Janry était l’un des prestigieux invités du festival « A Tours de Bulles », qui fêtait ses 10 ans ce week-end. Il a bien gentiment accepté de nous rencontrer pour évoquer sa vision des festivals et la riche actualité du Petit Spirou. Au programme aussi, la suite des aventures du poussin, un projet passionnant pour Passe moi l’ciel, et son avis sur le retour prochain du Marsupilami dans Spirou et Fantasio…
Bonjour Janry ! Première question en rapport à l’actualité brûlante, vous revenez du premier festival Spirou à Bruxelles. Comment avez-vous vécu l’événement ?
Plutôt bien parce que ce festival avait une particularité. Il se faisait sous chapiteau dans un parc en face du Palais Royal. De par le placement, le public était assez varié et du coup on a eu l’occasion de croiser des curieux autant que des collectionneurs. Ce qu’on reproche la plupart du temps aux festivals, aujourd’hui, c’est d’être exclusivement axés sur la séance de dédicace, ce qui a comme conséquence que seuls les initiés, les collectionneurs et grands amateurs, c’est-à-dire un public convaincu, y viennent. Un festival de BD est destiné à « propager la bonne parole », aller à la rencontre des gens, autant curieux que spécialistes, qui rentreront chez eux avec l’envie de lire de la bande dessinée. Donc là il y a eu beaucoup de monde et aussi un savant mélange de personnes, un public plus novice. J’ai dédicacé pour des enfants et j’ai eu l’occasion de voir là plein de têtes que je n’avais jamais vues.
On vous a vu aussi faire un « tac au tac », duel de dessins improvisés, avec Munuera…
Par exemple. Depuis à présent 10 ou 15 ans, je suis à la recherche de festivals qui permettent de sortir de ce vase clos qui prend souvent la forme d’un hall de sport avec des bouquinistes, des objets de collection et au fond, une rafale de tables où sont rangés derrière les dessinateurs. Ils font des dédicaces en face de personnes qui ont un sac à dos, une chaise pliante, etc.
Oui, on voit le genre…
Du coup, ça fonctionne en vase clos, et je suis à la recherche de festivals qui proposent d’autres activités, pour sortir de ce carcan.
D’où votre venue à Tours qui propose plusieurs activités annexes, dont la musique…
Voilà. Depuis un moment, on s’est découvert certains amis et moi un attrait pour la musique, et, ma foi, faire un groupe avec des auteurs de BD, ça permet de parler du métier tout en rigolant et en essayant tant bien que mal de faire de la bonne musique. On va jouer à côté du festival, dans un bistro, et ça permet de rameuter les gens ensuite qui, après le concert, voudront peut-être en savoir un peu plus sur ce monde un peu bizarre qu’est celui de la bande dessinée. C’est notre mission. Alors évidemment, ce n’est pas toujours facile de trouver des activités alternatives. Je me souviens qu’aux Saisies, en Savoie, il y a 4 ans, on avait suggéré de faire un concours de bonhommes de neige, parce qu’on était dans une station. Plutôt que d’avoir notre local, on se mettait dehors avec les enfants, un micro, et moi je faisais un Petit Spirou, un autre Lanfeust, etc.
Il y a cette volonté de chercher l’originalité…
… et surtout de sortir d’un cadre trop restreint. Quand on sait que les auteurs les plus rapides font une dédicace en deux minutes trente, à l’arrache, pour ceux qui font toujours la même, et qu’ils tombent sur une file qui fait 15 à 20 personnes, le calcul est vite fait. Le type va devoir attendre une demi-heure ou parfois une heure pour avoir son dessin. Ensuite il rentrera chez lui avec trois dédicaces, en ayant passé 5h ou plus sur le site, et rien d’autre…
C’est aussi pour ça que vous réservez vos dédicaces aux enfants, le plus souvent ?
Oui, notamment. C’est aussi pour voir d’autres têtes, parce qu’il m’arrive de tomber sur des gars à qui je ne sais plus quoi dessiner. « J’t’ai fait un Champignac, un Spirou, un Snouffelaire, un Spip avec ou sans chapeau »… Je leur dis de façon impertinente pour leur faire comprendre que leur façon de voir les dédicaces devient un peu compulsive. Ils prennent la place de quelqu’un… Après, le miracle ne s’est jamais éteint. C’est toujours admirable de voir apparaitre un trait, deux traits, puis un personnage… Pour les curieux, ça reste une chose chouette mais il faut offrir aux gens l’impression que ce n’est pas un monastère, une sorte de partouze consanguine entre collectionneurs, auteurs, et bouquinistes.
