier dans le sens où j’utilise uniquement de l’aquarelle et la couleur directe. Quelles que soient les sujets que je traite il y aura toujours l’esprit croquis à l’aquarelle qui déborde. Je suis très attaché au décor et à des choses comme ça. Que ce soit une maladie, de la musique, que ce soit quoi autre chose, j’essaye de garder cette approche graphique qui est la reconnaissance de mon style sans prétention aucune mais j’essaye de garder une unité graphique pour ce que je produis. J’ai en quelque sorte un cœur de métier qui est quand même un carnet de voyage et je suis très attaché à l’Afrique. J’en reviens d’ailleurs avec un nouveau récit chez Air Libre des éditions Dupuis, à paraître prochainement.
De quoi parlera ce carnet de voyage ?
Ce serait une histoire de voyage à travers tout le Maghreb, une partie de l’Inde, le Moyen-Orient et jusqu’en Chine . C’est vraiment un gros périple, un bel album de plus de 200 pages.
Quels sont vos prochains projets ?
J’ai en chantier un album pour des Ronds dans l’O qui est le tome 2 de Flash ou le grand voyage qui avait été initié par Jef il y a quelques années. Lui, ne pouvant pas s’occuper du tome 2, je reprend le flambeau. J’ai un autre projet chez 21G chez qui j’ai déjà fait Rodin et Gustave Eiffel. J’ai un troisième bouquin qui est en préparation et qui sortira fin de l’hiver qui arrive. Et puis le fameux Air libre dont j’ai parlé tout à l’heure. En parallèle de mon activité d’auteur de BD, je pilote des auteurs congolais et du Burundi. J’essaye de faire travailler les auteurs locaux qui ont énormément de talent mais qui n’ont pas de réseau de diffusion et de distribution pour ce qu’ils produisent. Moi je monte des projets avec les Ambassades, les Instituts français ou les alliances en faisant intervenir des acteurs comme l’Unicef ou comme la coopération suisse ou des gens comme ça qui financent. Moi je pilote les ateliers et je fais travailler des jeunes. Je fais imprimer les ouvrages en France mais c’est diffusé au Congo. C’est un peu le côté humanitaire du truc. C’est vraiment passionnant.
Merci beaucoup !
Propos recueillis par Nicolas Vadeau.
Interview réalisée le 13 octobre 2018.
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