Bilan du festival Spirou : à refaire, donc…
Pour moi, à refaire, oui, et même à améliorer en imaginant justement des activités autres que la séance de dédicaces.
En parlant d’activités alternatives, est-ce que le parc d’attraction Spirou, ou plutôt les parcs d’attraction de France et de Belgique, reprendront des éléments de votre période avec Tome ?
J’en ai vaguement entendu parler, oui. Je soupçonne mon éditeur de faire une rétention d’informations (rires) mais je n’ai pas spécialement cherché à en avoir… Yoann m’a dit qu’il y aurait des éléments sur leur univers, je pense qu’il y en aura du nôtre aussi mais j’avoue que je ne suis pas fixé là-dessus étant donné que ce n’est pas mon boulot…
C’est du ressort du produit dérivé…
Oui c’est une forme d’excroissance par rapport à une œuvre originale qui était notre travail et celui des autres auteurs. Je n’ai qu’un intérêt amusé par rapport à ça, de voir justement un développement alternatif de ce que nous avons fait Philippe et moi.
Même pas une fierté ?
Non non, ma fierté je la retire d’un enfant assis par terre dans un supermarché en train de feuilleter mon bouquin dont il a du mal à sortir. Ҫa c’est ma fierté, ça veut dire que je suis parvenu à capter, avec Philippe, l’intérêt d’un enfant qui s’immisce dans un bouquin tandis que le reste de la Terre disparait. C’est pour moi une récompense. Le reste… oui… c’est de l’amusement.
Vous vous amusez aussi avec le Petit Spirou. Nous avons appris en juin qu’un film est en préparation, quel est votre implication dans ce projet ?
C’est un peu l’Arlésienne aussi, ça. Pour le moment, on a rencontré Nicolas Bary qui a fait Au Bonheur des Ogres et Les Enfants de Timpelbach, et qui se serait attelé au projet de faire un film Petit Spirou. Le chemin est long entre le moment où on en parle et celui où ça va arriver. Ceci dit on observe bien aujourd’hui ce qui se passe. Bientôt à l’affiche il y a Benoît Brisefer et Les Taxis Rouges, Lou va aussi avoir un film, tout comme Seuls de chez Dupuis, je crois. Le cinéma se précipite sur la bande dessinée, parce que je suppose qu’ils ont rencontré un succès qui leur convient bien. Entre parenthèses, adapter une BD, c’est zapper une ou deux des étapes les plus importantes, puisque le story-board est déjà en place, les plans, la mise en page… Il suffit de mettre ça en mouvement et de transformer un petit peu. L’attrait du cinéma pour la BD ne m’étonne pas, d’autant que l’inverse était déjà vrai. On s’inspire les uns des autres…
Est-ce que ce sera un film d’animation ou tout simplement acteurs et décors réels ?
Ce sera un film réaliste. C’est en tout cas dans cette direction là qu’on est parti…
On peut aussi voir un dessin animé du Petit Spirou, en format court, depuis 2012. Lors d’une précédente rencontre, vous nous disiez que vous n’aviez pas eu toutes les garanties nécessaires pour que la satisfaction soit là à l’époque du dessin animé Spirou et Fantasio. Est-ce que, cette fois, vous avez pu mettre en place un cahier des charges plus propice à vos attentes ?
Pas vraiment non, ça s’est même fait rapidement, sans qu’on ait trop eu l’occasion de s’en occuper. On a mis les bouchées doubles ensuite pour essayer de rectifier le tir et faire en sorte que la saison 2, s’il y en a une, soit faite dans de bonnes conditions. Il faut savoir que c’est très difficile de contrôler toutes les étapes d’un dessin animé. On doit pouvoir lâcher la prise et laisser aux gens qui interviennent dessus un peu de latitude.
C’est compliqué, sans doute. Vous étiez déjà déçu de l’adaptation de Spirou et Fantasio à l’époque…
Un peu oui, mais comment ne pas l’être. Je n’ai pas eu l’occasion de poser la question à un romancier quant à son avis sur la transposition de son livre au cinéma. Si les lecteurs disent toujours « le bouquin c’est meilleur », j’en attends davantage de l’auteur lui-même, qui s’est carrément immergé dedans. Après, cette déception peut être relative…
Il faut accepter de « refiler le bébé »…
Oui et justement, quand on se lance dans un projet comme ça, il faut essayer de dégotter quelqu’un qui est admiratif du travail initial, afin qu’une relation de confiance puisse s’établir. On lui déléguera plus facilement certaines choses… Dans le cas de Nicolas, on nous propose des directions, et ça a l’air d’être vraiment bien. Mais c’est encore un peu tôt pour en parler parce que nous n’en sommes qu’aux fondations… avec encore cette possibilité qu’on ne trouve pas de producteur et que le projet soit mort-né. Enfin il y a de bonnes bases…
Est-ce que tous ses éléments dérivés ou complémentaires vous ralentissent pour la création d’un nouvel album ou pas du tout ?
Non parce que de deux choses l’une, on n’a jamais travaillé dans l’optique d’être adaptés un jour au cinéma et ensuite, c’est très chronophage de s’occuper de ça et je préfère me consacrer aux choses pour lesquelles je suis le mieux formaté, c’est-à-dire les albums.
Et justement, qu’en est-il du Poussin, avec Eric-Emmanuel Schmitt. Un nouvel opus est-il prévu ? (ndlr à cet instant, le coloriste de la série, Giancarlo Carboni, qui voyage avec Janry, arrive avec deux bières, preuve qu’il possède un certain sens de l’à-propos. Précisons qu’il se propose aimablement d’en commander une à votre serviteur, qui refuse poliment, avec regret, mais il a une retranscription à faire en rentrant et une vilaine thèse à rédiger).
On a pris du retard pendant 6-7 mois parce qu’on a discuté de choses et d’autres, qui n’ont rien à voir avec la conception de l’album, d’ailleurs, et je me suis remis au travail il y a 4 mois. Environ 35 pages sont faites, et Giancarlo a déjà bien avancé sur les couleurs…
(Giancarlo réagit et pose une question) : Tant que tu me donnes du travail (rires). Et il va s’appeler comment cet album ? Poussin 2 ?
Poussin 2, je suppose.
Merci pour le scoop ! (rires)
Est-ce que c’est un scoop de dire ce que tout le monde aurait pu deviner ? (rires). En tout cas Éric-Emmanuel Schmitt n’est pas du genre à faire des titres qui soient contre-sujet. S’il y a un Poussin 1er il y aura un Poussin second.
Et il parait, si ce que nous avons lu est vrai, que c’est l’éditeur qui lui a présenté plusieurs dessins et qu’il a mis le doigt sur l’un des vôtres ?
De ce que je sais de l’histoire, Éric-Emmanuel Schmitt avait manifesté son intérêt de faire de la BD à Dupuis, et évoqué son projet. Quand l’éditeur a montré ce qu’il avait en magasin, il a dit « je veux ça » et c’était moi.
Il n’était peut-être pas très initié au monde de la bande dessinée dans le sens où on a dû lui proposer des noms ?
Quand j’ai commencé à travailler avec lui il m’a dit « J’apprends vite ». Effectivement, il apprend vite… il ne connait pas encore tout mais il apprend vite. Il y a forcément eu une période avec des atermoiements et des recalibrages, mais maintenant ça va. Pour moi, c’est une expérience, que je ne vais pas prolonger, sans doute, éternellement, parce que c’était une gageure. Travailler avec quelqu’un qui n’avait pas un format original de BD et dont j’apprécie la plume, est quelque chose de particulier. C’était aussi l’occasion pour moi de m’essayer à un genre auquel je n’étais pas habitué, à savoir la BD animalière. C’est une forme de défi dans la mesure où on ne peut pas faire n’importe quoi n’importe comment avec des animaux, ce qui est parfois une source d’incompréhension entre Eric-Emmanuel Schmitt et moi. Quand il me dit « Poussin est en train de grignoter une noisette, son mets préféré », je me dis, « comment le lecteur va comprendre que Poussin a pu ouvrir une noisette ? ». Écrit dans un roman, le lecteur passe dessus, mais lorsqu’on le montre, de façon explicite, et presque pornographique, le lecteur va se poser des questions sur ce qui paraît pour lui des invraisemblances.
Dorénavant je lui demande de croquer ses personnages, avec un aide, pour qu’il prenne la mesure et voie tous les pièges que nous devons éviter. Un poussin qui arrive au premier étage d’une maison, on doit se demander comment il a fait. Sinon la fluidité de lecture, qui amène au rêve, est interrompue.
Il ne connaissait en fait pas trop le monde de la BD ni celui du scénario de BD…
Oui, pourtant il apprend vite et il a lui-même mis en scène au cinéma les adaptations d’Odette Toulemonde, Oscar et la Dame rose…. Mais là aussi le cinéma est cru, il montre des images, qu’elles soient pertinentes ou pas. D’ailleurs, c’est physiquement qu’on se rend compte si elles sont pertinentes ou pas. S’il demande quelque chose d’impossible, comme demander à un poussin de casser une noisette, ce sera pas possible de le faire, sauf en image de synthèse, qui imposera au spectateur cette logique. Mais si je le fais dans un dessin… Un dessinateur peut dessiner n’importe quoi, inventer n’importe quoi sans effets spéciaux et tout, ça va de Bilal à plein d’autres exemples. On peut visiter tous les mondes mais la BD une suggestion de l’irréalité, confrontée à l’esprit critique du lecteur qui acceptera ou non la possibilité de ceci ou cela. Même s’il est indulgent, en général, le lecteur veut aller au bout de son rêve et devient complice de l’auteur.
Y aura-t-il un nouveau Passe moi l’ciel également ?
Un va sortir début février, il est bouclé et tout…
C’est une bonne nouvelle !
Ben oui, j’aime bien. C’est un truc sur lequel je m’amuse beaucoup, mais c’est un peu comme si j’avais deux enfants, un qui réussit à l’école et un autre qui a des mauvais points. Rien à faire, on aime autant l’un que l’autre. Passe moi l’ciel n’a pas de succès…
Commercial, en tout cas…
Commercial, et tout court, ce qui nous rend un peu tristes. Avant de remettre en cause notre propre travail, on est tenté de dire que l’éditeur ne fait pas son boulot, pas le nécessaire pour que ce soit présent ici ou là, et que les gens sont presque obligés de dévaliser Dupuis pour s’en procurer un, patati patata.
Vous regrettez que la série ne soit pas en tête d’affiche, en somme…
Ouais mais il y a un projet de pièce, sur Avignon. Une compagnie souhaiterait adapter Passe moi l’ciel au théâtre. Voilà quelque chose qui se fera au moins, le Petit Spirou en film je ne sais pas, mais ça c’est sûr. Ce que j’aime bien, c’est qu’ils ont compris l’esprit avec le côté fonctionnaire de Saint-Pierre, et finalement un paradis qui est en de nombreux points comparable à la Terre, puisque contrairement à ce que laissent à penser les écrits religieux, la mauvaise foi est acceptée. Tricher un petit peu au billard, c’est pas grave. Tant qu’on n’est pas toxiques comme les hypocrites, les voleurs, les menteurs et manipulateurs de tous poils, on a le droit à la faiblesse au paradis. Dieu lui-même, je suis désolé, n’est pas seul au monde, puisqu’il y a Allah et tout ça, qui ont tous leur petite entreprise, et ils essayent chacun de se piquer des fidèles les uns aux autres. Ils ont assez bien structuré l’esprit, et ça se fera ! On est aussi reparti sur un album n°8 parce que Stuf a besoin de sous et me demande des scénarios (rires).
On y croit donc dur comme fer, et peut-être que le théâtre fera relancer les ventes…
Heu oui, bon, de là à voir un « Passe moi l’ciel Land » ou un « Parc Saint-Pierre »…
Restons mesurés… (rires).
Oui. Attendons.
Pour continuer en revenant sur Spirou et Fantasio, est-ce que Yoann vous demande conseil pour ses pages actuelles ?
Des conseils il n’en a pas besoin, plus besoin en tout cas. C’est d’abord avec Fabien Vehlmann que j’ai été en contact, il y a déjà de cela 10 ans, et il voulait savoir si j’étais encore un peu désireux de le faire… J’ai dit non, je ne travaille qu’avec Tome. Mais il a profité de ce coup de téléphone pour me poser plein de questions, ce que Morvan et Munuera n’ont pas fait. J’ai pu comprendre entre les lignes, après, que Dupuis souhaitait éviter des rencontres avec nous comme si elles étaient susceptibles de…
… mal se passer ?
Oui, alors que c’était pas du tout le cas. Avoir fait du Spirou fait de moi un père spirituel du personnage, et son sort d’aujourd’hui m’importe énormément. Je peux donc conseiller sur ce qu’il faut faire, ne pas faire etc. Je prends toujours l’exemple de Morvan et Munuera qui avaient commencé une histoire avec des robots (ndrl celle de Paris sous Seine, leur première aventure). Champignac ne fait pas des robots comme ça. C’est Zorglub. Champignac c’est le gars qui va trouver un champignon bizarre, avec lequel il va créer du métomol ou neutraliser la zorlglonde. C’est un savant subtil, pas un mégalomaniaque. Tout cela est très important pour le lecteur parce qu’à moins qu’il y ait une explication plausible derrière, il va se prendre les pieds dans le tapis. Avec Fabien j’ai eu beaucoup de contacts à ce niveau-là, et j’ai fait connaissance avec Yoann dans un festival au Canada. Il ne savait pas encore qu’il allait reprendre Spirou mais il aimait beaucoup et avait eu vent d’une éventuelle reprise. On a discuté, je lui ai parlé de mon expérience, et il s’est nourri de choses, en a probablement rejeté certaines, pour arriver au résultat qu’on connait aujourd’hui.
Ce duo fait, du coup, beaucoup moins de « fautes d’histoire » si l’on peut dire…
Je pense, oui. Moins de fautes qu’à la reprise de Morvan et Munuera, mais à leur décharge, ils n’ont pas été aidés par Dupuis. D’autant qu’après trois albums, on les a virés. Moi il m’a fallu 5 ou 6 albums pour me sentir à l’aise. D’ailleurs, je garde en tête une planche de celui-ci (ndlr il prend sur la table l’album La Frousse aux Trousses – une merveille, achetez-le ! – et l’ouvre à la page 16). Luc Batem m’a rapporté un jour que Franquin, en découvrant cette planche là, a dit : « Là, ils l’ont ». Cette phrase, je l’ai retenue, mais c’était après 5-6 albums… bordel… Si on ne m’avait pas donné la chance d’en arriver là… Voilà pourquoi on a sans doute viré trop vite Morvan et Munuera, sans leur laisser l’opportunité de faire leur maladie de jeunesse. Je ne me suis pas gêné pour le dire à Dupuis, enfin à ceux qui veulent bien m’écouter, attention (rires), et j’espère que Fabien et Yoann auront plus de temps.
C’est bien parti puisqu’ils ont été renouvelés… D’ailleurs, est-ce que vous êtes content de voir que vos personnages reviennent ?
Tout à fait, oui… Enfin, ce ne sont pas « mes » personnages…
Vito, quand même, est de votre création avec Tome…
Oui, et je préfère ne pas le regarder. Je n’ai pas lu les nouvelles planches encore, j’en aurai l’occasion plus tard c’est sûr, parce que je ne voudrais pas être déçu. Je ne voudrais pas qu’ils se soient trompés en le faisant réapparaitre. Mon vœu le plus grand est que Yoann et Fabien réussissent, parce que Spirou et Fantasio le méritent, et je trouve qu’ils ont été un peu malmenés ces derniers temps par les albums hommages. Ce dernier mot, en général, on l’attribue à quelqu’un qui est mort. Et on finit par voir du Spirou partout… J’ai un néologisme, j’appelle ça la « Blueberrysation » de Spirou, c’est-à-dire il y a eu la jeunesse de Blueberry, lieutenant Blueberry, faits par untel et untel. On finit par se dire qu’il n’y a plus de pilote dans l’avion. Mais attention, je ne mets pas en cause la qualité…
… seulement le principe…
Le principe, oui. Ce traitement alternatif n’est pertinent que si la série maîtresse, je le souligne, est là et sert de locomotive. Si elle est en rade, on laisse s’éparpiller les projets…
D’autant qu’il n’y a pas de ligne éditoriale claire dans le sens où certains auteurs participent plusieurs fois à ce qui, au départ, était une collection de one-shots, UNE vision de Spirou par d’autres.
L’entreprise éditoriale est claire. De façon adroite ou non, on maintient en vie les noms de Spirou et Fantasio, qui permettent de vendre du papier. Disons-le de manière crue, un éditeur est là pour vendre des albums. Ensuite il y a une prospection et on est tenté de renouveler ce qui a bien marché. La conséquence est qu’on se retrouve à deux ou trois ou quatre conceptions différentes de la série, ce qui n’est pas très sain, pas très bon…
Il vaut mieux faire confiance à une équipe en place…
Faire confiance à Spirou et Fantasio, pas à Machin ou Trucmuche. J’y vois un petit peu, entre parenthèses, une projection très française de la conception de la BD. En Belgique, les auteurs s’en foutent de leur nom. En France, on a tendance à axer la reconnaissance sur l’artiste lui-même, et non pas sur les personnages. Du coup, c’est de là qu’intervient ma réaction. C’est Spirou et Fantasio qui sont importants, ce n’est pas Trucmuche, quelque soit son talent. On est au service d’une série, elle ne doit pas nous servir à nous.
Puisqu’on parle de la place centrale des personnages, vous auriez rêvé de pouvoir reprendre le Marsupilami, comme Yoann et Vehlmann vont le faire, ou bien pensez-vous que c’est une tâche particulièrement casse-gueule ?
Je trouve personnellement que ce n’est pas une bonne idée, pour plein de raisons. La première est une réaction d’orgueil de ma part. J’estime aujourd’hui, avec le recul, que Philippe est parvenu à traduire un Spirou et Fantasio très pertinent sans le Marsupilami. Faire appel à lui, à mon écoute, c’est une sorte d’aveu d’échec. C’est dire « non, Spirou ne peut pas se passer du Marsupilami ».
Secundo, Luc Batem a fait du très très bon travail avec le Marsu. Il a pu, justement, créer un réel univers, pertinent, autour du personnage, qui a fait que ces deux univers se sont séparés et ont leurs propres personnalités. On en revient donc au même problème que celui dont on vient de parler, il y a le Marsu de l’un et le Marsu de l’autre, et il faut expliquer que ce n’est pas le même, etc. Ce phénomène d’ubiquité du personnage risque de mettre à mal sa pertinence et sa crédibilité. D’autant plus que les auteurs de BD sont des êtres fiers et indépendants, pires que les musiciens. Ces derniers peuvent s’exprimer sur une scène, tandis que les auteurs intériorisent ce genre de choses. Dessiner le Marsupilami pendant qu’un autre le dessine, j’ai l’impression qu’il y a quelqu’un que je n’aime pas du tout qui dort dans mon lit. 60 ans après cette création, ne pas être capable de créer autre chose, c’est un peu un aveu d’incompétence.
Et surtout ce retour risque de décevoir plein de lecteurs, qui ont en tête leur propre idée des retrouvailles entre les personnages… Il va être très compliqué à mettre en œuvre…
(Giancarlo intervient) : Velhmann a beaucoup de talent pour trouver des bonnes situations…
Justement, qu’il y aille plein pot, qu’ils en profitent ! Pourquoi ne pas inventer une potion magique trouvée par Champignac, avec du gui comme ingrédient et… ah non, c’est une mauvaise idée ! (rires).
Vous vous moquiez gentiment, dans vos albums, de cette attente autour du Marsu… On se souvient du « Houba » résonnant dans la Vallée des Bannis, faisant croire à Spirou, l’espace d’un instant, que son vieux compagnon est revenu pour le tirer d’affaire…
C’est vrai, et on s’est moqué aussi de l’habit historique dans Vito la déveine. Quand Vito, naufragé, est recueilli en costume de groom par Spirou et Fantasio, il dit « excousez mon déguisement ridicoule », et Spirou lui répond « il n’est pas ridicule, la couleur peut-être », parce qu’il est mauve. Idem quand on ouvre un placard, sur le bateau, il y a 40 calots. C’est aussi un clin d’œil à Ric Hochet et ses vestes blanches avec des points noirs, qui lui tombent dessus quand il ouvre son armoire. C’est pour que le lecteur se moque un petit peu du personnage.
Un dernier mot pour terminer sur l’intégrale Spirou qui est justement arrivée à votre époque. On vous sollicite pour fournir des documents aux dossiers d’introduction ?
Le problème est que je ne conserve pas trop mon travail, je préfère regarder devant. Parfois je le regrette après coup. Du coup Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault ont eu un peu de mal pour alimenter les dossiers.
Merci beaucoup pour cet entretien et bonne continuation !
Propos recueillis par Nicolas Raduget.
Interview réalisée le 13 septembre 2014.
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